par
René OTAYEKInstitut d'Etudes Politiques de Bordeaux
Centre d'Etude d'Afrique Noire
L'intérêt que les sciences sociales
témoignent aujourd'hui pour la problématique de l'ethnicité contraste fortement avec
l'espèce d'indifférence, teintée de suspicion, que la recherche française a longtemps
manifesté à l'égard de l'objet ethnique auquel, jugeait-elle, les chercheurs
anglo-saxons accordaient trop d'importance et pour des motifs pas toujours avouables. Il
est d'autant plus marqué que, longtemps confinée aux sociétés « exotiques » et
relevant donc des études dites d'«aires culturelles»2 comme l'islamologie et
l'africanisme (islamisme et « tribalisme » obligent), la réflexion scientifique sur
l'identité nourrit désormais un débat aux enjeux clairement hexagonaux, puisqu'il parle
de l'identité de la France, de la nation, de la République et de la citoyenneté. Mais
si les sciences sociales françaises3 se sont enfin saisies du débat sur l'identité, il
n'est pas sûr que celui-ci y ait forcément gagné en rigueur ni qu'il soit toujours
déterminé par des considérations purement scientifiques.
Car ce qui frappe d'emblée dans la réflexion française sur le fait identitaire, c'est
son caractère passionnel, « idéologique et polémique » (Taguieff, 1991 : 47) : il
n'est que de voir, pour s'en convaincre, la floraison de prises de position publiques
suscitées par les différentes guerres dans l'ex-Yougoslavie et les anathèmes croisés
auxquelles elles ont donné lieu de la part d'intellectuels dont beaucoup n'avaient jamais
mis les pieds dans les Balkans et n'y comprenaient pas plus que le commun des mortels,
c'est-à-dire pas grand-chose... A l'évidence, pour bon nombre de ces intellectuels,
l'implosion de la Yougoslavie titiste renvoyait au modèle français de gestion du
pluralisme culturel et constituait un prétexte pour le défendre ou le critiquer.
Les africanistes n'ont pas ce genre d'états d'âme vis à vis de l'ethnicité, même
s'ils ont également manifesté quelque réticence à l'appréhender comme catégorie
analytique pertinente et même si le traitement de la question ethnique par l'africanisme
scientifique n'a pas toujours été, et n'est pas, exempt de toute préoccupation
instrumentale et politique. D'ailleurs, comment auraient-ils pu s'en désintéresser alors
que tout les y renvoie constamment : du moindre coup d'Etat au sud du Sahara au génocide
rwandais en passant par les guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone, ou les
massacres « interethniques » en Afrique du Sud, le politique en Afrique est décodé au
moyen exclusif de la grille ethnique, supposée tout expliquer, et qui donc n'explique
rien. Mais qu'importe puisqu'il est acquis une fois pour toutes que l'ethnie est la
catégorie classificatoire des sociétés africaines et qu'elle résume toutes les autres
appartenances : hors de l'ethnie, point d'explication aux problèmes qui se posent aux
sociétés africaines.
L'hégémonie du paradigme ethnique est d'ailleurs si absolue que Jacques Chirac, alors
Premier ministre, en voyage en Côte-d'Ivoire alors que s'amorçaient décisivement en
Afrique les transitions vers le multipartisme, croyait encore pouvoir affirmer
imperturbablement que celui-ci était inadapté aux sociétés africaines du fait de
l'exacerbation des clivages ethniques qu'il ne manquerait pas d'y induire. On aurait tort
pourtant de ne voir dans cette «sortie» malheureuse que préoccupation politicienne,
souci de complaire à l'hôte ivoirien allergique à toute réforme politique libérale ou
nostalgie de l'autoritarisme. Car elle reflète jusqu'à la caricature une « certaine
idée » de l'Afrique, continent du primitivisme et des particularismes, donc de
l'anarchie, par opposition aux sociétés «civilisées» organisées en Etats-nations
jouissant des bienfaits de la démocratie. A maints égards, cette représentation de
l'Afrique s'inscrit en continuité avec la pensée coloniale et la manière dont elle
s'est employée à organiser les sociétés conquises selon des lignes de classification
bien peu conformes à l'universalisme revendiqué du projet colonial.
ETHNICITE ET SCIENCES SOCIALES EN FRANCE : TABOU ET TRANSGRESSION
La floraison actuelle de discours scientifiques sur le fait identitaire ne
saurait faire oublier la discrétion, sinon le silence qui ont longtemps caractérisé
l'attitude des sciences sociales en France à l'égard de ce phénomène. La plupart des
analystes soulignent d'ailleurs, en le déplorant, le retard accumulé par la recherche
française en ce domaine (Leca, 1983 ; Birnbaum, 1991 et 1997 ; Taguieff, 1991 ;
Martiniello, 1995 ; Poutignat et Streiff-Fenart, 1995), surtout si on compare la relative
indigence de la production française avec la situation dans les pays anglo-saxons où la
réflexion sur le pluralisme culturel s'enracine dans une tradition scientifique déjà
ancienne.
Un autre trait discriminant des études françaises sur l'identité réside dans la
primauté qu'elles ont constamment accordée à la nation au détriment de l'ethnie, la
valorisation de l'une fondant et justifiant la délégitimation de l'autre : la nation
serait positive et irait dans le sens de l'histoire ; l'ethnie, au contraire, serait
régressive par essence, une réminiscence du passé et l'expression effrayante d'un
retour à l'âge des ténèbres, lorsque la terre était encore peuplée de tribus et que
l'Etat-nation n'avait pas imposé son ordre civilisateur (Otayek, 1999). Cette autre
particularité hexagonale renvoie en grande partie à certains traits de l'idéologie
politique française telle que l'ont structurée plus de deux siècles de jacobinisme et
de confrontations, souvent violentes, entre l'idée de nation et celle de communauté. Le
résultat en a été une incapacité des sciences sociales à réellement penser les «
passions nationalistes » (Birnbaum, 1997 : 12) et, surtout, une défiance tenace à
l'endroit de l'ethnie et, plus généralement, de toute forme de médiation susceptible de
« brouiller » la relation exclusiviste qui lie l'individu-citoyen à l'Etat et à la
société.
Pourtant, alors que la montée des nationalismes précipite la désagrégation
irrépressible des Empires et s'impose comme le phénomène politique majeur de la seconde
moitié du XIXème siècle, la discussion de l'idée de nation n'occupe paradoxalement
qu'une place marginale au sein de certaines disciplines dont la question nationale devrait
être, a priori, la préoccupation majeure. C'est notamment le cas de la sociologie
naissante dont l'un des pères fondateurs, Max Weber, en limitera le traitement expéditif
à quelques pages de son Economie et société. C'est également celui de la
science politique qui se constitue comme science à part entière dans les années trente
et quarante, mais sans guère se montrer plus prolixe sur le sujet. L'unique exception
notoire en France viendra - et cela en dit long sur l'orientation du débat « national »
sur le nationalisme - de l'histoire, et plus précisément des historiens des idées
politiques dont l'étude de la nation et du nationalisme restera longtemps le « monopole
» (Taguieff, 1991 : 47).
C'est, très significativement, à la même époque (1896) que la notion d'ethnie fait son
apparition dans les sciences sociales4. Très significativement parce que cet acte de
naissance signé Vacher de Lapouge suit de peu le moment colonial et la Conférence de
Berlin qui consacre la conquête européenne de l'Afrique (1884). Cette rencontre entre le
savant et le politique (ou, plutôt, le militaire) donnera une impulsion décisive à
l'anthropologie et explique l'apparition de la notion d'ethnie par le besoin de «nommer»
les sociétés colonisées, de les classer et de les définir comme «autres et
différentes des nôtres en leur ôtant ce par quoi elles pouvaient participer d'une
commune humanité.» (Amselle, 1985 : 14) Car la colonisation, c'est d'abord un système
de classement et de différenciation entre «eux» et «nous» : aux peuples européens le
privilège d'être définis comme des nations, aux peuples colonisés le vocable
dévalorisant d'ethnie. Ainsi se met en place un système d'oppositions sémantiques dont
l'unique finalité est de justifier l'entreprise coloniale au nom des Lumières et de la
Mission civilisatrice de la France : société historique/société a-historique,
société v/s communauté, civilisation v/s barbarie, etc. (Amselle, 1985 : 14)
La rupture avec l'anthropologie coloniale s'esquisse à un autre moment crucial pour les
sociétés colonisées : celui des indépendances qui s'amorcent dans les années
cinquante et s'accélèrent au début de la décennie suivante. L'émergence de ces
nouveaux Etats ouvre alors aux sciences sociales un champ de questionnements inédits dont
les thèmes centraux sont le développement et la modernisation auxquels seront associées
un certain nombre d'Ecoles issues de la science politique, de la sociologie, de
l'économie, de la géographie ou de l'histoire. Directement lié au contexte
socio-politique en plein bouleversement, ce bouillonnement intellectuel est également
stimulé par la concurrence qui oppose entre elles ces sciences pour l'appropriation de la
parole légitime sur l'objet qui leur est commun, le développement (Guichaoua et
Goussault, 1993 : 9-10). Pour l'anthropologie, l'aggiornamento est l'oeuvre
conjointe de M. Leiris et de G. Balandier qui entreprennent en précurseurs de re-penser
les sociétés colonisées. A l'encontre de la vision fixiste de ces sociétés dites de
la «tradition» qui avait longtemps prévalu, leur anthropologie dynamique plaide pour
une radicale remise en perspective faisant la part belle au mouvement, au changement, à
la complexité. Cette même volonté de rupture avec le legs colonial sera à l'origine
d'une démarche plus militante qu'incarne l'anthropologie économique dont les chefs de
file sont C. Meillassoux et E. Terray et qui s'illustrera par la conceptualisation des
«modes de production» (africain ou asiatique). D'inspiration marxiste, cette
anthropologie se donne de nouvelles catégories analytiques postulant la déconstruction
de l'ethnie comme concept opératoire et promptement évacuée comme expression d'une
«fausse conscience» aliénante et a-historique. Il est d'ailleurs intéressant de
relever la constance dont font preuve les tenants de cette thèse puisque, dans un texte
récent, C. Meillassoux repart en guerre contre les identités ethnique et religieuse qui
ne seraient pas des «données de la démocratie» car «la seule identité qui vaille est
celle de citoyen» (Meillassoux, 1997 : 23 et 35) : les débats d'aujourd'hui sur
l'ethnicité sont manifestement en résonance directe avec ceux d'hier et ne peuvent se
comprendre qu'au regard de l'histoire même de l'anthropologie.
Nonobstant l'apport de cette anthropologie de rupture, la théorisation du concept
d'ethnie reste cependant largement tributaire des thèses primordialistes et
subtantialistes. Encore dominantes, celles-ci partagent, par delà les nuances qui les
distinguent, une même vision figée de l'ethnie qu'elles se représentent comme un
donné, un état que définit un ensemble de traits invariants comme la culture, les liens
de sang ou les affinités naturelles. La critique décisive de ces approches viendra en
1969 avec F. Barth et son Ethnic Groups and Boundaries. Faisant sienne la
démarche interactionniste, Barth récuse l'hypothèse de l'existence d'un lien de
causalité entre ethnicité et culture, la première, dans le droit fil des présupposés
culturalistes, étant le «produit» de la seconde. Au contraire, affirme-t-il, c'est
l'ethnicité qui, en tant qu'expression de l'identité ethnique, détermine la culture et
non l'inverse. Et, loin d'être immanente, celle-ci ne se cristallise que dans un contexte
relationnel induit par les interactions que les groupes nouent entre eux et les
frontières qu'ils construisent pour se distinguer les uns des autres (Poutignat et
Streiff Fenart, 1995 ; Martiniello, 1995 : 49 ; Gossiaux, 1997: 30). Dans la même
perspective, E. Leach confirmera les intuitions de Barth dans son «classique» sur les
Kachin de Birmanie (Leach, 1972) dont il démontrera que l'«ethnicité» ne s'appréhende
qu'au regard des échanges qu'ils entretiennent avec les sociétés qui les entourent,
indépendamment de toute unité culturelle et linguistique «primordiale».
Pourtant, en dépit des pistes ainsi ouvertes suggérant que l'objet ethnique est plus
problématique que ne le donnent à penser l'anthropologie coloniale et le culturalisme
vulgaire, son étude demeure un «tabou» pour les sciences sociales en France (Coulon, sd
: 1). L'ethnie, en effet, est toujours frappée de discrédit et jugée passéiste et
aliénante, au bénéfice exclusif de la nation, moderne et civique. Pour ses censeurs5,
qui justifient leur attitude par le souci, fondé, de se démarquer des théories
racialistes et substantialistes du XIXème siècle et de la première moitié du XXème
siècle, l'étude de l'ethnicité serait surtout dangereuse car elle aboutirait à
légitimer les particularismes contre la nation, seule digne d'intérêt. Les marxistes ne
sont d'ailleurs pas en reste, qui insistent sur le primat de la lutte des classes et du
facteur économique dans le changement social...au risque de se fourvoyer en se hasardant
à pronostiquer l'évanouissement à moyen terme du nationalisme comme principe
mobilisateur.
Les Anglo-Saxons, répétons-le, ne sont pas sujets à ce type d'inhibitions. En effet,
c'est dès les années trente et quarante que se développe aux Etas-Unis la réflexion
sociologique sur le multiculturalisme et la capacité du «melting pot» à assurer
l'intégration des migrants affluant en masse des horizons ethniques et nationaux les plus
divers. Certes, le traitement de la question est loin d'être exempt de préoccupations
instrumentales et prend parfois l'allure d'une défense et illustration de la culture et
de la suprématie WASP6. Mais il n'empêche qu'il est à l'origine de la constitution d'un
savoir substantiel en la matière tout en témoignant d'une aptitude au débat des
sciences sociales anglo-saxonnes introuvable chez bon nombre d'intellectuels français
crispés sur leurs certitudes jacobines. D'où l'extrême difficulté à aborder
sereinement en France la question du multiculturalisme dont la discussion relève encore
souvent de la transgression tant restent vifs les enjeux et les passions qu'elle engage.
Il y a incontestablement une exception française en ce qui concerne l'analyse
scientifique du fait identitaire (Otayek, 1999 : 7-9). Déjà, suggérer timidement que la
France puisse être devenue - ou re-devenue - multiculturelle, c'est braver un interdit et
prendre le risque d'être stigmatisé comme «casseur de la République» (Jelen, 1997)
par les zélateurs du modèle républicain, viscéralement allergiques à tout
différencialisme.
Pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi. Ou, du moins, la revendication culturelle
n'a pas toujours été considérée comme illégitime et niée. Au contraire, dans
l'euphorie libertaire de Mai 68, les mouvements régionalistes fleurissent et s'affirment
d'autant mieux qu'ils paraissent susceptibles de s'articuler sur les luttes sociales. La
gauche s'en réjouit et les soutient car ils semblent devoir amplifier la critique de
l'Etat bourgeois hypercentralisateur. Mais la parenthèse sera de courte durée. Dès la
fin des années soixante-dix, les menaces, réelles ou fantasmées, sur le modèle
républicain provoquent un choc en retour et mettent la question de la nation au centre du
débat scientifique et politique. Face aux incertitudes liées à la montée en influence
électorale du Front national, à la construction européenne qui délégitime l'idée de
nation et aux dynamiques de l'intégration des populations immigrées d'origine
maghrébine, les interrogations sur le modèle républicain deviennent inévitables.
Principes fondateurs de ce modèle, la nation, la citoyenneté et la laïcité s'imposent
comme des thèmes récurrents, lancinants, du débat public. Enfin, la problématique de
l'identité intègre le champ des sciences sociales françaises comme objet pertinent et
légitime. Enfin, face aux tenants d'un jacobinisme exacerbé, est assez largement admise
l'idée que «théoriser l'ethnicité, cela ne revient pas à fonder le pluralisme
ethnique comme modèle d'organisation socio-politique, mais à examiner les modalités
selon lesquelles une vision du monde «ethnique » est rendue pertinente par les
acteurs.» (Poutignat et Streiff-Fenart, 1995 : 17) Il en aura cependant fallu du temps
pour en arriver là ! Certes, les passions demeurent, qui biaisent souvent la discussion
et conduisent aux confusions entre discours politique et discours scientifique auxquelles
se prêtent, dans un amalgame vite fait, la crise algérienne et ses répercussions en
France, le foulard «islamique», les violences urbaines, le génocide rwandais ou encore
la tragédie des Balkans. Certes, aussi, le débat hexagonal sur l'ethnicité manque
parfois de rigueur théorique et empirique (Taguieff, 1991 : 47 ; Martiniello, 1995 :
117). Mais il n'en demeure pas moins qu'il est enfin possible de débattre des processus
d'identification «sans les juger» et de s'interroger sur les « logiques sociales qui
amènent les individus et les groupes à identifier, à étiqueter, à catégoriser, à
classer et à le faire de telle façon plutôt que de telle autre. » (Cuche, 1996: 89)
Belle manière de souligner l'erreur de méthode que commettent les censeurs de l'ethnie
en s'interdisant, et en prétendant interdire, de réfléchir sur les raisons pour
lesquelles l'ethnicité fait sens pour ceux dont c'est, parfois faute d'autre forme de
médiation, le langage, c'est-à-dire ses usages sociaux comme mode d'action collective.
L'ETHNIE CONTRE LA NATION ?
En dépit des contorsions théoriques et sémantiques auxquelles se livrent les
contempteurs de l'ethnie pour justifier leur hiérarchisation normative entre celle-ci et
la nation, les deux notions sont indissociables. En effet, outre le fait que leur
apparition dans le discours scientifique est concomitante, bon nombre de courants
théoriques ont «pensé» la nation et le nationalisme au regard du «paradigme»
ethnique. C'est notamment le cas d'E. Gellner (1983) qui fonde sur la critique du
primordialisme sa théorie de la nation comme résultat de l'homogénéisation culturelle
rendue nécessaire par le développement économique et la transition de la société
traditionnelle à la société industrielle ; ou celui du courant constructiviste qui voit
dans la nation une sorte de transcendance de l'ethnie fondée sur la mobilisation et la
ré-invention de la tradition7. Cet évolutionnisme est d'ailleurs extrêmement répandu,
en vertu duquel la nation est fréquemment représentée comme l'aboutissement d'un
processus de modernisation reposant sur la disparition de la conscience ethnique et la
cristallisation d'une identité «nationale», donc forcément supérieure, qui n'est pas
sans évoquer la «haute culture» dont parle E. Gellner (Gellner, 1983). L'intérêt du
constructivisme est cependant de suggérer, à l'encontre des pourfendeurs de l'ethnie qui
l'associent volontiers à ce qu'il y a de plus vil en l'homme, que celle-ci est
également, comme la nation, une « communauté imaginée » (Anderson, 1983) car, comme
la nation, elle met en jeu la mémoire et le mythe ; et que, comme la nation, elle est une
construction sociale «travaillée » en permanence par un récit toujours ré-inventé
qui lui confère légitimité et profondeur historique. A. Smith a donc raison d'affirmer
que les nations ont une origine ethnique, même si, pour lui, ce qui est déterminant dans
le processus de passage de l'une à l'autre, c'est la raison étatique qui pousse à
l'homogénéisation territoriale, politique et administrative (Smith, 1971).
«Parasité» par la diabolisation de l'ethnie, le débat sur la nation, en France,
renvoie constamment à E. Renan et à l'opposition, voulue irréductible, entre la nation
française, politique et contractuelle, et la nation allemande, ethnique et culturelle.
C'est La référence, telle que l'ont encore attestée récemment les commentaires qui ont
suivi l'introduction partielle, en mai 1999, du jus soli dans le droit de la nationalité
allemand8. Pour Renan, on le sait, ce qui distingue la nation française de la nation
allemande, c'est le principe de citoyenneté et le vouloir vivre ensemble qu'énonce le
célèbre « la nation est un plébiscite de tous les jours », par opposition
aux liens de culture et de sang qui caractériseraient la nation allemande (Renan, 1992).
Pour Renan ou, plus justement, pour certains théoriciens français de la nation qui se
sont appropriés sa distinction et l'ont radicalisée dans le but de légitimer la
prétention à l'universalisme du modèle français de nation. Certes, il n'est pas
question de nier ou de sous-estimer la part de volontarisme que l'auteur de Quest ce
qu'une nation 2 voit à l'origine de la nation moderne et qui l'incite à prendre ses
distances avec la conception essentialiste de la nation. Il s'agit simplement de
contextualiser son propos en rappelant qu'il prend place en pleine controverse
franco-allemande sur l'Alsace-Lorraine, réunie de force à l'Empire allemand en 1871 et
dont il fallait justifier l'appartenance à la France en dépit des liens « ethniques »,
culturels et linguistiques rapprochant « naturellement » les Alsaciens-Lorrains de
l'Allemagne. En en faisant abstraction, en prenant au pied de la lettre une distinction
entre deux « idéaux-types » de nation (politique et culturelle) qui n'existent pas à
l'état pur dans la réalité, on commet au moins trois erreurs.
La première consiste à survaloriser la dimension contractuelle de la nation française
en faisant bon marché de la part de contrainte et de violence qui a historiquement
présidé à l'incorporation des différentes « nations » à l'ensemble national9. La
réunion à la France de certaines régions périphériques doit peu, en effet, au libre
consentement de leurs populations et participe peu ou prou de la même mythologie que
celle des colonisés acceptant avec docilité et reconnaissance les bienfaits de l'action
civilisatrice de la France. La deuxième postule que la nation en France est exempte de
toute identification en termes raciologiques et culturels. Illusion selon F. Koshrokavar
qui, à la suite de P. Birnbaum, rappelle opportunément que le nationalisme français
comporte une dimension ethnique, fût-elle, selon L. Dumont, secondaire et subordonnée à
sa dimension universaliste (Koshrokavar, 1996 : 113-114). Si la nation est une
construction historique, c'est qu'elle fait intervenir la mémoire et parle au passé et
à la culture qu'elle ré-invente sans cesse pour se différencier des autres nations. Peu
importe que cette ré-invention soit imaginée ou fantasmée : elle produit des effets de
réalité ; elle s'impose comme la réalité. Ce n'est pas par hasard que la
représentation de la nation dans les imaginaires aussi bien « ordinaires » que «
savants » reste tenacement associée à la culture et aux liens naturels « hérités ».
S. Duchesne l'a bien montré dans son enquête sur les perceptions de la nation en France,
concluant que, comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la citoyenneté s'y situe
«dans un entre-deux entre holisme et individualisme» (Duchesne, 1997 : 326-327). La
troisième, enfin, renvoie à une confusion entre la nation et la théorie de la nation,
explique M. Cahen dans un ouvrage incisif et argumenté (Cahen, 1994). En effet, il n'y a
pas de nation politique pure, pas plus qu'il n'y a de nation culturelle pure. Toutes les
nations sont des constructions historiques, à la fois culturelles et politiques. Si l'on
peut donc admettre que le lien politique est effectivement au fondement de la nation, son
primat n'exclut pas la recherche d'une unité culturelle, comme en témoigne
l'assimilation plus ou moins contrainte des minorités régionales et des populations
immigrées en France (Coulon, 1998 ; Brubaker, 1997). Qu'en conclure sinon que la
célèbre opposition entre la nation allemande et la nation française comporte une part
de fiction et demande à être substantiellement relativisée et nuancée ?
En ce sens, l'instrumentalisation scientifico-idéologique de la distinction renanienne
prétend sans doute moins rendre compte de la réalité - il est pour le moins difficile,
aujourd'hui, de continuer à défendre imperturbablement la thèse de la nation française
« politique » contre la nation allemande «culturelle» - que légitimer le normativisme
qui exalte la nation et dévalorise l'ethnie. La nation, nous dit dans cette perspective
A. Touraine, est porteuse d'une « idée libératrice » (Touraine, 1997 : 405) née de la
philosophie des Lumières et de la Constitution de 1791 qui substituent la notion de
contrat social au mythe de la nation biologique. Ce n'est pas le cas de l'ethnie, objet de
toutes les stigmatisations dont la moins dégradante est encore d'être représentée avec
persistance comme un « Etat-nation à caractère territorial au rabais » (Amselle, 1985
: 19). Pour D. Schnapper, très réservée à l'égard de la notion d'ethnie,
l'organisation politique et la citoyenneté discriminent la nation, alors que l'ethnie se
définit selon elle par les liens historiques et culturels (Schnapper, 1994 : 28-29) :
l'ethnie correspondrait donc à l'état de nature hobbesien, et tout l'opposerait à la
nation qui privilégie l'individu contre la communauté, les liens fonctionnels au
détriment des solidarités verticales et le contrat social comme substitut aux affinités
électives. Poussée jusqu'à ses conclusions ultimes, cette argumentation laisse supposer
que le processus de construction de la nation se fait indépendamment de toute référence
identitaire, comme si le politique s'autonomisait en se déconnectant totalement du
substrat ethnique historiquement constitué. Or, répétons-le, la nation ne se conçoit
pas sans construction identitaire et mobilisation, sur la longue durée, d'un ensemble
signifiant de mythes et de symboles qui entretiennent l'imaginaire collectif du récit des
origines.
L'un des mérites d'E. Gellner, de ce point de vue, est justement d'attirer l'attention
sur les dynamiques culturelles à l'oeuvre dans les processus de construction des nations
modernes, et plus précisément sur cette « instance nationale » dont le volontarisme
conditionne le succès de l'entreprise d'homogénéisation culturelle et de diffusion de
la « culture supérieure » qui caractérisent, selon lui, ces nations. On retrouve ce
même volontarisme chez les théoriciens du Nation building (R. Bendix, K.
Deutsch, S. Rokkan) pour qui la nation « est le résultat d'un processus social de
construction identitaire » dans lequel l'Etat joue un rôle important en faveur de
l'intégration nationale (Déloye, 1997 : 55). Pour Gellner, comme pour l'Ecole du Nation
building et comme pour E. Hobsbawm (1991), et quoi qu'en pensent les chantres de la
nation « politique », la nation repose donc bien sur une production identitaire au coeur
de laquelle se trouve l'Etat10. Dans ces conditions, il paraît excessif de soutenir que
« l'Etat ne crée pas la nation » et que son rôle se résume à la consolidation des
identités nationales déjà existantes (Cahen, 1999).
En effet, si l'on admet volontiers avec A.-M. Thiesse (1999) que les identités nationales
européennes sont le produit d'un « bricolage » dont les différentes pièces (mythes,
légendaires nationaux, traditions, etc.) se mettent définitivement en place au XIXème
siècle seulement, on ne saurait ignorer ou sous-estimer pour autant le travail
d'imposition identitaire de l'Etat. N. Rouland (1995: 12-14) le démontre magistralement
à propos de l'Etat français dont il explique, de manière très convaincante, qu'il
s'est « édifié et a construit la Nation par une politique volontariste, plus affirmée
que dans la plupart des autres nations d'Europe occidentale ». Articulée sur une
entreprise obstinée d'homogénéisation juridique conduite à l'initiative du monarque et
de ses juristes, celle-ci s'impose non seulement face au pape et à la féodalité, mais
également « par rapport à la société et à la diversité de ses courants ». C'est ce
volontarisme, conclut-il, qui assurera le triomphe de la centralisation monarchique (à
partir du XIIIème siècle) puis jacobine. Cette centralisation sera enfin parachevée par
la Troisième république selon un double processus de destruction des identités locales
(qu'il fallait civiliser de force) et d'utilisation des espace locaux (les communes) pour
assurer son implantation (Pérès, 1994). L'Etat est donc bien un gros producteur
d'identité, et plus encore l'Etat moderne qui, adossé à sa conception du progrès et
convaincu de son universalisme, entend imposer l'identité nationale, fût-ce par la
contrainte, en re-composant les identités périphériques et en promouvant la «
mono-identification » (Cuche, 1996 : 89) dont on peut penser qu'elle correspond à celle
de l'« ethnie » dominante. L'Etat-nation serait donc un projet identitaire hégémonique
abouti11. Ce travail d'imposition identitaire s'avère d'autant plus crucial au regard de
cette recherche hégémonique que les nations monoethniques sont l'exception, la réalité
se présentant le plus souvent sous la forme des nations pluriethniques. Le « principe
d'homogénéité » faisant coïncider unité ethnique, nationale et politique n'a jamais
existé historiquement avance même à ce sujet P.-A. Taguieff (Taguieff, 1991 : 61). Mais
« l'imaginaire national » (Anderson, 1996) se nourrit du mythe de la nation
monoethnique. Il n'est pas inutile de s'en souvenir lorsqu'on aborde la question du
multiculturalisme en France.
LE « CAUCHEMAR » MULTICULTURALISTE OU L'IMPOSSIBLE DEBAT
Il convient de s'en souvenir car ce débat reste piégé. On l'a dit, pour bon nombre
d'intellectuels français au jacobinisme exacerbé, l'ethnie n'est pas légitime ; seule
compte la nation. Il est d'autant plus hasardeux d'aborder la question qu'on se heurte
d'emblée à une sorte de «front» composé d'intellectuels mobilisés autour de la
défense du modèle républicain, au nom de la lutte contre la montée des revendications
culturelles, la xénophobie, l'anti-égalitarisme, les menaces européennes, les attaques
contre la laïcité ou l'affadissement de l'idée de citoyenneté. Pour ces
«nationalistes républicains» qui mettent leur savoir «au service de l'identité
nationale» (Lorcerie, 1994), parler de multiculturalisme, c'est vouloir déconstruire le
modèle républicain et faire prévaloir la logique communautariste qui mine les
démocraties anglaise et nord-américaines. Ils s'investissent donc naturellement dans le
rôle d'intellectuels organiques gramsciens, partis, selon E. Todd, à la reconquête
d'une hégémonie idéologique perdue face aux supranationalistes européens12. Pour ces
«zélotes de la nation» qui en parlent «avec des trémolos dans la voix »13, le
multiculturalisme constitue une « infinie régression » selon l'expression de N. Kouri
qui en parle, il est vrai, à partir de son expérience canadienne et québécoise fort
différente, par opposition aux luttes « civiques », politiques et sociales,
émancipatrices (Kouri, 1992 : 1). C'est donc sans complexe que ces « enragés de la
République » (Jallon et Mounier, 1999) se posent en « hérauts » de la pensée
universaliste alors que, ironise C. Coulon, ils ne sont que les représentants d'une «
tribu qui campe quelque part dans le sixième arrondissement et ne nomadise jamais en
dehors du cercle sacré de l'Ile-de-France » (Coulon, sd.). Cette élite, qui a fait de
la défense du modèle républicain son cheval de bataille, est peut-être effectivement
très parisianiste dans son recrutement, sans constituer, pour autant, un groupe
homogènel4. Mais ce qui la discrimine fondamentalement, c'est sa prétention à dire le
Bien et le Mal, comme elle s'en est arrogée le droit au moment de la guerre du Golfe,
n'hésitant pas à stigmatiser publiquement les musulmans de France, sommés de prouver
leur loyalisme à la nation française en approuvant la participation de la France au
conflit, au risque d'encourir les foudres des « missionnaires armés » (Titous, 1991).
Cette situation contraste fortement avec celle qu'on observe dans les sociétés
anglo-saxonnes, et notamment les Etats-Unis où le débat sur le multiculturalisme ne se
décline pas sur le même registre psychodramatique. Il y a, certes, de bonnes raisons
historiques à cela : la conquête du pays et sa colonisation aux dépens des Indiens,
l'immigration, l'esclavage sont autant de facteurs qui ont contribué à faire de la
gestion du pluralisme culturel une question centrale du débat politique et académique.
Les nationalistes républicains ont raison, de ce point de vue, de pointer la
spécificité de la trajectoire américaine au regard de laquelle ce débat est une
nécessité. Mais cela ne justifie aucunement la condescendance avec laquelle est
fréquemment et péremptoirement évacuée la discussion du multiculturalisme américain.
Pour ses critiques, celui-ci, en effet, se résume bien souvent à ses aspects négatifs,
en particulier le communautarisme et les aberrations de l'Affirmative action.
Mais l'on voit bien qu'il sert de repoussoir et que ces arguments sont surtout destinés
à prévenir tout effet de contagion en France.
Pourtant, cette question est plus complexe que ne le suggèrent les philippiques des
nationalistes républicains. D'ailleurs, contrairement à ce qu'ils semblent croire, le
multiculturalisme est loin de faire l'unanimité aux Etats-Unis mêmes où il est soumis
à une double critique : celle des assimilationnistes d'une part, partisans du Melting pot
au sein duquel se dissolvent les identités d'origine; celle des théoriciens de la «
société post-ethnique» d'autre part, qui réfutent les présupposés idéologiques,
théoriques et raciologiques qui fondent l'Affirmative action et plaident pour
l'abolition des « clôtures identitaires », symboliques et administratives au bénéfice
de la liberté qu'aurait tout individu de choisir son identité symbolique (Martiniello,
1995 : 42-43 et 70 et sq. ; Hollinger, 1995). Naturellement, cette remise en perspective
critique du multiculturalisme américain ravit les nationalistes républicains qui y
voient la confirmation de leurs mises en garde. Ils n'ont pas entièrement tort mais ils
oublient deux choses : d'abord, que le bilan du multiculturalisme américain ne se réduit
pas à ses aspects négatifs et qu'il a fait accéder à une certaine dignité des
populations longtemps frappées d'exclusion, même si c'est la bourgeoisie moyenne noire
qui en a surtout profité ; ensuite, que le monde académique américain administre là
les preuves de sa capacité à remettre en cause les certitudes les mieux établies, ce
qui n'est pas le cas des intellectuels jacobins dans leur rapport au modèle
républicainl5.
En effet, c'est la défiance maladive à l'égard du multiculturalisme qui prédomine
largement encore dans le monde académique français. D. Schnapper, par exemple, célèbre
pour ses travaux sur la citoyenneté, le rejette au nom de la capacité de l'Etat de droit
démocratique et républicain d'autoriser l'expression et l'organisation des
particularités dans la vie privée et sociale. Mais il n'est pas question, en revanche,
qu'elles puissent avoir une « identité politique particulière reconnue en tant que
telle dans l'espace public » (Schnapper, 1994 : 100). De manière générale, les
défenseurs du modèle républicain ne voient guère de solution médiane entre le
pluralisme et l'assimilation. Même la notion d'intégration leur paraît suspecte. Non
seulement parce qu'elle se prête aux tentatives de manipulation de l'extrême-droite,
mais aussi et surtout dans la mesure où elle leur paraît être une solution «
impossible » (Lorcerie, 1994 : 251) entre le multiculturalisme et la sublimation des
particularismes dans le creuset républicain. Car il ne saurait y avoir de structure
intermédiaire entre l'individu et la nation16. L'adhésion à celle-ci doit en effet se
faire sur une base « individualiste et égalitaire » rappelle E. Todd, assenant même
froidement à propos des populations immigrées en France qu'elle passe par la «
destruction » de leurs « systèmes anthropologiques » (Todd, 1994 : 390) : on est là
bien au delà de l'« oubli » sélectif dont parlait Renan17 puisqu'on demande purement
et simplement à ces immigrés de devenir amnésiques, de se mutiler la mémoire,
d'oublier qui ils sont et d'où ils viennent.
Seul en fait, ou presque, parmi ces intellectuels, M. Wieviorka affiche une attitude
ouverte par rapport à ce débat et se distingue nettement des nationalistes
républicains. Ses prises de position, même empreintes d'une certaine ambiguïté en ce
qui concerne l'ethnicité comme phénomène social (Cahen, 1994 : 131-134), et la
lucidité dont il fait preuve dans son approche de la crise du modèle républicain le
classent à part et méritent que l'on s'y attarde. Pour lui, en effet, cette crise
représente le point de départ de toute réflexion sur le multiculturalisme. Son constat
est sévère: le modèle est grippé, les thèmes de l'égalité et de la fraternité ne
fonctionnent plus, l'école s'essouffle, l'intégration est en panne, la violence urbaine
s'accroît, le chômage est structurellement installé, le racisme s'insinue, la
marginalité et l'exclusion explosent. Dans ce contexte, affirme-t-il, le modèle
français ne peut plus «s'identifier à l'universel » alors que la France produit des «
identités, des particularismes, de l'ethnicité» (Wieviorka, 1997 : 50)18.
Très critique envers les nationalistes républicains, il en dénonce l'«universalisme
abstrait qui nie les différences» (Wieviorka, 1998 : 906). Estimant urgent de re-penser
le modèle, il propose de lui apporter les aménagements institutionnels et politiques
nécessaires en vue de circonscrire les trop fortes polarisations identitaires et
d'éviter aussi bien la tyrannie de la majorité, que légitime la notion de volonté
générale dérivée du contrat social rousseaussiste, que celle des minorités. Il
préconise donc pour cela l'invention d'une « citoyenneté multiculturelle » fondée sur
l'octroi de droits politiques, sociaux, civils et culturels, mais limités par
l'engagement à l'égard de la nation et le respect de principes de base comme la langue
nationale et l'égalité des sexes (Wieviorka, 1996 : 52).
M. Wieviorka est donc apôtre d'un multiculturalisme tempéré qu'il définit comme «un
principe politique assurant la possibilité pour des individus et des groupes qui se
réclament d'une identité culturelle particulière de coexister démocratiquement avec
d'autres individus et d'autres groupes qui se réclament d'autres identités
particulières » (Wieviorka, 1997 : 151). Mais cela ne l'empêche pas de demeurer
attentif aux dérives du multiculturalisme incontrôlé. Celui-ci, prévient-il, comporte
un danger de fixation définitive des identités et de réification de la société selon
des lignes de clivage qui ressortissent essentiellement à la défense de son altérité.
En outre, insiste-t-il, il convient de faire attention au risque de renforcement des
forces les plus conservatrices au sein des groupes visés par les politiques de
discrimination positive car ce sont les dominants qui sont en mesure d'en profiter pour
consolider leur pouvoir19 (Wieviorka, 1998). On ne peut qu'acquiescer à ses mises en
garde, comme y incite, entre autres, le contre-exemple libanais de gestion du pluralisme
religieux. Là où le bât blesse toutefois, c'est, paradoxalement, au niveau de
l'articulation étroite entre identité et exclusion socio-économique autour de laquelle
s'agence son raisonnement et qui incarne son apport principal selon M. Martiniello (1998 :
913). En effet, on a l'impression que la revendication culturelle, pour lui, exprime moins
un besoin de reconnaissance identitaire (au sens que lui donne C. Taylor (1997) ) qu'une
réaction à la détresse socio-économique. Certes, dans un texte de 1996, il fait
l'hypothèse que le développement des identités, loin d'être la conséquence de la
crise de l'Etat-nation ou de la modernité, est au contraire une donnée «lourde» et
universelle des sociétés contemporaines, « structurant la vie collective autour des
thèmes... de l'identité, de la subjectivité, de la reconnaissance, de la mémoire ou de
l'altérité » (Wieviorka, 1996 : 32). Ultérieurement, cependant, aussi bien dans son
article déjà cité, très significativement intitulé «Is multiculturalism the
solution?» , que dans ses autres écrits (Wieviorka, 1997 ; 1998), il met lourdement
l'accent sur les déterminants socio-économiques de la crise du modèle républicain et
semble donc suggérer fortement que l'affirmation culturelle serait la conséquence de la
ségrégation sociale, elle même générée par cette crise. Aussi, même s'il plaide
vigoureusement pour des mesures de promotion socio-économiques et de reconnaissance
culturelle étroitement associées, on a très nettement le sentiment que, pour lui, ce
sont les premières qui priment : faisons reculer l'exclusion, semble-t-il penser, et les
revendications culturelles n'auront plus de raison d'être. Dans ces conditions, le
multiculturalisme n'est pour lui qu'un pis-aller, la solution du moindre mal pour sauver
ce qu'il reste du modèle républicain. On sent bien d'ailleurs, en le lisant, qu'il ne
s'y rallie que sous l'empire de la nécessité20. D'où son appel en faveur d'un
dépassement du multiculturalisme par la mise en oeuvre d'une « politique du sujet »
réconciliant l'universel et le particulier, l'aspiration à l'égalité et le droit à la
diversité (Wieviorka, 1997 : 152 ; 1998 : 905 - 907 )21.
LA LAÏCITE EN DANGER ?
La défense intransigeante de la laïcité est l'un des thèmes récurrents du discours
nationaliste-républicain. Il est vrai que l'autonomie du politique par rapport au
religieux, conjuguée avec la liberté de croyance, est l'un des piliers du modèle
républicain. Remettre en cause la laïcité, c'est donc porter atteinte au modèle. Les
gardiens du temple républicain prennent bien soin de préciser que leur vigilance est
tous azimuts et qu'elle s'exerce envers toutes les menaces, réelles ou potentielles,
d'où qu'elles viennent. Mais en réalité, c'est à l'islam qu'ils réservent leurs
flèches les plus acérées, à la fois parce c'est de lui, jugent-ils, que proviennent
les attaques les plus vives et parce que l'opinion publique ainsi que les médias sont
particulièrement sensibles à tout ce qui s'y rapporte. Aussi, s'ils s'interrogent sur le
port à l'école de la kippa ou l'existence dans certains établissements secondaires
d'aumôneries catholiques en violation flagrante du principe de neutralité de l'école
laïque, c'est le foulard « islamique », et surtout lui, qui déchaîne leur ire.
Par les passions, confinant parfois au ridicule et à l'irrationalité22, qu'il suscite,
ce débat est cruellement révélateur de la manière dont la France, la puissance
coloniale dont l'empire s'étendait sur une majorité de territoires totalement ou
majoritairement islamisés, se représente l'islam. En effet, il est peu contestable que
la gestion publique de la « question islamique » reste tributaire de l'impensé selon
lequel l'immigration musulmane, d'origine maghrébine en majorité, serait difficilement
assimilable du fait de l'incompatibilité de sa culture avec les valeurs fondamentales de
la société française. L'islam, selon cette version, serait condamné à rester
extérieur à la société française car il serait par essence réfractaire à la
laïcité23, figé dans son altérité collective et organiquement lié à une communauté
supranationale (l'Oumma) étrangère à la nation française. C'est cela qui
différencierait l'immigration musulmane des vagues migratoires antérieures (Italiens,
Polonais, Portugais, Espagnols, etc.) dont le code culturel réfère au même héritage
judéo-chrétien. Peu ou prou, cette perception de l'islam imprègne l'imaginaire des
élites comme celui des gens ordinaires : que l'on pense aux montagnes de présomptions,
de préjugés et de résistances qu'il faut vaincre chaque fois qu'il s'agit de construire
une mosquée quelque part (et l'on ne parle pas des interminables procédures
administratives !). Assez paradoxalement, d'ailleurs, cet argumentaire est mis en avant
aussi bien par les partisans du multiculturalisme intégral que par les idéologues
d'extrême-droite du droit à la différence.
Cette difficulté à penser l'incorporation des musulmans à la nation française semble
bien renvoyer symboliquement au fait que la France continue de se percevoir, consciemment
ou inconsciemment, comme un pays « de tradition chrétienne, occidentale et européenne
» et qu'elle peine à concilier ses « deux mythes fondateurs (nation royale chrétienne,
puis patrie des droits de l'Homme) » avec une tradition culturelle appréhendée comme
radicalement différente (Krulic, 1988 : 37 et 31). Ainsi, explique D. Lacorne (1997:
160), la philosophie qui inspire la laïcité française repose sur un mythe : celui d'une
tolérance « naturelle » dont il affirme qu'elle ne s'installe pourtant qu'après
l'élimination des Huguenots. (Re)devenu hégémonique, le catholicisme peut alors
s'offrir le luxe de tolérer la Réforme. Mais les mentalités restent mono-religieuses,
l'athéisme ou l'anti-cléricalisme qui exaltent la laïcité n'étant que « l'envers
d'un catholicisme hégémonique ». Cette configuration historique expliquerait la
difficulté que la société française a à intégrer la diversité religieuse.
Or, on a bien l'impression que c'est cette logique qui imprègne le discours nationaliste
républicain sur l'islam. Au nom de l'« individualisme anthropologique », les musulmans
de France sont en effet sommés de faire totalement abstraction de leur mémoire
collective et de s'intégrer individuellement à la communauté nationale24. Mais ce qui
était sans doute légitime et concevable en 1789 - imposer la loyauté à l'égard de la
Nation désormais dépositaire du sacré et, à ce titre, figure centrale d'une véritable
religion civile, face aux allégeances symboliques concurrentes - l'est-il encore
aujourd'hui ? N'est-il pas urgent de réfléchir à une redéfinition des modalités
d'incorporation des immigrés dans la nation française ? Et ne convient-il pas,
préalablement, de faire le ménage de quelques idées reçues, notamment celle de «
communauté musulmane de France » ? Galvaudée par les médias et par les hommes
politiques, elle ne veut pas dire pas dire grand chose : les musulmans de France sont en
effet loin de former un groupe homogène. Entre les Algériens, les Marocains, les
Sénégalais, les Comoriens, les Pakistanais, etc., les différences sont grandes,
d'autant qu'à la stratification nationale se greffent parfois des divergences doctrinales
et politiques importantes. Cette hétérogénéité se reflète d'ailleurs dans la
multiplicité des associations rivales qui en revendiquent la représentativité et le
statut d'interlocuteur privilégié du gouvernement français. Ce n'est pas un hasard si
toutes les tentatives depuis le milieu des années quatre-vingt pour organiser un islam «
à la française » se sont fracassées sur cet écueil. En attendant que M. Chevènement
fasse mieux que ses prédécesseurs en la matière, il convient de prendre acte du fait
que les figures de proue des musulmans de France, intellectuels ou responsables religieux
et associatifs, affirment régulièrement la prééminence de la loi républicaine et leur
volonté de s'y plier...mais leur voix est aussi régulièrement étouffée par l'espèce
d'hystérie collective qui s'empare de l'opinion pour peu que trois adolescentes aient
l'audace de se présenter à l'école les cheveux dissimulés sous un fichu.
On touche là, il est vrai, une question particulièrement sensible , puisqu'elle met en
jeu la laïcité, la neutralité de l'école, l'image de la femme la modernité, autant de
symboles forts et qui « parlent » à notre imaginaire national. Mais cela ne justifie
pas les outrances et les crispations auxquelles le port du foulard « islamique » donne
lieu de la part des enseignants qui y sont confrontés et qui expriment sans doute ainsi
un désarroi plus général lié aux conditions de plus en plus difficiles dans lesquelles
ils exercent leur métier25. Pour la plupart d'entre eux, comme pour beaucoup
d'intellectuels, le port du voile est une atteinte à la laïcité, donc aux valeurs
républicaines fondamentales. L'école publique doit rester fidèle à sa vocation
universaliste et rejeter tout signe de différenciation religieuse. A ceux là, on
pourrait rétorquer que notre laïcité serait bien fragile si quelques dizaines ou
quelques centaines de foulards pouvaient l'ébranler. Plus fondamentalement cependant, et
contrairement à ce que pensent les « intégristes du laïcisme » (Etienne, 1995 : 872),
on peut faire l'hypothèse que le port du foulard n'est pas un refus de l'école et de la
modernité, mais qu'il témoigne paradoxalement du souci d'y accéder dans le respect de
sa double identité culturelle, française et musulmane. Interdire l'accès de l'école
aux adolescentes qui le portent au nom d'une conception absolutiste de l'universalisme,
c'est donc les rejeter dans la marginalité en leur fermant la porte qui leur permettrait
de s'extraire de leur milieu fermé et de s'ouvrir sur le monde extérieur. Si l'école
doit faire prévaloir le principe de neutralité religieuse, elle se doit également de
respecter la pluralité des identités. C'est, du reste, la position du Conseil d'Etat
telle que l'exprime son arrêt de juillet 1995 selon lequel, conformément à l'article 10
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu qu'elles ne troublent pas l'ordre
public » et qu'il « ne résultait pas de l'instruction que le port du foulard ait
constitué ou se soit accompagné d'actes ou de comportements prosélytes ou
discriminatoires ». En l'occurrence, le Conseil se prononce pour une laïcité ouverte,
respectueuse de différences, et adaptée aux contraintes de notre époque qui ne sont
plus celles de J. Ferry et des « hussards de la République ».
L'argument selon lequel l'islam est antagonique avec la nation française car il est
incapable d'évoluer doit donc être réfuté, et ce pour trois raisons au moins. D'une
part, parce qu'en figeant les musulmans dans leur identité collective, il substantialise
celle-ci et nous renvoie aux thèses primordialistes éculées. D'autre part, parce qu'il
fait mine d'oublier les difficultés d'assimilation qu'ont rencontrées les migrations
antérieures et dont rend compte la persistance des stéréotypes « ethniques » à
travers lesquels notre culture politique continue de se représenter les diverses
nationalités qui sont venues successivement se fondre dans la « nation France ». Enfin,
et surtout, parce qu'il fait bon marché des nombreux signes annonciateurs d'une
intégration, en cours, des populations musulmanes. Le travail de V. Geisser (1997) sur
les élites originaires du Maghreb retrace remarquablement cette dynamique en montrant que
l'ethnicité de ces élites s'inscrit dans la République car elles s'imposent comme des
médiatrices privilégiées entre les institutions républicaines et les populations dont
elles sont issues. Plus globalement, la plupart des analystes de l'immigration soulignent
le fait, sociologiquement observé, que les musulmans de France sont en général
davantage intégrés que d'autres populations qui ont conservé des structures
communautaires fortes et structurées, à l'image des Asiatiques ou des Portugais. Et que
dire des jeunes musulmans des Cités qui, hormis une minorité d'activistes islamistes,
s'identifient massivement à la culture mondialisée « Rap-Coca Cola-McDo », tout en
continuant parfois à prier ?
Certes, il convient de ne pas faire d'angélisme : l'intégration des musulmans sera
longue, difficile et conflictuelle (mais ne fut-ce pas aussi, quoique peut-être à un
degré moindre, le cas des migrations antérieures ?). Elle passe inévitablement par
l'abandon de certaines pratiques inacceptables26 et, surtout, l'établissement d'un modus
vivendi avec les institutions républicaines. Telle est l'argumentation de B. Etienne
(1989 : 239-254) en particulier, qui plaide vigoureusement depuis des années pour la «
gallicanisation » de l'islam de France. Face aux risques de communautarisation et de
manipulation de l'étranger27, le gallicanisme, entendu comme possibilité pour l'islam
français de s'appuyer sur la loi républicaine pour fonder son indépendance doctrinale
et organisationnelle, pourrait ouvrir la voie à l'émergence d'un islam « à la
française », sur la base d'un concordat avec l'Etat. Ce processus consacrerait alors la
« normalisation » de la présence islamique en France et doterait les musulmans
d'institutions représentatives analogues à celles que se sont données les Juifs de
France. Cette option est peut-être discutable et, jusqu'à présent, sa mise en oeuvre
s'est constamment heurtée aux divergences qui opposent entre eux les divers courants qui
parcourent l'islam de France. Mais elle a au moins le mérite d'extraire le débat du
terrain sécuritaire, idéologique et passionnel dans lequel il est souvent cantonné, et
de l'aborder en termes politiques et juridiques dans le cadre d'une réflexion globale sur
la gestion publique des identités culturelles. Dans cette perspective, il est impératif
d'admettre que la revendication culturelle des groupes minoritaires n'est pas toujours,
loin s'en faut, le signe d'un refus de l'Etat. Au contraire, elle témoigne bien souvent,
sinon d'un besoin d'Etat, du moins d'un besoin de reconnaissance articulée autour de
valeurs simples qui ont pour nom tolérance, dignité et citoyenneté. C'est ce qui
différencie l'ethnicité « civique » (Riggs, 1998 : 278) de l'épuration ethnique.
L'UNIVERSALISME REPUBLICAIN A L'EPREUVE DE LA COLONISATION
Ce détour par le débat français sur l'identité s'imposait car la vision jacobine de la
nation a lourdement déterminé la politique coloniale de la France et la représentation
des sociétés conquises qui l'articulait. En effet, le rapport de domination constitutif
de la « situation coloniale », pour reprendre l'expression inventée par G. Balandier, a
naturellement été perçu comme le reflet logique de la supériorité des sociétés
organisées en Etat-nation sur les sociétés « tribales » ne connaissant pas ce mode
d'organisation du politique. Convaincue de sa mission civilisatrice, l'administration
coloniale va donc s'évertuer à « mettre de l'ordre » dans un monde que l'« anarchie
» ethnique semble irréductiblement opposer à la rationalité bureaucratique et
jacobine. D'où un travail obstiné et méthodique d'imposition identitaire et de
classification ethnique dont le résultat sera de figer des identités qui
préexistaient fréquemment à la colonisation mais dont le caractère premier était
d'être fluctuantes, à géométrie variable. Pour administrer les territoires placés
sous sa tutelle, le colonisateur avait besoin de nommer, ordonner, hiérarchiser. Il
devait classer et, pour cela, créer des frontières là où il n'y en avait pas. Cette
entreprise sera conduite avec d'autant plus de volontarisme qu'elle correspond
parfaitement à la culture juridique, soucieuse de normativisme, de nombreux
administrateurs militaires puis civils. Ils y adhèrent d'ailleurs avec d'autant plus de
conviction que, souvent originaires eux-mêmes des « périphéries » de l'Hexagone, ils
ont intégré « le modèle hiérarchisé qui justifiait leur ascension sociale,
inséparable d'un renoncement à leurs appartenances `ethniques' d'origine. » (Coulon,
sd. : 7)
Conduite au nom des Lumières et de l'universalisme, la colonisation ne ressemble
cependant que de très loin à l'oeuvre de civilisation dont elle se revendique. D'une
part, en effet, l'universalisme affiché s'accommode mal de la prégnance des théories du
droit naturel qui imprègnent la culture juridique des cadres coloniaux dont beaucoup en
outre, chargés en particulier du contrôle des populations nomades sahariennes (Touaregs,
Maures), éprouvent une fascination telle pour celles-ci qu'ils s'interdisent souvent de
faire quoi que ce soit susceptible de perturber leur mode de vie28. D'autre part, et
surtout, cet universalisme ne dissimule qu'imparfaitement une conception raciologique de
la nation, affirme J.-L. Amselle (1996), fondée sur la bipartition entre une « ethnie
française » dominante et des ethnies minoritaires qu'il s'agit d'assimiler en leur
apportant la lumière des Lumières. En fait, l'argument de l'universalisme a une fonction
purement idéologique de légitimation de la colonisation et d'occultation de la violence
qui lui est consubstantielle. uvre de la IIIeme République, célébrée par les
nationalistes républicains comme accoucheuse de la laïcité et de l'instruction
obligatoire, la colonisation ne saurait être autre chose que le triomphe de la Raison et
de la civilisation offertes en cadeau par la France aux peuples encore prisonniers des «
ténèbres ». C'est ainsi que toute une mythologie se met en place, autour de deux idées
principales : l'exaltation de la mission civilisatrice de la France et la valorisation des
colonies comme éléments constitutifs de la grandeur de l'Empire et de sa puissance
politique et économique (Savarèse, 1998 : 186 et sq.). Certes, ce travail de
justification emprunte régulièrement aux images d'Epinal racontant le Blanc apportant
les bienfaits du progrès au Noir (ou à l'Annamite, ou au Berbère). Mais il ne conquiert
les imaginaires et ne s'impose comme vérité officielle que dans la mesure où il est
concomitamment pris en charge par les Ordres missionnaires et, plus encore, par les
enseignants de l'école laïque qui, en véritables « intellectuels organiques » du
projet colonial, rendent accessible le « texte caché » sur la colonisation (Savarèse,
1998 : 17-18).
La conception raciologique de la nation met à mal l'un des principes centraux de
l'universalisme républicain, celui d'égalité. En effet, l'émergence du concept de «
races » et son corollaire, la hiérarchisation entre elles, ne sont pas un « accident »
ou le fruit d'une conjoncture particulière. Au contraire, inséparables de l'aventure
coloniale, ils en sont plus que la justification, « le fondement » (Ruscio, 1994 : 38).
La colonisation est un déni de l'universalisme républicain car elle institue
juridiquement la ségrégation entre les ressortissants de l'Empire en créant un système
de classification binaire29 opposant les «citoyens » aux « indigènes ». En vertu de
quoi, la qualité de citoyen est exclusivement réservée aux habitants de la Métropole,
aux colons et, exceptionnellement, aux habitants des quatre communes du Sénégal pour
services rendus à la France30. La stigmatisation comme «indigènes»31 s'étend, elle,
à toutes les autres populations des colonies (non-européens, non-blancs et, par
extension, tous ceux qui ne s'inscrivent pas dans la tradition culturelle
judéo-chrétienne) hormis les enfants de colonisateurs « nés sur les territoires non
colonisés » : ainsi, non seulement la loi coloniale crée-t-elle deux catégories de
ressortissants, mais en plus, elle abolit le jus soli au profit du jus
sanguinis (Hesse, 1995: 70). Entorse supplémentaire à la conception universaliste
des droits de l'Homme, les « indigènes », n'étant pas des « citoyens », sont
logiquement privés également des droits politiques élémentaires qui ne leur seront
accordés pleinement qu'avec la Loi-cadre de 1956. Par contre, ils resteront assujettis
jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale au travail forcé et au Code de
l'indigénat qui organise à leur intention un droit pénal spécifique. Comble de
l'ironie, enfin, l'administration coloniale, soucieuse de contrôler au moindre coût
politique, reconnaît et institue, au nom du respect des populations et de leurs cultures,
un certain pluralisme juridique en matière de droit privé32. « Comble de l'ironie »
car la colonisation dévoile cruellement une France universaliste en Métropole et
différentialiste dans ses colonies ; une France qui nie ici le différentialisme au nom
de la nation et l'institutionnalise là, toujours au nom de la nation à inventer.
Si la conception jacobine de la nation a si décisivement informé la politique coloniale
de classement et de hiérarchisation des ethnies, c'est dû en grande partie à une
configuration historique assez singulière qui voit se rencontrer « sens commun » et «
sens savant ». En effet, le moment colonial, important pour l'idéologie française,
consacre une sorte d'« assimilation réciproque » entre militaires, administrateurs
civils et anthropologues autour d'un objectif commun : mieux connaître les sociétés
conquises pour mieux les administrer et fonder une « praxis coloniale » en établissant
des liens « de causalité réciproque entre la connaissance et l'action ». Cela ne
signifie pas, naturellement, que tous les anthropologues sont alors au service de
l'administration coloniale. Mais il n'en demeure pas moins que le savoir qui s'édifie
participe globalement de l'entreprise de domination et de légitimation de la
supériorité européenne. A ce titre, l'anthropologie coloniale est bien une « science
de l'Homme pour maîtriser l'Homme » (Savarèse, 1998 : 58-61). Pour autant, les ethnies
ont-elles été « inventées » par le colonisateur ?
Cette question, on le sait, a fait l'objet de débats vifs et argumentés parmi les
africanistes. Et les passions sont loin d'être apaisées si l'on en juge par la
volumineuse production scientifique qui lui est encore consacrée. Pour le courant de
l'anthropologie marxiste, la réponse est sans ambiguïté : l'ethnie est bien une
création coloniale et n'a aucun statut scientifique ou politique légitime. C'est, par
exemple, le cas de H. Bourgeot (1994 : 87-91) qui, dans un article au titre quelque peu
racoleur33, évacue promptement la revendication ethnique au motif qu'elle ne serait
porteuse d'aucun « projet social ni politique », la priorité, pour les peuples
africains, étant la lutte des classes, seule signifiante au regard des luttes pour la
démocratie34. C'est également celui de C. Meillassoux (1991) qui entreprend de
déconstruire l'objet ethnique à propos de l'Afrique du Sud en montrant comment le
régime d'apartheid a « bricolé » les appartenances ethniques pour classer, ordonner,
figer et, in fine, légitimer sa domination. Ainsi analysée, l'ethnicité relèverait de
la manipulation et ne serait que l'expression d'une fausse conscience. Cette démarche est
bienvenue car il était urgent et vital de démonter la stratégie du régime d'apartheid
et son ingénierie identitaire, de même qu'il est nécessaire de ne pas se laisser
aveugler par les fausses évidences du concept d'ethnie, flou et mouvant par définition,
et de ne pas oublier les autres lignes de clivages qui parcourent les sociétés
africaines (notamment les clivages sociaux ou « classistes »). Mais l'argumentation de
C. Meillassoux prête le flanc à deux critiques majeures. D'une part, elle surestime
exagérément sans doute la rationalité du régime d'apartheid : qu'il ait essayé
d'atomiser la société sud-africaine en une multitude de groupes hiérarchisés et
opposés entre eux pour perdurer, cela ne fait aucun doute. Mais cela ne signifie pas
qu'il était en mesure de manipuler indéfiniment à son gré les identités ou que son
entreprise avait une cohérence absolue. D'autre part, elle sous-estime considérablement
les stratégies des acteurs subordonnés qui, même s'ils se sont laissés manipuler, se
sont montrés habiles à se saisir des identités forgées pour eux par le régime et ont
su les utiliser à leur avantage (Darbon, 1995). La thèse de la manipulation fait donc
fausse route, non seulement parce qu'elle ne voit pas le fait social derrière le fait de
conscience, mais aussi parce qu'elle réduit les Africains au rôle de victimes passives
et leur dénie toute capacité d'instrumentalisation, de réappropriation ou de subversion
des catégories classificatoires dans lesquelles on prétend les enfermer.
L'Ecole historico-anthropologique évite cet écueil, mais tout en argumentant
l'hypothèse de l'ethnie comme création coloniale. L'un de ses représentants le plus en
vue, J.-L. Amselle (1990: 22), écrit ainsi que « l'invention des ethnies est l'oeuvre
conjointe des administrateurs coloniaux, des ethnologues professionnels et de ceux qui
combinent les deux qualifications ». Et il ajoute ailleurs : « Il n'existait rien qui
ressemblât à une ethnie pendant la période coloniale » (Amselle, 1985 : 23).
Toutefois, il ne faut pas se laisser abuser par le caractère faussement définitif et
péremptoire de ces deux affirmations. Car, par delà les apparences, le raisonnement de
J.-L. Amselle est bien plus élaboré que celui des théoriciens de la « fausse
conscience », et plus ambitieux est son propos. En effet, se plaçant en rupture avec sa
discipline de référence, il prend ses distances avec la « raison ethnologique »,
c'est-à-dire « la démarche discontinuiste qui consiste à extraire, purifier, classer
afin de dégager des types » qui caractériserait, selon lui, l'ethnologie classique
(Amselle, 1990: 9). C'est en vertu de cette démarche, explique-t-il, que les sociétés
africaines ont été arbitrairement classées selon des typologies (sociétés étatiques,
« anarchiques », « acéphales », etc.) qui ne correspondaient pas à la réalité mais
aux représentations des administrateurs coloniaux. Il suggère donc de substituer à
l'idée de sociétés isolées, face aux autres, la notion de « chaînes de sociétés
». Ainsi, l'accent est plutôt mis sur la «primauté des relations intersociétales» en
fonction desquelles les sociétés précoloniales s'organisaient dans des espaces
d'échanges continus (sociaux, culturels, linguistiques, religieux, commerciaux) qui
dessinaient un «espace international africain» (Amselle, 1985 : 23-24). Loin d'être
figées sur elles-mêmes, ces sociétés étaient donc faites de brassages et de
continuités, et les identités y étaient fluides et mouvantes, par opposition à la
période coloniale qui va les réifier : c'est la « logique métisse» (Amselle, 1990)
dont il avance qu'elle va à l'encontre de toute conception essentialiste de la culture,
telle que pratiquée par les administrateurs coloniaux, dans laquelle il voit un danger de
racisme très actuel.
Il est donc clair que, pour J.-L. Amselle, l'ethnie est bel et bien une invention
coloniale. Mais, à la différence des marxistes classiques, il pondère son propos en
argumentant dans deux directions complémentaires : en admettant d'abord que l'ethnie, en
tant que catégorie classificatoire, faisait sens malgré tout dans certaines sociétés
précoloniales. Aussi, si la recherche a montré que certaines ethnies avaient bien été
créées par le colonisateur (Dozon, 1985 ; Bazin, 1985), ce n'est pas toujours le cas ;
en reconnaissant ensuite que si l'ethnie n'existe pas en tant que telle, l'ethnicité,
elle, existe par les usages sociaux qu'elle recouvre et que l'analyse ne saurait ignorer,
même s'il y voit toujours un caractère stratégique et instrumental. Autrement dit, la
question n'est pas de définir l'ethnie, pas plus que de savoir si la conscience ethnique
est « illusion » (Bayart, 1996) ou de se prononcer sur la légitimité de la
revendication ethnique. La question est de comprendre pourquoi et comment l'ethnicité
fait sens, mobilise et constitue l'un des répertoires privilégiés d'énonciation du
politique aujourd'hui. J. Copans (1990 : 187-188) résume parfaitement cette approche :
s'il reconnaît volontiers que « l'ethnie est un produit de l'histoire coloniale... »,
il n'omet cependant pas d'ajouter : «Et pourtant, l'ethnicité existe !». Or,
l'hypothèse de l'ethnie comme pure création coloniale souffre précisément de son
incapacité à penser la conscience ethnique comme fait social et à s'interroger sur les
dynamiques qui poussent les acteurs à se réapproprier des ethnies « manipulées » et
à s'en revendiquer. En outre, elle postule l'idée selon laquelle le colonisateur aurait
été capable de créer ex nihilo des ethnies qui n'auraient jamais existé et
qui n'existeraient pas sans son intervention. Mais cette interprétation est contestable
pour deux raisons au moins. D'une part, parce qu'elle témoigne d'un manque de profondeur
historique en faisant abstraction des mouvements endogènes de recomposition identitaire,
tels les grands jihads (guerres saintes) qui, aux XVIIIème et XIXème siècles,
bouleversèrent les frontières ethniques et religieuses de l'Afrique de l'Ouest. D'autre
part, parce qu'elle oublie que pour « inventer » une ethnie, il faut qu'il y ait le
minimum de substrat historique nécessaire à la cristallisation d'un « sentiment d'être
» différent35. Si le colonisateur a effectivement « bricolé » les identités, il les
a rarement inventées ; le plus souvent, il les a re-formulées, classifiées et
hiérarchisées avant de les figer, secondé en cela par les Eglises chrétiennes qui
contribuèrent, à leur façon (codification des langues indigènes, spatialisation de
l'action missionnaire, fixation de certaines coutumes, etc.), à ce travail de bornage
ethnique. Et, au lendemain des indépendances, les Africains, et notamment leurs élites,
se sont saisis des catégories classificatoires forgées par le colonisateur dont ils ont
poursuivi et amplifié l'oeuvre, et cela d'autant plus sûrement que l'ethnicité
constituait - et constitue - aussi bien le pivot des stratégies d'accès à l'Etat et aux
mécanismes d'accumulation, qu'un espace de refuge et d'autonomie face à son
autoritarisme et à ses velléités totalisantes. Enfin, cette hypothèse ignore le fait
que la colonisation est aussi un mode d'organisation politique et administrative des
espaces conquis renvoyant à la « culture bureaucratique étatique » française (Coulon,
1997 : 42). En tant que tel, ce mode d'organisation n'est pas spécifique aux colonies
d'Afrique même s'il s'y décline de manière particulière : c'est, en effet, le même
que l'Etat français utilise dans sa stratégie de captation de ses périphéries (Coulon,
sd. : 7) et qu'il étendra à ses possessions d'Indochine et du Maghreb. L'étroite
filiation existant entre la politique coloniale de représentation et de classement des
ethnies, et la conception jacobine de la nation met crûment en lumière l'ethnocentrisme
du modèle français, inséparable de son universalisme. Il en constitue le côté obscur,
celui que les nationalistes républicains occultent car ils se refusent à admettre que le
modèle puisse être en crise. Ou s'il l'est, ce n'est pas parce que sa capacité à
intégrer est moindre que par le passé, mais parce qu'il est confronté à
l'irrédentisme de particularismes qui s'inscrivent délibérément en rupture avec la
nation. De ce point de vue, la colonisation a sans doute informé la culture politique
française, et notamment sa perception de l'Autre, au moins autant que le jacobinisme a
informé l'obsession coloniale de classement et hiérarchisation des ethnies. Voilà
pourquoi les débats franco-français sur l'identité et le multiculturalisme
(immigration, sans papiers, foulard «islamique», langues régionales et minoritaires,
Europe, etc.) demeurent si passionnels.
Mais la peur obsidionale du multiculturalisme se condamne à ne pas voir la différence
qu'il y a entre l'identitarisme négatif, uniquement tourné vers la défense de son
altérité, et la revendication culturelle positive, respectueuse du lien social et
national. Le premier est porteur de réification des appartenances et de ghettoisation
alors que la seconde permet de concilier unité et diversité sous le primat de la loi
générale, en faisant accéder à l'espace public des groupes subordonnés ou
marginalisés qui en étaient exclus pour différentes raisons. L'un témoigne d'une
volonté de rupture (avec l'Etat, la nation) alors que l'autre est « un acte d'espoir,
sinon de confiance en l'Etat...le signe que le groupe entend rester dans la collectivité
nationale » (Fenet, 1995 : 81) mais en conservant son identité propre. L'ethnicité
n'est donc pas forcément régressive. Elle peut même être, contrairement à ce qu'en
disent ses contempteurs prompts à assimiler toute revendication culturelle à une
dégénérescence communautariste, l'expression d'un «désir de modernité collective»
(Cahen, 1999 : 158), comme en témoigne paradoxalement le port du foulard.
Le fantasme monoculturel inhérent au républicanisme exacerbé est d'autant plus
anachronique que la société française est, comme toutes les sociétés européennes, de
plus en plus exposée à des pratiques multiculturelles formelles ou informelles.
Certaines viennent de l'extérieur, qui s'incarnent dans l'activisme juridique
sous-tendant la construction européenne et érodent inexorablement, pour le bon et le
pire, la toute puissance de l'Etat- nation. Rien d'étonnant donc à ce que les
nationalistes républicains soient également « souverainistes » et anti-européens.
D'autres émanent du «bas», c'est-à-dire des collectivités territoriales (régions,
départements, communes) dont le champ de compétences, considérablement élargi grâce
à la loi de décentralisation de 1984, se conjugue avec le supranationalisme européen
pour miner un peu plus le caractère unitariste de l'Etat-nation. D'autres, enfin, sont le
fait de l'Etat français lui-même : qu'il s'agisse de la reconnaissance officielle des
langues et écoles régionales (basques, occitanes, bretonnes, corses), de
l'établissement, à partir de la fin des années 70, de quotas d'étrangers en matière
d'accès au logement et à l'école ou de la promotion des cultures « immigrées » suite
à la mise en place de la politique de regroupement familial en 1974, de nombreuses
initiatives révèlent une gestion différenciée de l'espace public, en contradiction
avec le discours assimilationniste officiel. Certes, ce «multiculturalisme fonctionnel »
(Coulon, 1998 : 13) reste étroitement circonscrit à certains domaines spécifiques et ne
remet pas vraiment en cause les fondements universalistes du modèle français36. Mais il
témoigne, en dépit de son caractère souvent instrumental et contraint, d'une prise en
compte du vécu anthropologique des divers groupes de population qui « font » la
nation-France. Il suggère également qu'il peut exister, entre l'universalisme abstrait
et le multiculturalisme débridé générateur de clôtures identitaires, un espace pour
la ré-invention civique de la différence. C'est toute la question du relativisme
culturel qui se trouve ainsi posée.
NOTES
1. Certains, dont je suis, s'étonneront toujours des « subtilités » académiques
françaises quiréservent exclusivement la qualification d' « aires culturelles » aux
recherches portant sur les sociétés non européennes et non occidentales en général,
africaines et arabo-musulmanes en particulier, comme si la France, l'Allemagne, les
Etats-Unis ou le Canada n'étaient pas aussi des « aires culturelles »...
2. « Françaises o au sens où elles sont produites par des scientifiques français (ou
travaillant en France) rattachés aux universités, au CNRS et aux autres lieux
institutionnels de production et de diffusion du savoir.
3. Sur la généalogie historique et littéraire du terme « ethnie », cf. F. Gaulme
(1997)
4. Les « sciences sociales franco-parisiennes » écrit M. Cahen (Cahen, 1999 : 157) pour
mieux souligner le caractère très francilien, « ethnique », des intellectuels qui,
depuis Paris, c'est-à-dire le « centre », dénient à leurs collègues «
périphériques » le droit de réfléchir à leur « ethnicité », expliquant à juste
titre qu'on ne voit peut-être pas le problème de la même façon selon que l'on est en
région parisienne, intégré au sein de l'« ethnie » dominante, ou en Occitanie, au
Pays basque, en Corse ou en Bretagne.
5. White Anglo-Saxon. Protestant
6. Pour une remarquable synthèse des théories de la nation, cf. C. Jaffrelot (1991).
7. Cf., par exemple, l'article de Libération du 8 mai 1999. Il est de bon ton
(républicain) d'opposer la conception allemande du jus sanguinis à la conception
française du jus soli pour en vanter le caractère progressiste et universaliste. Mais on
oublie souvent de rappeler que le droit du sol n'est pas une invention de la Révolution
mais de l'Ancien Régime, même si c'est la Constitution de 1791 qui fonde la citoyenneté
moderne. En fait, ce n'est qu'en 1889 qu'est formellement rétabli le droit du sol, après
une longue parenthèse (1804-1889) au cours de laquelle le jus sanguinis s'impose pour des
raisons liées au contexte politique de l'époque.
8. Violence dont la moindre n'est pas le déni des langues régionales ou locales,
folklorisées ou, pire, réduites au statut de « patois ». Une récente illustration en
a encore été donnée par le tollé suscité à l'occasion de la signature, par la
France, de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires dans laquelle, à
l'initiative du Mouvement des citoyens, le parti de Jean-Pierre Chevènement, ses
opposants, élus et personnalités publiques aussi bien de la majorité de gauche que de
l'opposition parlementaire, ont vu communautarisme, ethnicisation de la société,
atteinte à la langue française, mise en cause de l'Etat-nation et, pour couronner le
tout, « retour au Moyen-Age ». Libération, 14 mai 1999, p. 36.
9. Souligner l'apport de l'Ecole du Nation building n'exclut pas de rappeler les critiques
auxquelles elle s'expose en survalorisant certains phénomènes comme la modernisation
ainsi que la communication et la mobilisation sociales : d'une part, elle ne renseigne que
peu sur l'articulation entre faits de conscience identitaires et construction de la nation
: à partir de quel moment et comment un « groupe national » se transforme-t-il en
nation et commence à se penser comme groupe « pour soi » ? D'autre part, elle
s'interdit d'appréhender correctement ce qui fait la spécificité et l'irréductibilité
de la conscience ethnique (ou religieuse) : sa capacité à résumer et totaliser toutes
les autres formes d'identité, et à pousser des individus à s'offrir en « sacrifice
suprême » pour la cause identitaire qu'ils défendent (Nicolas, 1996 : 30). Enfin, elle
ne permet pas de comprendre la persistance ou la résurgence de la revendication
identitaire dans les pays développés (Catalogne, Basques, Ligues italiennes, Ecosse,
Québec, etc.).
10. De ce point de vue, la crise de l'Etat en Afrique renverrait essentiellement à son
incapacité à faire prévaloir l'identification nationale face à des « ensembles
sociaux à polarisation variable » (Nicolas, 1996 : 141) caractérisés par la
multiplicité, la fluidité et la variabilité des appartenances, tout simplement parce
que cet Etat ne dispose pas des moyens idéologiques, politiques, administratifs,
coercitifs même, pour l'imposer en s'arrogeant le monopole de la production identitaire.
11. Les propos d'E. Todd sont rapportés par Libération du 16 mars 1999, p. 12. 12. Ibid.
13. M. Wieviorka y distingue trois sensibilités majeures : celle des assimilationnistes
universalistes incarnée notamment par E. Todd ; le courant de la « tolérance » qui
admet l'expression des spécificités dans la sphère publique mais à condition qu'elles
ne donnent pas lieu à des droits politiques et ne soient pas sources de conflits ; les
partisans du multiculturalisme tempéré dont les positions s'inspirent des thèses de C.
Taylor sur la «reconnaissance» (Wieviorka, 1998).
14. De ce point de vue, le dossier bienvenu que la revue Débat a consacré au
multiculturalisme en 1997 reste une initiative assez isolée (Débat, 1997) 1. Il
s'agissait en l'occurrence, d'une sorte de « table ronde » consacrée à l'ouvrage de D.
Lacorne sur la Crise de l'identité américaine (Lacorne, 1997 (a)). Dans sa contribution
à ce dossier, celui-ci y fait notamment part de sa compréhension de l'Affirmative
action. Il n'en rejette pas les aspects positifs mais il n'en souligne pas moins les «
effets pervers », en particulier la subordination, au nom du principe des quotas, des
critères méritocratiques aux critères communautaires et ethniques, qui incitent
plusieurs Etats fédérés à vouloir y mettre un terme (Lacorne, 1997 (b) : 165).
Nonobstant ses réserves, D. Lacorne ne craint cependant pas de s'affirmer comme un
multiculturaliste « modéré ».
15. « Tout accorder aux Juifs en tant qu'individu et rien en tant que nation » disait
l'Abbé Grégoire.
16. Renan voyait en effet dans l'oubli historique un « facteur essentiel de la création
d'une nation », argumentant que « l'essence d'une nation est que tous les individus
aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses »
(Renan, 1992 : 41-42)
17. Une remarque ici : si M. Wieviorka veut dire que la France produit des identités à
cause de la crise socio-économique, alors la question qu'on pourrait lui poser est : «
Est-ce qu'elle n'en produisait pas avant la crise, et en particulier au cours des années
de forte croissance (1960-1973) qui coïncident en partie avec les mobilisations
régionalistes les plus intenses ?»
18. Comme le prouve le cas, déjà évoqué, de la classe moyenne noire aux Etats-Unis.
19. Ce qui n'ôte absolument rien au mérite qu'il faut lui reconnaître, ainsi qu'à A.
Touraine, d'avoir ouvert le débat sur le multiculturalisme, dans un contexte qui s'y
oppose par principe.
20. Plaidant également pour cette « politique du Sujet, A. Touraine défend - on ne s'en
étonnera pas - des positions très voisines de celles de M. Wieviorka puisqu'il se
proclame «multiculturaliste républicain» et qu'il partage avec lui le même corpus
d'idées : refus du multiculturalisme exacerbé qui conduit à la fragmentation et aux
ghettos, constat de l'essoufflement du modèle républicain, critique de l'universalisme
abstrait, du républicanisme outrancier (E. Todd) et du courant de la « tolérance » (D.
Schnapper), mondialisation mal maîtrisée, désocialisation de l'économie, etc., autant
de signes révélateurs du syndrome de « démodernisation » et qui précipitent la
montée des revendications culturelles (Touraine, 1996; 1997).
21. Qui ne se souvient pas de ces consternantes images télévisées de la fin des années
quatre- vingt, au moment où éclatent les premières « affaires » de foulard, montrant
des députés socialistes ( !) se promenant avec un fichu sur la tête dans les couloirs
de l'Assemblée nationale ?
22. Assertion qui rappelle étrangement ce que disait la camp laïque au XIXème siècle,
quasiment dans les mêmes termes, du catholicisme, déclaré lui aussi irréductiblement
inconciliable avec la laïcité...
23. Citant R. Draï, B. Etienne a ces mots terribles à propos de la République (et des
Aufklârers que nous sommes ajoute-t-il) qui, « en offrant au monde entier l'abstraction
d'une citoyenneté a-sexuée, a-religieuse,a-politique, voire a-sociale, nous a fait
intérioriser l'idée criminelle que l'Autre n'a le droit de vivre qu'en devenant le
Même, pour son plus grand bien, sécularisant l'idée chrétienne que l'Autre était
missionnable, convertible. » (Etienne, 1995 : 869)
24. Sans oublier non plus les tentatives de récupération de l'extrême-droite, comme en
témoigne la venue à Flers de B. Mégret au moment de l'« affaire » qui y éclata en
février 1999.
25. Nous pensons notamment à l'excision, dont on oublie souvent de dire, cependant,
qu'elle n'a rien d'islamique (les Coptes d'Egypte et certaines populations animistes ou
chrétiennes d'Afrique subsahariennes la pratiquent également) et qu'elle est pratiquée
illégalement en France surtout par les originaires de la Vallée du fleuve Sénégal ; ou
encore à la polygamie. 26. Par l'Algérie, le Maroc ou l'Arabie saoudite, par exemple,
qui y disposent de puissants relais et s'en disputent le leadership idéologique et
politique.
27. A ce sujet, on lira avec intérêt le témoignage de J. Clauzel, ancien administrateur
de la France d'Outre-Mer dans le nord et l'extrême-nord du Mali où il eut en charge des
populations touarègues. Résumant le débat évoqué ici, il écrit en conclusion de son
article : «Doit-on, estimer quen ménageant si durablement les sociétés nomades,
en conduisant si prudemment leur évolution, nous ne les avons pas suffisamment
préparées aux mutations qui devaient accompagner la naissance des Etats africains
indépendants ? Ou faut-il penser, à l'inverse, quen respectant aussi attentivement
que nous lavons fait leurs modes de vie, leurs traditions et leur civilisation, nous
les avons aidées à aborder ce nouveau temps de leur histoire avec une âme relativement
intacte ?» (Clauzel, 1992 : 116)
28. Ternaire en fait, si l'on considère que les Antillais résidant en Afrique noire
notamment étaient considérés comme des « indigènes étrangers ».
29. Il s'agit de Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque dont les habitants ainsi que leurs
descendants sont sujets du roi dès 1857, et citoyens à partir de 1905, pour services
rendus à la France. Il est à noter que certains « indigènes » pouvaient accéder par
décret à la citoyenneté, pour les mêmes motifs. Mais les conditions d'octroi de
celle-ci étaient si draconiennes que bien peu profitèrent de cette « faveur
administrative » (Hesse, 1995 : 72).
30. Terme remplacé par celui d'« autochtone » en 1946 seulement.
31. Quand elle ne pousse pas la sollicitude, comme en Algérie, jusqu'à rémunérer
elle-même les oulémas, en violation flagrante du principe de séparation de l'Eglise et
de l'Etat, en vigueur en métropole !
32. « Les peuples heureux n'ont pas d'ethnie ! » (Bourgeot, 1994). Ce titre a valu à
l'auteur des critiques acerbes alors qu'en fait le contenu de l'article est plus nuancé
qu'il ne le suggère. 33. Parlant de « l'hydre de l'ethnicité », S. Amin défend lui
aussi le primat de la lutte des
classes comme réponse à l'internationalisation croissante du capital, expliquant que la
résurgence de la revendication ethnique est la conséquence de la mondialisation et de
l'érosion des modèles de développement dans les années 80 (Amin, 1994).
34. Comme l'écrit, dans cet ordre d'idée, S.Y. Hameso, « if ethnic consciousness is
false, it is possible to take the argument a step further to its logical conclusion that
ethnic groups or even racial groups are false 'groups », concluant non sans humour
que « History nonetheless knows uo such a group. There are no false groups ! » (Hameso,
1997 : 14-15).
35. D'ailleurs, en cas de « dérapage », le Conseil constitutionnel est là pour en
rappeler les principes fondamentaux, comme il le fit en 1991 en annulant la notion de «
peuple corse » évoquée dans le statut dont l'île venait d'être dotée.
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