par André Tchoupie
Université de Dschang
Lénonciation du discours scientifique sur la corruption
se trouve confrontée à un sérieux problème de clarification conceptuelle. Ce terme est
en effet remarquablement ambigu, confus et insaisissable. Cest une réalité
difficile à cerner, non seulement en raison de la diversité des actions et/ou des
transactions concernées (Bresson, 1995 : 24), mais également du fait de son caractère
généralement occulte et secret (Meny, 1992 : 241). La recherche dune définition
unanimement acceptée du phénomène a par conséquent pendant longtemps constitué
lune des principales caractéristiques des débats théoriques et politiques sur la
question (Johnston, 1996 : 371).
La complexité du concept de corruption fait en sorte que ses perceptions les plus
largement partagées et que nous adopterons dans le cadre de cette étude soient celles
qui mettent suffisamment laccent sur la pluralité de ses facettes et sur la
difficulté de tracer ses frontières. Il en est ainsi par exemple de celle de Hyacinthe
Sawadogo qui lappréhende comme un phénomène comportant cinq principaux aspects,
à savoir : « la corruption proprement dite », «les infractions apparentées à la
corruption : le trafic dinfluence, lingérence et la concussion », «les
infractions assimilées à la corruption », « le détournement des deniers publics » et
«la destruction des pièces par les fonctionnaires » (Sawadogo, cité par Emagna, 1994 :
391).
Quoique ces différentes réalités soient présentes dans la
quasi-totalité des Etats du globe, leur intensité varie considérablement dun pays
à un autre, et leur éradication ou à défaut leur réduction à leur plus simple
expression est de nos jours devenue dans les énoncés internationaux lun des
critères privilégiés dappréciation de la bonne gouvernance, et sinscrit de
ce fait dans une problématique de lefficience et de lefficacité de
laction publique.
Et pourtant, en ce qui concerne lAfrique en général et le
Cameroun en particulier, le discours scientifique sur la lutte contre la corruption et
contres les phénomènes connexes se trouve traversé par une controverse majeure. Car à
lidée médiane dun combat faible et timide contre le phénomène sur le
continent défendue entre autres par Jean-François Bayart soppose la thèse presque
fataliste de limpossibilité déradiquer ledit phénomène soutenue par des
analystes tels que Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz (Bayart, 1985 et 1989 ; Chabal et
Daloz, 1999) .
Selon ces derniers en effet, la corruption en Afrique nest pas
seulement le fait de quelques « brebis galeuses » ou dune classe vénale
quil suffirait dempêcher de nuire, ni un « mal » que lon pourrait
éradiquer grâce à linstruction ou à de grandes campagnes éthiques. Il
sagit dun comportement habituel, attendu dans toutes les transactions (Chabal
et Daloz, 1999 : 123- 124). Les discours anti-corruption ne relèvent daprès ces
auteurs que de la rhétorique, et les purges menées au nom de lassainissement
apparaissent beaucoup plus comme une manière commode de se débarrasser
dadversaires gênants que comme une franche volonté de modifier la nature profonde
des systèmes (Chabal et Daloz, 1999 : 129).
Cette perception de la réalité mérite dêtre profondément
nuancée. Car lon ne saurait logiquement se fonder sur la passivité somme toute
relative de certains dirigeants africains face au phénomène de corruption pour nier
toute lutte sérieuse contre le fléau sur le continent, tout comme il paraît excessif de
ne voir dans les diverses actions engagées dans la perspective de son éradication par
les gouvernants du continent que de simples « coups politiques ponctuels » (Chabal et
Daloz, 1999 : 129).
Une meilleure connaissance de la lutte contre la corruption et contre
les phénomènes apparentés en Afrique gagnerait en intelligence et en pertinence
scientifique si elle échappait à cette perception de la réalité qui risque de
constituer un véritable écran à une observation adéquate de la question.
Il est par conséquent nécessaire de prêter une attention
particulière aux dynamiques et aux processus historiques et socio-politiques qui tendent
à faire de ladite lutte une véritable institution au sens de Jacques Chevallier,
cest-à-dire un fait social qui, sinscrivant dans la durée, a
lapparence dune réalité « objective » et « naturelle », et est vécu
comme tel par les individus (Chevalier, 1996 : 17). Produit de transactions implicites et
explicites entre tous ceux qui sont à même de contribuer à sa définition, cette
institution recouvre nécessairement des projets divergents et comporte des potentialités
contradictoires (Chevalier, 1996 : 25).
Le concept dinstitution a certes suscité des interrogations,
voire des soupçons de conservatisme théorique. Mais les débats qui ont cours depuis un
certain temps dans le champ scientifique montrent que lon ne saurait le réduire à
une réalité statique, cohérente et stable comme cest le cas dans le vocabulaire
juridique où linstitution apparaît comme un dispositif dépourvu
dhistoricité et réduit à un fonctionnement idéalisé (Quantin, 2005 : 10- 11).
Une institution est en effet de plus en plus appréhendée, non pas comme une donnée
construite et posée une fois pour toutes, mais comme un processus dialectique résultant
de la tension permanente et dynamique entre les cadres dans lesquels se déroule la vie
collective (les formes instituées) et les forces qui les animent et les font bouger (les
forces instituantes), linstitutionnalisation traduisant le dépassement temporaire
et précaire de la contradiction (Chevalier, 1996 : 25).
Tenter de comprendre la lutte contre la corruption au Cameroun tout
comme dailleurs dans tous les autres Etats africains peut donc conduire à installer
la recherche dans des sites dobservation susceptibles de fournir des informations
sur les dynamiques institutionnelles en la matière. Cet objectif exige la construction
dun champ de questionnement sarticulant autour des principales interrogations
suivantes : Peut-on valablement et surtout efficacement appliquer lanalyse
institutionnelle à létude dune société que certains auteurs jugent rebelle
à tout processus dinstitutionnalisation? Dans quelle mesure la lutte contre la
corruption au Cameroun peut-elle être envisagée comme une institution? A partir de quel
moment la lutte contre la corruption au Cameroun devient-elle une institution ?
Il sagira donc pour nous danalyser le processus par lequel
la lutte contre la corruption et les détournements de biens publics acquiert une
dimension objective influençant les actions et les transactions des entrepreneurs
socio-politiques ainsi que la légitimité interne et internationale de lEtat.
Lenjeu de létude est par conséquent lanalyse des mécanismes par
lesquels la lutte contre la corruption et les malversations financières en tant que
contrainte ou calcul devient un possible du fait de sa légitimation par des pratiques
individuelles et collectives et par des normes ( Sindjoun , 2001 : 17).
Une telle entreprise ne peut être menée avec succès quà
travers la mobilisation de la grille de lecture fournie par lanalyse
institutionnelle. Mais soucieux de ne pas retomber dans les travers descriptifs de
linstitutionnalisme classique ou de l « archéo-institutionnalisme »
(Quantin, 2005 :14) orienté le plus souvent vers létude des organes
politico-administratifs (Muller et Surel, 1998 : 41), cest surtout à
lapproche néo-institutionnelle que nous accorderons une place de choix.
Développée en réaction aux démarches behavioristes qui furent
influentes dans les années soixante et soixante-dix, cette perspective danalyse
apparaît comme une tentative de relativiser « la dépendance du système politique par
rapport à la société au profit dune interdépendance entre des institutions
sociales et politiques relativement autonomes » (March et Olson, cités par Muller et
Surel, 1998 : 41). Elle a certes donné lieu à plusieurs modes de déclinaison possibles,
qui ont conduit certains auteurs à parler de trois néo-institutionnalismes, à savoir,
le néo-institutionnalisme historique, le néo-institutionnalisme du choix rationnel et le
néo-institutionnalisme sociologique
(Hall et Taylor, 1997 : 469- 496).
Mais cest surtout la tendance historique appuyée par
linstitutionnalisme du choix rationnel qui sera convoquée dans le cadre de cette
étude. Elle servira en effet dabord de base à lanalyse des trajectoires et
des stratégies par lesquelles la lutte contre la « délinquance financière » au
Cameroun acquiert une dimension institutionnelle, cest-à-dire devient une pratique
qui sinscrit dans la durée et se durcit au fil du temps (Sindjoun, 1998 : 4). Par
la suite, elle permettra dexaminer aussi bien en quoi la lutte contre la corruption
peut être considérée comme une contrainte affectant ou influençant constamment
laction des autorités dirigeantes camerounaises que les situations critiques et les
conséquences imprévues de cette dynamique (Hall et Taylor, 1997 : 472).
Pour conduire cette recherche avec pertinence, il convient
déviter les travers dune approche exclusivement centrée sur lEtat
(statocentrisme) ou axée sur la seule société (sociocentrisme) (Owona Nguini, 2004
:148). Car non seulement linsertion de la lutte contre la corruption au Cameroun
dans lagenda politique est luvre dune constellation dacteurs
disséminés dans le champ socio-politique national et international, mais également
cette lutte structure constamment les discours et les pratiques des dirigeants du pays.
I - La tradition dinscription de la lutte contre la corruption dans
lagenda politique au Cameroun
Contrairement à ce que laissent penser certaines analyses (Chabal et
Daloz, 1999 : 119), la lutte contre la corruption au Cameroun tout comme dans de nombreux
autres Etats africains est loin dêtre le seul fait des autorités étatiques. Son
inscription dans lagenda politique, cest-à-dire son érection au rang « des
problèmes perçus comme appelant un débat public, voire lintervention des
autorités politiques légitimes » ( Cobb et Elder, 1975 : 14) apparaît en effet comme
la résultante des engagements et des initiatives hétérogènes, des discours tenus et
des conduites adoptées par un grand nombre dacteurs dispersés, mais engagés
simultanément dans plusieurs sites dactions ou dinteractions et dont les
activités font surgir les différents aspects dune identité institutionnelle
(Lacroix et Lagroye, 1992 : 9-10). Lentrée de la corruption et de la criminalité
financière au Cameroun dans le giron des problèmes à résoudre ou tout au moins à
gérer (Braud, 1998 : 491-492) est dans une large mesure le fait de sa construction comme
un objet de préoccupation par des acteurs internationaux et de sa constante politisation
par des entrepreneurs socio-politiques exerçant dans le champ interne.
A - La corruption au Cameroun comme objet permanent de préoccupation
internationale.
Lérosion des prérogatives de lEtat associée à la
porosité des frontières a considérablement diminué la barrière qui séparait la
politique interne de la politique internationale. Dans un jeu ainsi devenu plus ouvert, la
question de la régulation sociale ne se pose plus de façon radicalement différente dans
lune et lautre sphère (Smouts, 1998 : 89). Car dès lors quon
considère la souveraineté comme relation sociale et plus précisément comme interaction
avec lenvironnement externe des Etats, on est amené à relativiser lexclusion
des acteurs extérieurs du champ interne (Sindjoun, 2001 : 106). Cest ainsi
quau niveau du processus dinstitutionnalisation de la lutte contre la
corruption au Cameroun, lon assiste à une constante intervention dEtats
étrangers, des organisations intergouvernementales, et des organisations
non-gouvernementales, cette intervention étant matérialisée essentiellement, soit par
des prises de position, soit par la mise en uvre dun certain nombre
dactions concrètes.
1 - La systématisation des prises de position étrangères à lencontre de la
corruption au Cameroun
Les prises de position à lencontre de la corruption et des
malversations financières au Cameroun opérées par une partie de la communauté
internationale sont luvre des acteurs hétérogènes, nayant ni les
mêmes capacités dinfluence ni même légitimité, mais concourant largement à
linscription de la lutte contre ces phénomènes dans lagenda politique. Ces
prises de position sarticulent essentiellement autour de la demande dactions
concrètes contre la corruption de la part de lautorité publique.
Cest en effet dans le registre de lexigence des actes
significatifs contre la corruption et la criminalité financière au Cameroun quil
convient de ranger laction de lONG allemande Transparency International qui a
publié le 22 septembre 1998 son Index de Perception de la Corruption (IPC), celui- ci
place le Cameroun en tête des pays les plus corrompus du monde (Talla, 1998 : 232).
A travers cette publication, lONG berlinoise cherche
manifestement à donner « une image choquante » du degré de développement de la
corruption dans le pays et amener ses dirigeants à intensifier la lutte contre le
phénomène.
Cest manifestement ce souci de voir intensifiée le combat contre
la corruption au Cameroun qui a aussi amené les Ambassadeurs des Pays-Bas et des
Etats-Unis - Norbertus Wilhelmus Braakhuis et Niels Marquardt- à plaider en janvier 2006
en faveur de la mise en application de larticle 66 de la constitution du 18 janvier
1996. Ils ont également interpellé les dirigeants camerounais à prendre des mesures qui
aillent plus loin que celles quon avait vues jusque là, en inculpant, en condamnant
et en saisissant les biens des coupables des pratiques de corruption pour reverser au
trésor public, afin de montrer au camerounais que «les intouchables ne sont pas
intouchables »29.
Toutes ces actions participent de la minimisation des différentes
initiatives entreprises jusque là par le gouvernement pour lutter contre la corruption,
cette insatisfaction saccompagnant de lexigence de mesures plus
significatives, tant il est vrai que léradication de la corruption et des
phénomènes apparentés en Afrique et plus particulièrement au Cameroun occupe depuis un
certain temps une place de choix parmi les principales priorités de la communauté
internationale (Rose-Akerman, 1999).
Ceci permet de comprendre pourquoi la secrétaire dEtat adjointe
américaine aux affaires africaines, Mme Jendayi E. Frazer a pu laisser entendre en
février 2006 que «la promotion de la gouvernance avec un accent particulier sur la lutte
contre la corruption, faisait partie des secteurs prioritaires de la coopération entre
les Etats-Unis et le Cameroun ».
Sinscrivant dans la durée, ces exigences déradication des
comportements de prédation dans la fonction publique camerounaise exprimées par des
acteurs de la société internationale se trouvent marquées par une certaine permanence,
qui se fonde sur lattachement que lui vouent ces entrepreneurs socio-politiques. La
promotion des bonnes murs leur confère une satisfaction durable parce que
réductrice dincertitude (Muller et Surel, 1998 :46), non seulement en matière
dutilisation des aides issues de la communauté internationale, mais également au
niveau des activités des investisseurs étrangers. Il sagit donc de comportements
instrumentaux qui renvoient à linstinct stratégique et calculateur de ces acteurs
(Hall et Taylor, 1997 : 472- 480).
La demande dactions concrètes contre la corruption au Cameroun
exprimée par des acteurs opérant dans le champ international est parfois accompagnée de
soutiens aux initiatives déjà entreprises par les autorités du pays.
Cest ainsi par exemple que lAmbassadeur américain Niels
Marquardt a pu laisser entendre après une audience à lui accordée par le président
Biya en février 2006 quil a rassuré le chef de lEtat quil pouvait «
compter sur le soutien moral et matériel des Etats-Unis ». De son côté, la nouvelle
présidente mondiale de Transparency international (Mme Huguette Labelle), tout en saluant
les mesures déjà prises par les autorités dirigeantes pour combattre
lenrichissement illicite dans le pays, a tenu à préciser que cette dynamique doit
se poursuivre. Elle a également adressé ses félicitations au gouvernement pour la
ratification par le Cameroun de la Convention des Nations Unies contre la corruption.
Le fait que ces prises de position interviennent quelques temps
seulement après linterpellation spectaculaire de certains anciens Directeurs
Généraux de sociétés dEtat soupçonnés de détournement de deniers publics
atteste fort éloquemment que la communauté internationale suit avec une attention
particulière la dynamique dinstitutionnalisation de la lutte contre la corruption
au Cameroun. Mais en dépit de ces multiples actions, certains auteurs jugent les
initiatives prises en la matière insuffisantes, prônent la mise en place de stratégies
plus efficaces (Munyae et Gwen, 2002 : 72-73).
2 - La diversification des actions susceptibles de concourir au démantèlement de la
corruption au Cameroun
La branche camerounaise de Transparency International a procédé en
janvier 2006 à linstruction de deux enquêtes auprès des ménages et des
entreprises du secteur formel ayant pour finalité létablissement dun
système national dintégrité. Il sagit là dune opération
dexcitation visant à mettre en relief les secteurs dactivité du pays les
plus rongés par la corruption et à amener les autorités dirigeantes à leur prêter une
attention particulière.
De son côté, le Commonwealth a organisé deux séminaires-ateliers à
Yaoundé en mars 2006 sur «Lindépendance de la magistrature » et sur «La lutte
contre la corruption en milieu judiciaire » à lintention des magistrats de la cour
suprême et des chefs de cours dappel. Cette initiative vise dans une large mesure
à spécifier des lignes de conduite à suivre par le corps judiciaire dans son ensemble
afin que celui-ci puisse garantir son indépendance et lutter efficacement contre la
corruption.
Ces différentes initiatives sinscrivent dans une logique de la
mise en place ou dentretien dune accoutumance qui précède toute
institutionnalisation (Berger et Luckmann, 1986 : 78). Elles font partie dune série
dactions par lesquelles les acteurs du jeu international participent à la lutte
contre la corruption au Cameroun. Il sagit des actions qui, à force dêtre
répétées tendent à être « habitualisées » (Berger et Luckmann, 1986 : 82- 83) et
à être reprises dune manière ou dune autre par dautres entrepreneurs
socio-politiques.
Sur un autre plan, lon assiste dans de nombreuses organisations
internationales dont le Cameroun fait partie à une véritable dynamique
dinternationalisation des mécanismes de lutte contre la corruption. LONU par
exemple a mis sur pied deux conventions internationales sur la criminalité financière
organisée et sur la lutte contre la corruption. LUnion Africaine quant à elle a,
au cours de la conférence des chefs dEtat et de gouvernement du 12 juillet 2003,
procédé à ladoption de la convention pour la prévention et la lutte contre la
corruption. La même synergie sest observée au niveau de la Communauté Economique
des Etats de lAfrique Centrale (CEMAC) qui a mis en place le 14 avril 2002 le Groupe
dAction contre le Blanchiment dargent en Afrique Centrale (GABAC).
Cette dynamique, sinscrit dans une large mesure dans le cadre de
la dissolution interne /externe. Il sagit de linfluence externe sur la
modalité de gestion des Etats. Ceci permet de percevoir le comportement des Etats comme
découlant des compromis liés à lappartenance à la société internationale.
Cette réalité consacre lidée selon laquelle dans la lutte contre la corruption et
les indélicatesses financières au Cameroun, lEtat perd une partie de sa force,
devient modeste et travaille en réseau.
A toutes ces actions viennent sajouter celles des acteurs
socio-politiques locaux.
B - La politisation discursive de la question de corruption par les acteurs du
champ socio-politique interne
Sans doute, la question de la corruption au Cameroun nest-elle
politique par essence. Les caractéristiques qui facilitent sa prise en compte par les
instances politiques sont liées en fait aux représentations quelle génère dans
lunivers des croyances des acteurs sociaux. Il sagit notamment dun
sentiment communément partagé par le corps social ou par une partie de celui-ci que
quelque chose « ne va pas » et que cette situation est remédiable par les pouvoirs
publics (Braud, 1998 : 492). Ce sentiment se traduit généralement dune part par la
constante incitation de lélite dirigeante à laction contre le phénomène,
et dautre part par de sporadiques exhortations du chef de lEtat à poursuivre
certaines actions entreprises dans le sens de lassainissement des murs
financières dans les services publics
1 - Lincitation diversiforme des autorités étatiques à laction contre
les conduites de prédation
Ayant en charge la collectivité et son devenir, lhomme politique
est sans cesse et nécessairement contraint de combattre, de lutter et de se passionner
chaque fois que la « raison dEtat », cest-à-dire les intérêts vitaux de
lordre établi est en jeu (Weber, 2002 : 157). Or au Cameroun, nombreux sont les
acteurs du jeu socio-politique qui, estimant que les dirigeants du pays sont loin de mener
convenablement le combat contre la corruption, essayent de temps en temps de les inciter
à laction, en recourant à une variété de stratégies.
Le journal Le Front par exemple sest lancé dans une
significative opération de publication de la liste des agents publics camerounais qui, «
en dépit de la crise et des appels incessants aux sacrifices par les pouvoirs publics, se
sont taillés des fortunes colossales détournées des fonds publics», cette publication
saccompagnant des précisions aussi bien sur les pays où sont domiciliées leurs
comptes bancaires que sur leurs différents biens en nature.
Il sagit indiscutablement là dune incitation à
laction, lobjectif visé étant damener les autorités étatiques à
sanctionner tous ceux dont les noms figurent sur la liste publiée. Dailleurs, comme
le précise clairement ce journal, «Au-delà de tous ceux qui, ces derniers temps,
parlent de preuve, nous -au Front- avons opté de mettre notre gouvernement face à ses
responsabilités » afin quil puisse demander des comptes aux agents publics
indélicats et surtout « saisir tous ces butins qui entravent depuis trop longtemps la
bonne gouvernance de notre pays ».
Le GERDDES-Cameroun a adopté la même attitude en publiant les
résultats dune enquête qui montrent que la majorité des personnes interrogées
imputent le développement de la corruption au Cameroun à limpunité en estimant
que le gouvernement nayant pas combattu vigoureusement ce phénomène, il est devenu
dans le pays un véritable « serpent de mer dont on ne voit ni la tête ni la queue »
(GERDDES-Cameroun, 1999 : 63).
Faisant partie des modes de production des réponses sociales
(Bourdieu, 1979 : 490) à la question de corruption au Cameroun, ces incitations des
autorités camerounaises à laction contre ce phénomène tendent, à travers leur
fréquence, à se fossiliser au cours du temps et à devenir des pratiques répandues qui
finissent par façonner limage et les attitudes dune frange importante du
corps social (Hall et Taylor, 1997 : 474). Car loin de se limiter à la publication des
listes des personnes suspectées de corruption et à la dénonciation de limpunité,
elles se réalisent aussi parfois à travers la stigmatisation des carences
institutionnelle en matière de lutte contre les dérapages financiers des agents publics.
Cest dans le cadre de cette stigmatisation que lon peut en
effet ranger lobservation de M. Garga Haman Adji, ancien ministre de la Fonction
publique et de la réforme administrative et président national de lAlliance pour
la Démocratie et le Développement (ADD) qui met en relief le fait que la corruption ne
peut être vaincue au Cameroun que par un droit qui lui soit assorti et dont
lapplication sur le terrain ne souffre daucun laxisme.
Cette observation renvoie au syndrome de « lEtat mou » dont
parle Myrdal Gunnar et qui se caractérise par une absence de discipline, cette situation
se traduisant par des carences législatives, particulièrement en ce qui concerne la mise
en uvre et lapplication de la loi (Myrdal, 1969 : 8 ; Médard, 1977 : 35- 84).
La qualification de certaines personnalités d « intouchables »
apparaît également comme lune des principales stratégies dincitation des
autorités camerounaises à laction contre la corruption. Elle est en effet
utilisée par un certain nombre dacteurs, qui déplorent le fait que « favorisés
par labsence de preuves ou imbus de protections dites occultes, les plus gros
délinquants, notamment les auteurs de grandes malversations, les « baleines » » soient
les moins pourchassés et inquiétés.
En filigrane à toutes ces actions apparaît une « demande
déthique » en matière de gestion des fonds publics. Louvrage de John T.
Noonan sur la corruption a en effet établi que celle-ci constituait fondamentalement un
problème éthique et quil en avait toujours été ainsi depuis que lhistoire
existe. On comprend alors pourquoi face au déferlement des valeurs matérialistes au
Cameroun, certains acteurs sont à la recherche de repères éthiques et moraux que la
sphère politique semble ne pas fournir de manière satisfaisante (Meny, 1992 : 325- 326)
; cette recherche se traduisant par lélévation de la corruption au rang des objets
de scandale.
Mais tout compte fait, la politisation du phénomène de corruption au
Cameroun ne se cristallise pas seulement autour de lincitation des autorités
dirigeantes à laction. Elle se matérialise aussi le plus souvent par le soutien
apporté aux actions susceptibles déradiquer lenrichissement illicite dans le
pays.
2 - Lexhortation des autorités dirigeantes à poursuive certaines actions
entreprises dans le cadre de la lutte contre la corruption
Si des demandes daction contre la corruption au Cameroun sont
assez fréquemment exprimées, la plupart dentre elles présentent un caractère
vague et ne laissent apparaître aucune indication précise sur la nature de la décision
à prendre. Cest pour cela que les encouragements adressés à lélite
dirigeante par les acteurs socio-politiques locaux dans la lutte contre ce phénomène
peuvent dans une large mesure sinscrire dans le cadre de la spécification,
cest-à-dire de la précision des « modalités dintervention » (Padioleau,
1982 : 25). Ils montrent que les initiatives entreprises par les autorités étatiques
répondent aux attentes du corps social et constituent par conséquent une exhortation à
continuer dans la même voie.
De fait, après linterpellation de certains anciens Directeurs
Généraux des sociétés dEtat et de leurs proches collaborateurs en janvier 2006,
lon a assisté, à travers le pays, à lorganisation de nombreuses
manifestations dapprobation par lenvoie de motions de soutien et
dencouragement au chef de lEtat.
Ce sont certes des militants et sympathisants du Rassemblement
Démocratique du Peuple Camerounais (parti au pouvoir) qui ont procédé aux mobilisations
les plus ostentatoires. Car à travers les meetings ponctués de marches de soutien
organisés dans les principales artères de nombreuses agglomérations du pays, ils ont
bruyamment exprimé leur adhésion à linitiative du président de la République.
Mais les actions les plus lourdes de symbole ont été celles des
élites politiques. Dans lédition de Cameroon Tribune du 27 février 2006 en effet,
cinq hommes politiques saluèrent linitiative du président Biya et demandèrent que
les interpellations se poursuivent. Il sagit notamment de M. Grégoire Owona,
Secrétaire général adjoint du RDPC, de M. NI John Fru Ndi, Président national du
Social Democratic Front (SDF), de M. Augustin Frédéric Kodock, secrétaire général de
lUnion des Populations du Cameroun (UPC), de M. Garga Haman Hadji, Président
national de lAlliance pour la Démocratie et le Développement (ADD), et de M.
Boniface Forbin, Président national du Justice and Development Party (JDP).
Loin dapparaître comme un acte isolé, ce soutien a également
été exprimé, non seulement par M. Anicet Ekane, Président national du Mouvement
africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM) qui a exhorté le
président de la République à en finir avec « les braqueurs des caisses de lEtat
». Ce dernier a également souhaité que la mise à la disposition de la justice de
plusieurs hauts responsables de ladministration ne se réduise pas en un simple «
rituel politique destiné à amadouer les bailleurs de fonds ». Les parlementaires des
différentes formations politiques représentées à lAssemblée Nationale ont aussi
manifesté leur approbation à travers une motion de soutien et dencouragement
signée le 22 mars 2006.
Lapprobation de laction gouvernementale par la plupart des
partis politiques atteste que les rivalités entre les entrepreneurs politiques
nexcluent pas un certain consensus. Celui-ci est constitué par ladhésion de
la presque totalité des acteurs politiques à ce qui est considéré comme un enjeu
fondamental dont la valeur est reconnue et recherchée par tous (Accardo, 1983 : 101), à
savoir, lassainissement de la gestion des affaires publiques. Les dissensions et les
affrontements qui opposent les protagonistes apparemment les plus irréductibles du jeu
politique peuvent donc parfois nopposer que des adversaires-complices, qui savent
que pour saffronter comme ils le font, ils doivent être fondamentalement
daccord pour maintenir leur conflit dans les limites de la discussion légitime
imposées par la logique même du champ politique (Accardo, 1983 : 101- 102).
Le consensus politique autour de la lutte contre les comportements de
prédation dans les services publics Camerounais se trouve renforcé par le consensus
social, marqué essentiellement par la grande mobilisation de la société civile autour
de linitiative présidentielle. Des associations telles que le Club Ethique et le
Mouvement Arc-en-ciel, des confessions religieuses et plus particulièrement
léglise catholique et la religion islamique, des ONG locales à linstar de la
Ligue pour lEmancipation de la Femme et de lEnfant, des « intellectuels
camerounais » sous la conduite de M. Hubert Mono Ndjana, des groupements de chefs
traditionnels tel que la South West Chiefs Conference ont, ça et là, tantôt exprimé
leur satisfaction, tantôt encouragé le président de la République à persévérer dans
son effort de démantèlement de la corruption au Cameroun.
La forte mobilisation de la société civile derrière le chef de
lEtat peut sexpliquer par le fait que la corruption apparaît comme un
obstacle majeur au développement socio-économique du pays et surtout à la lutte contre
la pauvreté. Elle constitue un véritable frein à linvestissement et à la
croissance. Son éradication est donc susceptible de déboucher sur linstitution
dune certaine justice sociale, étant donné que sur le plan de la grande corruption
par exemple, lenrichissement illicite des plus grands se fait en grande partie au
dépens de celui des plus petits.
Lexhortation des autorités dirigeantes à poursuivre certaines
actions engagées dans le cadre de la lutte contre la corruption saccompagne parfois
de lémission de vux de confiscation des biens de ceux qui se sont rendus
coupables de détournement de biens publics. Ces vux ont été en effet exprimés
par exemple par M. Charles Ateba Eyene, coordonnateur du Club Ethique du Cameroun (CEC),
par le Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie (MANIDEM) et
par les évêques du Cameroun.
Toutes ces actions participent de la construction dun
référentiel dune politique publique de la lutte contre la corruption au Cameroun,
cest-à-dire dun ensemble de perceptions, de normes et de valeurs à partir
desquelles cette réalité est envisagée. Cest ce référentiel qui permet en effet
de diminuer lopacité des demandes socio-politiques en indiquant des points
dappui pour agir et en opérant un décodage du réel à travers la définition de
modes opératoires pouvant orienter laction politique contre la corruption (Muller,
1990 : 43-44). Il est donc susceptible de permettre au gouvernement camerounais
daffiner sa stratégie de lutte contre les écarts de comportement des agents
publics.
II - Erection de la lutte contre la corruption en contrainte structurante de
laction gouvernementale et émergence des « contraintes de situation »
Tout changement dans le comportement habituel des individus nécessite
un effort. La nature humaine étant peu disposée à dévier naturellement du chemin des
habitudes, un certain nombre de stratégies sont généralement adoptées, soit pour
convaincre, soit pour contraindre les déviants à modifier leurs comportements (Le Net,
1995 :21). Sur le plan de la lutte contre lenrichissement illicite au Cameroun, le
déploiement de ces stratégies sinscrit dans le cadre dune dynamique
institutionnelle précise et est largement conditionné par celle-ci (Quantin,2005 :13),
même si le processus en cours se heurte le plus souvent à un certain nombre
dobstacles.
A - Lancrage de la lutte contre la corruption dans les discours et dans
les pratiques des dirigeants
La corruption a constamment été au centre des préoccupations des
élites dirigeantes camerounaises. Elles se sont toujours dune manière ou
dune autre attaquées à ce phénomène, afin de le réduire ou de
léradiquer. Les mesures qui sont le plus souvent prises dans ce cadre gravitent
tantôt autour de la persuasion, tantôt autour de la répression.
1 - La cristallisation dune rhétorique anti-corruption dans les énoncés
gouvernementaux
Dès son discours de prestation de serment lors de son accession à la
magistrature suprême du Cameroun le 6 novembre 1982, le président Biya prônait déjà
« la rigueur dans la gestion ». Puis, quelques jours plus tard, au cours de son tout
premier conseil ministériel tenu le 11 novembre 1982, il annoncera avec insistance à ses
collaborateurs : « Jattends de vous la rigueur dans la direction de vos
départements respectifs». Dans la même foulée apparaît le mot moralisation qui
formera désormais avec le terme rigueur une sorte de tandem conceptuel, au point
quil devient désormais difficile de prononcer lun sans lautre (Mono
Ndjana, 1977 :15).
Mais cette dynamique de promotion de la rigueur et de la moralisation
dans la gestion des affaires publiques qui implique nécessairement une lutte acharnée
contre la corruption et le détournement de biens publics connaîtra un ralentissement
considérable, au point que cest pendant la très grande récession économique qui
a étranglé le Cameroun dans la décennie 1987-1997 que les plus immenses fortunes
privées ont vu le jour, que les grosses cylindrées ont déferlé dans les rues du pays,
et que les châteaux les plus futuristes ont jailli de terre (Ngandieu,1988 :64).
Cest sans doute pour cette raison quau début du mois de
mars 1998, le gouvernement a lancé, à travers la presse officielle, une campagne de
lutte contre la corruption, soutenue par le slogan : « la corruption tue la nation » et
visant à sensibiliser et à attirer lattention des camerounais sur les périls que
la nation encourt si cette pratique perdurait. Une initiative similaire a été également
prise en janvier 2006 et a amené une équipe conduite par le président de
lObservatoire national de Lutte contre la Corruption (OLC) M. Christol Georges Manon
à sillonner quelques provinces du pays pour attirer lattention des populations sur
les méfaits de lenrichissement illicite au regard des réalités locales.
Ceci participe de la « construction étatique des esprits »
(Bourdieu, 1979 :123). En tant que instance régulatrice des pratiques, lEtat exerce
en effet une action formatrice et inculque en permanence des formes et des catégories de
perception de lunivers social. Les autorités dirigeantes camerounaises visent donc
ici, à travers une approche participative, à inculquer aux citoyens une culture de rejet
et de dénonciation de la corruption et du détournement de biens publics, ces
phénomènes étant peints comme de véritables entraves au développement
socio-économique du pays.
Mais parce quelles ne débouchent généralement pas sur les
résultats escomptés, ces campagnes sont le plus souvent assorties davertissements,
cest-à-dire de menaces de sanctions. Dans une interview accordée à Cameroon
Tribune en 1998, le ministre de la Fonction publique, Sali Dahirou, avait fait savoir que
les actes de corruption allaient désormais être sévèrement sanctionnés.
Cette mise en garde, qui vise manifestement un profond « basculement
de mentalités » (Chevalier, 1996 :161) et des pratiques de ceux qui se livrent aux actes
de corruption, avait été réitérée, et avec plus de fermeté par le président de la
République qui, lors de son discours prononcé à Monatélé le 5 octobre 2004 dans le
cadre de la campagne en vue de lélection présidentielle du 11 octobre de la même
année avait dabord déclaré : « nous sanctionnerons sans pitié la fraude et la
corruption qui sont, pour une bonne part, à lorigine de nos difficultés », avant
de lancer, à ladresse de tous ceux qui estimaient quune telle menace avait
déjà été maintes fois entendue, mais navait le plus souvent pas été suivie par
des actes concrets : « Croyez-moi, les choses vont changer ».
La menace de sanction à légard des agents publics qui se
livrent à des pratiques de corruption semble ainsi faire partie des « modes habituels
dactivité » (Giddens, 1987 :113) politique au Cameroun car même à
loccasion du lancement des opérations du troisième recensement de la population et
de lhabitat du pays en novembre 2005, le président Biya avait pu déclarer :
«
jai donné des directives au gouvernement pour quil monte dun
cran dans [la lutte contre la corruption]. Nous ne pouvons pas lutter contre la pauvreté
en laissant les gens détourner les fonds publics ». Et plus récemment encore, lors du
discours radiotélévisé quil a prononcé à la suite de latteinte par le
Cameroun du point dachèvement de linitiative PPTE (pays pauvres très
endettés) en 2006, le chef de lEtat a eu à réaffirmer sa volonté
daméliorer la gouvernance au Cameroun, « notamment en luttant sans faiblesse
contre la corruption ».
Cest dans la mouvance de cette dynamique que le vice premier
ministre en charge de la justice Amadou Ali a annoncé en janvier 2006 que la justice
était en train dexaminer une demi douzaine de «gros dossiers» de corruption.
Loin dapparaître comme des langues de bois (Boyomo Assala, 2001
:11) toutes ces prises de position sinscrivent dans le cadre du processus par lequel
sélaborent la pensée et lattitude gouvernementale face aux problèmes de
corruption et du détournement des biens publics. Elles constituent un «discours
dinfluence », cest-à-dire un discours ayant pour «but dagir sur
lautre pour le faire agir, le faire penser, le faire croire, etc. » (Ghiglione,
1989). Elles tendent à produire des significations et à véhiculer des croyances faisant
apparaître lenrichissement illicite comme source officielle de préoccupation,
parce quil se présente comme une menace pesant sur le bien être collectif et
susceptible de remettre en cause léquilibre global de la société. Il sagit
en dernière analyse de lérection déclarative de la malversation financière au
Cameroun en problème à combattre.
Dailleurs, après avoir rappelé lors du troisième congrès
extraordinaire du RDPC tenu le 21 juillet 2006 que des « sanctions sévères ont été
prises au cours des derniers mois » dans le cadre de la lutte contre la corruption au
Cameroun, le président Biya a tenu à repréciser que ces actions allaient se poursuivre,
avant de marteler que « ceux qui se sont enrichis au dépens de la fortune publique
doivent rendre gorge », et que « les délinquants en col blanc nont quà
bien se tenir».
Ces déclarations rendent inévitables le recours aux mesures
répressives.
2 - Linsertion de la répression de la corruption dans les axes prioritaires de
laction gouvernementale
Lun des traits caractéristiques de linstitutionnalisation
de la lutte contre la corruption au Cameroun, tout comme dailleurs dans de nombreux
autres pays dAfrique sub-saharienne cest la particulière floraison des
structures chargées de combattre le phénomène (Munyae et Gwen, 2002 :66-69). Car si en
dehors des instances judiciaires le Contrôle Supérieur de lEtat et le Conseil de
Discipline Budgétaire et Comptable ont pendant longtemps monopolisé le marché des
organes spécialisés dans la lutte contre « la délinquance financière », lon
assiste depuis un certain temps à une remarquable inflation des structures concurrentes.
Cest la création par la constitution du 18 janvier 1996
dune chambre des comptes ayant pour principales missions de contrôler et de statuer
sur les comptes, des établissements publics et parapublics, des collectivités
territoriales décentralisées qui viendra poser le premier jalon de la rupture de ce
monopole.
Cette création sera suivie en 1997 par la mise en place par le
gouvernement dun comité ad hoc interministériel de lutte contre la corruption. En
lan 2000, cest au tour de lObservatoire national de Lutte contre la
Corruption de voir le jour par arrêté du Premier Ministre. Cette structure sera
remplacée en 2006 par la Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC), créée par
décret présidentiel et chargée entre autres de suivre et dévaluer
lapplication effective du plan gouvernemental de la lutte contre la corruption, de
recueillir, de centraliser et dexploiter les dénonciations et informations
relatives à la corruption et infractions assimilées , et de procéder, le cas échéant,
au contrôle physique de lexécution des projets ainsi quà lévaluation
des conditions de passation des marchés publics.
La mise sur pied de cette Commission Nationale Anti-Corruption a été
précédée par la création le 31 mai 2005, toujours par un décret présidentiel, de
lAgence Nationale dInvestigation Financière (ANIF) chargée essentiellement
de recevoir, de traiter et, le cas échéant, de transmettre aux autorités judiciaires
compétentes tous renseignements propres à établir lorigine des sommes ou la
nature des opérations faisant lobjet de la déclaration de soupçon au titre de la
lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Cette inflation des organes de lutte contre lenrichissement
illicite se trouve accentuée par la mise sur pied, dans la plupart des ministères et
dans de nombreux établissements publics, de cellules locales de lutte contre la
corruption chargées surtout de veiller quotidiennement à lorthodoxie des pratiques
financières des personnes travaillant dans ces différentes structures.
La floraison des organes chargés de combattre la corruption ici
sinscrit dans le cadre des politiques institutionnelles régulatrices qui tendent à
« édicter des normes et engendrer, par conséquent, des
institutions-règles. Il sagit en réalité de pressions directes ou
indirectes exercées sur les membres individuels ou collectifs de la société en vue de
les amener à corriger leurs éventuels écarts de comportement ou dattitude à
légard des valeurs sociales (Comaille, 1998 : 19-20).
La mise en uvre de la politique institutionnelle régulatrice en
matière de la lutte contre les malversations financières au Cameroun est également
marquée par le vote et la promulgation de la loi sur la déclaration des biens, qui
apparaît essentiellement comme un dispositif dont le but est de « régler la conduite
des individus et de rendre possibles de nouveaux modes de constitution de la propriété
privée » (Mbembe, 1999 :1). Cest en dernière analyse une pulsion innovatrice de
lEtat en quête dune nouvelle symbolique dans la lutte contre la délinquance
financière.
Linterpellation de personnes accusées de corruption et de
malversations financières constitue un autre site principal dobservation de la
répression de lenrichissement illicite au Cameroun. Lon assiste en effet de
temps en temps, tantôt à un certain immobilisme, tantôt à une timide évolution,
tantôt enfin à une brusque accélération.
Ceci permet de comprendre la prise de position du vice premier ministre
chargé de la justice, Amadou Ali, suivant laquelle il y a eu ces dernières années des
procès retentissants pour cause de détournements de deniers publics et de malversations
financières, les plus significatifs étant ceux de MM Edzoa Titus et Atangana Thierry
condamnés définitivement à 15 ans de prison, de M. Pierre Désiré Engo et de M.
Mounchipou Seidou dont la procédure suit son cours devant les tribunaux.
Lon assiste dailleurs depuis la fin de lannée 2005
à une soudaine accentuation de cette dynamique de répression judiciaire des
indélicatesses financières des agents publics dans le pays, ce qui marque lancrage
de la lutte contre la corruption dans la « conscience pratique » des
dirigeants(Guiddens, 1987 :109).
Dès le 3 janvier 2006 en effet, deux magistrats ont été révoqués
de leurs fonctions par décrets présidentiels pour pratique dusure et de
corruption. Il sagissait là dun signal fort consistant à débuter
laccélération de la lutte contre lenrichissement illicite par
lassainissement de la justice qui sera, à son tour, appelée à statuer sur les
différents cas de corruption et de malversations financières qui lui seront
transférés.
Trois anciens directeurs généraux des sociétés dEtat et
certains de leurs collaborateurs ont dailleurs été interpellés le 21 février
2006 et mis directement à la disposition de la justice pour détournement de deniers
publics, corruption, faux et usage de faux au préjudice de lEtat et de certains
établissements publics. Dans la même foulée, un décret présidentiel signé le 24
février 2006 est venu limoger subitement M. Alphonse Siyam Siwe de ses fonctions de
ministre de lénergie et de leau. Ce dernier a été immédiatement arrêté
et traduit devant la justice.
Ce qui a le plus caractérisé ces interpellations cest le
spectacle qui les a entouré, celui-ci étant surtout marqué, non seulement par la
présence simultanée des éléments du secrétariat dEtat à la défense (SED), de
la police judiciaire et du Groupement Spécial dOpération (GSO), mais également
par le déploiement de nombreux véhicules appartenant aux forces de maintien de
lordre.
Ce recours au spectacle, participe de la vedettisation du pouvoir.
Lérection du pouvoir en vedette tend à polariser les attentions, à soulever les
passions et à capter les dynamismes de la communauté nationale et internationale dans la
lutte contre la corruption (Schwartzenberg, 1977 :248). En cela elle constitue une
véritable stratégie politique, même si elle na pas pu empêcher lémergence
de poches de résistance à la dynamique anticorruption.
B - La tendance à la perturbation du processus dinstitutionnalisation
de la lutte contre la corruption par des forces centrifuges
La dynamique dinstitutionnalisation de la lutte contre la
corruption au Cameroun est mue par des rationalités multiples et parfois contradictoires.
Car elle sopère dans un cadre où saffrontent et sajustent des
intérêts et comportements multiples et éventuellement antinomiques. Elle se réalise à
travers un complexes dactions dans lesquelles se nouent et se gèrent, non seulement
des rapports de coopération et déchanges, mais également des conflits entre des
acteurs aux intérêts divergents et parfois diamétralement opposés. Cest ce qui
explique que le mouvement anti-corruption dans le pays soit confronté à de nombreuses
forces centrifuges.
La forte propension au développement de la corruption au sein même de
la lutte contre la corruption figure en bonne place parmi ces forces. Des acteurs
collectifs ou individuels spécialisés dans la lutte contre lenrichissement
illicite sont en effet constamment exposés à de fortes pressions, celles-ci pouvant
parfois épouser les contours de la corruption. Cest entre autres le cas de certains
responsables du contrôle supérieur de lEtat, qui sont le plus souvent pris en
charge par les responsables des structures quils ont pour missions de contrôler, au
point de ne pouvoir faire que des rapports complaisants et positifs. Ceci tend largement
à confirmer lidée suivant laquelle le champ de la lutte contre la corruption peut
devenir un champ de véritable corruption.
Lorganisation de réseaux clientélistes et néo-patrimoniaux
autour des fruits de la corruption constitue une autre entrave majeure au processus
dinstitutionnalisation de la lutte contre la corruption au Cameroun. De fait,
certains entrepreneurs socio-politiques utilisent parfois les fruits de la corruption pour
faire des dons divers ou pour réaliser des uvres socio-économiques. Il se tisse
ainsi entre ces « bienfaiteurs » et les bénéficiaires de leurs « générosités »
des affinités et des solidarités qui débouchent le plus souvent sur la constitution de
réseaux de type clientéliste (Kontchou Kouomegni, 1984 :36).
Lémergence de réseaux ici simpose à partir du moment où
« la création de richesses dans lillégalité nécessite des protections, dont la
redistribution « clientéliste » est une des formes les plus efficaces » (Bresson, 1995
:26).
Ceci permet de comprendre pourquoi à la suite de larrestation de
M. Siyam Siewe, ancien Directeur Général du Port autonome de Douala, ancien Ministre de
leau et de lénergie et maire de la commune urbaine de Bafang par exemple,
lon a assisté dans cette ville en mars 2006 à la circulation de tracts et à un
regroupement de plusieurs centaines de jeunes du RDPC, mobilisés pour protester contre
linterpellation de leur élite et réclamer sa libération. Cest ce qui
explique également la particulière agitation sociale que la ville de Mbalmayo a connue
le 23 mai 2006 à la suite de linterpellation de son maire pour détournement de
biens publics.
Envisager la corruption comme un phénomène autour duquel se tissent
des réseaux clientélistes et néo-patrimoniaux permet aussi dans une certaine mesure de
comprendre pourquoi après la nomination ou la promotion de certaines personnalités à
des postes importants de responsabilité dans les services publiques, leurs « clients »
socio-politiques potentiels ou réels sempressent le plus souvent dorganiser
des manifestations de gratitude et de soutien au chef de lEtat. Car ils attendent
des lélites promues quelles contribuent à leur prestige collectif ou
individuel. Dans ce type de contexte, « le leadership engloutit des sommes très
importantes et encourage la kleptocratie » (Chabal et Daloz, 1999 :132), étant donnée
que la légitimité de lélite ne sera établie que sil parvient à accéder
aux sollicitations dun grand nombre de personnes.
Cest toujours dans le registre des forces centrifuges à la
dynamique dinstitutionnalisation de la lutte contre la corruption au Cameroun
quil convient de ranger lexercice dune fonction tribunicienne de
stabilisation de lordre socio-politique par ladite corruption. Car dans un pays où
les fonctionnaires reçoivent un salaire relativement bas, certains dentre eux «
nont dautres choix que de voler pour subvenir aux besoins de leur famille »
(Charap et Harm, 2000 :19), et ce dautant plus que plusieurs auteurs ont eu à
montrer que limpact négatif de la corruption sur la croissance économique est
parfois négligeable, surtout dans le cadre des Etats pratiquant la démocratie pluraliste
(Drury, Krieckhaus et Luszdig, 2006 :21).
La corruption dans cette hypothèse devient un stabilisateur du
système et chercher à léradiquer complètement risquerait de rencontrer des
résistances susceptibles de remettre en cause la cohésion sociale (Charap et Harm, 2000
:19). Cest certainement ce qui explique lattitude du président Paul Biya qui,
appelé à se prononcer sur le classement de Transparency international qui a placé en
1998 le Cameroun en tête des Etats les plus corrompus du monde, a pu relever que si une
lutte impitoyable contre la corruption au Cameroun avait été déclenchée alors que les
« fonctionnaires étaient sous le triple coup des baisses de salaire imposées par
laustérité, des licenciements suggérés par les bailleurs de fonds et de la
dévaluation du francs CFA, lémeute aurait été quasi-inévitable ».
Cest dire que la dynamique dinstitutionnalisation de la
lutte contre la délinquance financière des agents publics au Cameroun sinscrit
nécessairement dans un processus long, tant il est vrai « quune fois la corruption
enracinée, il est très difficile de léradiquer » (Mauro, 1999 :21).
La dynamique dinstitutionnalisation de la lutte contre la
corruption au Cameroun est loin dêtre impulsée par les seules autorités
étatiques. Elle apparaît comme la résultante des actions dune multiplicité des
acteurs et des instances disséminés aussi bien dans le champ local que sur larène
internationale. Elle est le produit des comportements dun ensemble dacteurs
qui sont liés entre eux par des interdépendances stratégiques et dont les interactions
forment un système et obéissent à un ordre social (Friedberg, 1997 :13). Par ailleurs,
elle nobéit pas à la logique dun schéma linéaire. Elle est marquée par
une succession irrégulière dactions qui sont tantôt discrètes, tantôt banales
et tantôt spectaculaires. De cet enchaînement résulte la sédimentation de
prescriptions, de pratiques, de savoirs et de croyances qui dessinent les formes et les
contours de linstitution en cours dédification (Lacroix et Lagroye, 1992 :
11). Ceci atteste quune institution nest pas une « totalité » achevée,
cohérente et stable, mais plutôt une « totalisation » tournante et perpétuellement en
cours. Elle nest pas une chose, mais une pratique ; elle nexiste que dans un
mouvement continu et tournoyant de déconstruction/reconstruction des formes sociales ;
elle «est » en se faisant et en se défaisant sans cesse.
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