Saibou Issa
Université de Ngaoundéré
Introduction
Depuis le milieu des années 1980, les confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad
sont des espaces de désordre où lautorité de lEtat peine à simposer
du fait de la prolifération des bandes armées de rebelles, de trafiquants divers et de
bandits de grand chemin connus sous lappellation de « coupeurs de routes ». Usant
et abusant de la porosité des frontières et des solidarités transfrontalières dans des
aires culturelles qui transcendent les limites dEtats, léconomie illégale se
nourrit de la floraison des vecteurs de la violence issus de linstabilité politique
dans le Bassin du Lac Tchad et particulièrement au Tchad où depuis 1966, la récurrente
scissiparité des groupes rebelles a généré une pléthore de bandes armées qui
arpentent les zones frontalières. A la suite des multiples guerres civiles, rébellions
et changements de régimes qui ont jalonné lhistoire politique du Tchad et de la
Centrafrique, et du fait de la crise économique, lon a assisté à la résurgence
de la criminalité rurale animée par des praticiens connus sous lappellation
générique de « coupeurs de route » du fait du procédé dembuscade sur la
chaussée qui caractérise généralement leur mode dopération (Saibou, 2004).
Phénomène polysémique, le banditisme de grand chemin sest enrichi dune main
duvre abondante du fait de la prolifération des sans emplois, dune main
duvre experte du fait de la prolifération de combattants anciens ou en
activité et dune logistique conséquente du fait de la prolifération des armes de
guerre passées aux mains des populations dans un contexte de militarisation de
lethnie. Ainsi naquirent des bandes aussi, sinon mieux aguerries que les armées
régulières. Du maintien de lordre renforcé, la répression du banditisme rural
transfrontalier est devenue une préoccupation de défense nationale à cause du
professionnalisme des bandits et de leur transmigration dun Etat à lautre.
Une logique du tout-répressif fut mise en uvre, aboutissant à un « assainissement
» du climat sécuritaire, mais au prix déliminations systématiques des bandits.
Cest ainsi quen 2002 au Cameroun par exemple, la liquidation des bandits avait
concrètement décapité le grand banditisme dont la plupart des commanditaires et des
capitaines avaient perdu la vie ou traversé la frontière, quelques-uns croupissant en
prison. En tout cas, malgré les récriminations au sujet de la violation des droits de
lhomme, les actions simultanées des unités spéciales (1)
de répression du grand banditisme ont donné une impression de sécurité retrouvée
aussi bien en ville quen campagne.
Mais lune des constantes de lhistoire du banditisme de grand chemin en Afrique
subsaharienne, cest sa capacité à se reproduire, à muter au gré des changements
de la politique répressive de lEtat, et au gré de lapparition de nouvelles
conjonctures criminogènes, lesquelles disséminent de nouveaux vecteurs de
lagression et de nouveaux acteurs de la criminalité transfrontalière. Ainsi
peut-on dire du banditisme transfrontalier quil est un phénomène cyclique.
Cest dans ce sens que lon a assisté, à partir de 2003, à lapparition
de la prise dotages dans les zones frontalières comme nouvelle modalité du
phénomène du banditisme de grand chemin. Cette contribution en étudie les sources, les
acteurs, lorganisation et les conséquences. Il sagit tout dabord de
montrer comment les répercussions de la sécheresse sur les éleveurs nomades et
linstabilité politique en Centrafrique se combinent pour générer un contexte
favorable à lémergence de nouveaux acteurs du banditisme transfrontalier. La
deuxième partie de létude analyse linnovation que représente la prise
dotages à travers sa rationalité et son organisation. Il sagit enfin
dexaminer les conséquences à court terme de ce phénomène sur les populations,
les politiques étatiques et le contrôle de lespace frontalier.
Carte de localisation de la zone détude
Un contexte de crise générateur de la criminalité dinvestissement
Mes travaux précédents ont montré comment la récurrence de ladversité
économique a généré dans le bassin du Lac Tchad une culture de rapine caractéristique
déconomies de subsistance, tolérante envers les déviances de subsistance.
Perpétrée par les chefs de famille, les chefs de villages et les patrons des grandes
hégémonies politiques précoloniales ou commanditée tout récemment encore par les
autorités traditionnelles pourtant auxiliaires de ladministration, lagression
à main armée permettait de supporter les charges sociales du leadership dans un
environnement où le rang et limage de lindividu dans la société tiennent
surtout à sa capacité à satisfaire les besoins quotidiens de ses dépendants, de ses
clients. Comme lont remarqué les explorateurs européens qui ont sillonné la
région au cours du 19è siècle et les administrateurs coloniaux allemands et français
au Cameroun et au Tchad, la tâche la plus ardue de lentreprise européenne
nétait pas la conquête du territoire et son arrimage aux domaines coloniaux de la
métropole, mais bien plus la conquête des mentalités façonnées par la rudesse du
climat, les coutumes martiales et la précarité. Plus tard, lorsque le Tchad entra dans
une instabilité de longue durée marquée par lalternance violente des régimes
politiques à Ndjamena et la dissémination des groupes armés sur lensemble
du territoire, les rebelles se muèrent en groupes de rebelles-bandits usant du banditisme
transfrontalier dans la région du Lac Tchad notamment pour se ravitailler en moyens de
subsistance. Simultanément à ce banditisme alimentaire, lon a vu progressivement
émerger des bandes multinationales soutenues par des commanditaires et motivées par la
recherche dun gain important vraisemblablement recyclé dans léconomie
formelle. Sur le terreau de cette criminalité combinatoire de lagression, du trafic
darmes et de la contrebande de métaux précieux, sest développée une
économie du crime qui profite dun contexte de crise, et dont les pasteurs Mbororo
et les mercenaires tchadiens en activité en Centrafrique sont les acteurs désignés.
De la marginalité criminogène des pasteurs Mbororo
Les pasteurs Mbororo du Cameroun et de Centrafrique présentent une image contrastée dans
léconomie du banditisme contemporain. Ils en sont acteurs dans la mesure où nombre
de groupes armés composés de Mbororo ont souvent été appréhendés par les forces de
lordre, ou identifiés comme tels par les victimes dembuscades ou de raids
dans les zones délevage. Ils sont cependant les principales victimes des
enlèvements denfants et de bergers dans le nord-ouest de la Centrafrique et
lAdamaoua au Cameroun. Cette dualité de leur relation au crime organisé tire ses
sources dans une longue histoire de marginalité tirant ses sources dans leur mode de vie,
limpact des crises écologiques sur leur système socio-culturel et
lexploitation dont ils sont lobjet.
Avec les Pygmées de la forêt équatoriale, les Mbororo sont lune des deux
minorités ethniques officiellement reconnues comme telles par les autorités
camerounaises. Ces éleveurs nomades dont une partie est néanmoins sédentarisée,
mènent une vie de migration, transhumant par delà les frontières régionales et
nationales. Lélevage sentimental du boeuf est la pierre angulaire de leur vie
socio-économique, car le boeuf est pour le Mbororo davantage un marqueur identitaire
quune thésaurisation animale. Appartenant au grand groupe peul, ils restent de tous
leurs congénères, ceux dont le mode de vie se rapproche encore de lépoque
préislamique. Pour les Peuls sédentarisés propagateurs de lIslam, intégrés dans
les circuits économiques, bâtisseurs dhégémonies politiques précoloniales et
profondément ancrés dans ladministration publique et les rouages politiques de
lEtat moderne, la persistance de la vie dHermite de ces Fulße ladde,
Peuls de la brousse, fait désordre. Ils portent préjudice à limage
nobiliaire et seigneuriale que véhicule lendoperception peule du Nord-Cameroun.
Leur instabilité religieuse entre une pratique de lislam dite superficielle, la
persistance de pratiques païennes chez certains et une sensibilité à
lévangélisation par léglise évangélique luthérienne norvégienne chez
dautres, nest pas du goût de ceux qui, au Nord-Cameroun en particulier,
confondent ethnie et religion, Peuls et islam. De fait, tandis que pour bien de Peuls les
Mbororo sont un groupe ethnique à part entière, les Mbororo encore ancrés dans la
tradition perçoivent leurs congénères sédentaires comme une race abâtardie par
labandon de la transhumance saisonnière, la pécuniarisation du boeuf et le
brassage ethnique avec les ßaleeße, littéralement les Noirs pour désigner
les peuples aux traits négroïdes de la plaine du Diamaré ou du plateau de
lAdamaoua (Bocquéné, 1986).
Lorsque les épisodes de sécheresses sévères de 1972-1973, 1983-1985 et 1996
sabattirent sur le Sahel englobant le Bassin du Lac Tchad, les éleveurs furent ceux
qui en subirent le plus les conséquences. En plus des épizooties, lassèchement
des points deau et la rareté des pâturages décimèrent le bétail, obligeant les
pasteurs sans bétail à se reconvertir dans lagriculture quils honnissent,
dans le gardiennage du bétail, voire la prostitution pour les femmes, la mendicité et
lalcoolisme pour les jeunes hommes(2).
En effet, la conjonction de tous ces facteurs dexclusion noffre aucune
perspective reluisante aux Mbororo sans bétail, dès lors que la reconstitution du
bétail est le seul gage de reconstitution de leur identité, de leur code éthique, le
Pulaaku. Or, avec leur solde de berger, il faut plus dun an de labeur pour acheter
un taurillon, au moins une décennie pour posséder un embryon de troupeau. Cette
situation incite à emprunter des raccourcis. Cest ainsi que des bergers mbororo ont
parfois détourné le bétail dont ils avaient la garde, tandis que dautres parmi
leurs congénères constituent des groupes qui tendent des embuscades ou font des raids
sur les campements. A cela sajoute le fait que les Mbororo sans bétail qui ne
reçoivent pas lassistance de ceux qui en possèdent, deviennent de potentiels
adversaires, doù des risques de transfert violent de propriété à
lintérieur même de la société Mbororo. Vu sous cet angle, les motivations des
bandits mbororo tendent à sinscrire dans une logique de reproduction du phénomène
du crime social dans le sens où lentend John Lea quand il écrit : « I have
suggested that the concept of social crime can serve as a starting point for the
exploration of the complex and conflicting ways in which protest or survival strategies
interface with violence and oppression in both the criminal and widening sections of the
legitimate economy ». (Lea, 1999 : 322)
Le tableau de la marginalité criminogène des Mbororo ne serait pas complet si on ne
mettait en exergue le potentiel de révolte que renferme lexploitation dont ils sont
lobjet de la part des détenteurs de lautorité. Comme le dit si bien Ndoudi
Oumarou, Mbororo du Nord-Cameroun, leur errance et leur analphabétisme les rendent
vulnérables : « quel que soit lendroit où nous nous trouvons, aucune
considération ne nous est due, à nous les Mbororo. Comment lexpliquer ? Nous
sommes des gens sans village et sans terre, des illettrés, peu instruits de notre
religion, ne sachant rien des choses du monde [
]. Tel est notre sort, à nous gens
de la brousse, nomades sans instruction, tout juste bons à être exploités en tous lieux
et par tous ! ». Ainsi en est-il des autorités traditionnelles, notamment peules, qui
multiplient les prélèvements danimaux, les redevances en nature, les taxes de
pacage et autres amendes qui ponctionnent leurs troupeaux. En témoigne cet extrait
dune plainte dun éleveur Mbororo adressée au Préfet du Département de
lAdamaoua en 1963 relatant les confiscations de bétail, lemprisonnement et
lextorsion dargent avant dimplorer : « Il faut bien demander,
quest-ce jai fait, un simple Bororo comme moi, quest-ce que je peux
faire aux Lamidos, ce sont eux qui luttent pour les biens des pauvres. Je vous dis en
vérité que je ne suis pas tranquille à cause de mes bufs [
] Sauvez-moi de
ces gens ». Cest là un exemple parmi tant de documents darchives coloniales
et postcoloniales, de plaintes en justice ou auprès des autorités administratives,
dexactions portées à la connaissance du bureau de MBOSCUDA .
La réponse des Mbororo à cette pression sur leur bétail est la réponse traditionnelle
des nomades, à savoir sen aller, migrer vers des contrées plus clémentes. Ainsi,
quand les pâturages diminuèrent considérablement à cause de la récurrence de la
sécheresse et de lextension des ranchs dans lAdamaoua et le Nord-Ouest, quand
les coupeurs de route sacharnèrent contre les éleveurs dans leurs villages et aux
abords des marchés à bétail, quand certains détenteurs de lautorité devinrent
toujours plus exigeants, les pasteurs Mbororo du Cameroun emportèrent leurs familles et
leurs troupeaux vers le nord-ouest de la Centrafrique, zone riche en pâturages,
relativement paisible, aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad. Le
mouvement sintensifia au début des années 1990, période marquée par la
recrudescence de la criminalité rurale au Nord-cameroun, alors que laccesion au
pouvoir dAnge-Félix Patassé à Bangui redonnait espoir au pays voisin. Mais cette
embellie ne dura pas, car bientôt la Centrafrique allait connaître un cycle de
mutineries, la rébellion et le changement de régime grâce à lappui de
mercenaires tchadiens. Ex-mutins et ex-Libérateurs deviennent de nouveaux acteurs de la
criminalité transfrontalière.
Les Libérateurs, nouveaux acteurs de la criminalité militaire
transfrontalière
Cest en se militarisant que le banditisme transfrontalier sort de son cadre
traditionnel pour devenir un phénomène polémologique. Il en est ainsi depuis des
siècles, car le phénomène est tributaire des conflits qui ont cours dans les Etats ou
dans les relations interétatiques. Pareille conjoncture a toujours favorisé
lémergence de réseaux criminels sous la forme de lentrepreunariat
dinsécurité dans des régions telles que la Corne de lAfrique et la région
des Grands Lacs. En Afrique de lEst, persistent encore les mentalités
crimino-tolérantes, cependant comme le souligne Nene Mburu, «although the motive for
contemporary banditry is the pauperization of people that live in a harsh physical
environment, the opportunity and means emanate from existing political turmoil in the
region where recent civil wars have made arms bearing a part of their material culture
».(Mburu, 1999 : 90) Ainsi, aux confins de lErythrée, de lEthiopie, du
Kenya, de la Somalie et du Soudan, se déploient des familles de bandits qui tirent partie
de linstabilité chronique dans cette région soumise à la récurrence et à la
pluralité des formes de violences rendant difficile le contrôle des zones frontalières.
Au nombre des entreprises criminelles figurent notamment les Shifta à propos desquels
Nene Mburu écrit que «contemprorary banditry along Kenyas border with Ethiopia and
Somalia is a consequence of a failed rehabilitation of former veterans of the four years
secessionist conflict that was supported by the Republic of Somalia.» (Mburu, 1999 : 99)
Le Tchad offre un exemple similaire. La guerre civile et la prolifération des rébellions
et des mouvements armés dits politico-militaires depuis 1966 y a multiplié
les porteurs darmes, quils soient danciens éléments de larmée
régulière passés à la vie civile après la déchéance du Président, ou
des combattants affiliés aux dizaines de mouvements armés disséminés sur le territoire
tchadien. Parmi ces combattants, furent parfois recrutés des mercenaires dans les
conflits interethniques comme ce fut le cas dans lextrême-nord du Cameroun. Leur
rôle dans lexacerbation de linsécurité sous-régionale ne fait lombre
daucun doute dans un contexte de faillite de lEtat tchadien dans sa mission de
protection des hommes et des biens, de criminalisation des modes de mobilités sociales
générateurs de révolutions statutaires spontanées, de privatisation du service public
à des fins denrichissement selon la logique cleptocratique (Bayart et al, 1999 :
1-31). Au Tchad particulièrement, où la politique de réduction des effectifs et de
professionnalisation de larmée a donné des résultats mitigés, divaguent de
dizaines de milliers de professionnels de la gâchette pour qui le fusil en réserve est
devenu loutil atavique de production aussi bien du politique que de
léconomique (Buijtenhuijs, 1998: 93-112). Cest dans ce contexte belligène
que le Tchad a entrepris son ouverture démocratique.
Mais à lopposé de la théorie du democratic peace, la transition démocratique en
Afrique Centrale est plutôt belligène comme le montrent les conditions de remplacement
de Hissène Habré au Tchad, Mobutu Sese Seko au Zaïre et Pascal Lissouba au Congo. Face
aux démocratisations bloquées, larmée a été la productrice dalternance,
mais cest généralement dune armée milicienne quil sest
sagi dès lors que ses éléments sont recrutés sur des bases affinitaires. Tandis
que ça et là des mécanismes de sortie de crise favorisent des retours à lordre
politique multipartite, lexpansion des régimes militaro-civils se confirme en
Afrique Centrale selon la logique de la conquête du pouvoir par les armes et sa
légitimation par les urnes. La conjonction des armées parapubliques et des généraux
démocratiques fait des émules dans un contexte de succès du parrainage
militaro-politique à létranger. Lexemple du Congo est là pour montrer
lapplicabilité du droit dingérence pour cause de sécurité nationale, la
communauté internationale ayant validé larrivée de Denis Sassou Nguesso grâce
aux renforts de Eduardo dos Santos dAngola. Dans cet ordre didée, le
Président tchadien Idris Déby Itno dont des soldats avaient intervenu en République
Démocratique du Congo aux côtés des troupes gouvernementales de Laurent-Désiré
Kabila, semble avoir assimilé la leçon des deux Congo, en apportant son soutien au chef
détat-major dissident de larmée centrafricaine, le Général François
Bozizé. NDjamena et Bangui saccusaient alors mutuellement dabriter des
mouvements armés hostiles dans leurs zones frontalières respectives. Le Président
centrafricain Ange-Félix Patassé avait alors maille à partir avec son armée que
secouèrent trois mutineries pour la seule année 1996. Partagée suivant une ligne de
fracture ethnique et régionale, sans salaire, larmée centrafricaine multiplie les
pillages devenant le principal acteur de linsécurité dans ce pays, dont les
populations otages dans un Etat en banqueroute avaient besoin dêtre libérées de
ses bourreaux patasséens; doù les Libérateurs.
La bienveillance active dIdris Déby dans le processus qui conduit François Bozizé
au pouvoir à Bangui est une réalité admise. Sagissant des modalités de cet
appui, lon sait que cest du Tchad où il sétait réfugié que le
Général rebelle lance en 2002 loffensive qui le conduit au pouvoir. De plus,
diverses sources indiquent que ses troupes comprenaient outre les éléments
centrafricains qui lui étaient restés fidèles, des soldats et autres combattants
tchadiens et soudanais présentés comme ressortissants de lethnie Zaghawa du
Président Idris Déby. Entre mécénat et mercenariat, cette troupe étrangère a
concrétisé ladoubement de Bozizé en contrepartie des promesses de rétribution
une fois le pouvoir conquis. Mais leuphorie de la victoire céda vite la place à
lamertume, générant des comportements prédateurs
Si les taux de la rétribution promise aux libérateurs et les montants exacts
reçus varient selon les sources, ces dernières concordent néanmoins pour dire que les
espoirs de ces mercenaires dun genre nouveau ont été déçus. Déception
financière, mais aussi déception sociale quand on les compare à la place des Soudanais
et des Rwandais dans les arènes tchadienne et congolaise, en contrepartie de lappui
déterminant quils ont respectivement apporté à Idris Déby et Laurent-Désiré
Kabila dans leurs marches triomphales vers la prise du pouvoir à Ndjamena en 1990
et au Zaïre devenu République Démocratique du Congo en 1997. Bien plus, diverses
sources indiquent que les libérateurs étrangers devenus encombrants pour
Bangui, nétaient pas les bienvenus au Tchad où ils risquaient de transformer leur
frustration en redoutable main doeuvre anti-Déby: « Les autorités de N'Djamena
verraient d'un très mauvais oeil le retour sur le sol tchadien de ces «Zakawa» qui
constitueraient une menace pour le pays de Déby » (Emangongo, 2005).
Le chef de lEtat tchadien faisait alors face à une succession de défections aussi
bien parmi les éléments clés du cercle restreint du pouvoir que parmi les militaires
Zaghawa qui constituent le socle de sa garde rapprochée. Rejetés à Bangui et redoutés
à NDjamena, les libérateurs deviennent un boulet apatride qui
transforme son errance en ressource aux confins poreux des trois pays où sévissait
déjà le banditisme transfrontalier.
Il importe cependant de noter que si lexpression "libérateurs" renvoie
surtout aux mercenaires Zaghawa qui ont accompagné François Bozizé à Bangui, les
acteurs du renouveau du grand banditisme transfrontalier quon désigne sous cette
expression comprennent également les milices et autres groupes armés constitués
danciens soldats de larmée centrafricaine, car en dépit des initiatives
prises dans le cadre de la Commission nationale de désarmement, démobilisation et
réinsertion (CNDDR) pour recaser quelques 6000 militaires, certains avaient
préféré garder leurs armes et se reconvertir en coupeurs de route. A ceux-là il
convient dajouter léternelle question de limplication récurrente de
militaires tchadiens dans la crise de linsécurité au Nord-Cameroun. Si lors de la
réunion de la commission mixte de sécurité entre le Cameroun et le Tchad en 1994 cette
question fut sujette à polémique, le secret de polichinelle est aujourdhui admis
comme une vérité. Ce que corrobore par exemple Mbodu Saïd, Consul du Tchad à Garoua au
Cameroun: Cest vrai quil y a des soldats tchadiens qui opèrent au
Cameroun. Ce sont des dissidents de larmée tchadienne et ceux qui ont été
chassés de la garde présidentielle. Propos de diplomates qui masquent mal
lembarras de lEtat face à des soldats tantôt dissidents tantôt
égarés qui complètent leur solde en usant de leurs armes et de leur
expertise dans lespace de non droit que sont les zones frontalières. Bien payés,
recevant une solde de survie ou accumulant des années darriérés de salaires, les
militaires dAfrique Centrale traversent une crise de genre de vie caractéristique
dune existence quotidienne dépensière (femmes, boisson, progéniture nombreuse),
dun budget mensuel déficitaire toujours à la solde des usuriers et dans nombre de
cas résultant de la reproduction dune jeunesse délinquante que les rigueurs de la
formation militaire nont pas réussi à extirper des mentalités. Autant de facteurs
de déviance de la troupe quencourage une économie de transactions à ciel ouvert
où les liasses de billets de banque passent dune main à une autre, où
largent voyage dans les mêmes véhicules et sur les mêmes routes insécures que
les opérateurs économiques.
Au total, les circonstances du changement de régime à Bangui en 2003 ont suscité
lapparition de nouveaux acteurs de la criminalité transfrontalière. Mais face à
la redoutable action répressive des Etats, il était malaisé de mener des incursions et
tendre des embuscades pendant des heures comme le faisaient les bandes armées dans les
années précédentes. Pour les Libérateurs aigris tout comme pour les
Mbororo désocialisés, la prise dotages contre rançon sest imposée comme un
moyen efficace et moins risqué de faire du butin.
Kidnapping, rançon et frontière
Au-delà de lanalyse contextuelle de la prise dotages proprement dite, cette
nouvelle modalité du banditisme sinscrit davantage dans une logique de reproduction
que de rupture . Elle pose en effet le problème des razzias post-esclavagistes. Naguère,
au temps des grands empires et royaumes précoloniaux, lhomme vulnérable passible
de razzia était la principale denrée de léconomie de traite. En tant que force de
travail et aisément convertible en devises, la quête de la marchandise humaine
sous-tendait les relations transfrontalières, quelles soient des rapports de
vassalité ou des guerres territoriales dont lun des principaux buts était
dagrandir lespace de razzias esclavagistes. Quand les colonisateurs européens
mirent fin aux razzias, le bétail supplanta lesclave dans les trafics
transfrontaliers. Les razzias de troupeaux et leur exportation vers les colonies voisines
mobilisèrent des réseaux sous-régionaux impliquant des autorités traditionnelles, les
communautés frontalières séparées par la délimitation des possessions coloniales et
des chefs de bandes passés à la postérité grâce aux chansons des griots qui louaient
leur expertise et leur courage (Saibou, 2001). Plus dun demi-siècle de répression
coloniale ne permit pas darrêter les razzias de bétail, comme si cet échec
traduisait toute la difficulté quil y avait à extirper des moeurs sociales une
pratique comportant des dimensions économiques et culturelles. Pour les pasteurs, les
razzias de longue distance connues sous le nom de rezzous, étaient des entreprises de
constitution ou de reconstitution des troupeaux volés ou décimés par les aléas
naturels. Pour les jeunes des communautés sédentaires marquées par les pressions
dun environnement politique et écologique hostile, la razzia pouvait avoir un
aspect initiatique pour les préparer à affronter les rigueurs de lexistence.
Plus tard, les marchés à bétail situés dans les zones frontalières devinrent les
lieux privilégiés découlement du bétail volé de lautre côté de la
frontière. La complicité due à lexistence des réseaux et la porosité des
frontières favorisèrent les transactions. Parmi les voleurs de bétail, figuraient de
plus en plus des militaires, quils soient issus des multiples fractions armées en
déshérence, des éléments de larmée régulière ou surtout des soldats
déflatés. Quand il devint de plus en plus malaisé et risqué de traîner des troupeaux
sur des longues distances, lembuscade ciblée aux abords des marchés à bétail se
substitua aux razzias. Les éleveurs étaient filés et attendus au moment du retour; les
bandits savaient quelle quantité dargent ils rapportaient de la vente de leurs
animaux. Progressivement, les éleveurs peuls et notamment les Mbororo, apprirent à faire
confiance aux banques, doù linstallation de coopératives dépargne et
de crédit aux abords des marchés. Les éleveurs apprirent à négocier et à vendre leur
bétail en contrepartie dune attestation de vente, dun chèque pour que
largent soit récupéré en ville. Parfois, le marché nétait plus
quune bourse de valeurs où léleveur venait exposer les caractéristiques de
ses animaux, prendre rendez-vous avec de potentiels acheteurs qui iront examiner la
marchandise en lieu sûr et y conclure la vente.
Pour les bandits, le temps des vaches maigres commence: ils ne peuvent plus razzier les
boeufs pour aller eux-mêmes les vendre; les éleveurs nempruntent plus les routes
avec des sacs dargent dans la malle arrière des véhicules. Dès lors, ce sont
désormais les parents qui sont obligés de vendre les boeufs pour aller payer la rançon
exigée. Les Mbororo en sont les principales victimes aussi bien au Cameroun quen
Centrafrique.
Pour la Centrafrique, les témoignages que livrent les migrants du banditisme réfugiés
au Cameroun, les rapports relatifs à la situation des droits de lhomme et de
nombreux documents de la presse centrafricaine rendent compte de lampleur du
phénomène dans ce pays. Interrogé à ce sujet par la radio nationale centrafricaine
lors de son journal de la mi-journée du 15 septembre 2004, un responsable de
lassociation des éleveurs de ce pays témoigne : « Je vais vous donner un exemple
: de janvier au mois de mai de cette année, trois cents enfants déleveurs ont
été pris en otages et plus de quatre cent quatre vingt dix millions ont été demandés
en rançon. Et sur le paiement qui a été fait par les éleveurs eux-mêmes, ils ont
payé plus de cent soixante dix millions. » Linterview fait suite à la
présentation aux autorités de Bangui, de dix enfants repris aux coupeurs de route par
des archers réunis au sein dun comité dautodéfense nommé «
Anti-Zaraguinas ». Lappel au secours quil lance aux hautes autorités
centrafricaines témoigne du désespoir des éleveurs : «Nous avons réussi à libérer
dix de ces enfants après un dur combat. Je vous assure que nous avons vaincu ces
Zaraguinas dans un premier temps. Mais ils ont fait appel par téléphone satellitaire à
une équipe de renforts, bien équipés et leur assaut a été foudroyant (
). Nous
sommes venus rencontrer les autorités pour nous lamenter. Nous naimons pas, à
cause de linsécurité exercée sur nous par les « Zaraguinas », quitter pour
aller au Cameroun ou ailleurs. Simplement parce que nous sommes dépassés. Nous
navons de moyens pour défendre nos parents, nos enfants et nous-mêmes. Nous
voulons travailler avec le gouvernement la main dans la main. Nous ne voulons pas fuir.
Nous pouvons nous sacrifier à cause de notre pays. Mais nous voulons que notre arc puisse
être remplacé. Si le gouvernement change notre arme blanche, nous pourrons travailler,
sinon, nous serons obligés, pour protéger nos enfants, daller ailleurs».
Si la demande dune logistique adéquate pour remplacer les armes blanches des «
Anti-Zaraguinas » est légitime, elle est cependant délicate à satisfaire, car
lidentité des bandits est une question polémique; autant des soldats sont
incriminés, autant la communauté peule elle-même nest pas exempte de tout
soupçon. Dune part lon estime que « ces enlèvements, qui sont souvent une
forme de racket permettant de se racheter un troupeau ou un règlement de compte entre
éleveurs peulhs appartenant à des tribus différentes, sont récurrents dans les
régions délevage de la Centrafrique ». Dautre part, lon indique que
« sur dix Zaraguinas, on dénombre huit Oudda, cest-à-dire les peulhs. » Ces
propos montrent toute la complexité de léconomie du crime liée au bétail.
Attaché à ses animaux, léleveur doit sen défaire pour racheter la vie de
son enfant. Commanditaires ou kidnappeurs, les acteurs des enlèvements sont conscients du
fait que la vie dun enfant est le seul moyen de chantage pour amener léleveur
à vendre tout un troupeau. En effet, le paiement de la rançon coûte parfois la valeur
de tout le troupeau, comme le montrent les prises dotages dont sont victimes les
Mbororo réfugiés dans le Sud tchadien. Pillés et rançonnés, des éleveurs deviennent
parfois eux-mêmes pillards et rançonneurs de leurs congénères: Ces phénomènes
denlèvements, qui sont souvent une forme de racket permettant de se racheter un
troupeau ou un règlement de compte entre éleveurs peuls appartenant à des tribus
différentes, sont récurrents dans les régions délevage de la Centrafrique.
Au Cameroun également, la prise dotages au détriment des Mbororo est devenue
quotidienne notamment dans les zones de Ngahoui et Djohong proches de la frontière
centrafricaine et entre Bibémi et Léré de part et dautre de la frontière
tchado-camerounaise. Les sources militaires lindiquaient clairement déjà pour
lannée 2004: «Ces prises dotages exclusivement effectuées sur les
populations dethnie Bororo, sont rendues possibles à cause du manque de
collaboration de ces derniers qui vivent en autarcie dans leurs campements craignant les
représailles des coupeurs de route. Cette situation se complique davantage par le fait
que certains otages sont séquestrés en territoire étranger, ce qui ne permet pas aux
éléments du 3è BIR dagir efficacement».
Lannée 2005 est également marquée par la fréquence des enlèvements
denfants mais aussi déleveurs et de bergers. Dès le mois davril, le
journal LOeil du Sahel faisait un bilan indigné de la situation de
linsécurité dans la partie de lAdamaoua frontalière de la Centrafrique:
«Depuis quelques mois, le département du Mbéré est devenu la chasse gardée des
malfaiteurs. Cette unité administrative est en passe de battre le record dattaques
des personnes des coupeurs de route dans lAdamaoua. Alors quon navait
pas fini de digérer la mort tragique des personnes abattues en janvier dernier par un
groupe de rebelles centrafricains dans le district de Ngahoui, cest au tour des
populations de larrondissement de Djohong, de vivre ce même calvaire à la suite de
lenlèvement de vingt deux enfants par des inconnus. Au cours de cette opération,
les malfaiteurs ont abattu deux chefs de la communauté Mbororos».
En dépit des résultats obtenus par les forces de lordre dans la répression et la
récupération des otages, linventaire des actions des bandits montre que le
phénomène tend à prendre de lampleur. Tout dabord, il se généralise dans
la mesure où ce ne sont seulement les zones frontalières qui sont concernées, car des
cas denlèvements sont désormais signalés à plus de cent kilomètres de la
frontière. Dans le même ordre didée, la frontière entre le Cameroun et la
Centrafrique nest plus la seule concernée; le Tchad subit de plus en plus les
opérations des preneurs dotages dans le sud-est notamment. A cela sajoute la
frontière nigériane, en loccurrence dans la zone délevage de Gashiga où se
concentrent les campements mbororo vulnérables face aux raids de leurs congénères
venant du Nigeria. Cet ainsi que dans la nuit du 2 au 3 juin 2004, des assaillants
mbororo venus du Nigeria voisin, mettent le village de Koza II dans la province du Nord à
feu et à sang. Neuf personnes sont tuées (égorgées ou à coup de machette), les
récoltes brûlent dans lincendie dune centaine de maisons, les assaillants
emportent de largent et une quinzaine de bufs. En outre, le nombre
denfants enlevés à la fois ainsi que le montant de la rançon exigée par enfant
semblent augmenter dannée en année; en 2003-2004, les cas étaient peu nombreux
où une dizaine denfants étaient enlevés à la fois dans le Nord-Cameroun et la
demande de rançon oscillait autour dun million de francs CFA par enfant, alors
quaujourdhui lon signale de plus en plus des cas où une vingtaine
dotages sont séquestrés pour une rançon de lordre dune centaine de
millions. Dune part, cela donne limpression que les réseaux de prise et de
séquestration dotages saffinent et prennent une dimension régionale.
Dautre part, tout comme ce fut le cas avec la recrudescence des grandes opérations
de banditisme rural, lon assiste à linstallation de la traite des enfants se
caractérisant par une plus grande prise de risque en contrepartie dune plus grande
rentabilité.
Lexigence faite aux parents de traverser la frontière pour aller payer la rançon
dans le pays voisin complique davantage la situation aussi bien pour les parents que pour
les forces de lordre. Les premiers, en particulier les Mbororo, sont à la fois
marqués par leur frilosité quasi-atavique vis à vis des détenteurs de lautorité
et traumatisés par la promesse des malfaiteurs dexécuter les otages en cas
dalerte aux forces de lordre. Les cas sont fréquents comme celui de la prise
dotages de Libong-Mbassana près de Tignère le 16 janvier 2004, où les éleveurs
préférèrent sacquitter dune rançon de 14 millions plutôt que de se
confier aux forces de lordre. Ces dernières sont quant à elles handicapées par
une logistique insuffisante (en hommes et en matériel roulant notamment) et surtout par
la timidité de la coopération sécuritaire transfrontalière ne leur permettant pas de
poursuivre, de rechercher les bandits dans leurs retraites.
Enjeux régionaux et répression
Les pages qui précèdent montrent lampleur prise par la criminalité
transfrontalière dans une région où la coopération interétatique en matière de
sécurité est mitigée. Au-delà de son impact économique et humain, le banditisme
transfrontalier tel quil sexerce aujourdhui dans les zones de
convergences des frontières du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad soulève la
problématique de la guérilla criminelle dans ce quelle entraîne comme
conséquences sur la stabilité des Etats concernés, obligés de coopérer pour contenir
la désintégration des zones frontalières, voire endiguer la formation ou la
reconstitution de groupes armés usant du banditisme comme moyen une nouvelle forme de
mécénat politique.
Des réfugiés du banditisme, du financement de nouvelles rébellions
Face à la pression des preneurs dotages et à la fréquence des exécutions
denfants ou de bergers pour non paiement de la rançon, les zones cibles des bandits
se vident de leurs habitants, tandis que fonctionnaires et autres agents de lEtat
recherchent les voies et moyens de se faire affecter ailleurs.
Depuis le début de loffensive qui avait conduit François Bozizé au pouvoir, le
sud tchadien recevait des réfugiés centrafricains. A ces réfugiés, se sont ajoutés
les migrants du crime. Dune part, les attaques des bandits sur des campements
déleveurs généralement isolés obligent ces derniers à sen aller.
Dautre part, les affrontements entre les Forces Armées Centrafricaines (FACA) et
les rebelles/bandits aggravent linsécurité, rendant difficile la pratique de
lélevage dans la mesure où il est malaisé de se rendre aux pâturages. Pour les
Mbororo qui se sont installés dans le nord-ouest de la Centrafrique pour fuir les
coupeurs de route dans le Nord-Cameroun, un nouvel exode simpose, soit vers le
Tchad, soit vers lAdamaoua. Aux départs individuels succèdent des déménagements
de campements entiers, puis des migrations impliquant des milliers de personnes conduisant
dinnombrables troupeaux de boeufs, moutons et chèvres. Le bureau du HCR à Yaoundé
estime quentre avril 2005 et juillet 2006, quelque 20.000 personnes ont quitté
leurs villages situés dans le nord-est du Cameroun, dans le nord de la RCA, ou dans le
sud-ouest du Tchad, après plusieurs attaques des coupeurs de route ou d'autres groupes
armés. Ceux qui némigrent pas se cachent dans les champs, en forêt, ou alors
rejoignent des parents dans les centres urbains.
Mais la migration ne procure pas un asile sécurisant dans la mesure où les zones de
pâturages dans lesquelles les éleveurs se replient correspondent à des espaces
fréquentés par les groupes armés. Dès lors, fuyant les attaques des bandits, les
éleveurs se retrouvent au contact dautres bandes dagresseurs, si ce ne sont
les bandes centrafricaines qui les y poursuivent: «Former centrafricans combattants
attack, loot and kill Bororo cattle keepers in the areas bordering Cameroun, forcing them
to cross the border. The ex-combattants have followed their victims into Cameroon and
caused the displacement of an additional 15,000 Cameroonians.» En effet, à
lintérieur même du Cameroun, les déplacés du banditisme sont de plus en plus
nombreux. Les zones de Djohong et de Ngahoui, naguère réputées pour la richesse de leur
cheptel et la grande fréquentation du marché sous-régional à bétail qui sy
tenait, ont dépéri. Le marché nest plus fréquenté et les éleveurs sont allés
en Centrafrique ou se sont repliés vers lintérieur de lAdamaoua. Les sièges
de villages se multipliaient, comme celui du 5 juillet 2005 à Moni dans le Mbéré ; des
bandits venus de Centrafrique ont abattu le chef de village et réquisitionné dix
habitants du village pour transporter le butin. Pareils épisodes en se multipliant
convainquent les éleveurs de se rapprocher des zones fréquentées. Cest ainsi que
le long de la route menant de Meiganga à Garoua-Boulaï entre les provinces de
lAdamaoua et de lEst, des villages spontanés se sont implantés. Là se sont
installés des éleveurs peuls et en particulier mbororo qui ont chacun une histoire à
raconter, faite de deuil, dhumiliation et de déclassement social .
Des émigrés de Rey Bouba fuyant les rigueurs de ladministration néo-féodale du
Laamiido Abdoulaye Ahmadou (1975-2003) pour sinstaller en bordure de la route
principale Ngaoundéré-Garoua aux migrants du banditisme installés le long de la route
entre Garoua-Boulaï et Bertoua surtout, lon assiste au Cameroun à la naissance
dun nouveau mode doccupation de lespace et dun habitat interurbain
triplement fonctionnel : habitat de sécurité car en sinstallant en bordure
dune route très fréquentée, les gens sont à labri des sièges des villages
par les bandits ; habitat économiquement rentable du fait de lexposition en bordure
de la route des produits de saison et autres denrées de consommation courante que les
émigrés fabriquent, cultivent ou cueillent dans la brousse environnante (céréales,
tubercules, fruits, bois de chauffe, ufs, oléagineux, nattes, chapeaux en paille,
etc.); habitat de compromis aussi dans la mesure où ils sinstallent sur des terres
vacantes en contrepartie dun tribut modique payé au lointain chef traditionnel dont
dépend le territoire, voire une prise de possession dune bande de terre forestière
que personne ne leur conteste.
Dans ce contexte dexode, les agents de létat affectés dans les zones
dinsécurité abandonnent les lieux de service : écoles primaires, centres de
santé et autres services techniques de lEtat se vident de leurs personnels qui, en
attendant laboutissement de leurs demandes daffectation, renvoient femmes et
enfants vers des lieux plus sûrs ; daucuns font la navette entre la ville où ils
résident et les villages où ils travaillent. Laffectation dans le Mbéré proche
de la Centrafrique est perçue par certains de mes interlocuteurs comme une affectation
disciplinaire, un règlement de comptes. « Ils mont envoyé au front », dit
lun dentre eux comparant sa promotion comme responsable dans la région au
sort dun sergent promu capitaine, mais sur le champ de bataille. En tout cas,
lexemple du maître de lécole publique de Biel proche de Ngahoui sévèrement
battu par les preneurs dotage venus enlever le fils du chef de ce village,
nest pas pour stimuler le zèle des fonctionnaires.
Naguère, au temps du Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT) et de la
pléthore de factions militaires qui animèrent la rébellion tchadienne entre 1966 et
1982, des mécènes étrangers procuraient aux seigneurs de la guerre la logistique, les
moyens financiers et le soutien politique nécessaires. Cétait lépoque de la
Guerre Froide et de la guerre dinfluence entre la France et la Libye. Le première,
désireuse de maintenir le Tchad dans le giron de son pré-carré francophone,
nentendait pas laisser le Colonel Mouammar Kadhafi faire main basse sur le Tchad. Ce
dernier, à la recherche de lallié providentiel qui lui permettrait de se
substituer à linfluence française au Tchad et ouvrir la voie à une plus grande
influence libyenne en Afrique subsaharienne, sessaya à soutenir successivement
différentes tendances belligérantes : «utilisation simultanée ou successive de tous
les protagonistes du conflit, permutation des alliances, vraies interventions armées et
faux retraits, conciliations et raidissements, la Libye a créé ou subi toutes les
situations imaginables au Tchad ». (Otayek, 1987 : 200) Laide militaire française,
les pétrodollars libyens ou les ressources du gouvernement soudanais étaient mis à la
disposition des parties en conflit. Argent et soutien politique faisaient le bonheur des
rebelles, car en attendant daccéder au pouvoir, ils nétaient pas dans le
manque. Comme pour les bandits, pour les rebelles aussi les temps ont changé. La Guerre
Froide est finie, Kadhafi sinvestit davantage sur le plan diplomatique pour
réaliser son dessein de leadership dune Afrique unie, la France soutient Idriss
Déby. Si Karthoum est toujours intéressé par ce qui se passe à NDjamena, le
fiasco de la tentative de prise de pouvoir par le Front Uni pour le Changement (FUC) en
avril 2006 montre que laide soudanaise comme facteur dalternance à
NDjamena na plus la même efficacité quà lépoque de la marche
vers le pouvoir de Hissène Habré et de Idriss Déby. Pour leur survie et pour
équipement, les rebelles allient banditisme et lutte politique.
Ce nest pas un phénomène nouveau que sous couvert de lutte politique des
communautés en armes ou des combattants sadonnent à des embuscades, raids,
pillages et autres modalités au demeurant polysémiques du banditisme rural. Communautés
claniques animistes contre pouvoirs centralisés musulmans avant et pendant la
colonisation européenne (Saibou et Adama, 2002) ou mercenaires lors des affrontements
interethniques dans le Logone et Chari à lextrême-nord du Cameroun dans le
contexte de louverture démocratique pour ne prendre que ces exemples, les
technologies de la violence génératrice de revenus ont affiné les modes de
rentabilisation du désordre et des carences sécuritaires de lEtat dans le bassin
du Lac Tchad. Il y a là une continuité historique qui cependant innove au gré du
contexte. Dans le cas despèce, lon assiste à lapparition de
rébellions transfrontalières dont laire dapprovisionnement épouse les
contours des espaces décrits ci-dessus et dont le sanctuaire est la zone de rencontre des
frontières de la Centrafrique, du Soudan et du Tchad. La tentative de prise de pouvoir à
Ndjamena par le FUC montre lavènement de ce nouveau type de rébellions de
plateforme, non pas porteurs de projets consistants mais associant des groupes armés
indépendants unis par le souci de revenir dans le sillage du pouvoir. La participation
des mouvements installés dans le nord de la Centrafrique à cette tentative,
léclatement du FUC au lendemain de léchec et le ralliement de son chef
Mahamat Nour au régime Déby sont autant de faits révélateurs.
Si lon ne dispose pas, en létat actuel des recherches
effectuées sur le terrain des faits permettant dattester le lien qui existerait
entre rançon et financement de rébellions en formation dans la région détude, il
reste que les témoignages et points de vues recueillis traduisent une inquiétude encore
plus grande que la pérennisation du banditisme de grand chemin. Pourvu quils aient
les moyens nécessaires, les soldats errants peuvent soffrir les instruments de leur
choix dans une région où les armes issues des multiples guerres dAfrique Centrale
circulent en dehors des arsenaux officiels. Autant le sort du régime de François Bozizé
est lié à celui de Idriss Déby, autant le sort des rébellions tchadienne et
centrafricaine opérant dans leurs zones frontalières communes semblent liées
dautant plus que cette zone est plus que jamais un espace de rencontre que lon
redoute quil devienne une aire de coopération entre les forces rebelles aux
pouvoirs de Bangui et de NDjamena: « Déjà, la crainte existe de voir le climat
d'insécurité qui persiste dans le nord de la RCA, essentiellement le long de sa
frontière avec le Tchad, représenter le signal d'une rébellion naissante. [...] Selon
les observations de l'UA, le caractère professionnel des opérations menées sur le
terrain, le recours à des éclaireurs et les itinéraires empruntés pour la retraite et
l'évacuation des blessés laissent penser que ces agresseurs ne sont pas de simples
bandits des grands chemins. En outre, la mission a prévenu que les
"ex-libérateurs", qui ont le sentiment d'avoir été abandonnés par le
général Bozizé, pourraient participer à toute opération de déstabilisation ciblant
son gouvernement. Le rapport indique également que la présence de déserteurs de
l'armée tchadienne avait été signalée dans les zones touchées par l'insécurité.
En plus, le modus operandi des groupes armés donne l'impression qu'ils pourraient, dans
l'avenir, recruter des éléments pour mener des opérations de grande envergure. »
Dans quelle mesure les rançons et les butins des embuscades contribuent-ils au
financement de rebellions émergentes plutôt quà entretenir des besogneux? Telle
est la question qui revient en filigrane dans les discussions qui transcendent la
dimension strictement criminelle des attaques des Libérateurs. Tout compte
fait, la régionalisation de linsécurité et ses corollaires que sont la
multiplication des réfugiés et des personnes déplacés dans les trois pays, ainsi que
les menaces que font peser les groupes armés sur les régimes centrafricain et tchadien
imposent aux Etats de coopérer dans la sécurisation des zones frontalières.
De la répression unilatérale à linitiative tripartite
Jusquà ce que le banditisme militaire transfrontalier devienne une potentielle
menace politique, seuls les cadres nationaux de répression fonctionnaient effectivement
dans la lutte contre la criminalité dans les zones frontalières. La coopération active
entre les forces de lordre des trois pays est tardive, car elle est consécutive aux
résultats des commissions mixtes de sécurité qui se sont tenues, pour ce qui est du
Cameroun et ses voisins, en 2005.
Contrairement aux provinces septentrionales du Cameroun où est déployé le troisième
Bataillon dIntervention Rapide (3è BIR) qui a fait ses preuves dans la
sécurisation de la région, la province de lEst nest couverte que par les
forces de sécurité traditionnelles, en loccurrence la gendarmerie. En attendant le
déploiement prochain du 2è BIR, les brigades indigentes en personnel et en logistique
peinent à contenir lexpansion du grand banditisme perpétré par des unités
aguerries, bien armées et dotées de moyen de communication sophistiquées. Aux
frontières communes de la Centrafrique et du Tchad, il est malaisé de dissocier les
opérations de sécurisation menées contre les acteurs du crime de celles conduites à
lencontre de lopposition politico-militaire. Cette confusion des ordres
politique et criminel avait gangrené par le passé la plupart des efforts de partenariat
bilatéral et multilatéral en matière de sécurité initiés notamment entre le Cameroun
et le Tchad en 1994 et dans le cadre de la Force Commune de Sécurité de la Commission du
Bassin du Lac Tchad (CBLT) en gestation depuis 1997. Nos malfaiteurs sont leurs
rebelles est la maxime qui résume la délicatesse de la collaboration entre les
Etats voisins, car combattre des bandes armées dans le cadre dune force commune ou
par-delà la frontière pourrait poser des problèmes dingérence dans les affaires
intérieures du voisin. Dans un contexte où les rebelles daujourdhui sont
susceptibles de devenir les leaders de demain, il y avait des arrières-pensées
diplomatiques par rapport à ce que demain réserve. Cest donc une nouveauté, que
sopère la coopération sur le terrain entre les forces de sécurité des trois
pays. Cette régionalisation de la répression porte des fruits: « Vendredi 8 juillet
2005, les éléments de l'armée centrafricaine se sont joints à ceux de l'armée
camerounaise pour un défilé militaire dans les rues de Toktoyo, une ville camerounaise
située à la frontière de deux pays. Les militaires ont ainsi présenté une vingtaine
d'otages camerounais initialement libérés des mains des rebelles tchadiens à Sagani, un
village centrafricain situé à 30 km de la frontière avec le Cameroun. Une libération
survenue le mercredi 5 juillet 2005, suite à une embuscade tendue par les forces armées
centrafricaines (Faca). Lors de ce défilé, les armes de guerre et munitions saisies des
mains des rebelles ont été également exposées. De quoi rassurer les populations des
deux pays et attester de la volonté des deux pays d'agir en synergie pour barrer la route
aux rebelles qui se comportaient déjà comme en terrain conquis.» (Chi Elvido, 2005).
Pour aboutir à la libération des cinquante otages camerounais et centrafricains,
larmée centrafricaine avait bénéficié du concours des militaires français de
lopération Epervier basée à NDjamena et surtout de la collaboration de
larmée camerounaise. Cette dernière fournit les renseignements qui permirent de
localiser les repaires des preneurs dotages, en même temps quelle déploya
des hommes dans les zones de Ouli, Toktoyo, Gbiti, Kentzou et Kette pour empêcher la
retraite des bandits vers le Cameroun. Cétait la première fois que trente et six
rebelles/bandits perdaient la vie dans un affrontement avec les forces de lordre.
Les résultats de cette conjugaison des efforts confortèrent le Cameroun et la
Centrafrique dans lurgence dune coopération sécuritaire formelle. Cest
ainsi quà la suite des efforts communs que la Centrafrique et le Tchad déployaient
à leur frontière commune, Yaoundé et Ndjamena réactivèrent la commission mixte
de sécurité à Maroua en octobre 2005, suivie dune réunion bilatérale entre les
autorités de Bangui et de Yaoundé à Bertoua en décembre 2005, laquelle aborda les
questions transfrontalières et consulaires. Près dun demi-siècle après
laccession des deux pays à lindépendance, la réunion de Bertoua permit de
formaliser la coopération bilatérale de en matière de sécurité entre le Cameroun et
la Centrafrique : «Abordant les questions de sécurité transfrontalière, les deux
délégations ont déploré la recrudescence du grand banditisme, phénomène se
manifestant à travers notamment l'action des coupeurs de route, les razzias dans les
villages, les prises d'otages avec demande de rançon, la prolifération et le trafic des
armes de tout calibre, l'existence des filières de vol de véhicules et de bétail, le
braconnage et l'exploitation illégale des pierres précieuses. Elles ont en outre relevé
la multiplication des incidents au niveau des frontières ; ainsi que le phénomène de la
fraude et de la contrebande qui compromet considérablement les rentrées fiscales et
douanières. Face à tous ces phénomènes, les deux délégations ont souligné la
nécessité d'une coordination et d'une mobilisation accrue des moyens en vue de la lutte
efficace contre ces fléaux. Elles ont à cet égard préconisé la sensibilisation des
populations en vue de leur implication effective dans la lutte contre l'insécurité
transfrontalière ; le renforcement et la promotion de la coopération militaire et
judiciaire; ainsi que le resserrement des bornes frontalières. [
] Par ailleurs, et
en vue de pallier à l'inexistence d'un cadre institutionnel de concertation bilatérale
en matière de sécurité, les deux parties ont examiné et adopté un avant-projet
d'accord portant création de la Commission mixte permanente de sécurité, pour
soumission à la sanction des autorités compétentes».
La mise en oeuvre et lefficacité dune telle initiative dépend certes de la
volonté politique des dirigeants, mais surtout de la qualité et de la quantité des
unités affectées à la surveille dune frontière longue et poreuse dune part
et dautre part à laptitude à sadapter aux mutations des modes et des
lieux dopération des malfaiteurs. Si le Cameroun a essentiellement des ambitions
sécuritaires avérées dans ce partenariat, il est vraisemblable que du côté de Bangui,
des considérations plus défensives sous-tendent létablissement dun cadre
bilatéral de sécurisation. A ce propos, une source rapporte la tentative
dembrigader le Cameroun dans un accord de défense qui obligerait Yaoundé à
intervenir plus radicalement dans les multiples différends centrafricains
(Ketchateng, 2005).
Conclusion
Dans ce texte, jai essayé de montrer comment le contexte du
changement de régime en Centrafrique en 2003, a créé les conditions du renouveau de la
criminalité transfrontalière, ouvert la voie à une nouvelle forme de financement de la
lutte armée dans cette partie de lAfrique Centrale et jeté les bases de la
désagrégation de la société pastorale mbororo. En substance, il ressort de cette
étude que la crise centrafricaine corrobore lidée selon laquelle en Afrique
Centrale, il n y a plus de crise nationale au sens strict du terme. Ce qui était
vrai pour les Grands Lacs, lest aujourdhui pour la zone de la Communauté
Economique et Monétaire de lAfrique dont font partie le Cameroun, la Centrafrique
et le Tchad. Lémergence des multinationales du banditisme transfrontalier, la
militarisation du crime organisé, la criminalisation et la transnationalisation des
rébellions érigent la régionalisation de linsécurité en un problème de
défense nationale pour tous les Etats concernés. Seulement, les prudences diplomatiques
et les impératifs sécuritaires imposent dabord le renforcement des moyens
nationaux de répression plutôt que de reposer entièrement sur les stratégies
sous-régionales de sécurisation transfrontalière dont la mise en pratique ne pourrait
occulter les considérations politiques.
Au demeurant, pendant que laction des forces de lordre bénéficie dun
meilleur échange dinformations entre les unités frontalières, permettant de
libérer davantage dotages et déliminer des bandits, ces derniers
sadaptent à la situation:
- Lon assiste de plus en plus à ce quon appellerait les
razzias dotages comme si les assaillants tentaient leur chance une fois
pour toutes en enlevant de nombreuses personnes pour une rançon importante
réinvestissable. Cest lexemple parmi tant dautres dune opération
survenue dans la nuit du 18 au 19 décembre 2006 à une cinquantaine de kilomètres de
Garoua, capitale provinciale du Nord. Sept Mbororo membres dune même famille sont
enlevés par un gang conduit par une jeune Mbororo de 22 ans.
- Les zones frontalières et rurales ne sont plus les seules visées,
comme le montre lattaque survenue à Bélel en décembre 2006 ou celle de Bibémi
dans la nuit du 14 au 15 janvier 2007. il sagit dune forme dinsécurité
urbaine émergente contre laquelle la coopération transfrontalière na pas de
remède;
- Les preneurs dotages locaux ne cherchent plus absolument à
traverser la frontière avec leurs victimes et exercent une pression psychologique sur les
parents: Ils nous ont dit que la date butoir pour le paiement de la rançon était
passée. Comme nos parents naveient pas réussi à tenir leurs promesses, eux
tiendraient les leurs: exécuter les otages. Ils ont pris trois de nos camarades
dinfortune et les ont tués par rafales, racontent Ibrahima et Issa, âgés de 12 et
15 ans respectivement. Profitant de la nuit, les deux enfants se sont évadés pour
rejoindre leurs parents [...] Quand au site exact dexercice, les otages les disent
très mobiles et très organisés. Ils sont une centaine de personnes armées, prenant à
tour de rôle la garde et laissant à des dizaines de kilomètres des éclaireurs sur les
collines et les arbres pour faire le guet (Djacba, 2007).
Ce sont là autant de nouveaux développements qui complexifient davantage
linsécurité liée à la prise dotages dans le Nord-Cameroun, le Nord-Ouest
de la RCA et le Sud-Ouest du Tchad. Cette situation remet à lordre du jour toute la
question des libertés de mouvement des hommes et de desserrement de létau policier
de lEtat alors même que létat de crise ambiant pourrait requérir la mise en
place dun état durgence sécuritaire dans les zones rurales.
Notes
(1) Ce sont: Groupement Polyvalent dIntervention de la Gendarmerie (GPIG) et
Bataillon dIntervention Rapide (BIR) au Cameroun, Office Central de Répression du
Banditisme (OCRB) en Centrafrique et lunité de Recherche, Assistance, Intervention
et Dissuasion (RAID) au Tchad qui reproduit le RAID français.
(2) Cest ce que résume si opportunément André Marty dans les
lignes suivantes: « Nous avons en effet été frappé par le nombre important de Bororo
devenus des bergers salariés, sans compter ceux qui se clochardisent dans les grands
centres. Ce changement est incontestablement lié à la perte du cheptel sous leffet
de plusieurs facteurs: peste bovine, mouche tsé-tsé, obligation de vendre plus
danimaux pour couvrir les besoins en raison de la chute des prix, tracasseries de la
part des agriculteurs et des autorités, paiement des dégâts champêtres sous forme
danimaux, versements de cadeaux en nature, etc. Un certain nombre de ces
nouveaux pauvres trouve des emplois de bergers salariés. La rémunération est
généralement très faible, même si les formes de contrats sont très variables: un
taurillon, des céréales, des habits ou plus souvent 25 000 F tous les cinq mois, ce qui
est nettement inférieur aux plus bas salaires de la fonction publique [...]. On comprend
alors que ces bergers soient en quelque sorte rejetés de leurs parents qui
transhument encore pour eux-mêmes. Ces derniers craignent de leur confier des animaux,
voire de leur accorder des prêts de femelles avec accès possible à lappropriation
dune partie de la descendance. Tout se conjugue hélas pour quà la perte de
lautonomie économique se mêle léquivalent dune redoutable exclusion
sociale » (Marty, 1992 : 53)
(3) Lettre de Wadjiri Ori du village de Foungoy (Tignère) à Monsieur
le Préfet du département de lAdamaoua à Ngaoundéré, 17 février 1963.
(4) Le Président, le Dr Hamadama Hassan se fait lécho en ces
termes : « Du fait que cette communauté vit en marge du reste de la société, du fait
quelle nest pas impliquée dans lémancipation et la vision moderne des
choses, elle est directement exploitable. Il ny a quà voir comment certaines
autorités administratives, certaines autorités traditionnelles, certains hommes bien
placés, comment ces hommes là exploitent les populations peules mbororo du Cameroun.
Cest véritablement un scandale. Vous connaissez les problèmes du Nord-Ouest, ici
dans lAdamaoua, vous connaissez un peu les exactions des forces de lordre qui
sérigent en hommes de justice dans les campagnes. Cest une situation
excessivement difficile, excessivement grave. Je dirais que, en ce qui concerne
lhomme mbororo, la crise a fait que le respect des droits de lhomme est
plutôt allé de façon régressive au Cameroun. Il y a 20 ans, le Mbororo ne subissait
pas la pression dexploitation quil subit aujourdhui. Malgré toutes nos
interventions au niveau administratif pour que cet état de choses cesse, les problèmes
demeurent et cest un problème fondamentalement important pour notre communauté »
(Interwievé par Abdoullahi Baba, octobre 2002).
(5) Sur cette question, voir Saïbou Issa, Chads vicinity
and ethnic warfare in the Logone and Shari Division (Far North Cameroon)
(6) « Les rebelles qui sèment la terreur dans la zone frontalière
entre le Cameroun et la RCA, sont pour la plupart des éléments ayant pris part à la
rébellion qui a porté François Bozizé au pouvoir en mars 2003. une force hétéroclite
dans laquelle on retrouvait des éléments des forces armées centrafricaines (FACA), des
engagés volontaires centrafricains, mais également ces fameux Zakawas, des
Tchadiens ne justifiant pas toujours dune formation militaire, mais rompus au combat
par les nombreuses années de guerre dans ce pays voisin [...] Seulement, nombre de ces
libérateurs, coupables de nombreux abus sur les populations à leur arrivée
à Bangui, ne seront pas intégrés dans les FACA comme ils lespéraient. Le
Programme de réinsertion des anciens combattants, basé à Bangui, initié par le
Programme des nations unies pour le développment (PNUD), ne les intègre pas dans son
action. Des sources à Bagui indiquent que les Zakawas recevront chacun 500
000 F CFA du gouvernement centrafricain avant dêtre mis en route pour retourner au
Tchad. Certains Zakawas, munis de tout larsenal de la campagne
centrafricaine, vont juste séloigner de Bangui et se positionner en seigneur de
guerre dans la zone frontalière entre le Cameroun, le Tchad et la RCA. Ils se muent en
malfrats qui profitent au maximum de la porosité de la frontière camerounaise pour
spolier, kalachnikovs au point, pasteurs et commerçants » (Ndachi Tagne, 2005).
(7) « Déroute des coupeurs de route à la frontière avec la RCA,
Cameroon-Info.Net, 14 juillet 2005.
(8) Interview de Mbodu Saïd, Consul du Tchad à Garoua, LOeil du
Sahel,
(9) Sur cette question, voir Saïbou Issa, 2004, « Lembuscade
sur les routes des abords sud du Lac Tchad », Politique africaine, 94, pp. 100-103 ;
Karine Bennafla, 2002, Le commerce frontalier en Afrique centrale : acteurs, espaces,
pratiques, Paris, Karthala, pp. 170-172.
(10) Rapportant le désarroi dun éleveur camerounais à la suite
de lenlèvement de son enfant, une source relève le changement de méthode des
bandits: «Un modeste éleveur (
) dans le Nord-Cameroun, cache avec peine ses larmes
au sortir du marché au bétail où il vient de brader à la hâte sept de ses bufs.
« Voici 400 000 Fcfa, marmonne-t-il, je viens de vendre mes bufs pour aller
chercher mon fils unique Nana quils ont pris avec eux en brousse. Passé demain
soir, ils vont lui enlever la vie ». Depuis un an les éleveurs sont devenus la cible
favorite des coupeurs de route (
). Très organisés, ces groupes dhommes
venant de toute la sous-région (Tchad, Centrafrique, Nigeria), souvent danciens
militaires bien armés, font irruption dans les villages en groupes de 20 ou 30. Ils
enlèvent les jeunes enfants qui ont moins de douze, treize ans. En effet, ceux-ci sont
sans défense et ont du mal à donner des témoignages précis qui permettraient de mettre
la main sur les brigands. En échange de leurs otages, ils réclament de fortes sommes
dargent, ce qui oblige les parents à vendre des têtes de bétail. Le premier rapt
denfant a eu lieu le 21 novembre 1996. Ce jour-là, 13 enfants issus de plusieurs
villages ont été arrachés à leurs parents. Depuis lors les enlèvements nont pas
cessé et sont devenus particulièrement fréquents depuis août» 1997.
(11) Sources : entretiens.
(12) Pour lire lensemble de linterview qui relève notamment
lorganisation de la répression, on pourra aller sur
http://www.centrafrique-presse.com
(13) « Oumarou Madiki lance un cri de cur au gouvernement pour la
protection des éleveurs », http://www.wmaker.net/leconfident
(14) « Larmée centrafricaine libère des enfants
déleveurs pris en otages », http://www.sangonet.com
(15) « Les zones de Zaraguinas dans la Kaga-Bandoro »,
http://www.wmaker.net/leconfident
(16) « Larmée centrafricaine libère des enfants
déleveurs pris en otages »,
http://www.sangonet.com/ActualitéC1/enf-eleveurs-liberes.html
(17) Sources militaires, 2004.
(18) Douworé Ousmane, « Mbéré, les rebelles tchado-centrafricains
sinstallent », Lil du Sahel, n° 161 du 18 avril 2005.
(19) Sources : entretiens.
(20) Grioo.com, 20 April 2005, Plus de 18.000 personnes fuient les
"coupeurs de route" au Cameroun
(21) Un de mes interlocuteurs témoigne sous le couvert de
lanonymat : « En rendant la transhumance impossible, en nous prenant nos
bufs, les bandits ont réussi ce que toutes les autorités depuis le temps des
Blancs, nont pas pu réaliser, à savoir contraindre le Mbororo à la
sédentarisation. Parmi nous, dans les campements dispersés dans la zone où on habitait
en Centrafrique, beaucoup de nos enfants ont été pendus. Des parents se sont laissés
mourir, des femmes ont fait des fausses couches en apprenant les interminables nouvelles
tristes. Nous sommes appauvris, nous sommes dans la détresse. Aujourdhui, nous
sommes réduits à solliciter la protection de ladministration, alors que pendant
des années, nous avons perçu cette administration comme la grande ennemie de notre
société, de notre genre de vie. Maintenant que notre richesse sest
considérablement réduite, les gens voudront-ils nous protéger ? »
(22) Anaclet Rwegayura, Correspondant de la PANA à Addis-Abeba, PANA,
Addis-Abeba 29 décembre 2005.
(23) Pour les détails de cette question, voir Saïbou Issa, 2004, « Le
mécanisme multilatéral de la CBLT pour la résolution des conflits et la sécurité dans
le bassin du Lac Tchad », Enjeux, décembre 2004.
(24) Extrait du communiqué final conjoint de la réunion de la
commission mixte ad hoc de sécurité entre le Cameroun et la République Centrafricaine,
Bertoua, 15 décembre 2005.
(25) Albert Djacba, « Bibémi : des coupeurs de route exécutent leurs
otages », Lil du Sahel, n° 225 du 29 janvier 2007.
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