TERRORISME ET ESTHETIQUE DU TREPAS1 :
par Jean Thierry Nanga Essomba,
Université de Yaoundé I
« La terreur a été le point de départ des énergies
révolutionnaires. Peut-être quaujourdhui, la vraie puissance mondiale par
rapport à laquelle tout se détermine, cest le terrorisme ».
Jean Baudrillard, in Le Nouvel Observateur, hors-série, juillet août, 2004.
Introduction
Le terrorisme est un phénomène banal et familier dans le sens où il nest ni
nouveau ni spécifique à notre époque. Mais linflation actuelle des discours qui
lui sont consacrés est sans nul doute due aussi bien à la détresse et à la panique que
son regain contemporain provoque dans les consciences quà la métamorphose
qualitative de ses stratégies de violence observée clairement depuis au moins le 11
septembre 2001 (Gueniffey, 2003). Il peut être très sommairement compris comme le fait
de recourir à des moyens marginaux et illégaux pour susciter, entretenir et propager la
peur et la terreur en vue de faire valoir une cause, de faire triompher des idéaux ou
dimposer une certaine vision. Sil est considéré comme un phénomène
absolument répréhensible quil convient de combattre radicalement, cest parce
quil porte atteinte à la vie dont il constitue dailleurs lantithèse.
Ainsi vu, le terrorisme procèderait du comportement déviant de quelques individus ou
groupes marginaux mentalement arriérés ou en proie à un délire irrationnel
(Khosrokhavar, 1998) qui les pousse à la destruction voire à lautodestruction.
Cette passion destructrice traduirait alors lemprise généralisée des pulsions de
mort sur la conscience de certains individus ainsi que leur ascendance sur le principe de
vie. Cette lecture du phénomène terroriste pourrait bien être appliquée à
laffrontement confessionnel que se livrent Chiites et Sunnites notamment sur le
théâtre irakien. Nous sommes en présence de la dégénérescence de la religiosité
vers une forme de passion mortifère où la subjectivité des adeptes est troublée par
une espèce de nécrophilie que Farhad Khosrokhavar qualifie de « martyropathie »
(Khosrokhavar, 1998). Dans ce sens, le terrorisme devient essentiellement négatif et
rentre dans la catégorie des actes que rien, aucune cause ni revendication ne saurait
justifier ; étant entendu quil existe des processus raisonnablement légaux de
propagation de la mort : ainsi des guerres et autres exécutions légales où, néanmoins,
se théâtralisent toujours de façon tragique la fragilité humaine et la cruauté de
lespèce.
Cependant, malgré sa forte prédominance, cette vision qui tient le terrorisme pour une
abomination absolue tarde à faire lunanimité lorsquelle nest pas
simplement récusée comme relevant des prises de position standardisées et
dogmatiquement hypocrites destinées à souscrire au politiquement correct très à la
mode dans le monde actuel. Aussi, bien que haïssable en soi, le terrorisme, tout au moins
dans sa phase actuelle, apparaît comme la conséquence de la métamorphose radicale et
fortement réactive de la praxis utopique que le ??è siècle croyait avoir
définitivement congédiée. Lislamisme qui en est le principal terreau contemporain
semble se revendiquer comme la nouvelle internationale postmarxiste et néo-spirituelle
décidée à faire triompher la révolution à partir des pratiques théologico-politiques
porteuses des formes dhostilité radicales. Dans sa Généalogie du terrorisme
contemporain, Patrice Gueniffey note que « ce dont témoigne le terrorisme islamique
actuel, cest de la reprise par le monde musulman de lidée révolutionnaire
qui a cessé dexercer ses ravages dans le monde occidental » (Gueniffey, 2003 :
173). Il donne donc lieu à une intensification de lhistoire et à une critique de
linertie politique tout comme il appelle à de nouvelles formes de pensée visant à
conjurer cette terreur cosmopolitique et à redéfinir les conditions dun
vivre-ensemble paisible et épanouissant pour tous.
Dès lors, une analyse rapide cèderait facilement à la tentation des représentations
binaires en traçant une ligne de partage entre ceux qui comprennent, parce
quattachés à la dimension épiphanique de lacte terroriste, ils nen
perçoivent que lhorreur nécrologique ; et ceux qui refusent de comprendre, parce
quattachés à la dimension discursive du fait terroriste, ils en donnent une
représentation intelligible et le situent dans le cadre global des violences historiques.
Ceci témoigne du fait que le terrorisme ne peut véritablement être compris que
relativement à son contexte historique démergence. Or, son hyperinflation
contemporaine procède dun contexte géopolitique où léclipse de la guerre
froide a fait surgir lunilatéralisme belliciste outre-atlantique comme nouveau
paradigme de la politique internationale. De sorte quon a assisté à une extrême
dissémination des stratégies de riposte radicales de la part des peuples marginaux et
périphériques, conduisant nolens volens à une privatisation de la violence et donc à
la mondialisation de la terreur. Ainsi vu, le terrorisme contemporain apparaît comme
cette part maudite et fortement réactive du ressentiment provoqué par le militarisme de
lhyperpuissance et sinscrit comme une modalité de la dissidence certes
extrême, mais expressive du refus de lUnique, du Même et de sa « clôture
inhumaine » (Ayissi, 2002). A ce propos, Jacques Derrida fait remarquer que « tous les
terroristes du monde prétendent répliquer, pour se défendre, à un terrorisme
dÉtat antérieur et qui, ne disant pas son nom, se couvre de toutes sortes de
justifications plus ou moins crédibles. » (Derrida et Habermas, 2004 : 156).
Quoi quil en soit, le lot de préoccupations qui, en allure de rhizome, court dans
ce travail peut se résumer dans cette triple interrogation : la vision catastrophiste et
ténébreuse du terrorisme est-elle suffisamment légitime et raisonnable au point de
frapper dobsolescence et de vacuité toute tentative de déconstruction de celle-ci?
Comment est-il possible de procéder à une intelligence du phénomène terroriste sans
être soupçonné de faire lapologie du crime, cest-à-dire aussi sans
profaner la mémoire des victimes et provoquer le bon sens ordinaire ? Bien plus, peut-on
à la fois penser radicalement et cyniquement le fait terroriste sans pour autant être
cynique en soi, cest-à-dire succomber à la tentation du nihilisme? Le défi que
représente léclairage de ce questionnement nous engage à situer notre réflexion
dans une dynamique subversive qui, comme dirait Michel Foucault, fait de
lexpérience de la terreur « le motif pour une tâche philosophique particulière
» (cité par Revaut dAllonnes, 2002 : 10); tâche à même de rendre compte des
turbulences du temps présent et desquisser des trajectoires despérance pour
un devenir optimal de lhumanité.
I Du Terrorisme et des terrorismes : la question du sens
Contrairement à ce qua pensé Michaël Walzer sans doute sous lemprise du
traumatisme post-11 septembre 2001, à savoir que « le terrorisme se laisse facilement
identifier » (Walzer, 2004 : 171), la question touchant à la définition de ce
phénomène est éminemment complexe et la difficulté des politiques ou de la communauté
internationale en général à lui trouver une définition consensuelle rend compte des
multiples enjeux idéologiques que son usage recouvre. De plus, toute tentative de
compréhension lucide du terrorisme global, notamment celui qui vise les États-Unis et
Israël se heurte à « un climat dintimidation intellectuelle » (Achcar, 2002 :
17) et au risque de procès pour anti-américanisme, antisémitisme et au soupçon de
nihilisme.
Sil est vrai que chacun a une connaissance directe ou intuitive de ce quest le
terrorisme, la difficulté apparaît néanmoins lorsquil sagit de
lexprimer clairement dans un langage, cest-à-dire au fond, de définir le
phénomène dans sa distinction avec les autres formes de violence. Selon Patrice
Gueniffey, pour mieux saisir la logique du terrorisme, il faudrait sans aucun doute
sintéresser aux divers protagonistes quil met sur la sellette de manière
active ou passive ; et généralement, ceux-ci sont au moins au nombre de trois :
lacteur qui tue, la victime qui est tuée et la cible quon veut terroriser et
contraindre. Ainsi pour ce dernier, le terrorisme se définit comme cette « stratégie
qui vise à terroriser un sujet afin de le contraindre ou de le soumettre en annihilant en
lui toute faculté daction ou de résistance, et cela, non par la souffrance ou la
mort, mais par le spectacle de la souffrance et de la mort infligées préalablement à un
certain nombre de victimes éventuellement choisies selon le principe du hasard. »
(Gueniffey, 2003 : 158). Autrement dit, la distinction entre victime et cible est
essentielle ici puisquelle permet de mieux comprendre limportance et
lenjeu de la médiatisation et des mises en scène auxquelles recourent les
terroristes afin de provoquer des chocs émotionnels capables débranler les
consciences les plus sereines. Et contrairement au meurtre ordinaire, le terrorisme vise
à produire dans les faits et dans les consciences une situation de « vulnérabilité
générale » (Walzer, 2004 : 80) dont la maxime pourrait sénoncer comme suit : «
massacrez ceux-ci et vous épouvanterez ceux-là. [Autrement dit], en tuant un certain
nombre de victimes, on se constitue un vaste nombre dotages vivants, mais terrifiés
» qui sont des cibles (Walzer, 2004 : 81).
De toute façon, si pour certains, toute mobilisation massive ou non des stratégies de
violence informelle rentre dans le registre du terrorisme, pour dautres par contre,
lenjeu fondamental pour la compréhension de ce phénomène réside dans
lanalyse judicieuse des raisons et des motivations qui gouvernent lacte. Ceci
afin déviter toute amalgame entre ce quon pourrait qualifier de terrorisme
délibéré (qui naurait dautre finalité que lui-même), et les dynamiques de
radicalité propres à des groupes marginalisés et en quête despaces
découte et démancipation. Fabien Eboussi Boulaga fait remarquer à ce propos
que « entre sociétés qui sestiment, à tort ou à raison, infiniment éloignées
par les intérêts vitaux, les murs, les idéaux de civilisation et leurs degrés
dhumanité, la distance qui permet lécoute et la visibilité devient un
abîme. Il requiert de monter aux extrêmes de lhorreur pour être franchi. A la
limite, la distance se supprime par la destruction de lautre, sans espoir
découte, en raison de son impossibilité. » (Eboussi Boulaga, 2003 : 75).
Or aujourdhui, lordre mondial dominant ou encore ce quon appelle
génériquement la communauté internationale tend subtilement à ne reconnaître comme
terroristes que ceux qui, pour ainsi dire, usurpent le droit de donner la mort ; droit qui
échoit exclusivement aux États en tant quinstitutions historiques et communautés
morales bénéficiant dune espèce dimmunité politique légitime et de sauf
conduit moral les préservant de toute casuistique. Ainsi, dans un contexte de guerre,
lÉtat qui largue par exemple des bombes au-dessus dun village dont les
habitants commettent limpardonnable offense de festoyer en lançant des feux
dartifice dans lair nest pas du tout terroriste, par-delà la réelle
terreur que suscite une telle action et les innombrables victimes dont elle se rend
coupable. De même, bombarder un établissement scolaire ou hospitalier par mégarde ou
sous prétexte quils abriteraient des terroristes ne relève pas des actes
terroristes, parce que couverts par la légalité institutionnelle de lÉtat. Il ne
sagit là que de simples dommages collatéraux. Cest dire si dans ce contexte,
le terrorisme ne se définit plus tant par sa terreur et ses victimes innocentes que par
cette usurpation privée du privilège institutionnel de violenter, de tuer et
dinfliger la terreur. Être terroriste cest donc tuer et infliger la terreur
à des innocents sans en avoir le droit ; étant entendu que les États jouissent
dun tel droit. Cette asymétrie établie entre des victimes dune violence et
dune terreur de nature identique, mais simplement propagées par des acteurs
différents, rend compte non seulement de lhypocrisie de la situation, mais encore
des enjeux idéologiques qui se foisonnent derrière ce vocable désormais ambiguë de
terrorisme. LÉtat dont la violence terrifiante se déploie sous une couverture
institutionnelle et légale bien que parfois et souvent illégitime, bénéficie
dune exonération ou dune absolution morale devant lhistoire dont
lécriture lui échoie dailleurs.
Quoi quil en soit, à ne sen tenir sommairement quau radical du mot, il
semble évident den étendre le sens à toute action intentionnelle dont le tragique
et la violence sont de nature à susciter leffroi. De sorte que le véritable
problème ou lenjeu fondamental reviendrait à élucider les causes et les
motivations du phénomène de manière à en circonscrire la diversité. Dans ce sens, il
serait intéressant de différencier nettement une forme de terrorisme substantiel en
allure de nécrophilie qui traduirait en quelque sorte la prise de pouvoir définitive de
thanatos dans la conscience de certains, dune autre forme dont Michaël Walzer
récuse le fondement réactif, en tant quultime recours des peuples marginalisés,
désespérés et en quête de libération et de Vie (Walzer, 2004) et qui se réclame de
ce fait du terrorisme éclairé. Ce dernier aurait alors prise sur le principe
despérance et de vie que représente eros dans larchitecture psychanalytique
freudienne.
Dans cette perspective, le terrorisme éclairé serait ainsi celui dont laction
revendique et préfigure, dans lhorizon de lutopie théologique, le
renversement eschatologique qui humilie les forts et les méchants et élève les humbles
et les faibles. Leffroi et la mort propagée par son action sont généreux parce
que propédeutiques par rapport au salut, à la vie pleine et accomplie. Un tel terrorisme
revendique donc une dimension apocalyptique dans la mesure où, non seulement il suscite
leffroi, mais surtout il révèle ou mieux, se révèle comme message
despérance qui annonce limminence du jugement et prophétise le triomphe du
Bien et du bonheur après les affres diaboliques et leur lot de souffrances et de malheurs
; lesquels ne sont que propédeutiques par rapport au Salut. De même, il resitue la
conscience humaine dans un tragique partage entre les pulsions de mort et le vouloir-vivre
intime que Freud a théâtralisé sous la forme dun combat de géants entre Eros et
Thanatos (Freud, 1971).
Cette symbolisation de la lutte pour la vie exige probablement de réintroduire dans
lanalyse du phénomène la catégorie hégélienne du négatif. Doù
lhypothèse selon laquelle, la forte résurgence des logiques de contestation
hyperviolentes dont le terrorisme constitue la forme sublime marque lemprise, dans
le vécu contemporain, de cette « puissance prodigieuse du négatif » (Hegel, 1941 : 29)
qui, non seulement rend compte de léchec du projet libéral duniformisation
et de satisfaction globale, mais encore réenchante les consciences des peuples aliénés
dans leur désir démancipation et de reconnaissance. Faut-il rappeler que
léchec du communisme, marqué par la chute du Mur de Berlin et la dislocation de
lempire soviétique, a été perçu comme la preuve du succès et de la « bonté
même du libéralisme ». Celui-ci était alors présenté comme étant parfaitement
satisfaisant pour lhumanité moderne puisquil accordait à tous tout au
moins dans le principe la liberté et légalité. De ce fait, il ne pouvait
plus donner lieu à des affrontements historiques, lhomme y étant libéré du
besoin et du désir. Cest du moins ce que pensait Fukuyama lorsquen 1989 il
décréta la fin de lhistoire, (Fukuyama, 1992). Mais, force est de se rendre compte
que lhistoire sest au contraire intensifiée et génère aujourdhui de
nouvelles dynamiques jusque-là insoupçonnées qui se donnent comme principaux défis à
notre (post)modernité. Ainsi des terrorismes.
Dès lors, si un certain fondamentalisme théologico-politique est absolument
répréhensible dans la mesure où il débouche sur le terrorisme substantiel, notamment
celui qui vise, soit à placer le monde global sous la régie dun Caliphat universel
(islamisme), soit à le mettre sous la régie exclusive dun cogito néolibéral
unidimensionnel (bellicisme unilatéraliste américain), en revanche, il nest pas
impossible de trouver au phénomène une certaine intelligibilité. Ceci à partir
dune analyse de la mort quil propage comme don pour la vie et donc nécessaire
puisque propédeutique par rapport au salut à venir.
II - Phénoménologie de la mort
Dans son essai intitulé Malaise dans la civilisation (Freud, 1971), Freud soutient que la
personnalité de chaque individu est traversée par une ligne de partage entre les
pulsions de vie quil appelle Eros et les pulsions de mort quil nomme Thanatos.
Celles-ci sont perpétuellement en lutte pour la domination du monde et cest dans
cette lutte que se joue le destin de la civilisation et de la vie humaine singulièrement.
Mais, sil est relativement évident de reconnaître que les pulsions érotiques
trouvent un épanchement heureux dans les relations affectivo-sexuelles et dans le labeur
multiforme où elles sont sublimées (notamment dans les créations artistiques), force
est aussi de reconnaître quune telle destination échappe encore à la puissance
destructrice des pulsions de Thanatos. Ce qui révèle incontestablement la dimension
négative de Thanatos dans lanthropologie historique. Cependant, est-ce à dire pour
autant quil faille le refouler et le bannir en tant que vecteur de destruction et de
mort ? Hegel et bien dautres penseurs1 nont-ils pas suffisamment souligné le
rôle décisif joué par le négatif dans la dynamique historique et le progrès des
murs? Quoi quil en soit, la mort propagée par le terrorisme nous semble
parfaitement revendiquer et assumer ce rôle moteur assigné au négatif dans
lhistoire. Cest pourquoi, il importe den examiner le statut et den
saisir un tant soit peu la signification.
De prime abord, il faut sans doute relever que, bien que très banale au sens où chacun
en a lexpérience à travers le départ ou la disparition (autant
deuphémismes qui témoignent du refoulement constant dont le phénomène fait
lobjet) dun ami, dun proche, etc., la mort suscite toujours une certaine
terreur dans les consciences au point où certaines nhésitent pas, comme le signale
Hans Jonas, à lappréhender comme un véritable « défaut organique, une
pathologie ontologique » (Jonas, 1992 : 40), dont lingénierie ou lutopie
biotechnologique pourrait, à la longue, nous guérir et nous préserver. Pourtant, la
mort nest que lenvers ontologique de la vie qui, en assignant un terme à
cette dernière, révèle la condition biologique du vivant en tant que soumis à la loi
du temps.
Néanmoins, par-delà la possibilité imaginaire et mythique, mais au demeurant «
positivement dogmatique » (Levinas, 1991 : 9) dune immortalité de lâme,
dune résurrection et dune vie éternelle, la mort apparaît toujours comme un
évènement limite, une "situation de terreur extrême" qui décontenance toute
conscience et provoque un sentiment de vide et un ébranlement émotionnel souvent rebelle
aux consolations. Ce qui conduit à penser quelle est inséparable de la relation
avec Autrui, car ce que nous en savons nous vient, comme latteste Emmanuel Levinas,
de lexpérience et de lobservation des autres hommes dans leur comportement de
mortels et de mourants. Dans le lyrisme métaphysique qui caractérise lessentiel de
sa pensée, Levinas présente la mort comme anéantissement et disparition du visage en
tant que lieu de réponse et expression de la vitalité. Il affirme que « La mort est la
disparition dans les êtres de ces mouvements expressifs qui les faisaient apparaître
comme vivants ces mouvements qui sont des réponses [
]. La mort est le
sans-réponse » (Levinas, 1991 : 9-10, souligné par Levinas).
Dans la perspective de lacte terroriste qui nous intéresse, cest dire si la
mort intervient un peu comme cette arme divine contre les fuyards de Sodome et Gomorrhe,
qui frappe de stupeur et deffroi ceux qui lui survivent et de paralysie complète
ceux qui en sont victimes. La question est de savoir si lacte terroriste qui donne
la mort est susceptible dêtre compris et justifié ou dêtre porteur
dune certaine intelligibilité. Aussi est-il intéressant de se rendre compte que
même la bonté et lamour divins nont pas réussi à faire léconomie du
recours au terrorisme dans des circonstances particulièrement dramatiques où
louvrage de leurs mains était menacé de corruption et de dégénérescence. Ainsi
la transformation dhumains en statues de sel par la foudre divine, le véritable «
massacre universel » que fut lépreuve du déluge (Hegel, 1971 : 3), ainsi que la
destruction par le feu céleste des villes de Sodome et de Gomorrhe (leurs habitants y
compris) rendent compte, quoiquen pensent les théologiens, dun terrorisme
cosmique primordial qui fut probablement lultime recours de la colère divine contre
la dégénérescence de sa créature et pour la rédemption de son uvre. Cest
dire si, dans lordre séculier, des circonstances de désespérance consécutives à
une longue aliénation et domination, à une extrême marginalisation, à une
rationalisation de linjustice peuvent expliquer le déchaînement du terrorisme
(Appaduraï, 2007). Celui qui en est acteur sidentifie alors quasiment à la figure
divine du justicier universel dans la mesure où il revendique, comme le note bien Fabien
Éboussi Boulaga, « un usage de la violence comme annonce et sacrement du jugement
dernier, de Dieu ou de lEsprit, de linversion eschatologique qui renverse les
puissants de leur trône et fait triompher les justes et les saints » (Éboussi Boulaga,
2002 : 81-82).
Ainsi, cest dans cette dynamique du processus historique de libération des peuples,
dans cette quête de dignité et de reconnaissance qui pousse les individus et les peuples
à des actes désespérés certes, mais répréhensibles parce que dommageables,
quil faut chercher et découvrir ce que, pour des raisons exactement contraires,
Albert Camus appelait « le principe dune culpabilité raisonnable » (Camus, 1951 :
24). Il devient de ce fait significatif dévoquer ici une figure centrale du
judaïsme à travers laquelle fut promulguée la loi universelle interdisant de donner la
mort, interdisant le meurtre. Il sagit de Moïse dont le comportement apparaît, au
demeurant, très atypique relativement à sa proximité avec la violence extrême ou la
mort. Cest que, étant au pays de pharaon lEgypte sa terre natale où
le peuple hébreux vit en captivité , il va un jour assister à une scène où un
gendarme égyptien torture un esclave hébreux. Révolté et en proie à un
bouillonnement dindignation généreuse, il va infliger la mort à
lÉgyptien (Ex.2, 11-12) et se constituer ainsi, par le fait, patriarche dune
tradition qui fera école dans lhistoire et se poursuit jusquaujourdhui.
Celle qui consiste à se placer en situation de justicier historique en perpétuant des
meurtres miséricordieux, cest-à-dire ceux qui témoignent de la commisération et
de la sollicitude à légard des persécutés et dont le but proclamé est de
remédier à leur situation. De même, sur le chemin de la Terre Promise après la sortie
dÉgypte, ce recours délibéré à la violence et à la mort va une fois de plus se
manifester chez Moïse. En effet, lorsquil descend du Mont Sinaï et trouve son
peuple en libation et dans un culte païen voué à un veau dor, alors même
quil tient entre ces mains la Table des Lois quil nhésitera
dailleurs pas à briser sous le coup de la colère table qui contient ce
commandement suprême et catégorique "tu ne tueras point" , il invite ses
disciples à se rallier à lui, à prendre lépée et à défendre leur Seigneur
Dieu en infligeant la mort aux infidèles et aux hérétiques. Selon lÉcriture, on
compta ce jour là plus de trois mille morts (Ex. 32, 19-29).
Tout ceci conduit à penser que la mort infligée comme ultime recours au nom du Salut et
de la Vie rend compte des nécessités historiques de survie ou de préservation des
idéaux spécifiques dont le terrorisme revendique et assume luvre
aujourdhui. Le terroriste apparaît dans cette perspective comme cet homme
historique qui, comme le dirait Jean Ziegler dans la tradition utopiste, « anticipe dans
sa conscience lavenir libéré de lhomme total à venir » (Ziegler, 1975 :
272). Cest dire si par-delà la laideur quasi ontologique qui est attachée à la
mort, il est possible de lui trouver des traits de beauté et des éléments de
satisfaction lorsquelle se donne à travers le terrorisme dit éclairé, notamment
celui des attentats suicides.
III - Herméneutique du suicide terroriste
Le terrorisme auquel nous nous référons ici concerne prioritairement celui qui se
déploie sous la forme des attentats suicides. On y assiste à une tragique conjonction
des disparitions simultanées de lauteur et de la victime. Il fournit le motif
dune tâche particulière qui consiste à réapprendre à dire la mort en tant
quelle procède dun désir humain, dun acte de volonté irréductible au
sentiment dabsurdité.
Dans son "essai sur labsurde" Le Mythe de Sisyphe (Camus, 1942), Albert
Camus a fait du suicide le problème philosophique majeur en affirmant que ce dernier est
absolument absurde en ce sens quil traduit un divorce entre lhomme et sa vie.
Il écrit que « se tuer, [
] cest avouer quon est dépassé par la vie
ou quon ne la comprend pas [
] ce divorce entre lhomme et sa vie,
lacteur et son décor, cest proprement le sentiment de labsurdité »
(Camus, 1942 : 18). Mais, cette conception semble appréhender lacteur du suicide
dans son individualité singulière, dans son ipséité, négligeant ainsi sa relation
avec Autrui et avec lHistoire. Or, il est indispensable de remonter aux
antécédents historiques qui rendent lacte suicidaire possible et même parfois
indispensable afin den dissiper lépaisseur dabsurdité et den
saisir lintelligibilité dans lHistoire.
Prendre librement sur soi linitiative dabréger son bail avec la vie peut
certes être le fait dune déchéance mentale ou dune dépression consécutive
à de multiples échecs et déceptions de la vie (Khosrokhavar, 1998). Dans ce contexte,
lacte du suicide ne recouvre aucune dimension héroïque et reste perçu comme le
recours des faibles. Mais seulement, lorsquun tel don de la vie à la mort
nest effectué que pour la régénération de la vie non plus celle de soi,
mais celle des autres, celle de ceux qui restent , le suicide terroriste qui propage
et tutoie la mort se réclame alors comme un acte de générosité partisane qui, au fond,
vise à fructifier et à optimiser la vie ; confirmant paradoxalement la justesse des
propos que Camus tenait plutôt contre la praxis utopique, à savoir que « la véritable
générosité à légard de lavenir consiste à tout donner au présent »
(Camus, 1951 : 380). Faire don de sa vie au présent en vue de sa subversion et de son
amélioration relève dun acte de bravoure et de courage exceptionnel qui fait
quasiment du terroriste « volontaire de la mort » un immortel, un dieu usant
judicieusement de sa liberté suprême.
La mort propagée par le suicide altruiste du terroriste prend une signification profonde
en tant quelle est volontairement assumée dans le courage et le sang-froid. Dans
cette magie de la mort où le vouloir intime de la conscience franchit par effraction les
lignes transitoires du trépas, dans ce sang dispersé et cette chair déchiquetée dans
lattentat, dans cet éparpillement absolu dun "Moi" désintégré,
réside justement lunité dune conscience historique collective qui
sanime et donne espoir. Lespoir pour ceux qui restent dêtre
probablement enfin les contemporains dun nivellement de lordre mondial et de
la restauration du règne de la justice tant attendu. Dès lors, lélément
ontologique constitutif de la limitation ou mieux de la finitude humaine la mort
devient aussi curieusement source de transcendance ; car, il fait participer le
terroriste kamikaze à un champ de rayonnement historique qui consacre sa mémoire dans
léternité vivante du souvenir et limmortalise comme nouvelle figure de
lhéroïsme politique.
Par conséquent, il apparaît quil y a bien quelque chose de
sublime dans lacte du suicide terroriste. En effet, si pour Camus, lunique
façon de prouver quon aime la vie est de la préserver par-delà ses turpitudes et
ses absurdités, le kamikaze lui fait par contre don de sa vie en tutoyant la mort pour
que ceux qui restent se libèrent du ghetto de la survie où ils passent leur vie à la
perdre et abordent enfin une existence moins clandestine, une existence normale marquée
par la vraie reconnaissance. Dans ce sens, le terrorisme apparaît comme cette «
médiation royale » (Fanon, 1961 : 60) à travers laquelle les peuples historiquement
aliénés et vivant avec le sentiment dhumiliation permanente revendiquent un
positionnement stratégique et une véritable reconnaissance qui les identifierait comme
alter ego jouissant dune visibilité historique. Faut-il rappeler quêtre
reconnu signifie jouir dune humanité, dune dignité et dun estime
incontestables.
Dans ce contexte, le suicide terroriste se donne comme un acte éminemment politique à
partir de duquel se définissent de nouvelles radicalités subversives traduisant ce que
Michel Onfray appellerait le génie colérique de lhomme, lequel engage ce dernier
à être toujours aussi rebelle que nécessaire. Un tel engagement traduit un tant soit
peu lattachement du kamikaze à la Vie car, quand vivre cesse dêtre un art
empreint dexaltation pour une catégorie considérable de lhumanité pour
nêtre plus quun exercice de pénitence imposé par dautres, il est
difficile de résister à la tentation de participer au désastre et même parfois
den parfaire luvre. Il y a ici comme une urgence tenace de faire quelque
chose, dagir, de passer à lacte, bref de faire usage de cette liberté
suprême qui ose anéantir. En injectant le vertige au sujet kamikaze, cette liberté
doser lui permet dassumer entièrement et daccomplir sa dimension
ontologique d« être-pour-la-mort » comme dirait Heidegger. Par son
auto-anéantissement, il réalise lassomption de sa dernière possibilité
dêtre avant de disparaître et de basculer complètement dans le vide et le néant.
De manière tout à fait cynique, ce vide et cette disparition subite pourraient sans
aucun doute donner lieu, sur un plan artistique, à de nouvelles intelligences des actes
terroristes marquant ce que Jean-Marie Domenach appelle « le retour du tragique » dans
la pensée (Domenach, 1967). Ce retour du tragique se déclinerait alors dans une allure
nihiliste sous la forme dune certaine « esthétique de la disparition et du chaos
qui a fortement marqué les débuts du XXè siècle. » (Virilio, 2004 : 64).
Ainsi, lacte terroriste ne laisserait pas seulement voir une vaste nécropole de
charniers qui soulèvent le cur et poussent le bon sens à la révolte. Il donnerait
aussi à voir, dans ce champ de ruines, un décor chaotique qui révèle à lhomme
ses dimensions et son potentiel jusque-là insoupçonnés. Cest donc dans la
disparition, dans cet espace du vide créé par lexplosion ou lauto-explosion,
la destruction dun lieu, dun symbole, dun corps ou dune vie, que
sappréhenderait la dimension artistique de lacte terroriste. Lémotion
esthétique générée ici par le caractère sublime2 de lattentat suicide va
précisément se traduire par cette vision de labsence, cette béance immédiate
mise en relation avec la présence primordiale qui trottine encore dans le long couloir de
la mémoire. Manifestement, il y a quelque chose de monstrueux dans cette vision
mémoriale dune présence désormais absente, dans cette soustraction ou ce vide de
la présence (Virilio, 2004).
Toutefois, il convient de noter que dans cette gigantesque horreur que constitue le décor
post-attentat, dans ce champ de ruine où tout sest éclaté et disparu, le sujet ou
lacteur bascule dans lanonymat universel en soustrayant son corps (le corps
humain) à cette uvre de sépulture qui fait archive dans lhistoire. La
destruction voire la néantisation est alors absolue. Cest pourquoi il aura beau
recouvrir une quelconque dimension esthétique eu égard notamment à sa nature
sublime -, le décor planté par lattentat terroriste demeure tragique, chaotique et
insupportable à lappréciation du bon sens.
Mais, par-delà le protocolaire et le très politiquement correct « plus
jamais ça » que lon profère de façon incantatoire face à ce décor
post-attentat, il faut comprendre que le terrorisme fournit le motif dune réflexion
radicale et dune action efficiente dont la finalité commune serait non pas tant de
déclarer ostensiblement la guerre au terrorisme en identifiant systématiquement son
acteur comme nouvelle « figure générique de lennemi » (Monod, 2006 :156), mais
beaucoup plus humblement, de niveler avec une détermination et un engagement sincères
les antécédents historiques qui, à force dintériorisation, le rendent, par
ressentiment, inéluctable. Car, une géographie et une sociologie rapides des zones
dinflation actuelle du terrorisme Afghanistan, Irak, Proche-Orient, Maghreb
conduisent à penser que ce dernier se nourrit effectivement des conditions
dexistence humiliantes imposées à des peuples dont lhistoire, la culture et
la religion aspirent, par-delà les défaites provisoires, à la dignité de
lUniversel jusque-là prétendument incarnée de manière exclusive par
lOccident (Appaduraï, 2007). Ce qui tend à faire du terrorisme, notamment dans sa
coloration islamiste, le vecteur ou le révélateur contemporain de limplosion des
altérités sous la forme redoutable dune conflagration mondiale mise en scène par
Samuel Huntington (Huntington, 1997). En effet, le fait que la quasi-totalité des
attentats terroristes soient aujourdhui perpétrés par des musulmans baignant dans
un imaginaire structuré par une théologie sacrificielle qui fait la part belle au Djihad
et au martyr semble conforter en partie lhypothèse selon laquelle, les conflits
géopolitiques post-guerre froide se cristalliseront désormais, dans le temps qui vient,
sur les lignes de fracture entre les grandes aires culturelles et religieuses (Huntington,
1997). Cependant, le fait que Samuel Huntington ait minimisé voire ignoré la portée
idéologique de ce renouveau conflictuel puisquil trahit quand même un
néo-expansionnisme islamique sur fond de négation de lAutre et de la Différence
et limmense fracture économique sur laquelle ce dernier prospère, rend son
analyse intellectuellement suspecte. Sil est vrai quon ne peut comprendre la
dynamique de violence à luvre dans le monde actuel sans une prise en compte
du fait religieux comme structurant plus ou moins majeur de celle-ci, en revanche, la
grande fracture entre gagnants et perdants (Finkielkraut et Sloterdijk, 2003 ; Derrida et
Habermas, 2004 ; Appaduraï, 2007) de la mondialisation ultralibérale en constitue
lun des ferments les plus efficaces ; de sorte que le terrorisme islamiste apparaît
de plus en plus comme une « riposte spirituelle » des perdants qui tentent, avec un
relatif succès, dintimider les gagnants par ce recours à la magie de
lextrême (Derrida et Habermas, 2004). Analysant lévènement du 11 septembre
2001, Arjun Appaduraï le présente comme une réplique proportionnelle contre le
permanent « attentat moral que représente la logique de lexclusion économique »
(Appaduraï, 2007 : 43). Ce fut un acte commis au nom dune certaine rectitude
sociale. Cest pourquoi il affirme que « le 11 septembre a été un acte massif de
punition sociale, une sorte dexécution publique de masse, une mort par le feu, le
béton et les gravats visant à punir lAmérique de toutes ses simagrées morales
dans le monde, notamment dans le monde islamique » (Appaduraï, 2007 : 34).
Toutefois, le fait que le terrorisme prospère plus aujourdhui sur les terres
islamiques où les frontières entre engagement politique et pratique religieuse sont
sinon inexistantes, du moins très incertaines, nous oblige à nous interroger pour savoir
sil existe une quelconque relation entre le phénomène terroriste, une certaine
théologie et labsence de laïcité observable dans ces régions.
IV - Terrorisme et déficit de laïcité : théologie sacrificielle et culte du
martyr
Il convient de souligner à grand trait que vouloir expliquer le déferlement du
terrorisme par les simples traumatismes historico-sociaux tels que les politiques
impériales ou dexclusion et lextrême précarité quelles entrainent
serait manifestement lacunaire et aberrant. Car, une rapide analyse comparative de la
géographie sociopolitique mondiale nous révèle que les zones qui, de manière sévère
et révoltante, font lexpérience de liniquité ou de linjustice
ultralibérale se retrouvent pour la plupart en Afrique et, dans une certaine mesure, en
Amérique latine. Or, ce nest précisément pas dans ces terroirs que fleurit le
terrorisme ou du moins quémergent les terroristes. Ceux-ci émergent dans des aires
culturelles fortement influencées par le fait religieux, notamment islamique. Ce sont des
sociétés qui nont pas encore pu ou voulu établir un partage clair entre la
pratique politique dessence collective et de compétence publique et la pratique
religieuse individuelle et donc de compétence privée. Ce déficit de laïcité est de
nature à rendre propice le développement de toute sorte de fanatisme et hypostasie la
quête du royaume invisible et parfait comme la fin dont le vécu temporel cherche
laccomplissement, fut-ce par la médiation du trépas.
Dès lors, la sublimation de lau-delà qui en découle entraine une dévalorisation
de lexistence temporelle qui ne représente plus dans limaginaire des fidèles
quun épisode dimpureté transitoire sans densité ontologique ni consistance
axiologique. Quoi de plus légitime dans ce contexte que den faire lépilogue
au travers dun terrorisme dattentats suicides dont la double fonctionnalité
est non seulement de châtier les autres (tous ceux qui ne sont pas soumis,
cest-à-dire qui ne partagent pas la foi musulmane, étant donné que musulman
signifie soumis) pour leur infidélité, mais aussi de se libérer soi-même de
limpureté immanente à la vie et gagner la béatitude et la pureté célestes.
En plus, la culture victimaire fondée sur le présupposé de linnocence des soumis
contribue également à cette dégénérescence de la religiosité vers la martyropathie
(Khoroskovar, 1998). Le martyr est celui qui, étant mort pour la défense ou la
propagation du Royaume dAllah, est accueilli dans sa demeure Harem de
jouissance sans fin. Ainsi le kamikaze se considère comme une victime et un martyr. Car,
le refus des infidèles de se conformer ou de se soumettre à cette foi qui oblige à
prier courbé cinq fois par jour tout comme leur vie impudique et luxuriante interpellent
le soumis à les châtier en se donnant lui-même la mort. Tout ceci est nourri et
conforté par une « théologie de lintolérance et de la haine » (Césari, 2004 :
150) développée par certains imams et autres Oulémas ingénieux producteurs
dorthodoxie dont la rhétorique radicaliste prêche lextrémisme et
appelle souvent explicitement à lanéantissement de lautre.
Dans ce contexte, le radicalisme théologique dont le djihad en est lexpression dans
le monde musulman tout comme le monde chrétien connut les croisades et
linquisition trouve sa cristallisation sociopolitique dans ces régions du
monde où la pratique politique na pas encore trouvé une forme dexpression
autonome émancipée de tout obscurantisme spirituel. Ainsi dans ces sociétés,
dinnombrables populations psychologiquement vulnérables et spirituellement
manipulables sont livrées à lautorité des régimes politiques baignant dans un
obscurantisme religieux qui empêche, comme le souligne fort bien Jean-François Revel,
lémergence dune « civilisation tolérante où le blasphème est devenu,
comme la foi, une affaire privée » (Revel, 1992 : 373).
Ce recours au paradigme religieux dans la compréhension du terrorisme contemporain prend
un sens particulier lorsquon sintéresse de près aux multiples formes de
violence qui travaillent globalement les sociétés islamiques. En effet, à travers les
lapidations et les exécutions notamment, on assiste à des formes de mise en scène
singulière dune cruauté inquiétante dont la compréhension ne saurait faire
léconomie du recours au rituel sacrificiel de René Girard (Girard, 1972).
Sil est vrai que le rituel sacrificiel apparaît comme une constante théologique
dans la mesure où il est présent chez les anciens Egyptiens, chez les Indous, chez les
Grecs, etc., son appropriation par les « trois monothéismes » est aussi évidente bien
quatypique. En effet, le judaïsme, le christianisme et lislam ont tous connu
leur période sombre où lobscurantisme et le fanatisme ont donné lieu à des
ignominies et des conduites meurtrières au nom de Yahvé, de Dieu ou dAllah. Mais
il semble quand même que le travail dautocritique, de tolérance et
dhumanisation entrepris par le judaïsme et surtout par le christianisme, sous
léclairage des Lumières, tarde encore à toucher le monde islamique. Le
christianisme par exemple qui est fondé sur un meurtre rituel la crucifixion du
Christ qui, par ailleurs, exprima lexigence dune laïcisation en recommandant
de savoir faire la part des choses entre les exigences de César et les obligations de
Dieu a réussi à sublimer celui-ci et partant, à sauto-immuniser contre le
délire de la violence meurtrière. En effet, dans la religion chrétienne, cette
sublimation du meurtre fondateur où se métamorphose la théologie sacrificielle
transparaît dans la liturgie. Celle-ci se donne comme la mise en scène symbolique
dun rituel sacrificiel où lhostie consacrée se donne comme loffrande
et la victime dont la chair et le sang sont consommés dans la communion qui rappelle le
pacte de sang entre Dieu et les hommes et renouvelle leur alliance. Ici se construit une
fraternité symbolique qui, en raison du sang historiquement versé en commun, interdit
justement le meurtre dans le présent et dans le futur. Cest cette fraternité
symbolique qui construit une religion à hauteur dhomme, une religion pour
lhomme où la tolérance et le pardon sont consacrés.
Par contre, lislam semble ne se déployer que sur le versant de la violence et de
lintolérance à partir dune confusion délibérée ou non entre valeurs
humaines et ordre divin, vertus sociales et principes transcendants. Alors que le
judaïsme tout comme le christianisme ont connu une existence autonome pré-étatique
avant leur étatisation puis leur désétatisation, à linverse, note Marc Ferro, «
lislam, dès lorigine, est à la fois Etat, pouvoir politique et communauté,
lensemble ne faisant quun avec la religion [de sorte que] des distinctions
telles que la séparation entre lEglise et lEtat et celle qui se formule entre
la vie privée et lordre public n [y] ont pas le même sens que dans le monde
chrétien » (Ferro, 2003 : 13). Ce qui, en tout état de cause, laisse penser, sans pour
autant désespérer, que le processus de sécularisation longtemps entrepris par le monde
judéo-chrétien aura plus de difficultés à prendre corps dans le monde islamique, de
manière à permettre que sy incarne le principe de la laïcité si cher à notre
modernité.
Quoi quil en soit et par-delà la sombre vision qui succède à lacte
terroriste, il convient de rappeler quil faut faire preuve de courage pour voir dans
le terrorisme même le lieu où, par la distribution généralisée du stress, de
langoisse et de la panique, sinstalle une espèce de « civilisation panique
» (Sloterdijk, 2000 : 83) où sexprime en même temps que lextrême
vulnérabilité de la civilisation, le motif dun possible nouveau recommencement.
V - Panique et recommencement : du terrorisme comme catastrophe
didactique ?
En tant que manifestation radicale de la réactivité humaine, le terrorisme pourrait
traduire une souffrance narcissique et un besoin de reconnaissance de la dignité des
individus et surtout des groupes vivants avec le sentiment de déconsidération et
dhumiliation permanente. Sil est diversement apprécié selon quon en
est victime ou acteur, on peut toutefois conceptuellement le comprendre comme un processus
de libération dune violence inouïe destinée à marquer les esprits par la stupeur
et à bousculer linertie des politiques. En effet, par lextrême terreur
quil suscite du fait de sa nature horrible et de son peu de scrupule, le terrorisme
génère la panique dans les consciences et provoque la débandade sociale. Cest
dire quen contexte de terrorisme global, lhomme se présente comme un être en
déficit dassurance, tâtonnant, désorienté et en perpétuelle quête de
forteresses plus sûres. Linquiétude et langoisse investissent ainsi
négativement la conscience humaine sous la forme dun délire ou dune
obsession sécuritaires aujourdhui perceptibles dans des occasions de grandes
rencontres internationales, dévènements de grande envergure. Les "grandes
circonstances" sont ainsi redoutées parce que susceptibles de fournir
loccasion au déclenchement dactes terroristes. Cette panique dont le
terrorisme global est le vecteur constitue un fait marquant de notre modernité
puisquelle met à nu la vanité même des symboles de la puissance, de
larrogance et de lorgueil humains et lextrême vulnérabilité de
lhumanité. Pour le philosophe Sloterdijk, elle sannonce comme la « version
postchrétienne et néo-païenne de lApocalypse » (Sloterdijk, 2000 : 84).
À partir du moment où la panique révèle à la conscience universelle la réalité de
la menace, la proximité du danger, limminence désormais permanente de la
catastrophe, le terrorisme qui en est la dynamique actuelle apparaît véritablement comme
un acte à la fois monstrueux et scandaleux3 dont limportance se mesure à
laune de sa négativité. En effet, la conscience de la vulnérabilité de
lhumanité conjuguée à celle de la proximité de la catastrophe ou de la
destruction doit dune part, engager la pensée à redéfinir les conditions de la
sécurité totale pour lhumanité et dautre part, déterminer laction à
des dynamiques de nivellement et dintégration globale. Bref, à mesure que croît
la panique parce que la menace terroriste suniversalise et devient imminente,
lurgence simpose aussi de faire quelque chose, cest-à-dire
délaborer une véritable biopolitique qui ne soit plus fondée sur
lexclusion, le mépris et le rapt, mais sur lintégration et la
reconnaissance. Celle-ci serait alors la marque de la civilisation qui confirmerait en
quelque sorte la justesse de la pensée de Sloterdijk selon laquelle lhomme aurait
besoin de catastrophes pour découvrir son potentiel optimal dans sa totalité et donner
naissance à des conduites de sagesse. Il écrit notamment à ce propos que « Cest
seulement grâce à la proximité dexpériences paniques que des civilisations
vivantes sont possibles. Cest seulement la démesure, vécue à loccasion, qui
dégage un domaine humain mesuré où on peut cultiver les choses pour lesquelles nous
sommes compétents. » (Sloterdijk, 2000 : 84).
Par ailleurs, une longue tradition philosophique allant de Héraclite à Marx en passant
par Hegel nous rappelle la vérité essentielle que la modernité actuelle redécouvre
dans une brutalité tragique, à savoir que le conflit est justiciable de tout devenir,
que la lutte, la guerre et la violence sont les moteurs essentiels de lhistoire
globale de lhumanité (Szczyglak, 2002). Notre humanité nest pas sans nous
rappeler aussi lextrême vulnérabilité de notre condition de fragile roseau
exposé à la précarité de la vie, exposé à ce que Habermas nomme « la négativité
des risques de toute existence » (Habermas, 1974 : 49). Aussi, le défi majeur auquel le
terrorisme nous confronte consiste-t-il sans doute à soustraire lhomme total à la
menace dune mort violente, dune disparition spontanée et définitive en
uvrant à létablissement dun biopouvoir, cest-à-dire une
pratique politique mondiale vouée et dévouée à lentretien et à la préservation
du processus vital global. Lurgence consiste à conjurer non seulement les pulsions
totalitaires de lhyperpuissance et son appétit lucratif, mais aussi
lintégrisme des groupuscules néo-barbares dont lerrance et la violence
communes traduisent lexil du socle axiologique des Lumières et de lhumanisme.
Il sagit de développer de nouvelles manières dhabiter le monde impliquant
lintégration et la reconnaissance de lAutre ainsi que la valorisation de la
Différence (Szczyglak, 2001). Cest lidée quexprimait Hannah Arendt en
parlant de limpératif pour lhomme moderne de bâtir un « monde commun »
(Arendt, 1961 : 66) où la signification politique de notre condition commune
dêtre-dans-le-monde serait attachée à lharmonie du vivre-ensemble.
Mais, le travail laborieux de construction dun tel monde ne saurait véritablement
se faire sans une reconsidération radicale des responsabilités quinduit la
définition aristotélicienne de lêtre humain comme animal politique. En effet, si
le prédicat politique fait aspirer lhumain à des valeurs plus ou moins abstraites
telles la liberté, la responsabilité, la moralité, la reconnaissance, etc., il faut
aussi rappeler que le sujet animal a primordialement besoin dêtre nourri, soigné,
vêtu, protégé, etc. Car, faut-il encore le souligner, lhypertrophie exclusive
dun des termes de ce couple (animal politique) entraîne toujours des conséquences
sociopolitiques fortement dommageables. Autrement dit, il est nécessaire délaborer
des pratiques politiques qui prennent en charge lépanouissement biologique de
lanimal politique de manière à ce que la vérité attachée à son corps, au corps
humain4 ne puisse pas seulement apparaître lorsquil est désormais trop tard,
cest-à-dire après le désastre, après lattentat, après la destruction
voire lautodestruction.
Cependant, aussi longtemps que des masses considérables dindividus issus de groupes
socioculturels atomisés et en errance auront toujours le sentiment révoltant de porter
historiquement sur leur dos une espèce de selle universelle destinée à conforter la
chevauchée conquérante de ceux qui croient être naturellement dotés de bottes et
déperons5, aucune espèce de bouclier immunitaire ne saurait soustraire qui que ce
soit de lexposition universelle à la menace terroriste. La construction des
territoires de linvulnérabilité dans un monde globalisé est désormais vouée à
léchec. Appelé à partager les mêmes espaces de circulation, les mêmes circuits
de communication, à assumer les mêmes risques, nous sommes à jamais condamnés à la
confiance car, quoiquon fasse, la damnation ou le salut seront universellement
partagés.
Conclusion
Lavalanche terroriste qui a consacré lattentat suicide comme son paradigme
essentiel et dont le 11 septembre 2001 aux États-Unis est incontestablement la
manifestation sublime se donne à voir comme le Vendredi saint de la (post) modernité et
de la posthistoire. En ouvrant, pour ainsi dire, sa (longue ?) page nécrologique, elle
laisse entrevoir le danger quun regain de barbarie perce à lintérieur même
de la civilisation. Car, comment comprendre et expliquer la joie tragique ou la jouissance
explosive quéprouvent et manifestent certains devant le spectacle dramatique et
désolant du lent accouplement de lAutre avec la souffrance et la mort dans
lattentat suicide, si on ne prend pas dabord en charge la violence en amont,
des processus de spoliation, daliénation et dexclusion ? Dans ce contexte,
comment éviter que se développe une espèce de sympathie rusée avec tout acte
terroriste porteur dun projet politique civique et dont le rapport à la cible ne
souffre en toute bonne foi, daucune dénonciation moralisante. La justesse et le
sens du discernement dans le choix des cibles et de leur anéantissement devant, de ce
fait, faire lobjet dune minutie extrême afin déviter par exemple ce
que leuphémisme politique outre atlantique nomme pudiquement les dommages
collatéraux. Ceci témoignerait alors de la pureté de cur, de la justesse de
lintention et de la noblesse du combat ou des revendications terroristes. Cest
par exemple ce que Camus tente de montrer dans Les Justes où, en sinspirant de
lattentat historique contre le Grand-duc Serge de Russie vers 1905, il met en scène
un certain Kalieyev qui éprouve des réticences et refuse de lancer sa bombe contre la
calèche de ce dernier car, ses neveux sy trouvent avec lui. Plus tard, il fera
exploser la bombe lorsque le duc sera seul et laura alors anéanti sans aucun
dommage collatéral (Camus, 1973).
Cela dit, il faut être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître quil est absolument
vain de chercher par exemple derrière laction globale des « ben ladenistes » un
quelconque projet politique civique qui soffrirait comme véritable alternative
viable au conformisme individualiste, au néolibéralisme, à lhyper-individualisme
dominants. Au contraire, la propagande et lactivisme de la mouvance Al-Quaïda
semblent plutôt traduire aussi des velléités conquérantes dun islam
néo-impérialiste désespérément en quête dune position de monopole absolu dans
le monde. Il est de ce fait compréhensible que certains intellectuels dénoncent son
action et la considèrent tout simplement comme le « jumeau diabolique du système »
(Baudrillard et Morin, 2003 : 29) quil prétend combattre. Seulement, si
lattentat du 11 septembre 2001 par exemple a été majoritairement sympathique à
tous ceux qui subissent dans lhumiliation permanente larrogance du pouvoir
américain, cest en partie parce quil représentait un tragique dévoilement
du substantiel affrontement entre deux théologies politiques : le djihadisme mondial et
le messianisme belliciste. La grande pierre dachoppement symbolique de ces deux
utopies est Jérusalem, cest-à-dire au fond, linacceptable asymétrie entre
la réalité dIsraël et la virtualité de la Palestine (Derrida et Habermas, 2004).
Mais, si lattaque et la destruction des sites symboliques du pouvoir messianique
(Tours jumelles, Pentagone, etc.) ont été saluées voire acclamées comme victoire et
triomphe symboliques des déshérités et des faibles qui ont réussi, par cet exploit, à
affecter profondément le narcissisme américain en lui rappelant tragiquement, comme le
remarque si bien Peter Sloterdijk, que « le luxe du style de vie et le luxe de
linvulnérabilité sexcluent mutuellement » (Finkielkraut et Sloterdijk, 2003
: 118), en revanche, les multiples victimes innocentes qui y ont péri restent à
déplorer et ne sauraient en aucun cas se justifier.
Quoiquil en soit, en démocratisant linsécurité et la
mort brutale, le terrorisme apparaît comme un faisceau dont la luminosité, bien
quincandescente, jette en clair-obscur un rayon sur la condition du monde actuel,
les incertitudes, les menaces et les dangers qui le guettent. Au cur même des
processus de civilisation se développe et prend forme, dans une allure nihiliste et
radicale, une dynamique de barbarie qui rend compte de linadéquation et de
lextrême précarisation de la vie. Ce danger, Hannah Arendt lavait déjà
perçu en son temps lorsquelle écrivit que « Le danger est quune
civilisation globale, coordonnée à léchelle universelle, se mette un jour à
produire des barbares nés de son propre sein, à force davoir imposé à des
millions de gens des conditions de vie qui, en dépit des apparences, sont des conditions
de vie de sauvages » (cité par Hersh, 2005 : 10).
Néanmoins, sil importe de « séjourner auprès du nihilisme que représente une
politique de la vie qui prétend trouver ses fondements dans la circulation généralisée
de la mort » (Mbembé, 2005 : 18), cest pour comprendre que, quoique dommageable et
répréhensible à maints égards, le terrorisme, en tant quexpression de la colère
de lHomme aux prises avec les désarrois de lHistoire, est porteur dun
message dont le décodage requiert une grande clairvoyance et une suprême lucidité. Il
fournit à loccasion le motif délaboration dun travail critique sur les
processus qui y conduisent et les mécanismes susceptibles de le rendre impraticable et
définitivement impossible et inutile. On comprend dès lors que lenjeu de la
question du terrorisme soit fondamental pour ne pas être laissé aux seuls
fondamentalistes, quils soient politiques ou religieux, structurels ou nébuleux.
Notes
1. De prime abord, il faut être quitte du reproche ou
du procès qui pourrait être intenté à lauteur de la présente réflexion de
verser dans une espèce de néokantisme grotesque et démoniaque en voulant réaliser une
esthétique du trépas qui, probablement, appliquerait le concept de sublime à des actes
de destruction et dautodestruction de cette vie humaine dont le respect de la
dignité était précisément pour Kant le devoir suprême. En fait, il nen est
rien. Tout simplement, il est question, dans ce va et vient quasi fatal entre la tragédie
et lutopie qui constitue la marque de lhistoire universelle, de tenter de
construire lespérance à partir dune méditation sur la violence et ses
usages radicaux contemporains. La vulnérabilité de ce travail et la faiblesse de son
auteur certainement pas son tort réside sans aucun doute dans le fait
davoir envisagé et mené cet exercice dans un horizon délibérément subversif.
2. En effet, bien quil soit celui qui théorisa clairement
lidée dun travail du négatif notamment dans sa Phénoménologie de
lesprit (Hegel, 1941), Hegel nest ni le premier, ni le seul à avoir exprimé
lidée selon laquelle, la concorde humaine et la dynamique de progrès sont
généralement impulsées par lexpérience de la douleur, de la contradiction et de
la violence. Déjà dans lAntiquité, Héraclite faisait de la guerre (polemos) une
constance historique à partir de laquelle advient lharmonie des contraires,
lharmonie universelle (Héraclite, 1986). Ensuite, même Emmanuel Kant qui envisagea
la possibilité dune paix perpétuelle fut sensible, dans sa fiction cosmopolitique,
à ce quil nommait linsociable sociabilité de lhomme ;
cest-à-dire cet antagonisme anthropologique certes justiciable des luttes
historiques, mais aussi levain du progrès et de la cohésion sociale (Kant, 1985). Enfin,
point nest besoin de rappeler toute limportance que Karl Marx accorde à la
dynamique de violence dans son projet révolutionnaire de nivellement sociopolitique
(Marx, 1962).
3. Sans aucune intentionnalité subjective en allure de nihilisme,
le terme sublime est employé ici dans le sens que Kant lui assigne dans lanalyse
quil en fait à travers sa critique du jugement. A savoir quil désigne une
représentation de quantité ou mieux une évaluation esthétique de la grandeur en tant
quelle suscite un sentiment de déplaisir ou de plaisir négatif. (Kant, 1985).
4. Nous empruntons ces expressions au philosophe allemand P. Sloterdijk. Pour ce dernier
en effet, le monstrueux et le scandaleux renvoient à des réalités qui, de par leur
nature démesurée et choquante, bousculent linertie et permettent à un monde
fortement individualisé de "se retrouver" et de repenser lêtre-ensemble.
Cest pourquoi il estime que le « scandale produit la synthèse sociale ». Voir
notamment, La Mobilisation infinie. Vers une critique de la cinétique politique, 2000 ;
Lheure du crime et le temps de luvre dart, 2000.
5. Lapport dAristote dans lanthropologie
philosophique est considérable voire révolutionnaire. Ceci parce que Aristote établit
que lhomme doit être à tout jamais appréhendé comme lêtre dont la nature
est biologiquement orienté vers un mode politique dexpression ; et aussi dans la
mesure où, en insistant sur le corps comme catégorie dont la santé et
lépanouissement échoient en priorité au politique, il opère une rupture avec le
platonisme qui vouait quasiment le corps aux gémonies et prônait une pratique politique
attachée plutôt à lépanouissement de lâme.
6. Cette allégorie se rapporte aux propos de Thomas Jefferson suivant lesquelles la
diffusion globale des Lumières a permis de comprendre que « la masse des hommes
nest pas née avec une selle sur le dos [et qu] il ny a pas non plus de
privilégiés, dotés de bottes et déperons, qui soient nés pour les chevaucher
légitimement grâce à Dieu. » (Cité par Fukuyama, 2002 : 30).
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