par
Paul NUEMBISSI KOM ATER/FSJP
Introduction
La stasiologie, science des partis (Duverger 1976 : 551), au même titre que la cratologie
ou la statologie, est une branche canonique de la science politique. Mieux, «
létude des partis politiques est presque aussi vielle que la science politique »
(Charlot, 1971 : 3). Selon Monthero et Gunther (2003 : 3) plus de 11 500 livres ont été
publiés sur les partis politiques. Alors même que les nombreuses études peuvent faire
douter de lutilité détudes supplémentaires sur les partis, un constat
simpose :
il y a un certain retour à une littérature de la névrose dans
le champ détudes des partis qui nest pas sans rappeler les études
fonctionnalistes du début du siècle. A un discours en termes de « déclin des partis »
(Ware, 1996 : 13), de « fin des partis en Occident » (Offerlé, 2002 : 126), de la «
crise de partis » (Monthero et Gunther, 2003), « characterized by its somewhat
fatalistic analysis of the organizational, electoral, cultural and institutional symptoms
of party decline » (Monthero et Gunther, 2003 : 8), soppose un autre discours
mettant en avant leur caractère « irremplaçable » (Doherty, 2001) ou encore leur «
indispensabilité », (Katz et Mair, 1995 : 25). Cette analyse subjective en termes
dâge dor et de déclin montre à quel point les partis ont cessé
dêtre considérés comme des « choses » au sens de Durkheim (1987 : 15),
c'est-à-dire des faits sociaux que lon étudie froidement, pour devenir un objet de
toutes les passions.
il y a un contraste saisissant entre labondante
littérature consacrée aux partis occidentaux et la relative faiblesse de celle dévolue
aux partis politiques dailleurs, notamment ceux dAfrique. Lengouement
pour létude de ces derniers dans lEtat colonial et lEtat post-colonial
de la première génération (Apter, 1965 ; Lavroff, 1978 ; Coleman et Rosberg, 1960 ;
Sylla, 1977 ; Schachter-Morgenthau, 1998 ; etc.) a fait place à une suspicion à leur
égard depuis les années 1990. Les « tares » généralement attribuées à lÉtat
en Afrique leur sont transférées : patrimonialisés (Médard, 1990), faiblement
institutionnalisés, autoritaires, sans idéologies (Buijtenhuijs, 1994 ; Vaziri, 1990 ;
Konings, 2004) ou encore faiblement idéologisés (Van De Walle, 2004 : 113), etc. Ici, le
discours de lhomme de la rue et lagenda des bailleurs de fonds semblent avoir
pris le pas sur lanalyse scientifique. Lintérêt est porté sur la société
civile, les ONG, les « modes populaires daction politique », (Bayart et al, 1992 ;
Badie, 1992 : chap. 5).
Ce double constat explique pour une large part la faiblesse et
labsence dune théorie générale des partis politiques relevée par Blondel
(2003 :247-264). Doù lintérêt dune revue critique qui prenne en
compte luniversalité du phénomène partisan. Les dernières revues de ce genre se
sont soit limitées à une aire géographique donnée : létude des partis
politiques aux Etats Unis (Reiter, 2006), des partis occidentaux en général (Monthero et
Gunther, 2003), des partis africains (Carbone, 2006 ; Gazibo, 2006), soit, se sont
appesanties sur un aspect précis du phénomène : lorganisation partisane (Rihoux
(2001), ou alors à une simple recension des ouvrages majeurs publiés dans le domaine de
létude des partis (Wolinetz, 2007 ; Van Biezen, 2005 ; Charlot, 1971). Dans la
plupart des cas, lobjet « parti politique » est pris comme une donnée naturelle,
un fétiche quon ne prend plus la peine de définir.
Cest en prenant acte des apports et des limites de ces travaux
que nous faisons le choix dinscrire cette revue sur les partis dans une double
problématique, celle large de la scientificité et celle spécifique de la politique
comparée. Autrement dit, comment lobjet « parti politique » sest il
constitué et quelles sont les méthodes qui lui sont appliquées lorsquon
létudie ? Car, dans la perspective de Durkheim (1987 : 3), « avant de chercher
quelle est la méthode qui convient à létude des faits sociaux, il importe de
savoir quels sont les faits que lon appelle ainsi » ; ensuite, dans la
problématique de la politique comparée, les paradigmes de luniversalisme et du
relativisme culturel seront mobilisés. Cette posture méthodologique nous permettra de
voir comment un concept construit ailleurs est reçu et appliqué en Afrique, Dans la
mesure où ce qui nous intéresse au final ce sont les partis africains.
Dans cette perspective, après avoir passé en revue le concept de
parti et les diverses écoles détudes existantes (I), nous verrons si ce concept et
ces théories font sens en Afrique (II).
I - Des partis politiques en général
Il existe deux méthodes pour déterminer les caractéristiques
dun fait social : sa définition rigoureuse, mais surtout, la revue de la
littérature pertinente, car elle permet plus sûrement de mettre en relief les positions
théoriques que la recherche retient comme pertinentes.
A - Ce que « parti politique » veut dire : entre polysémie et unicité
Il est difficile de définir un parti parce quil sagit
dun « concept formé en dehors de la science et pour des besoins qui nont
rien de scientifique » (Durkheim, 1987). Ce faisant, il est forcement chargé de valeurs
et didéologies. Sa définition est hantée par le normativisme et le positivisme.
1 - Le parti comme concept polysémique
Le parti en tant que concept polysémique résulte de lhistoire
du mot. Il sagit dun phénomène social étudié avec tous les préjugés. Il
est substrat didées contradictoires. Dans cette perspective normative, il rime avec
désordre, scission, division. En tant que fait social, les partis politiques ont une
histoire donc lorigine se situe en occident. En tant que objet scientifique, il est
plus récent et commence dans une certaine mesure avec M. Ostrogorski.
a - Un phénomène social ancien
Le phénomène social quon nomme « parti politique » a une
longue histoire dont on peut rendre compte à partir de létymologie du mot
dune part et du développement de la chose dautre part.
Du point de vue étymologique, on constate que « parti », derivé du
latin partire, signifie diviser (Sartori, 1976 : 4). Pour Seiler par contre, « parti »,
« partido » « party » « partito », « partei », « partia » en russe ou en
polonais, « part » en Hongrois dérive dun verbe français aujourdhui
disparu : « partir » qui signifiait faire des parts. Une signification qui implique, de
manière très claire, laction de diviser une totalité quelconque. En effet, le «
concept de parti renvoie toujours à la division donc au conflit, ce qui explique
limpopularité initiale des partis et la volonté exprimée par toutes les
idéologies totalisantes, tous les populismes, den finir avec les partis, ces
éternels diviseurs » (Seiler, 2001 : 6). « Parti» sera ainsi utilisé tour à tour
pour désigner une troupe militaire dirréguliers, une faction armée organiquement
constituée, une faction politique, avant de revêtir sa signification actuelle (Seiler,
2000 :8 ; Seiler, 1986). Dans la même perspective, Lavau notera que « les partis
(létymologie du mot lindique assez) sont des organisations qui «
fractionnent », qui sont tournées vers la lutte, qui ne représentent que des minorités
actives » (1971 : 185), rejoignant la conception de Bolingbroke, pour qui, « Governing
by party
must always end in the government of a faction
Party is a political
evil, and factions is the worst of all parties » (cité par Sartori, 1976 :6)1.
Etymologiquement, « le mot parti est plus ancien dans le
vocabulaire politique que le terme classe dans le vocabulaire social
puisquon a pu le relever aux XVI e et XVII e siècles. Pendant la révolution de
1789, en 1848 et entre 1869-1872, il ne recouvre pas la même réalité
quaujourdhui. Vague et péjoratif en 1790 et 1793, il est souvent mis en
parallèle avec faction. » (Charlot, 1971 :11-12).
Du point de vue proprement historique, même si lidéal
démocratique fut inventé par lantiquité grecque, il ne semble pas que la
République Athénienne ait connu des phénomènes de type partisan, lusage du
tirage au sort pour la désignation des responsables civils prévenant les luttes de ce
type. Par contre, la République romaine connait des luttes partisanes. En effet, selon
Jean Blondel, vers « la fin de la République, un système des partis émergea ; des
enjeux clairement définis séparèrent conservateurs ou traditionalistes des
progressistes. Les Gracques furent peut-être les premiers chefs de partis avec un
authentique soutien populaire » (Blondel, cité par Seiler, 1986 : 33-34).
Seiler résume ainsi les formes de conflits ayant donné lieu à la
qualification de parti dans lhistoire : « On distingue
trois formes de conflit
politique intra étatique où les camps opposés sont désignés au moyen du mot parti. En
premier lieu, une forme archaïque qui prolonge mais dépasse en ampleur les « guerres
privées ». La mobilisation seffectue suivant le code féodal et les prétentions
des uns et des autres sont argumentées par des considérations juridiques. En deuxième
lieu, on retrouve des oppositions, souvent de classes, où la mobilisation repose sur
ladhésion des acteurs - prise de parti et repose essentiellement sur les
prétentions des mobilisateurs antagonistes ; elles sont argumentées au moyen de
justifications idéologiques. En troisième lieu enfin on rencontre une forme mixte où
les solidarités féodales sétant affaiblies au bénéfice du Centre étatique ou
pré-étatique, les grands vassaux se voient alors contraints, pour satisfaire leurs
appétits politiques, de récupérer les courants idéologiques du temps » (1986 : 42).
Les partis modernes sont toutefois « les enfants du suffrage universel
et de la démocratie » pour une raison simple : cest au XIXe siècle que
lentrée des masses populaires dans la vie politique se généralise. La principale
conséquence de cette irruption est lélaboration des modes de scrutin de plus en
plus perfectionnés et corrélativement le développement des organisations partisanes de
plus en plus proches de leur forme actuelle. Cest dans cette perspective quil
est de tradition de dater les partis modernes du XIXe siècle. Il y a toutefois une
controverse dès lors quil sagit de fixer une date et un lieu précis. Pour
les uns, les partis modernes ont vu le jour en Angleterre, avec le Reform Act de 1832 qui
impose aux partis britanniques le souci de sorganiser dans des circonscriptions. Les
Registrations societies se créent dans ce sens pour inciter les nouveaux citoyens à
sinscrire sur les listes électorales. Dans cette perspective, les ancêtres des
partis modernes sont les Whigs et les Tories. Pour dautres par contre, « cest
à la jeune république américaine que revint lhonneur de créer, avec les
Fédéralistes et les Démocrates - républicains, les premiers partis de représentation
populaire ou pour reprendre lexpression de Blondel, le premier système
représentatif des partis » (Seiler 1986 : 44-47). Dans cette deuxième perspective, on
date la naissance des partis en 1800, notamment parce que William Nisbet Chambers (cité
par Sartori) relève déjà à cette époque trois traits caractérisant les fonctions des
partis américains : existence dun débat politique entraînant des prises de parti
- « eux/nous » - et opposant des politiques et des idéologies ; existence dune
médiation des conflits partisans dans une libre compétition pour le pouvoir et dans le
respect de la minorité ; existence dune chance raisonnable pour les partis qui sont
« out » de devenir un jour « in », c'est-à-dire daccéder au pouvoir.
Dans tous les cas le phénomène social partisan se développera dans
le reste du monde sous cette forme. Il convient dès lors, de voir comment ce fait social
est devenu un objet scientifique, étant entendu que le passage de lun à
lautre nest pas automatique.
b - Un objet scientifique récent
Phénomène social ancien, les partis ne sont véritablement
devenus des objets scientifiques que récemment. Lobjet social soumis à
létude ne devient objet scientifique que par une coupure épistémologique,
cest-à-dire la séparation de lunivers de la conscience immédiate de celui
de la réflexion scientifique (Grosser, 1972 : 46). En effet, en sciences sociales, il est
peu de concepts univoques ayant une signification précise à la fois claire et acceptée
par tous. Les partis politiques ont donné lieu à de multiples définitions. Autant à
lorigine, il y avait une certaine unanimité pour leur accoler une signification
péjorative, autant la recherche a été féconde en définition. En science politique, la
définition dun parti est très souvent fonction de la perspective théorique
adoptée.
Ainsi, par exemple, pour Hodgkin, les partis sont « toutes
organisations politiques qui se considèrent elles-mêmes comme des partis et qui sont
généralement considérées comme tels » (Hodgkin, cité par Gonidec et Tran Van Minh,
1980 : 311). Pour Michels (1979 : 288), « un parti nest ni une unité sociale ni
une unité économique. Sa base est formée par son programme ». Autrement dit, un parti
politique se distingue des autres organisations par le projet de société quil
défend. Duverger (1979 :20) par contre met laccent sur le fait que «
les
partis actuels se définissent beaucoup moins par leur programme ou la classe que par la
nature de leur organisation : un parti est une communauté dune structure
particulière » ; Michel Offerlé analyse les partis en termes d « entreprise de
représentation » (2002 : 10-11) alors que Alan Ware lappréhende davantage comme
une « institution » (1996 : 5) dont lessence réside dans la coordination des
ressources individuelles dans le but commun dexercer le pouvoir au sein de
lÉtat (1996 : 127)2. Ces multiples définitions au final permettent de faire
ressortir les différents aspects du phénomène partisan sans pour autant en donner une
signification unitaire opératoire.
2 - Le parti comme signifiant unitaire
Labondance des définitions données au concept de parti
politique nest pas en soi un problème. Elle permet de mettre en exergue la
fécondité de lobjet de recherche. Ce qui compte au final pour lanalyste pour
reprendre Apter (1965 : 182), cest de distinguer «
the three aspects of
political parties - as intervening, dependent, or independent variable », ce qui permet
de se mettre à labri des confusions. Dès lors, la définition opératoire du parti
pour une étude comparative doit être pauvre en se limitant à ce qui en est
lélément fondamental. Dans cet ordre didées, la définition de Lapalombara
et Weiner et linvariant partisan identifié par Seiler permettent davoir une
signification unitaire du concept « parti ».
La définition de Lapalombara et Weiner est sans doute la plus
partagée notamment parce quelle est synthétique, objective et opératoire. Il faut
entendre par parti politique : «1- une organisation durable, c'est-à-dire une
organisation dont lespérance de vie soit supérieure à celle de ses dirigeants en
place ; 2- une organisation locale bien établie et apparemment durable, entretenant des
rapports réguliers et variés avec léchelon national ; 3-la volonté délibérée
des dirigeants nationaux et locaux de lorganisation de prendre et exercer le
pouvoir, seuls ou avec dautres, et non pas- simplement -dinfluencer le pouvoir
; 4- le souci, enfin de rechercher un soutien populaire à travers les élections ou de
toute autre manière » (Charlot, 1971 : 22).
Cette approche permet de distinguer les partis des cliques, clubs et comités de notables
qui sont les ancêtres des partis politiques modernes dans la plupart des pays
occidentaux. Cependant, cette définition nest pas complète dans la mesure où elle
ne prend pas en considération lélément idéologique. Cest pour combler
cette lacune que Seiler (1986 :103) propose une synthèse des définitions. En effet selon
cet auteur, quelque soit la posture théorique adoptée, il existe un invariant partisan.
Ce que toutes ces définitions ont en commun, cest la mise en exergue de la logique
du projet, de lorganisation et de la mobilisation étant entendu que les partis
politiques sont des organisations visant à mobiliser des individus autour dun
projet afin de conquérir le pouvoir de gouvernement. Les partis peuvent également être
appréhendés comme des médiateurs entre le peuple et le pouvoir, les individus et la
scène politique (Bréchon, 1999 : 81), ou mieux encore comme le lien entre la société
civile et lEtat (Katz et Mair, 1994).
La conclusion qui découle de la définition du concept de « parti
politique », pour reprendre Charlot (1971), cest quon ne peut pas étudier un
parti de tous les points de vue à la fois. Doù lintérêt didentifier
les diverses écoles en présence.
B - Ce que penser les partis
politiques veut dire
La science politique en tant que discipline sest constituée avec
lavènement des partis politiques modernes. Le problème qui en découle est que
quand il sagit didentifier les écoles détude des partis, on se
retrouve facilement à faire une recension de toutes les grilles danalyse de la
science politique. A titre dillustration, Charlot (1971 : 36) identifie ainsi
lapproche du développement politique, structurelle, fonctionnelle, systémique, et
par lidéologie ; Lawson (1976), y ajoute lapproche historique et
behavioriste, Schwartzenberg (1998 : 417-418), lapproche stratégique et le modèle
des coalitions ; enfin Ware (1996 : 8-12) quant à lui, retient trois grandes approches,
sociologique, institutionnaliste et compétitive. Dans une revue de létude de la
littérature consacrée aux partis politiques dans lAmerican Political Science
Review, Reiter fait ce constat : « In the early years, as political scienctists sought to
understand the functioning of the state, knowledge of parties seemed essential. Scholars
such as Lord Bryce (1893-1895) and Woodrow Wilson (1908) may have been critical of how
parties functioned, but none denied the centrality of parties to the performance of
democratic government.scholarship reflected that knowledge, as parties and party systems
were examined holisticallly, and discussions of current political trends often centered on
parties. A century later, scholars focus on particular aspects of parties- in the familiar
triad, parties in the electorate, parties in government, or (less common in recent years)
parties as organizations » (2006 :613).
Ce constat de Reiter résume assez bien le cours de lévolution
de la réflexion sur les partis. En dautres termes, holistes, les études portant
sur les partis politiques sont devenues de plus en plus individualistes.
Sil est constant que toutes les grilles peuvent permettre
dappréhender les partis, il convient de privilégier des paradigmes synthétiques
susceptibles den rendre compte dans une perspective comparée. Dans leur revue
critique de la littérature sur les partis politiques, Monthero et Gunther (2003)
proposent de retenir lapproche structuro-fonctionnaliste, lapproche des choix
rationnels et lapproche inductive. Notre analyse se situe dans cette perspective.
1 - Lapproche structuro-fonctionnaliste
Lapproche structuro-fonctionnaliste est entendue ici dans sa
conception large. Elle repose sur le postulat que toute théorie sur les partis
politiques, comme pour tout autre phénomène politique, passe par lidentification
des attributs communs et des rôles joués par ces derniers dans le système politique.
Pour ce faire, on étudie leurs origines, leurs histoires, leurs modes dorganisation
et limpact quils ont sur le système politique. Dans cette perspective très
souvent holiste, lhypothèse est faite de ce que les partis politiques,
appréhendés comme des agents, des instruments, assurent larticulation et
lagrégation des intérêts, la socialisation, le recrutement et la communication
politique. Les études regroupées ici se sont efforcées didentifier ses fonctions
et ses rôles tandis que dautres mesuraient les écarts entre lidéal et le
réel.
Cest ce qui ressort des travaux des pionniers comme Ostrogorski,
Michels et Duverger, et des auteurs plus contemporains comme Lipset et Rokkan, Coleman et
al, pour sen tenir aux auteurs les plus emblématiques.
a - Ostrogorski (1979) : létude des forces politiques, entre science et «
essayisme »
Moisei Ostrogorski en 1902 formule lhypothèse quil
faut passer des études en termes de « forme de Gouvernement » à une analyse des «
forces politiques » proprement dites. La rupture est fondamentale dans la mesure où,
avant lui de manière récurrente, Montesquieu et Tocqueville dont il sinspire et se
démarque, et plus largement Aristote, Machiavel, Locke entre autres, sintéressent
presque exclusivement aux formes de gouvernement sans prêter une attention spécifique
aux forces politiques. Il se propose pour ce faire de recourir à une méthode «
scientifique ». De ce fait, sa contribution doit être évaluée sur la base de deux
critères.
Sur le plan de la méthode, il dépasse la simple description et
invente lenquête par participation. Il fait uvre de comparatiste
lorsquil choisit détudier les partis politiques anglais et britanniques. Il
inaugure ainsi la stratégie de comparaison des systèmes les plus similaires et la
comparaison binaire dans le domaine des partis politiques (Dogan et Pelassy, 1981). De ce
point de vue, la critique de Rihoux (2001 : 33) qui soutient que « sa base empirique
apparaît en particulier bien étroite : il se limite en effet à deux pays et y étudie
uniquement des partis « bourgeois », ne tient pas. Il se trompe dobjet, notamment
parce que Ostrogorski explicite clairement son choix théorique justifié par le fait
quau moment où il écrit, les partis sont assez développés dans ces deux pays.
Sur le plan empirique, il établit le lien entre le phénomène
électoral et sa démocratisation et le développement des organisations partisanes. Il
produit ce faisant les premiers éléments dune véritable sociologie des
organisations (Rosanvallon, 1979 : 15), ou encore ce qui deviendra avec Duverger
lapproche institutionnelle du développement partisan (Seiler, 1986 : 18-19). En
effet, il soutient que : « Lorganisation matérielle des partis me paraissait
offrir le poste dobservation, et son développement fournir les points de repère
historiques nécessaires pour suivre le développement des tendances et des forces
politiques elles-mêmes, ce qui permettrait de remonter du présent au passé, des effets
aux causes, et de considérer dans son ensemble le fonctionnement du gouvernement
démocratique, non pas dans le cadre inanimé des formes politiques, mais au milieu de la
société vivante » (Ostrogorski, 1979 : 29-30).
En dépit de toutes ces précautions de méthode, lanalyse
dOstrogorski se trouve confrontée à plusieurs problèmes. Comme le note très
justement Seiler (1986 : 18), « faute davoir explicité sa philosophie libérale en
un cadre théorique, Ostrogorski réduit (
) cette dernière au rang de prénotion et
tombe dans lidéologie ». Dans la troisième partie de son ouvrage consacrée à la
critique de linfluence des organisations partisanes sur la démocratie, il formule
des propositions qui relèvent plus de la thérapeutique politique que de la science
politique. Pour Ostrogorski, les partis permanents sont contre lesprit
dassociation, et par conséquent contre la démocratie, notamment parce quils
ont des programmes omnibus. Il propose dans cette perspective, d « éliminer de la
pratique lusage des partis rigides, des partis permanents ayant pour fin le pouvoir
» pour les remplacer par des groupements ad hoc susceptible de permettre que « des
citoyens qui seraient séparés sur une question feraient route ensemble sur une autre »
(Ostrogorski, 1979 : 173-174). Cest dans cette perspective quil lancera « a
bas le parti et vive la ligue ! » (Ostrogorski, 1979 : 226). Mieux, « les partis
temporaires et à objet unique fourniront ainsi, par la vertu même de leur constitution
et de leur fin, une sorte de vaccin contre la rage de parti et le fanatisme de secte ; ils
deviendront des écoles desprits tolérants et larges » (Ostrogorski, 1979 : 231).
Essayiste, Ostrogorski croit fortement à lidée selon laquelle
les partis multiples sont facteurs de désordre, de division, de confiscation de pouvoir,
etc. Doù cette liste de solutions. Toutefois pour aussi « naïves » quelles
soient, ces recommandations ont eu une portée prédictive. Ses propositions trouvent
échos aujourdhui, non seulement dans les Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS), mais
aussi dans les partis à objet unique, comme les partis écologistes, féministes,
ethniques, etc.
b - Michels (1971): la loi dairain de loligarchie ou « maladie »
oligarchique ?
Contrairement à Ostrogorski, lobjet détude est moins
large et plus précis. Comme le note Seiler (1986) : « le discours de Robert Michels est
indubitablement scientifique : par sa théorie, son hypothèse et sa démarche ». Sa
démarche se situe en droite ligne de la théorie des élites. Il applique en la
rectifiant celle-ci aux partis. Pour lui, les partis sont des appareils indispensables à
la démocratie : « La démocratie ne se conçoit pas sans organisations (
). Le
principe de lorganisation doit être considéré comme la condition absolue de la
lutte politique conduite par les masses. Mais le principe, politiquement nécessaire, de
lorganisation, sil permet déviter les dispersions des forces propices
aux adversaires, recèle dautres périls. On échappe à Scylla pour échouer contre
Charybde. Cest que lorganisation constitue précisément la source doù
les courants conservateurs se déversent sur les plaines de la démocratie et occasionnent
des inondations dévastatrices qui rendent cette plaine méconnaissable » (Michels, 1971
: 25-26).
Il sinspire de la théorie des élites telle que formulée par
Gaetano Mosca et Wilfredo Pareto pour procéder à une analyse sociologique de la social
démocratie allemande en sen démarquant cependant, « La théorie de la circulation
des élites formulée par M. Pareto, ne peut être acceptée quavec des réserves en
ce sens quil sagit bien moins souvent dune succession pure et simple que
dun mélange incessant, les anciens éléments attirant, absorbant et assimilant
sans cesse les nouveaux » (Mosca et Pareto, 1971 : 280). Le parti nest pas
seulement un organisme de conquête de pouvoir, mais une micro société. Il montre que
les exigences de la compétition démocratique conduisent à la centralisation des partis
pour des besoins defficacité décisionnels.
Cependant, si son analyse lui permet de découvrir une loi
sociologique, la loi dairain de loligarchie, il traite ce phénomène comme
une pathologie, une dérive du fonctionnement normal des partis politiques quil
convient de soigner. Suivant ses propres termes, « la maladie oligarchique des partis
démocratiques » (Mosca et Pareto, 1971: 171) est « incompatible avec les postulats les
plus essentiels de démocratie » (Mosca et Pareto, 1971 : 295). Ce faisant, il quitte le
champ de la science pour celui des normes.
Son apport à la science des partis reste significatif. En mettant
laccent sur le fonctionnement interne des partis, il apparaît comme le précurseur
de la démocratie intra partisane qui constitue un domaine spécifique dans létude
des partis. Par ailleurs, il peut être considéré comme le premier à mettre en exergue
le processus dinstitutionnalisation des partis lorsquil affirme que : « le
parti, en tant que formation extérieure, mécanisme, machine, ne sidentifie pas
nécessairement avec lensemble des membres inscrits et encore moins avec la classe.
Devenu une fin en soi, se donnant des buts et des intérêts propres, il se sépare peu à
peu de ceux quil représente (
). Cest une loi inéluctable que tout
organe de la collectivité né de la division sociale du travail, se crée, dès
quil est consolidé, un intérêt spécial, un intérêt qui existe en soi et pour
soi
» (1979 : 289-290). Ce processus sera systématisé plus tard par Huntington
(1968 : 12).
En outre, Michels, en dépit des critiques plus ou moins fondées
adressées à son uvre, a fait preuve dun réalisme et dune lucidité
qui manque à beaucoup de spécialistes des partis politiques aujourdhui, notamment
lorsquil affirme clairement que : « Le trésor de la fable peut très bien
symboliser la démocratie. La démocratie est, elle aussi, un trésor que personne ne
pourra jamais mettre à jour. Mais en poursuivant les recherches et en fouillant
infatigablement pour trouver lintrouvable, on nen accomplira pas moins un
travail profitable et fécond pour la démocratie » (1979 : 300).
A ce titre, sa démarche nest pas très éloignée de celle de
Samuel Huntington de « la troisième vague » ou dun Robert Dahl « De la
démocratie ». Autrement dit, selon ce maître, la « maladie oligarchique » même si
elle nest pas curable, nempêche pas que lon fasse des efforts pour la
guérir. Ce réalisme soppose ainsi nettement, de la « naïveté » de Moisei
Ostrogorski, qui proposait purement et simplement la suppression des partis politiques.
Alors que ces deux auteurs se contentent danalyser des aspects précis du
phénomène partisan, Duverger a adopté en 1951, une approche plus large et propose une
théorie globale des partis.
c - Duverger (1976) : la théorie de lorigine des partis modernes et les
conséquences politiques des lois électorales
Maurice Duverger est un continuateur dOstrogorski et
Michels, en ce sens que comme eux, il sinscrit dans létude des institutions
partisanes et de leur rôle dans lEtat. Mais il rompt avec ces derniers quant à
lampleur de son champ empirique et de son ambition théorique. En effet, il «
propose ici un modèle théorique permettant de comprendre en profondeur leur
configuration et leur jeu, et de prévoir dans toutes les situations possibles »
(Duverger, 1976 : 10). La problématique de son étude est précise : « Pas plus que leur
doctrine, la composition sociale de ceux-ci ne fera cependant lobjet principal de
cette étude, essentiellement orienté vers les institutions partisanes et leur rôle dans
lEtat. Car les partis actuels se définissent beaucoup moins par leur programme ou
la classe que par la nature de leur organisation : un parti est une communauté dune
structure particulière » (Duverger, 1979 : 20).
Sur la base de cette problématique, on peut mesurer lapport de
Duverger à trois niveaux, sa contribution à la formulation de la théorie de
lorigine des partis, sa typologie des partis3 et sa conceptualisation des rapports
entre systèmes de partis et systèmes électoraux communément labellisé « lois de
Duverger ».
La théorie de lorigine des partis telle que conçue par Duverger
sappuie sur lidée que la compréhension des partis politiques passe par la
connaissance des circonstances différentes de leur naissance. Dans cette perspective, il
considère que « dans lensemble, le développement des partis parait lié à celui
de la démocratie, cest à dire à lextension du suffrage populaire et des
prérogatives parlementaires », rejoignant sur ce point Ostrogorski. Cest sur la
base de ce postulat quil distingue les partis dorigine électorale et
parlementaire des partis de création extérieure. Les premiers sont le résultat
dun processus évolutif allant des cellules aux groupes parlementaires en passant
par les comités électoraux. Les seconds quant à eux sont issus des syndicats, des
sociétés de pensées, des églises, et des associations danciens combattants
(Duverger, 1979 : 23-39). Tirant les conclusions de « linfluence de la genèse
dun parti sur sa structure définitive », il note ainsi que les partis de création
électorale et parlementaire sont généralement plus centralisés notamment parce
quils sont créés par le sommet alors que les partis de création extérieure le
sont moins parce quils partent de la base. De même, linfluence des députés
est plus forte sur les premiers que sur les seconds. Cest sur la basse de ces
considérations quil établit la célèbre distinction partis de masses et partis de
cadres. Cette théorie de lorigine des partis sera complétée par Harmel (1985) qui
distinguera les partis nés par scission, fusion etc.
Les lois de Duverger quant à elles sont le produit de la mise en
rapport des relations complexes entre système de partis et système électoral. Il part
du constat que les systèmes de partis sont le résultat de nombreux facteurs : ceux
propres à chaque pays (tradition, histoire, croyances religieuses, compositions
ethniques, rivalités nationales, etc.) et ceux généraux et communs à tous les pays
(facteurs socio-économiques, idéologiques et techniques). Son choix se porte toutefois
sur un facteur technique « essentiel » : le régime électoral : « En définitive,
système de partis et système électoral sont deux réalités indissolublement liées,
parfois même difficiles à séparer par lanalyse : lexactitude plus ou moins
grande de la représentation politique par exemple, dépend du système électoral et du
système de partis, considérés comme éléments dun même complexe, rarement
isolables lun de lautre. On peut schématiser linfluence générale du
mode de scrutin dans les trois formules suivantes : 1° la représentation proportionnelle
tend à un système de partis multiples, rigides, indépendants et stables (sauf le cas
des mouvements passionnels) ; 2° le scrutin majoritaire à deux tours tend à un système
de partis multiples souples, dépendants et relativement stables (dans tous les cas) ; 3°
le scrutin majoritaire à tour unique tend à un système dualiste, avec alternance de
grands partis indépendants » (Duverger, 1976 : 291).
Au total, en mettant explicitement laccent sur « les
institutions juridiques (constitutions, lois électorales, etc.) et les forces politiques
(partis et groupes de pressions) pour variable fondamentale » (Duverger, 1976 : 15), en
insistant sur « les institutions partisanes et leur rôle dans lEtat » (Duverger,
1976 : 20), Duverger a ouvert la voie à lanalyse institutionnaliste des partis
politiques et à sa banalisation dans la science politique. On peut relever la postérité
de cette contribution de Duverger, dans le travail de Rae (1967) qui a systématisé les
conséquences politiques des lois électorales sur les partis politiques ou encore le
travail de Janda (2005) sur les « party law ». Jean-Benoît Pilet (2008) montre « les
nouveaux souffles dans lanalyse des systèmes électoraux » dans la science
politique.
Toutefois, ce livre soulève de nombreuses critiques. Louvrage
est taxé dethnocentrisme dans la mesure où il est dans une large mesure franco
centré (Seiler : 1986 : 22-23). En effet, alors que son ambition est de proposer « un
modèle théorique permettant de comprendre en profondeur leur configuration et leur jeu,
et de prévoir dans toutes les situations possibles » (Duverger, 1971 : 10), sa
connaissance des partis dans les autres pays semble limitée. Ce faisant, il succombe dans
une large mesure à la « tentation de lillère » (Gazibo, 2002 : 441), dans
la mesure où pour combler son déficit de connaissance des cas étrangers, il se laisse
guider principalement par les cas français quil connaît le mieux.
Les critiques les plus sérieuses ont été formulées par Aaron
Wildavsky (1968 : 368-375). Ces critiques portent sur les erreurs méthodologiques faites
par ce dernier. Duverger est encore prisonnier de certaines illusions et idées reçues :
un déterminisme évolutionniste (historicist fallacy) qui lamène à postuler un
sens « naturel » dans lévolution des partis. Lillusion mystique (mystic
fallacy) qui lamène à postuler un caractère « naturel » des dualismes des
oppositions (droite/gauche)4. Un rejet implicite dune approche multi causale, alors
même que son ambition « théorique est de saisir tous les cas possibles ».
d - Coleman, Lipset et Rokkan et les autres : le multifonctionnalisme des partis
Alors que Ostrogorski, Michels et Duverger se sont attelés à
examiner les structures matérielles (organisations) et immatérielles (idéologies) des
partis pour en tirer des conséquences quant à leur utilité pour le système politique
en général et la démocratie en particulier, les auteurs que nous regroupons sous cette
rubrique se sont intéressés à lidentification des différentes fonctions
susceptibles dêtre remplies par un parti politique. Nous retiendrons ici les
contributions originales.
- Coleman et al. (2006 : chap. 5) et Lowi (1971) : fonction dagrégation,
constituante et programmatique des partis
La première fonction spécifique des partis politiques selon
Coleman et al. (1960, 2006: 81) est celle dagrégation des intérêts. En effet, «
political parties are important in interest aggregation in democratic and in non
democratic systems », « interest aggregation is the activity in which the political
demands of individuals and groups are combined into policy programs » (81). Le mérite de
cette approche des partis, cest de rompre avec une approche qui tend à évaluer le
rôle des partis politiques en fonction de leur utilité pour la démocratie. Lowi (1971
:102-105) pour sa part identifie les fonctions constituantes et programmatiques des
partis. La fonction constituante renvoie à « ce qui est nécessaire à la formation du
tout, ce qui compose, ce qui constitue ». Ainsi, selon Lowi, un parti qui remplit des
fonctions constituantes ou constitutionnelles aura des rapports réguliers et fondamentaux
avec la structure, la composition et le fonctionnement du régime ou du système. Par
ailleurs, les partis peuvent également remplir des fonctions programmatiques,
c'est-à-dire, énoncer les mesures quils proposent de prendre et la politique
quils mettraient en uvre une fois parvenus au pouvoir.
Dans la perspective de Lowi cependant, les partis bifonctionnels,
c'est-à-dire ceux qui remplissent à la fois des fonctions constituantes et
programmatiques sont des « partis responsables » tandis que les partis unifonctionnels
ne le sont pas. Cest sur cette base quil distingue les partis européens, «
responsables », des partis américains, unifonctionnels.
- Lipset et Rokkan (1967) : les partis, agents de conflit et instrument
dintégration
En sinspirant de Parsons, Lipset et Rokkan (1967 : 3) ont
quant à eux mis en lumière le fait quun parti politique est à la fois un agent de
conflit et un instrument de son intégration. A partir de lexpérience occidentale,
ils montrent que les partis sont des agents de conflit compte tenu de leurs liaisons
initiales avec les clivages, les tensions et les conflits sociaux, et des instruments
dintégration notamment parce quils nexcluent pas les possibilités de
compromis et de coalitions. En effet, « The opening up of channels for the expression of
manifest or latent conflicts between the established and underprivileged classes may have
many systems out of equilibrium in the earlier phase but tended to strengthen the body
politic over time. This conflict integration conflict dialectic is central in
current political research in comparative sociology of political parties
They
(parties) help to crystallize and make explicit the conflicting interests, the latent
strains and contrasts in the existing social structure, and they force subjects and
citizens to ally themselves across structural cleavage lines and to set up priorities
among their commitments to established or prospective roles in the system. Parties have an
expressive function; they develop rhetoric for the translation of contrast in the social
and cultural structure into demands and pressures for action or inaction. But they also
have instrumental and representative functions: they force the spokesmen for the many
contrasting interests and outlooks to strike bargains, to stagger demands, and to
aggregate pressures » (Lipset et Rokkan, 1967: 5).
Alors que les pionniers étaient contre les partis notamment parce
quils seraient facteurs de division (Ostrogorski) ou dysfonctionnel par rapport à
la démocratie (Michels), Lipset et Rokkan (1967) montrent que les partis
institutionnalisent les conflits.
- Lavau (1971) : Les partis anti-système et la fonction tribunicienne
Comme Lipset et Rokkan, Georges Lavau sinspire de Merton
pour proposer une analyse rénovée des fonctions des partis politiques. Dabord, il
précise la notion de « fonction » qui fait lobjet de confusion chez la plupart
des auteurs et formule la théorie des partis anti-système.
La première contribution de Lavau porte sur « le problème des
fonctions des partis politiques ». Il relève la confusion qui règne dans
lutilisation du mot « fonction » : soit la distinction nest pas faite entre
fonctions manifestes et fonctions latentes, soit on les amalgame et le mot fonction
recouvre des sens différents. « Fonction » est tantôt synonyme de fonction latente,
dactivités remplies par les partis, des effets de lactivité des partis sur
le système politique ou enfin, fonction est synonyme dexigences fonctionnelles des
systèmes politiques. Ce faisant, il propose une définition synthétique des fonctions :
« les fonctions sont des contributions (ou des solutions) que des acteurs apportent, par
leurs actes, à des exigences fonctionnelles des systèmes auxquels ces acteurs sont
reliés, ces exigences fonctionnelles étant supposées être ce qui est nécessaire à ce
système pour survivre, sadapter, atteindre ses buts, ne pas se dénaturer »
(Lavau, 1971 :179).
En partant de la problématique des interrelations complexes entre les
partis et le système politique ensuite, il formule lhypothèse qu « aucun5
parti politique nest purement fonctionnel (ni »fonctionnaire ») pour le système
politique (
). Les partis (létymologie du mot lindique assez) sont des
organisations qui « fractionnent », qui sont tournées vers la lutte, qui ne
représentent que des minorités actives. A ce titre, ils ne peuvent être purement et
simplement des serviteurs impassibles du système politique » (Lavau, 1971 : 185).
Cest sur la base de ce constat quil identifie les partis « anti-système »
ou tribunitien, c'est-à-dire des partis qui sadonnent « totalement et en
permanence » à « la critique du système, de ses valeurs et de ses normes, de ses
structures et de ses autorités » Lavau, 1971 : 192). Dès lors se pose la question de
savoir si on peut appréhender la fonction tribunitienne comme une « contribution » au
système politique, dans la mesure où la critique peut aller au delà de ce que le
système peut supporter. Lavau apporte une réponse nuancée à cette question. Il
considère dans un premier temps que laccomplissement de cette fonction nest
pas une contribution dans la mesure où elle gène le fonctionnement « harmonieux »du
système et est susceptible daboutir à des activités et à des comportements «
irresponsables » de la part de ces partis. Dans un second temps, il soutient quil
sagit dune contribution dès lors qu « elle dévie des virtualités
révolutionnaires et quelle est, dans certaines situations explosives, un des moyens
de vivre avec des clivages.6 » (Lavau, 1971 : 190).
Cette contribution est probablement la dernière significative dans
lapproche structuro fonctionnaliste des partis politiques. En dehors de quelques
références subjectives, elle a connu une postérité et permet dappréhender les
partis populistes, protestataires et extrémistes. Cette analyse a été récemment
renouvelée (même si ces derniers ne font pas référence explicite aux travaux de
Lavau). A titre dillustration Schedler (1996 : 291-312) étudie le développement
des « anti-political-establishment-parties » à partir des années 1980 et Copoccia
(2002), sintéresse aux « anti-system parties ». Cest dans cette perspective
que lon peut, dans une certaine mesure situer lanalyse que fait Basedeau et
al, (2007) des partis interdits (party ban) en Afrique.
Au total, ce qui unit tous ces auteurs cest quils
communient tous à la même source, celle des structures et des fonctions. Ici, on
sintéresse aux partis dans la mesure où ils ont un comportement significatif à
légard des exigences fonctionnelles du système politique, or les partis ne «
remplissent pas tous et pas nécessairement les fonctions du système », ou bien les
partis seront considérés comme des agents des processus dinteraction qui
permettent aux systèmes politiques de persister et de sadapter aux changements de
lenvironnement, ou encore ils seront traités comme des reflets ou des agents de
cristallisation des cultures ou des subcultures du système. Quelque soit langle
adopté par ces auteurs, le postulat quils cherchent à expliciter est celui du lien
entre partis et démocratie. Les multiples fonctions que les partis sont sensés exercer
ont tous partie liée avec la performance démocratique du système. Or, comme le relève
à juste titre Bréchon, « plutôt que de chercher à dire si les partis sont
fonctionnels ou dysfonctionnels pour une bonne démocratie, il est plus intéressant de
sinterroger sur les liens entre des partis et des systèmes politiques. Une
société a probablement des partis à limage de ce quelle est » (Bréchon,
1999 : 73). Cette mise en garde est prise au sérieux par lapproche des choix
rationnels qui ne fait pas de la démocratie son angle dattaque.
2 - Lapproche des choix rationnels
Cette approche majeure en science politique (Green et Shapiro, 1995)
part de lanalogie qui est faite entre marché économique et marché politique. De
manière plus globale, cette perspective résulte de limportation dans le champ de
la science politique des concepts de la science économique. Ici, les partis politiques,
contrairement à la perspective structuro fonctionnaliste, ne sont pas définis par
rapport à leurs fonctions ou leur dysfonction, ou encore leur utilité pour le système.
Ils sont considérés comme des entreprises politiques qui se battent sur un marché
politique, dont lenjeu est la définition des règles de tous les autres jeux. Dans
cette perspective, les acteurs en présence, électeurs, politiciens professionnels et
partis politiques, sont tous conscients de leurs intérêts spécifiques. Les partis
politiques en tant quinstitution ont des intérêts propres, distincts de ceux des
politiciens professionnels et de ceux des électeurs. Max Weber (1959), Anthony Downs
(1951) et Joseph Schumpeter ont banalisé létude des partis en tant
quentreprise politique ; ce faisant, ils ont donné naissance à tout un courant
spécifique détude des partis. Gaxie (1977) et Offerlé (2002) apparaissent dans
une certaine mesure comme les représentants français de cette approche.
a - Weber (1959) : le parti comme entreprise politique
Dans sa préface à Weber (1959), Aron (1959 : 35) note que « Max
Weber suivait à travers les siècles, le développement dune catégorie sociale,
dun type dhomme, quil appelait politicien professionnel, celui qui tire
sa subsistance de la politique, qui vit par en même temps que pour elle ». Cest en
ayant à lesprit cette considération fondamentale que lon peut saisir
lapport de Weber à létude des partis politiques qui sont de deux ordres.
Tout d abord , il est le premier à proposer une évolution des
formes des organisations partisanes : on serait ainsi parti des « partis » des villes
médiévales (ceux des Guelfes et des Gibelins) qui se composaient uniquement des clients,
à comités interrégionaux et caractérisés par une organisation militaire sévère ;
aux cliques aristocratiques ou partis de la noblesse en Grande Bretagne , aux partis de
notables, avec lascension politique de la bourgeoisie , pour aboutir enfin aux
organisations politiques modernes « enfants de la démocratie, du suffrage universel, de
la nécessité de recruter et dorganiser, de lévolution des partis vers
lunification de plus en plus rigide au sommet et vers la discipline la plus sévère
aux divers échelons » (Weber, 1959 : 171). Bref, Weber propose lévolution qui a
conduit avec « lentrée en jeu de la démocratie plébiscitaire » des « machines
» ou « entreprise politique » (Weber, 1959 : 172).
Cest logiquement de cette évolution quil propose en second
lieu, une définition nouvelle des partis quil considère comme des « sociations
reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs
le pouvoir au sein dun groupement et à leurs militants actifs des chances
idéales ou matérielles- de poursuivre des buts objectifs, dobtenir des avantages
personnels ou de réaliser les deux ensemble » (Weber, cité par Offerlé (2002 : 10).
Weber constate en effet que lorsquil doit y avoir une élection périodique des
détenteurs du pouvoir, « lentreprise politique est nécessairement une entreprise
dintérêts. Cela signifie quun nombre relativement restreint dhommes
intéressés au premier chef par la vie politique et désireux de participer au pouvoir
recrutent par libre engagement des partisans, se portent eux-mêmes comme candidat aux
élections ou y présentent leurs protégés, recueillent les moyens financiers
nécessaires et vont à la chasse des suffrages » (Weber, 1979 : 164-165)
Ainsi donc, contrairement à Ostrogorski et à Michels, et plus
largement aux tenants de lapproche structurofonctionnaliste, Weber part de
lidée que, loligarchie nest pas une pathologie mais une condition «
indispensable » au fonctionnement des partis politiques, dans la mesure où il pense que
« lexistence des chefs et de partisans qui en tant quéléments actifs
cherchent à recruter librement des militants et, par contre coup, lexistence
dun corps passif constituent des conditions indispensables à la vie de tout parti
politique »(Weber, 1979 : 165). Avec lui, les partis apparaissent comme ce quils
sont, des organisations qui visent lexercice du pouvoir, défendent certains
intérêts et promettent de gouverner en fonction de conceptions vagues et générales.
Downs pousse cette conception un peu plus loin en développant le postulat de la
rationalité absolue.
b - Downs (1954) : la rationalité absolue des partis
Dans sa « théorie économique de la démocratie », Anthony
Downs formule la façon dont les partis sont censés se comporter et évoluer. En vertu de
son postulat central, les citoyens électeurs, les dirigeants politiques et les partis
agissent tous trois rationnellement poursuivant des objectifs clairement définis. Dans
cette perspective, il considère qu « un parti politique cest une équipe
dhommes qui vise à contrôler lappareil du pouvoir en sassurant les
postes nécessaires lors délections dûment organisées. Par équipe
nous entendons une coalition dont les membres sont daccord sur les objectifs au lieu
de lêtre simplement sur une partie dentre eux. Chaque membre de
léquipe a donc exactement les mêmes objectifs que tous les autres. Comme nous
posons par ailleurs que ces membres sont rationnels, nous pouvons envisager leurs
objectifs comme une échelle de priorités cohérente et simple
» (Downs, cité par
Charlot, 1971 : 51).
Il découle de cette définition des partis une certaine conception de
lapproche compétitive des partis et de leur relation avec lélectorat. Le
citoyen électeur agit prioritairement en vue de maximiser son intérêt personnel et son
revenu utilitaire (utility income), les dirigeants politiques poursuivent le seul but
dêtre élus, et lobjectif des partis est la maximisation de leur résultat
électoral. Dans cette perspective, il a mis en exergue lidée que la compétition
pour les votes peut être comprise à partir dun modèle spatial. Chaque parti
politique peut être situé sur un spectre idéologique gauche droite.
Lobjectif poursuivi par les partis étant dêtre élus, ils se déplacent
constamment sur cet axe pour coller à la demande des électeurs. Autrement dit, dans la
perspective de Downs, les idéologies ne sont pas immuables, elles sont susceptibles
dêtre modifiées en fonction des contextes et des conjonctures. Cette conception a
fait école. Ian Budge et David Robertson, pour tester cette théorie ont analysé les
programmes électoraux et les manifestes dans les démocraties libérales depuis la
Deuxième Guerre mondiale. Ils parviennent à la conclusion que les programmes politiques
des partis dans la plupart de ces pays reflètent une seule dimension spatiale droite -
gauche. Cest sur ces considérations quils identifient quatre grandes familles
politiques sur ce spectre : les familles communistes, socialistes, centristes et
conservatrices (sur ce point cf. Ware, 1996 :18). Cest toujours dans le paradigme de
la rationalité des partis, des politiciens et des électeurs quon peut ranger les
analyses que Daniel Gaxie (1977) fait de la rétribution du militantisme dans les partis
français.
Le principal mérite de lapproche de Downs cest
davoir désencapsulé lobjet parti politique des considérations purement
téléologiques et idéologiques. Avec lui les partis cessent dêtre de simples
agents pour devenir de véritables acteurs. Dans ce sens, il est linspirateur de
lapproche électoraliste et compétitive des partis. Il dépasse ainsi
lapproche en termes d « entreprise politique » de Weber, pour mettre en
exergue la rationalité propre des partis- Weber met plus laccent sur celle des
entrepreneurs politiques. Mais cette approche a abondamment été critiquée. On peut
situer cette critique sur deux plans: le reproche de la rationalité absolue postulée par
Downs et sa conception limitée de lidéologie.
Premièrement, toute lanalyse de Downs se fonde sur le postulat
de la rationalité absolue des partis. Or, depuis March, on sait que la rationalité
absolue est une illusion, puisquelle est nécessairement limitée (March, 1991 :
133-163). La rationalité absolue des partis suppose de considérer ce dernier comme une
entité homogène, ce qui est rarement le cas dans la réalité. Comme le souligne Sartori
(1976: 326-327): « If parties are defined as vote maximizers, the objection
immediately is that this conceptualization is largely untrue to facts. Likewise, Downs, is
often criticized because he assumes parties to be teams and indeed coherent
and unified teams rather than largely disconnected and multifaceted coalitions
». En effet, il existe dans les partis politiques concrets des groupes, factions,
tendances, etc. qui développent des stratégies diverses, parfois efficaces pour le
positionnement à lintérieur du parti, mais pas nécessairement efficaces à
lextérieur des partis (Kolner et Basedeau (2006) ; Reiter (2006b). Par ailleurs, il
est quelque peu naïf de penser que lobjectif dun parti se limite à la
recherche de la maximisation des résultats électoraux. Cette conception ne peut
permettre de saisir quune catégorie de partis (les partis Catch all et Cartels par
exemple). Comme le montre Rihoux (2001 : 46) « dans le cas précis des partis
écologistes, il est par exemple tout à fait envisageable que des choix peu efficaces en
matière de maximisation du résultat électoral soient posés, et ce afin de conserver
une pureté organisationnelle et/ou idéologique ». Cest également le cas pour des
partis fondamentalistes, léninistes
Deuxièmement, la conception de Downs de lidéologie est assez
simpliste. Downs soutient que « parties formulates policies in order to win elections,
rather than win elections in order to formulate policies » (Downs, cité par Sartori,
1976: 24). Autrement dit, les partis politiques dans la perspective de Downs, adaptent
leurs idéologies en fonction des désirs électoraux. Or comme le note à juste titre
Ware (1996: 328), « party ideology is not something that can change as firms change
marketing strategies. Parties are not free to move along ideological spectrum at will ».
Les partis sont souvent prisonniers des circonstances et des conditions qui les ont vus
naître.
c - Offerlé (2002) : les partis comme lien social
La contribution de Michel Offerlé à létude des partis est
à la fois novatrice et ambiguë. Linnovation réside dans lambition de
lauteur détudier les partis politiques sociologiquement et historiquement en
tirant parti des acquis à la fois de la sociologie classique (Marx, Durkheim, Weber), de
la sociologie des organisations, des interactionnismes, des sociologies de laction
collective et de la sociologie des champs de Bourdieu. Il formule lhypothèse des
partis comme relation sociale. Dans cette perspective, un parti doit être analysé comme
un espace de concurrence entre des agents et comme une entreprise dun type
particulier (Offerlé (2002 : 4-5). Sur la base de cette hypothèse, il définit un parti
« comme un espace de concurrence objectivé entre des agents ainsi disposés quils
luttent pour la définition légitime du parti et pour le droit de parler au nom de
lentité et de la marque collective dont ils contribuent par leur compétition à
entretenir lexistence ou plutôt la croyance en lexistence » (Offerlé (2002
: 15). Il ressort de cette définition qui sinspire ouvertement de celle de Weber,
que si les partis sont des entreprises dintéressés, tous les agents ne sont pas
intéressés au même titre, il y en a qui sont plus intéressés que dautres ;
dautre part, même si les partis sont des entreprises, ils sont des entreprises
dun genre particulier qui proposent des produits spécifiques.
Lambiguïté de lanalyse de Offerlé se situe à deux
niveaux, celui des concepts utilisés et celui du niveau danalyse. Sur le premier
point, alors quil se propose de « désenclaver » lobjet parti politique pour
le traiter dans une perspective sociohistorique, son vocabulaire et ses postulats sont
essentiellement ceux des choix rationnels : entreprise, biens, marché, capitaux,
produits, agents intéressés etc.- cest la raison pour laquelle nous le rangeons
dans lapproche générique des choix rationnels. Bien plus, le choix de faire une
amalgame de toutes les sociologies ne semble pas un choix judicieux, plutôt que de
désenclaver les partis comme il le prétend, cette approche contribue à rendre confus
cet objet pourtant bien délimité par la littérature classique. Sur le second point, on
se trouve confronté avec cette approche, à un problème du niveau danalyse. En
effet, lorsquil soutient qu« étudier un parti, cest étudier les
interactions visibles qui se déroulent dans un certain espace de jeu, cest insister
aussi sur le « liant » invisible qui associe des agents dans une coopération
concurrentielle. Un parti nest pas une chose mais doit être analysé comme un champ
de force7, c'est-à-dire comme un ensemble de rapports objectifs simposant à tous
ceux qui entrent dans le champ » (Offerlé 2002 : 14-15), il y a un problème
épistémologique qui se pose. Cette proposition est fausse en ce quelle est absolu
; un parti peut très bien être analysé comme une chose, au sens que Durkheim donne à
cette expression, cest à dire un fait social. Par ailleurs, il ny a pas, à
priori, de contradiction à analyser un parti à la fois comme une « chose » et comme un
« champ de force » (Charlot, 1971, Sartori, 1976). En outre, un champ de force peut
être analysé comme une chose. Mieux, la perspective sociologique et historique qui est
la sienne aurait du lamené à prendre au sérieux le processus
dinstitutionnalisation des partis, c'est-à-dire leur « solidification » et «
réification ».
d - Harmel et Janda(1994) : la théorie intégrée des objectifs et changements
partisans
Létude de Harmel et Janda (1994), essaie dexpliquer
pourquoi les partis politiques changent leurs stratégies, leurs caractéristiques
organisationnelles et leurs idéologies. Dans cette perspective, ils formulent
lhypothèse que : «
party change does not just happen. In fact,
decisions to change a partys organization, issue positions or strategy face a wall
of resistance common to large organizations. A successful effort to change the party
usually involves both a good reason (which, granted, often does involves the need to take
account of environmental changes) and the building of a coalition of support
Far from
assuming that party changes just happen or must happen, we suggest
that party change is normally a result of leadership change, a change of dominant faction
within the party and/or an external stimulus for change » (Harmel et Janda, 1994:
261-262)
La théorie intégrée sinspire dans une large mesure des
connaissances accumulées sur les objectifs et sur les changements partisans pour formuler
trois postulats novateurs. La littérature classique nous apprend que les partis
politiques sont des institutions conservatrices. Une fois institutionnalisés, ils sont
réfractaires au changement ; de ce fait, pour étudier les changements partisans, il faut
prendre en compte aussi bien les facteurs internes quexternes. En prenant en compte
ces propositions dans ce quelles ont de général, Harmel et Janda formulent une théorie
qui sappui sur trois postulats spécifiques majeurs :
(1) même si tous les partis ont tous de multiples objectifs, chaque parti poursuit un
seul objectif primaire (primacy goal) qui peut être la maximisation des résultats
électoraux, la maximisation des postes exécutifs, la défense des propositions
programmatiques et la maximisation de la démocratie intra partisane.
(2) même si les changements partisans peuvent sopérer sous linfluence de
facteurs internes (conflits internes/changement de leadership), « the most dramatic and
broadest change will occur only when the party has experience an external
chock », parce que les partis sont essentiellement conservateurs.
(3) les chocs externes sont des stimuli qui ont une influence directe sur lobjectif
primaire poursuivit par le parti. Dautres stimuli externes peuvent affecter le
changement partisan, mais de façon moins significative. Autrement dit, un stimulus
électoral aura plus dimpact sur les partis dont lobjectif primaire est la
maximisation des résultats électoraux que ceux qui recherchent la démocratie intra
partisane par exemple (Harmel et Janda, 1994 :265).
Sur la base de ces postulats, ils énoncent cinq hypothèses primaires
et neuf hypothèses secondaires avant de formuler dix sept propositions pour compléter
leur théorie (Harmel et Janda, 1994 : 277-283).
Cette étude de Harmel et Janda (1994) est la plus ambitieuse dans
létude des partis politiques. Non seulement elle apparaît comme un raffinement des
propositions de Downs et de ses suiveurs qui se limitent à considérer la maximisation
électorale, mais aussi elle envisage aussi la possibilité quun parti peut
poursuivre simultanément différents objectifs. En outre, leur mérite cest
davoir comblé le vide qui existait dans la littérature sur la théorie des
changements partisans et la théorie des objectifs partisans. Comme ils le notent
eux-mêmes, «
the theory explains not only the occurrence of party change, but
also, the magnitude of party change, and offers at least some potential for producing the
type of party change as well » (Harmel et Janda, 1994 :262). Enfin, cette théorie peut
permettre de faire une typologie des partis, non plus en sappuyant sur la structure,
lidéologie, lhistoire, les clivages exprimés, etc. mais à partir des
objectifs primaires des partis politiques. Ce qui permet ainsi de distinguer quatre types
de parti : « vote-seeking-parties », « office-seeking parties », « policy-seeking
parties » et « democracy-seeking parties ». (Cette typologie appliquée à
lAfrique peut permettre de comprendre les comportements à première vue
irrationnels de certains partis).
Si lapproche des choix rationnels échappe aux considérations
normatives qui soutendent lapproche structurofonctionnaliste, elle tombe dans un
autre travers. En effet, la conception instrumentale des partis, leur homogénéisation
amène les tenants de cette approche à les traiter comme des acteurs uniques. La
principale conséquence qui en découle est lignorance relative de la complexité
organisationnelle des partis, la négligence des conflits sur les buts et les
préférences à lintérieur des partis. Monthero et Gunther (2003: 15) relèvent
que « the dowsian model and many of those who have adopte it maked a grave error when
they simplify these dynamics to the point of eliminating politics from political
competition »8.
3 - Lapproche inductive
Cette approche est la plus heuristiquement féconde pour étudier les
partis car, elle intègre les problématiques disparates du structuro-fonctionnalisme et
de lapproche des choix rationnels. Cest elle qui a permis de produire des
modèles et des typologies. Elle permet à la fois de comprendre les structures
organisationnelles et idéologiques, les stratégies et les comportements des partis
politiques. Lidée directrice au cur de cette approche est quà chaque
période historique correspond un type de parti dominant. Suivant cette perspective, on
serait parti des partis délites, de patrons aux partis de masses (Duverger, 1976),
en passant par les partis catch all (Kirchheimer, 1966) pour aboutir aux partis cartel
(Katz et Mair, 1994). Ce qui caractérise cette démarche, cest quelle
sinspire quasi exclusivement de lexpérience occidentale. Cest à ce
titre que la nouvelle typologie proposée par Gunther et Diamond (2003) constitue un
apport significatif à lunification théorique de létude des partis, ce
dautant plus quils prennent en compte lexpérience des partis extra
occidentaux. De toutes ces typologies, la théorie des clivages sociaux de Lipset et
Rokkan (1967) et lapprofondissement de Seiler (1986, 2000, 2001) occupent une place
à part.
a - Lipset et Rokkan (1967) : la théorie des clivages sociaux.
La théorie des clivages sociaux part dune analyse du rôle
joué par les partis politiques dans la société et établit ainsi une typologie des
partis fondés sur le projet de société ou idéologie. Selon Lipset et Rokkan (1967
:14), quatre clivages sociaux traversent les sociétés politiques occidentales : « Two
of these cleavages are direct products of what we might call the National Revolution: the
conflict between the central nation-building culture and the increasing resistance of the
ethnical, linguistically, or religiously distinct subject population in the provinces and
the peripheries (1); the conflict between the centralizing, standardizing, and mobilizing
National State and the historically established corporate privileges of Church (2). Two of
them are products of the Industrial Revolution: the conflict between the landed interests
and the rising class of industrial entrepreneurs (3); the conflict between owners and
employers on the one side and tenants, laborers, and workers on the other (4)
Much of the history of Europe since the beginning of the ninetheeth
century can be described in terms of the interaction between these two processes of
revolutionary change: the one triggered in France and other originating in Britain»
Suivant cette logique, la Révolution nationale a été à la base du
clivage Eglise/Etat, qui a engendré les partis démocrates chrétiens et les partis
anticléricaux et laïques dune part, dautre part le clivage
Centre/Périphérie a donné naissance aux partis centralistes et péripheristes. La
Révolution industrielle a donné naissance au clivage possédants/travailleurs, à la
base des partis bourgeois et ouvriers, et le clivage primaire/secondaire qui a donné lieu
aux partis agrariens et urbains. Dans un ouvrage postérieur, Rokkan en ajoute un
cinquième clivage, issu des conflits possédants/travailleurs. La victoire bolchevique en
Russie engendre la révolution internationale. Elle divise le camp des non propriétaires
et travailleurs en ceux qui se rallient à la révolution soviétique et ceux qui sy
opposent ou du moins refusent den accepter les mots dordre (Seiler, 2000 :
75-77). Elle donne naissance au clivage socialiste/communiste, et aux partis socialistes
et communistes.
Le principal apport de cette typologie tient à ce que Lipset et Rokkan
(1967) partent de lanalyse des conflits politiques qui ont présidés par
occurrences successives à la différenciation des systèmes partisans. Comme le note
justement Hottinguer (1998 : 20) , le message essentiel de son modèle est simple dans son
principe « il signifie quon ne peut pas expliquer la forte différentiation
observable dans la structuration des partis politiques de masse en Europe de lOuest
sans remonter loin dans lhistoire, sans analyser ses conditions fondatrices fort
distinctes selon les pays, sans donc prendre en compte les processus précurseurs
dorganisations territoriales, de construction des Etats et de gestion des ressources
de pouvoir ».(appliquée à notre champ détude, elle implique la prise en compte
de la longue durée).
La principale critique formulée contre cette théorie concerne
lhypothèse de la congélation (freezing) des systèmes partisans. En effet, selon
Lipset et Rokkan (1967 :50-51), les systèmes de partis en Europe se seraient congelés
après la Première Guerre Mondiale et linstauration généralisée du suffrage
universel. Largument invoqué par la plupart des auteurs consiste à dire que depuis
1920, les systèmes partisans se sont mis en mouvement avec la résurgence par exemple des
nationalismes et des conflits sur les valeurs. Cette théorie inspire la plupart des
typologies depuis 1967 et plus particulièrement celles de Seiler et Klaus von Beyme qui
en sont des prolongements et approfondissements.
b Seiler9 : la remise en cause de la pertinence de la distinction droite/gauche
et lapprofondissement de la théorie des clivages
La contribution de Seiler telle quelle ressort de ses trois
principales publications (1986, 2000, 2001) peut être regroupée en deux axes :
Le premier apport de Seiler à la typologie des partis se situe au
niveau de la remise en cause des typologies de sens commun droite/gauche. En effet, Selon
Seiler (2000 : chap. 3 et 4, 2001), les classifications fondées sur les critères
didéologie ou de programme sont extrêmement relatives. Il sagit plus
précisément des typologies qui sappuient sur laxe droite-gauche notamment
parce que ce concept est ethnocentré et à géométrie variable. Lethnocentrisme du
concept vient de ce quil a été initialement inventé en France vers 1792 pour
designer une série doppositions successives, absolutistes contre libéraux,
monarchistes contre républicains, cléricaux contre laïcs, possédants contre
travailleurs, etc. (Seiler, 2001 : 10). Ensuite, les mots droite/gauche ont une
signification à géométrie variable dans le temps et dans lespace. Émotive ment
chargés, culturellement connotés, ces deux mots sont dénués de toute pertinence
scientifique et ne peuvent donc pas fonder une classification sérieuse des partis. Toutes
les typologies issues de ce vocabulaire sont ainsi qualifiées de « typologie étiquette
», cest à dire celle qui consiste à croire que les étiquettes des partis
quon retrouve en abondance et dans le même énoncé dans la plupart des pays
désignent la même réalité. Autrement dit, confondant les « mots » et les « choses
», cette typologie postule que les vocables comme conservateur,
démocrate-chrétien, libéral ou socialiste signifient
partout la même chose et que, par conséquent leur portée serait, sinon universelle, du
moins valable pour laire culturelle occidentale » (Seiler, 2001 : 9). Dans le même
sens, Offerlé (2002 : 120) note à juste titre que « derrière un même sigle se cachent
dans lespace et dans le temps des sociations extrêmement différentes ». Cette
critique en dépit de sa pertinence semble sombrer dans les travers du substantialisme et
de lessentialisme qui consistent à donner un contenu fixé une fois pour toute à
un concept. Les concepts comme les choses changent. En essayant déchapper à «
lélasticité conceptuel » Seiler frise la glaciation des concepts.
Le second apport de Seiler (2000) réside dans lélargissement du
paradigme de Lipset et Rokkan (1967). Il identifit ainsi huit familles de partis en
occident qui procèdent des deux versants opposés de chacun des quatre clivages
fondamentaux. Il obtient ainsi :1- les partis patrimoniaux ou « bourgeois » ou de «
droite », 2- les partis ouvriers ou de « gauche », issus pour ces deux familles du
clivage possédants/travailleurs ; 3- les partis cléricaux ou chrétiens, issus du
versant ecclésial du clivage Eglise/Etat ; 4- les partis agrariens et écologistes, issus
du versant « rural » ou « nature » du clivage rural/urbain ; 5- les partis de défense
territoriale, issus du versant « périphérie » du clivage centre/périphérie ; 6- les
partis nationalistes centristes, issus du versant « centre » de ce clivage ; 7- les
partis anticléricaux et alternatifs, issus du versant « Etat » du clivage Eglise/Etat ;
8- les partis de défense urbaine(Seiler, 2000 :79).
Le principal mérite de Seiler outre davoir fait un effort pour
éviter les expressions issues du sens commun, cest de montrer que plusieurs partis
dun même pays peuvent appartenir à la même famille de parti, et que ces derniers
peuvent, à leur tour être subdivisés. Par ailleurs, même si les partis sont des
acteurs historiques autonomes, ils ne sont jamais « mariés à vie » avec la famille
politique dorigine car, ils peuvent se réaligner dans un clivage plus porteur. En
effet, « Le phénomène de survivance, relève Seiler, démontre à souhait le dynamisme
et la capacité dadaptation des organisations face à la logique de lhistoire.
Il sagit des cas où des partis survivent aux causes qui les engendrent et à
lobsolescence de leur projet. Le phénomène de décalage peut aussi se manifester
en sens inverse
» (Seiler, 1986 : 116).
Cette analyse de Seiler, est aussi dans une large mesure une version
revue et corrigée des « familles spirituelles » de Klaus von Beyme, qui
sintéressant aux démocraties occidentales, identifie en 1985 neuf familles
politiques qui se sont succédées dans le temps sur le champ politique (liberal and
radical parties, conservative parties, socialist and social democratic parties, christian
democratic parties, communist parties, agrarians parties, regional and ethnic parties,
right-wing extremist parties and ecology movement) (Ware, 1996 : 21-43).
c - Duverger (1976) : La distinction partis de cadres / partis de masses
La typologie de Duverger (1976 : 119-129) se fonde sur la
structure des partis : « la distinction des partis de cadres et des partis de masses ne
repose pas sur leur dimension, sur le nombre de leurs adhérents : il ne sagit pas
dune différence de taille, mais de structure ». Trois critères sont mis en
uvre pour opérer la distinction, le mode de recrutement et le financement,
linfrastructure social et politique et larmature des partis.
Suivant le premier critère, les partis de masses sont ceux qui
accordent une importance fondamentale au recrutement pour deux raisons : politiquement les
matières des partis de masses sont leurs adhérents à qui il faut apporter une «
éducation politique » pour en dégager une élite susceptible de prendre en main le
gouvernement et ladministration du pays. Financièrement, les partis de masses
reposent sur les cotisations des membres qui permet à la fois léducation politique
et le financement des élections dans la mesure où le « financement est démocratique et
non capitaliste ». Les partis de cadres par contre sont ceux où ladhésion est
basée sur les qualités et la situation personnelle de lindividu, et donc
réservée à quelques individus triés sur le volet, à savoir les notables influents,
techniciens ou financiers. Le financement est donc capitaliste.
Le second critère, linfrastructure sociale et politique, renvoie
au passage du suffrage restreint au suffrage universel, ce que Weber (1959 :171) qualifie
de « démocratie plébiscitaire ». Ici, les partis de cadres sont ceux qui se sont
développés dans le cadre du suffrage restreint alors que les partis de masses ont connu
leur développement avec la démocratisation de laccès des populations à la scène
politique. Doù il ressort que « la distinction des partis de cadres et des partis
de masses correspond également, à peu près, à celle de la droite et de la gauche, des
« partis « bourgeois » et des partis « prolétariens » (Duverger, 1976 : 126).
Le troisième critère enfin, renvoie à larmature partisane.
Dans cette perspective, les partis de cadres correspondent aux partis de comités,
décentralisés et faiblement articulés, tandis que les partis de masses correspondent
aux partis basés sur les sections, plus centralisés et faiblement articulés.
Les partis de cadres sont le produit du suffrage censitaire, dont
lobjectif principal est la distribution des privilèges. Ici, la compétition est
limitée à la désignation des pairs ; elle est en outre complètement contrôlée par
les partis. Le parti fonctionne sur la base de ressources personnelles, dominé par les
élites, le militantisme y est limité. De ce fait, les frontières entre la société,
les partis et lEtat sont floues et la représentation est basée essentiellement sur
la confiance. Les partis de masses sont au contraire le résultat de la démocratisation
du suffrage universel. Avec lirruption des masses sur la scène politique, le
principal objectif des partis de masse est de procéder à la reforme sociale. Dans cette
logique, le militantisme dans ces partis est très développé et cest de ces
adhérents que le parti de masse tire lessentiel de ses ressources ; par
conséquent, il y a un contrôle relatif du parti par la base. Le parti de masse apparaît
ainsi comme le représentant de la société face à lEtat. Cette distinction
fondée sur la variable organisationnelle a été remise en cause.
En effet, outre la critique méthodologique de Wildavsky (1968 :
368-375) relevée plus haut, Charlot (1971 : 194), remet en cause le critère
organisationnel utilisé pour cette typologie. Cette variable ne lui semble pas
stratégiquement la meilleure pour plusieurs raisons : « Dabord ce nest pas
une variable propre aux seuls partis politiques, mais à toutes les grandes organisations.
Ensuite et surtout, loin dexprimer et de pouvoir résumer en quelque sorte les
autres aspects de la réalité partisane, la variable organisationnelle a une forte
autonomie. Toute organisation a tendance à persévérer dans lêtre en dépit des
bouleversements extérieurs : la nature dun parti peut changer sans que son
organisation ne soit modifiée ; plus on séloigne des origines du parti moins son
organisation reflète sa nature » Charlot (1971 : 194). Cest dans une certaine
mesure pour combler les limites de la typologie de Duverger que Kirchheimer a élaboré un
nouveau type de parti, le parti catch all.
d - Kirchheimer (1971) : Lavènement des partis catch-all
Cet auteur fonde sa théorie du « parti attrape-tout » sur une
mise en situation historique de la dichotomie partis de cadres/partis de masses. La
période prise en compte comprend lentre deux guerre et laprès guerre.
« Au stade suprême du développement, soutient-il, lexpansion
économique gomme les disparités et efface les antagonismes de classe. Labondance
sape les bases des oppositions idéologiques dhier. De conflictuelle, la société
devient consensuelle. En outre, lirruption des masses medias favorise la
personnalisation du pouvoir. Doù une dépolitisation et une
désidéologisation qui ne peuvent pas être sans effet sur les partis
politiques » (Schwartzenberg, 1998 : 431). En effet, selon Kirchheimer, laprès
guerre marque un tournant décisif dans le mode dorganisation des partis : « Après
la seconde guerre mondiale, le vieux parti bourgeois de représentation individuelle est
devenu lexception. Sil sen trouve toujours quelques spécimens, ils ont
cessé dêtre un élément déterminant des systèmes de partis. De plus le parti
dintégration de masses, produit dune époque aux oppositions de classes plus
dures et aux structures religieuses plus tranchées, est entrain de se transformer en
parti de rassemblement du « peuple ». Abandonnant toute ambition dencadrement
intellectuel et moral des masses, il sintéresse plus pleinement à la vie
électorale, dans lespoir déchanger une action en profondeur contre un public
plus vaste et des succès électoraux plus tangibles. Cette ambition politique plus
limitée et ce souci des contingences électorales sont très éloignés des vastes
ambitions dautrefois ; de telles ambitions, aujourdhui, sont considérées
comme gênantes, car elles éloignent certaines catégories dune clientèle
potentielle à la mesure de la nation.» (Kirchheimer, 1971 : 213).
Dominés par des soucis de contingences électorales, ces « partis de
rassemblement » sont tournés davantage vers leurs électeurs que vers leurs adhérents
à la différence des partis de masses. Dès lors, le pouvoir y appartient non à des
adhérents, mais à des élites, qui ne se font pas dans le parti, mais viennent souvent
de lextérieur. Enfin, pour recueillir le maximum de suffrages dans toutes les
catégories socioprofessionnelles, les partis « attrape-tout » intensifient et
diversifient ses relations avec les groupes dintérêts qui sont véritables
réservoirs délecteurs. Alors que les partis de masses assurent une représentation
classique et apparaissent comme des représentants de la société face à lEtat,
les partis catch-all apparaissent plus comme des entrepreneurs et comme des courtiers
concurrents entre la société et lEtat.
Le principal mérite de cette typologie cest quil permet de
rendre compte des partis de droite que Duverger ne classait que par différence dans la
catégorie des partis de cadres. Il permet aussi de mettre sur le même plan des partis de
même nature mais dorganisation ou de doctrine opposé comme le Parti travailliste
et le Parti conservateur britanniques. Toutefois, comme la typologie de Duverger, la
typologie dOtto Kirchheimer est soutendue par un évolutionnisme et est teinté
didéologie. Charlot note à cet égard que : « de même que Maurice Duverger
trahissait ses préférences idéologiques en décrivant la décadence des partis de
cadres et le caractère naturel et inéluctable des partis de masses, Otto Kirchheimer
révèle une vision idéale de la démocratie du consensus et du règlement pragmatique
des conflits en faisant de son Catch-All Party la forme moderne des partis »
(Charlot, 1971 : 195-196).
Il proposera dans cette perspective de substituer au parti catch all le
« parti délecteur » (idem : 217-218). Seiler (1986 : 97) propose pour sa part de
substituer au concept attrape-tout, le concept «horizontal». Ainsi, le «
parti horizontal » renvoie à « un parti qui couvre une portion de terrain politique qui
va de la « droite » incluse, à la « gauche » incluse. Les termes de droite et gauche
étant pris dans leur acception socio-économique actuelle. C'est-à-dire que ce type de
parti se situe à la fois dans lopposition droite /gauche et « ailleurs ».
Ailleurs, car ces partis parviennent à rassembler hommes de droite, du centre et de
gauche autour dun projet politique qui transcende les notions de droite et de
gauche. Dotés dun projet non réductible à la dimension droite-gauche, les partis
horizontaux ne lui restent cependant pas étrangers : elle les traverse portant le débat
au cur du parti » (Seiler 1986 : 97).
e - Katz et Mair (1995) : Lavènement du parti cartel, agent de lEtat
Katz et Mair (1995) partent de lidée que les différents
modèles de partis peuvent être localisés en prenant comme variable principale la nature
des relations entre la société civile, le parti et lEtat et une certaine
conception de la démocratie. Sur cette base, Katz et Mair soutiennent que: «
the
developpement of parties in western democracies has been reflective of a dialectical
process in which each new party type generates a reaction that stimultes further
develpppement, thus leading to yet another new party type, and to another set of
reactions, and so on. From this perspective, the mass party is simply one stage in a
continuing process.
the factors facilatating this dialectic do not derive solely
from changes in civil society, but also from changes in the relation between the parties
and the state. In particular we argue that there has been a tendency in recent years
towards an ever closer symbiosis between parties and the state and that this then sets the
stage for the emergence of a new party type, which we identify as «the cartel party» ».
(Katz et Mair, 1995 : 6).
Plutôt quune définition précise du concept de « parti cartel
», ils en proposent les principales caractéristiques : dabord, le parti se
distingue des partis qui sont une émanation de la société civile et des partis catch
all qui se situent dans une position intermédiaire entre la société civile et
lappareil étatique. Le parti cartel se situe dans lEtat agissant à la limite
comme un agent entre ce dernier et la société civile ; ensuite, les partis cartels
dépendent dans une large mesure des subventions de létat, sur lesquelles ils
décident du fait de leurs positions de législateurs. Comme conséquences logiques, le
militantisme y est peu développé et lorganisation y est stratarchique,
c'est-à-dire que les relations entre le sommet et la base sont caractérisées par une
grande autonomie. « contemporaneously, the relationship between parties and the state
also changes, suggesting a new model (
). In this model, parties are less the agents
of civil society acting on, and penetrating, the state, and rather more like brokers
between civil society and the state, with the party in government(i.e. the political
ministry) leading an essentially Janus-like existence. On one hand, parties aggregate and
present demands from civil society to the state while on the other they are the agents of
that bureaucracy in defending policies to the public » (p.13). « In short, the state,
which is invaded by parties, and the rules of which are determined by the parties, becomes
a fount of ressources through which these parties not only help to ensure their own
survival, but through which they can also enhance their capacity to resist challenges from
newly mobilized alternatives. The state in, becomes an institutionalized structure of
support, sustaining insiders while excluding outsiders. No longer become simple brokers
between civil society and the state, the parties now absorbed by the state. From having
first assumed the role of trustees, and then later of delagates, and then later again, in
the heyday of catch all party, of entrepreneurs, parties have now become semi-state
agencies ». (Katz et Mair, 1995 : 16).
Ce model a fait lobjet dune critique méthodique de la part
de Koole (1996) et dune réponse à cette critique de la part de Katz et Mair
(1996). La critique de Koole porte en premier sur le concept de parti cartel. Non
seulement le concept nest pas défini rigoureusement, mais en plus
lapplication dune propriété systémique pour caractériser des partis
individuels nest pas pertinente (Koole, 1996 :508). Sur la definition proprement
dite «
its not clear which of these « characteristics » are « defining »
properties and which are « empirical » properties. For a proper analysis of parties
types, this seems to be a useful distinction. If, for example, cartel parties were defined
as parties that depend for more than 50% of their income on state subsidies, this would be
a clear definition. The other « characteristics » of cartel party (politics as
profession, privileged access to state regulated channels of communication, a
stratarchical relation between ordinary members and party elites, etc.) could then be
regarded as features most cartel parties posses, but which may not be limited to the
cartel party type only ».
Par ailleurs, le modèle de cartel rend davantage compte des
propriétés dun système que dun parti pris individuellement. Si le concept
de cartel implique la prise en compte de tous les compétiteurs majeurs dans un marché,
comment dès lors appliquer ce concept à seulement quelques uns de ces partis. Mieux
encore, « applying the term cartel to label a new party type, therefore those
not seem to be a happy choice. It also risk mixing scholarly research on parties with
neopopulist sentiments that appear to be widespread in present days western countries. The
term cartel party, supposedly characterized by interparty
collusion has a conspirative connotation that should be avoid as long as evidence is
laking that established parties as group consciously and effectively try to impede
outsiders from getting in » (p. 517). Pièges de la reprise du langage et du lexique du
sens commun qui traduisent souvent une lutte de classement entre acteurs politiques
(Seiler, 2001 : 5).
En outre, lanalyse des partis cartels est prisonnière dune
approche stato-centrée, car en analysant les partis comme devenant de plus en plus
ancrés dans lEtat, comme des agents étatiques (agent of the state), ils font comme
si le pouvoir politique était concentré dans le seul appareil étatique, alors
quil est de plus en plus diffus (Koole, 1996 : 519). Enfin on reproche le
déterminisme évolutionniste qui soutend lanalyse de Katz et Mair. En postulant
quà chaque moment de lhistoire correspond un type idéal (de parti de cadre,
parti de masse, parti catch all, parti cartel), ils succombent aux charmes dun
déterminisme évolutionniste car au final ils recherchent tout simplement « the one best
party ».
Quoi quil en soit de toutes ces limites, le model de parti cartel
semble particulièrement heuristique pour étudier les systèmes de partis et les partis
dominants africains pour plusieurs raisons. Dabord, ici un peu plus
quailleurs, lEtat reste pour lessentiel un acteur puissant contrôlant
laccès aux ressources variées (laccès aux médias publics, financements,
etc.). En outre, la « collusion » entre un certain nombre de partis est plus apparente.
Paradoxalement donc, le modèle de parti cartel conçu à partir de lexpérience
occidentale peut sappliquer sans modifications substantielles au terrain africain.
Ensuite, le concept même de cartel, tel que formulé par Liphardt pour rendre compte des
sociétés homogènes, est un outil pertinent pour comprendre la vie politique dun
pays comme le Gabon où des formules comme « Gabon dabord », ou encore «
consensus national gabonais » sont en vigueur. Par ailleurs, linterpénétration
Etat/parti y est plus apparente, mieux lancrage des partis dans lEtat est plus
visible notamment parce que même les partis dopposition y sont des partis de
gouvernement. Au Cameroun, lUPC et lUNDP par exemple sapparentent à des
partis de gouvernement.
f - Gunther et Diamond (2003) : le renouveau des typologies
Dans cette contribution majeure, Gunther et Diamond (2003) se
proposent de réévaluer les diverses typologies existantes afin den proposer une
nouvelle prenant en compte les expériences partisanes dans le monde. Cette typologie
sappuie sur trois critères, la nature de lorganisation formelle,
lidéologie et la stratégie des partis. Sur cette base, ils identifient cinq
catégories et quinze espèces de partis.
La première catégorie est formée des partis délites
(elite-based parties) constituée de deux espèces de partis. Le parti traditionnel local
de notables (traditional local notable party) et le parti clientéliste. La seconde
catégorie de partis est formée des partis de masse (mass-based parties). Elle-même
subdivisée en six espèces de partis. Dabord, sur la base de leur programme, on
distingue les partis socialistes, les partis nationalistes et les partis religieux.
Ensuite, sur la base de leur rapport positif au pluralisme ou au contraire par rapport à
leur volonté hégémonique, les partis socialistes se décomposent en deux sous espèces
: le parti de classe masse (class mass) et le parti léniniste ; les partis nationalistes
se subdivisent en parti nationaliste pluraliste et en parti ultranationaliste ; et les
partis religieux se subdivisent en parti denominationnel et en parti fondamentaliste. La
troisième catégorie est constituée des partis ethniques (ethnicity-based parties) qui
comprend le parti congressiste, qui est une coalition, alliance ou fédération de partis
ethniques dune part, et le parti ethnique proprement dit dautre part. La
quatrième catégorie est formée par les partis électoralistes (electoralist parties)
constitués de trois espèces de partis, le parti catch-all, le parti personnaliste et le
parti programmatique. Enfin, la cinquième catégorie formée des partis mouvements
(movements parties), comprend deux espèces de partis, le parti libertaire de gauche
(left-libertarian) et le parti post industriel dextrême droite (post-industrial
extrem right).
Le principal mérite de cette typologie cest daller au
delà de la seule expérience occidentale pour prendre en compte les expériences
partisanes des autres régions du monde, notamment lAfrique et lAsie. En
outre, non seulement cette typologie est synthétique, parce quelle prend en compte
les principaux critères souvent mobilisés séparément (structures, idéologies,
stratégies), mais en plus elle ne postule pas, comme cest souvent le cas, la
prédominance dune forme partisane sur une autre. Ce faisant, la typologie de
Gunther et Diamond (2003) échappe dans une large mesure à lethnocentrisme qui sous
tend les travaux de tous leurs devanciers (Duverger, Kirsheimer, Katz et Mair, Lipset et
Rokkan, etc.).
Les différentes théories de létude des partis ne sont pas
irréductibles les unes par rapport aux autres. Elles se complètent dans la mesure où
elles mettent en uvre les différents éléments considérés comme pertinents par
la recherche. Toutefois, limitée au contexte européen, élaborée parfois à partir de
lhistoire dun ou de deux pays dune même aire géographique et
culturelle, cette théorie générale nintègre pas toutes les contributions des
partis à travers le monde. Dès lors, pour paraphraser Badie (1998 : 137), il faut passer
du « parti politique », objet universel abstrait au « parti africain », objet
singulier et concret.
II
aux partis africains en particulier
Il en est de même de lobjet « parti africain » comme de
lobjet « Afrique », « Etat africain » ou « pouvoir africain », son statut
épistémologique et théorique est sujet à caution (Tshiyembé Mwayila, 1998 ; Gazibo
(2001, 2006b) ; Sindjoun (2002b) ; Kamto (1987) ; Bayart, 1989). Mais un peu plus que ces
objets cependant, les partis africains sont un « objet perdu » (Gazibo, 2006a). Il est
difficile de définir un parti africain parce quil sagit dun concept
formé en dehors de lAfrique et pour rendre compte des expériences propres aux pays
occidentaux. Ce faisant, il est forcement chargé de valeurs et didéologies. Ici,
il est question de sinscrire dans la problématique de la politique comparée
plutôt que dans celle plus large de la scientificité comme nous lavons fait dans
la première partie. Autrement dit, cest en mobilisant les paradigmes de
luniversalisme et du relativisme culturel que nous évaluerons lévolution de
létude ainsi que la place des partis politiques africains dans la stasiologie.
Lintérêt dune approche comparative des institutions
politiques a été abondamment démontré par Chevallier (1996). En effet, « les
institutions offrent un terrain privilégié pour le comparatisme
Du fait de leur
généralité et de leur stabilité, les institutions constituent en effet un point
dancrage solide pour le comparatiste ; elles donnent prise à la comparaison »
(Chevallier, 1996 : 27). Dès lors, comment penser sereinement les partis africains ? La
réponse à cette question est problématique en ce sens que le concept de parti ainsi que
lappareillage méthodologique et théorique qui sert à lanalyser ont presque
tous été forgés par la science politique occidentale. Si on peut parler dun parti
au singulier, relater son histoire, décrire par le menu les rouages de son organisation,
on ne peut en outre évoquer les partis que par la médiation dun concept fruit
dune généralisation, et partant, établit par le recours à la méthode
comparative (Seiler, 2001). Ainsi donc, étudier les partis africains devient un lieu de
rencontre et daffrontement des conceptions de la politique comparée. Quest ce
que les partis africains ont de commun avec les partis occidentaux ? Lenjeu ici est
de discuter la pertinence du phénomène partisan en Afrique, de voir dans quelle mesure
des grilles théoriques formulées ailleurs peuvent ou non permettre den rendre
compte dans une aire culturelle différente. En dautres termes, analyser les partis
africains, évite de formuler un comparatisme qui vient du centre vers la périphérie,
mais plutôt une comparaison qui se situe entre luniversalisme et le relativisme
culturel. Lapproche comparative permet ainsi à la fois de déterminer ce qui fait
la spécificité de ces institutions et ce qui les rapproche des institutions d «
ailleurs » (Sindjoun, 2002a; Badie et Hermet, 2001; Surel et Mény, 2004; Seiler, 2001).
Ici, on se propose de comparer des faits sociaux relevant des mêmes catégories mais
sinsérant dans des contextes différents, de manière à expliquer leur genèse et
les différences de configuration et dagencement qui les distinguent.
Ici comme ailleurs, la recommandation de Durkheim doit être prise au
sérieux, avant de discuter des différentes écoles de létude des partis africains
(II), il convient dabord de sentendre sur ce que « parti africain » veut
dire (I), car « de la définition initiale de tout objet découle un point de vue. Et de
tout point de vue découlent des méthodes et des références conceptuelles » (Offerlé,
2002 : 3).
A - Ce que « parti africain » veut dire
Ici, il na y pas de querelle de mots. Mais la prise en compte de
lhistoricité des partis ainsi que de la signification à lui accoler peuvent être
intéressants.
En effet, lhistoire du phénomène partisan révèle que
cest au Libéria que le True Whig Party, premier parti politique africain, fut
créé dans les années 1860 (Lavroff, 1978 : 7 ; Carbone, 2006 : 19). Avec la
colonisation, les partis politiques seront importés/ exportés dans le reste de
lAfrique un siècle plus tard. Cest ainsi que dans les années 1940, la
démocratisation partielle des régimes coloniaux va entraîner le multipartisme dans la
plupart des États coloniaux au Sud du Sahara (Coleman, 1960 : 286-313). Comme
conséquence, les partis politiques vont se multiplier. Ainsi, entre 1945 et 1968, plus de
148 partis seront établis sur le continent africain (Mozaffar, 2005 : 395-396). Comparant
lorigine des partis africains et non africains, Janda, en 1962, faisait ressortir
que sur 72 partis répertoriés, 3% sont dorigine parlementaire, 40% dorigine
extérieure, c'est-à-dire créés par des chefs religieux, des chefs syndicaux, des
intellectuels ou par des chefs ethniques, 53% dautre origine, c'est-à-dire soit par
scission, fusion ou autre et 4 % sont dorigine inconnue (Janda cité par Charlot,
1971 : 35). Avec laccession aux indépendances dans les années 1960, ce pluralisme
politique cède progressivement la place aux partis uniques (Schachter-Morgenthau, 1998).
LÉtat post colonial de la deuxième génération aura comme trait caractéristique
le retour au pluralisme politique avec la consécration constitutionnelle du multipartisme
et linstitutionnalisation progressive des systèmes à parti dominant (Bogaards,
2004). Ainsi, lEtat africain et ses institutions sont non seulement « jeunes »,
mais leur histoire a été (et est) largement influencée par lexpérience
occidentale, ce qui nest pas sans effet sur leur étude. Ainsi, létude des
partis africains comme de lEtat souffre de ce que Sindjoun (2002a : 11-18) a
labellisé de « pesanteur des problématiques institués ».
Dès lors, la réflexion sur la signification du parti africain dans la
littérature fait apparaître plusieurs stratégies concurrentes de définition. Pour
certains auteurs, comme Thomas Hodgkin, les partis renvoient à « toutes organisations
politiques qui se considèrent elles-mêmes comme des partis et qui sont généralement
considérées comme tels » (Hodgkin, cité par Gonidec et Tran Van Minh, 1980 : 311) ;
alors que dautres sefforcent de démontrer que les partis africains sont des
institutions au même titre que les lignages et les tribus par exemples
(Schachter-Morgenthau, 1998) ; certains se contentent de considérer que cette définition
va de soi et ne prennent donc pas la peine den proposer une ; cest le cas de
Lavroff (1978) et Charles (1962). Pour sa part, Bayart (1970 : 684-685) se limite à
relever que « des difficultés de définition : la distinction entre partis, associations
tribales, groupes dintérêts savèrent particulièrement complexe ». Par
contre, certains considèrent que les partis africains, produit de limportation sont
de « pales copies » des partis occidentaux (Badie, 1992) ; dautres, dans une
perspective plus radicale, à linstar de Alistair MacIntyre, se sont sérieusement
posés la question de la pertinence du transfert de ce concept aux organisations
africaines : « Why do we think of these as parties, rather than as, say, churches? The
answer that they have some of the marks of American political parties, and that they call
themselves parties does nothing to show that in fact the meaning of party is
not radically changed when the cultural context is radically changed, or that even if it
is not changed the description has not become inappropriate. The intentions, the beliefs,
the concepts which informs the practices of African mass parties provide so different a
context that there can be no question of transporting the phenomena of the party to this
context
» (Cité par Ware, 1996: 127).
Ainsi, deux logiques sont à luvre dans la littérature consacrée à la
définition des partis politiques africains ; la logique de lirréductible
spécificité des partis africains et la logique de la banalisation des partis africains.
Dans la première perspective, les partis africains sont traités comme lEtat
africain ou la démocratie, c'est-à-dire un concept à luniversalité douteuse.
Dans la seconde perspective, les partis politiques africains sont appréhendés comme un
objet scientifique banal. Ici, on compare les partis africains aux partis occidentaux pour
voir dans quelle mesure ils remplissent les mêmes fonctions et jouent les mêmes rôles
que les partis ailleurs. Chacune de ces deux thèses présentent des limites. La
dialectique parti à part et parti à part entière semble ainsi être le fil conducteur
autour duquel la signification opératoire du parti africain doit être recherchée.
1 - Le « parti africain » comme parti à part
Le parti africain comme à part renvoie au fait quun parti
politique peut être clairement distingué des partis occidentaux. Ainsi, Dans la
perspective de Lavroff (1978 : 12-29), dire que les partis Africains sont des partis à
part signifie quils ont été mis sur pied par les africains et recouvrent des
membres de plusieurs nationalités, doù leur caractère interterritorial. Cette
nuance permet ainsi de distinguer les partis issus de laction des africains des
simples démembrements locaux des partis métropolitains. Lexemple emblématique est
le RDA, créé en 1946, il lui a fallu attendre sa rupture en 1950 avec le Parti
Communiste Français, auquel il était apparenté, pour que ce dernier devienne un parti
africain et que son audience augmente auprès des africains. Selon Lavroff (1978 : 12-13),
« il y a
simultanéité de lapparition des partis proprement africains et
création de partis interterritoriaux ». Un parti africain se caractérise donc par sa
nature interterritoriale et labsence dapparentement avec les partis
métropolitains. Cette conception de « parti proprement africain » est restrictive parce
quelle ne semble pas prendre en compte les partis ethniques, territoriaux,
régionaux mis en exergue par la typologie de Hodgkin.
Plus profondément, les partis africains sont des partis à part parce
quils sont fondamentalement différents des partis occidentaux. Ainsi, selon Badie
(1992 : chap. 5), les partis africains sont de pales produits de limportation et
donc de la dépendance. En effet, selon Badie (1992 : 178) le phénomène partisan en
Occident se fonde sur trois caractères inexportables, car façonnés par une longue
histoire. Dans la même perspective, Hermet et al. (2001 : 233) précisent que les partis
politiques des pays en développement sécartent substantiellement des partis
politiques occidentaux tels que la science politique les a saisi et analysé. Agents
dintégration et de conflits dans les sociétés occidentales, ils accomplissent de
toutes autres fonctions : faute de concourir à lexpression de clivages et de
pouvoir entretenir une réelle allégeance citoyenne, ils servent essentiellement de
support à lémergence et à la pérennisation dune classe politique sans
parvenir à raccorder celle-ci à lensemble des gouvernés.
Considérer les partis africains comme des partis à part, est une
perspective intéressante notamment parce quelle prend au sérieux les contextes.
Mais, cette approche de la spécificité souffre dans une large mesure dune erreur
épistémologique résultant dune importation incontrôlée dans le champ africain
des termes de léquation parti politique égale démocratie. On se trouve confronté
avec cette approche à deux problèmes.
Le premier problème est celui de lencapsulation du concept de
parti dans celui de la démocratie. Or les termes de léquation parti politique
égale démocratie doivent être revérifiés en ce qui concerne lAfrique. Notamment
parce que, le contexte démergence des partis politiques dans les années quarante
est largement dominé par le paradigme de lindépendance. C'est-à-dire que
cest par et dans le cadre de ce paradigme que la vie politique des sociétés
africaines est perçue, aussi bien par les acteurs locaux quinternationaux. Par
ailleurs, dans le cadre de lEtat post colonial de la première génération, le
paradigme fondamental est celui de la construction et de la consolidation des bases de
lEtat ; ici, les partis sont conçus comme des instruments non pas de la
démocratie, mais davantage comme des instruments au service de la consolidation de
lunité nationale (que lon soit daccord avec cette idéologie ou pas). A
moins de considérer lIndépendance et la Construction de lEtat comme des
synonymes de la Démocratie10, il apparaît clairement que cest seulement à partir
des années 1990 quun lien direct peut être établi entre parti et démocratie au
sens occidental. Sattacher donc ainsi à définir le parti africain en
lenfermant dans le cadre restreint de la démocratie ne semble pas judicieux.
Le deuxième problème est lié au postulat qui informe
léquation parti politique égale démocratie. Ce qui est mis en exergue ici,
cest la compétition politique. Or la compétition politique nest synonyme de
compétition électorale que dans le cadre restreint des vieilles démocraties. Très
souvent, le paradigme de la compétition politique rime avec compétition électorale,
donc nécessairement intra-partisane (monolithisme) ou inter-partisan (pluralisme). Dans
un cas comme dans lautre, ce qui est au cur du processus, cest
lélection). Lerreur ici cest de considérer que la compétition
politique se limite à la compétition électorale, et par conséquent de faire comme si
les partis africains étaient les seuls acteurs pertinents de la compétition politique.
La mise en garde de Huntington (1968)11 na pas été suffisamment prise au sérieux,
car il montre clairement que les pays en voie de modernisation se trouvent confrontés
simultanément aux problèmes que les pays modernisés nont affronté que
séquentiellement et sur de longues périodes. Ainsi donc, si en occident la compétition
politique se limite à une seule institution, à savoir les élections, en Afrique par
contre, linstitutionnalisation de la compétition politique a consacré deux
institutions, à savoir les élections et les coups dEtat (Cowen et Laakso, 1997 ;
McGowan, 2003 ; Postner et Young, 2007). Autrement dit, il est sur le plan
épistémologique difficile de comprendre comment on peut parler de partis sans prendre en
compte les armées. Lencapsulation de lanalyse des partis dans le paradigme
démocratique amène la plupart des auteurs à négliger les relations de complicité et
de complémentarité qui existent entre partis politiques et armées, donc entre société
civile et société prétorienne dont ils sont les représentants, dans la mesure où les
élections aussi bien que les coups dEtats sont des modalités solidifiées
daccession au pouvoir, pour ne retenir que la dimension conflictuelle de celles-ci.
Si en Europe, ou dans les vielles démocraties, les partis détiennent seuls le monopole
de la conquête du pouvoir ; Ici, les militaires, les « rebelles » et les partisans au
sens de Carl Schmitt y sont en concurrence avec ces derniers pour la conquête du pouvoir.
De ce fait, la dialectique élections/coups dÉtat doit être envisagée comme le
principe actif de la compétition politique en Afrique12.
De ce qui précède, il apparaît donc que les partis africains sont
des partis à part moins parce quils sont différents des partis occidentaux, - sur
le plan de leurs structures, fonctions, idéologies, etc., - mais davantage parce
quils nont pas encore réussi à revendiquer avec succès le monopole de la
compétition pour la conquête du pouvoir étatique.
2 - les partis africains comme partis à part entière
En reprenant Thomas Hodgkin, Schacter-Morgenthau (1998 : XI) soutenait
en 1964 qu« En Afrique, les partis sont devenus, avec le temps, des institutions au
même titre que les lignages, les classes dâges, ou les sociétés secrètes ».
Cette position tend à la banalisation de linstitution partisane en dépit de la
thèse de linexportabilité des partis en Afrique. Comme les autres institutions,
produit de lexportation, les partis politiques africains font sens. Dailleurs,
Huntington (1968: 411) relève que « in many african countries, the nationalist party was
the single modern organization to exist before independance ». Les partis africains comme
parti à part entière résulte aussi de la consécration constitutionnelle de ces
institutions dans la plupart des Etats africains. En Afrique comme ailleurs ils concourent
à « lanimation de la vie politique et à lexpression du suffrage ».
Les concepts sont des instruments essentiels de la connaissance, mais
ils ne doivent pas être jugés sur leur vérité, mais sur leur utilité théorique
(Dogan et Pelassy, 1981 : 27-28). Tout en reconnaissant la spécificité des contextes, il
convient de prendre en compte les traits communs, linvariant partisan qui transcende
les aires culturelles. Bien quétant lié à lhistoire et à la culture
occidentale, le concept de « parti politique » peut être utilisé pour rendre compte de
ce qui se passe en Afrique. Dans la perspective de Sindjoun, il convient prendre au
sérieux « la vie sociale des concepts » car ce qui importe, cest leur
instrumentalisation paradigmatique (Sindjoun, 2002b : 25).
B - Ce que penser les « partis africains » veut dire : entre universalisme
et relativisme culturel
La richesse des travaux scientifiques sur les partis politiques après
les indépendances (1960-1970) contraste avec leur rareté depuis louverture
démocratique. Comme le note Comi M. Toulabor (2004 : 113), « paradoxalement depuis les
années 1990 avec la redécouverte démocratique, plus on parle des partis politiques
africains, moins ils font lobjet de travaux de recherche ». Gazibo (2006 : 6-8)
identifie trois raisons à cet état de fait : dabord , comme ailleurs, les partis
africains ont suscité la méfiance, ensuite, la faiblesse de létude des partis
avant 1990 sexplique par le contexte, avatars du juridisme des années 1960
dune part et généralisation des régimes autoritaires de lautre, enfin, «
beaucoup de pays une fois vaincues les résistances au multipartisme, les partis se sont
multipliés et ont disparu au grès de fusions et de transhumances à un rythme tel
quil était bien difficile de les prendre au sérieux ». Ce doute sur le «
sérieux » des partis africains est plus sceptique que méthodique13.
Le tour de plus de 60 ans détudes des partis politiques
africains montre que la plupart des études tournent autour du paradigme de
luniversalisme et du relativisme culturel. Dun coté les théories du
développement politique ont étudié les partis africains comme des institutions banales
et les théoriciens de la démocratisation se sont en suite intéressés au rôle de ces
derniers dans la démocratisation en Afrique, de lautre coté certains auteurs ont
étudié les partis africains comme des institutions à part.
1 - Lexplication universaliste des partis africains
Dans cette perspective, ce qui ressort cest que, comme les partis
politiques ailleurs, les partis africains ont été analysés dans une perspective
structuro fonctionnaliste, typologique et des choix rationnels.
a - Lapproche Structuro fonctionnaliste
Dans lexpression structuro fonctionnalisme, « structure »
renvoie non seulement à lorganisation interne des partis politiques africains, mais
aussi à leur idéologie et aux bases économiques et sociales sur lesquelles ils reposent
(Lavroff, 1978 : 60) », et « fonction » renvoie en même temps au fonctionnement et aux
rôles quils jouent dans le système politique et la société africaine en
général. De nombreux théoriciens du « développement politique » (Badie, 1988 ;
Schwartzenberg, 1998 : 193-208) ont consacré dans leurs analyses une place importante aux
partis africains. En effet, en 1966, Lapalombara et Weiner notaient déjà que « the
political party, as an institution, is ubiquitous; that it is present in all forms of the
state and in all manner of political systems and governments. Even dictatorial and indeed,
totalitarian systems seem unable to do without at least one party » (Lapalombara, 2007:
143). Cest ainsi que dans une perspective fonctionnaliste Almond et Coleman (1960)
étudient les partis africains comme des structures dagrégation des intérêts,
Apter (1965) les appréhende comme des instruments de modernisation et Huntington (1968)
les considère comme des institutions de stabilisation de lordre politique. Cette
approche sera renouvelée avec le retour au multipartisme par lanalyse de
linfluence de linstitutionnalisation des partis sur le processus démocratique
en Afrique. Les travaux représentatifs de ce courant sont notamment ceux de Kuenzi et
Lambright (2005), Creevey et al (2005) et Randall et Svasand, (2002).
b - Almond et Coleman (1960) : partis africains, structure dagrégation des
intérêts
Almond et Coleman (1960) sont les principaux tenants de « la
théorie fonctionnaliste du développement » (Badie, 1988 : 43-56). En effet, ils ont
intégré létude du développement politique au sein de la théorie
fonctionnaliste. Dans son acception large, celle-ci envisage la société ou le système
politique comme un ensemble déléments interdépendants. Chacun de ces éléments
contribue dune manière spécifique à lorganisation et au fonctionnement de
lensemble dont il fait partie. Ils proposent ainsi que « political systems may be
compared with one another in terms of the frequency and style of the performance of
political functions by political structures » (Almond et Coleman, 1960: 61). Lun
des postulats de lapproche fonctionnaliste pose que tous les systèmes politiques
ont des propriétés communes et donc, accomplissent les mêmes fonctions, notamment la
fonction de socialisation politique et de recrutement politique, la fonction de
communication politique, la fonction délaboration des lois, la fonction
dexécution des lois, la fonction dadjudication, la fonction
darticulation des intérêts et la fonction dagrégation des intérêts. Or,
la fonction dagrégation des intérêts est assurée spécifiquement par le système
des partis.
Cest dans cette perspective que se situe la première analyse
comparative que Coleman (1960 : 247-368) fait du multipartisme en Afrique Subsaharienne.
Cette étude permet de mettre en exergue lexistence des systèmes à parti unique,
les systèmes de partis compétitifs et le système de partis des pays encore dépendant,
la « comprehensive nationalist parties ». Cependant la caractéristique des systèmes
politiques dAfrique subsaharienne selon Coleman, cest lexistence des
systèmes à parti dominant. Son existence sexplique dans les pays musulman par la
relative homogénéité de la population, le fond culturel islamique commun, le soutien
des traditionalistes (émirs et chefs) ainsi que de lAdministration coloniale. Dans
les autres pays, la prépondérance des systèmes à parti dominant sexplique par le
charisme des principaux leaders nationalistes (Coleman, 1960 : 286-296). Sagissant
de la fonction dagrégation des intérêts proprement dits, les leaders des partis
politiques sont concurrencés par les chefs traditionnels et lAdministration
coloniale. Lagrégation des intérêts savère particulièrement
problématique ici parce que « in most of Africa interets continue to be identified with
race or tribe ». Dans cet ordre didées, le rôle des partis consistait à
construire un intérêt national transcendant les divers intérêts particuliers. Coleman
note que, «
strongly futuristic, their main objective is to create an image of a
post colonial Golden Age in which all interests will find complete fruition. Although
their programs frequently mention the grievances and aspirations of particularly critical
groups (e.g. cocoa farmers, traders, plantation workers, etc.), they nevertheless essay to
identify all particularities with the national interest » Coleman (1960:
331).
Le principal mérite de Coleman cest de montrer quil existe
une différence de degré et non de nature entre les partis africains et les partis
occidentaux.
c - Apter (1965) : parti africain, institution de modernisation
La modernisation rend compte de la politique en Afrique en termes
de passage de la tradition à la modernité, la tradition renvoyant au sacré, à
limportance de la religion, des liens de solidarités primaires, alors que la
modernité est considérée comme renvoyant à la sécularisation, au progrès, à la
solidarité organique. Dans cette perspective, les partis politiques africains sont
considérés comme un instrument central de la modernisation. Selon Apter:
« In the area of political modernization, no single role is of
greater importance than that of party politician. This is because political parties are
themselves historically so closely associated with modernization of Western societies and
in various forms (reformist, revolutionary, nationalist), have become the instruments of
modernization in the developing areas » (Apter, 1965: 179).
En effet, les partis politiques ont un impact significatif sur la
modernisation: « the employement of all the mass media during political campaigns, the
use of journalists, cartoonists, pooster-makers, and pamphleteers, also helps to identify
political action with modernity and to stress the instrumental role of party activity in
change and innovation. Similarly, the registration of voterscomplation of list, and
appointment of polling officers
all encourage the identification of the mechanics of
politics with a modern culture » (Apter, 1965 : 183). Par ailleurs, et sur la base de ces
mêmes postulats, il construit la thèse de lomni fonctionnalisme des partis
africains. Il relève que les partis de masse ont développé de nombreuses fonctions
touchant à la justice, à ladministration, la police, léducation et la
sécurité sociale, en plus des fonctions électorales et parlementaires traditionnelles.
Sil sagit dun parti dopposition à un régime colonial, cela
signifie que le parti constitue un Etat parallèle. Sil sagit dun parti
au pouvoir, cela peut signifier que sestompe la distinction entre le parti et
lEtat (Apter 1965 : 182-191).
Partant ensuite de la distinction des caractéristiques des partis
politiques, c'est-à-dire des partis comme variable intervenante (intervening),
dépendante et indépendante, il considère que les partis africains sont davantage des
variables indépendantes dans la mesure où la société et le Gouvernement sont
dépendants de lorganisation du parti, des décisions des leaders de partis et dans
la mesure où la plateforme du parti simpose à la société (Apter, 1965 :
181-182).
d - Huntington (1968) : parti, institution de stabilisation de lordre politique
Lanalyse que Huntington (1968 : 397-433) fait des partis
politiques dans les pays en voie de modernisation sinscrit en droite ligne de la
problématique construite sur lordre politique. En effet, selon cet auteur, « Just
as economic development depend in some measure, on the relationship between investment and
consumption, political order (as a goal not as reality) depends in part on the
relationship between the development of political institutions and the mobilization of new
social forces into politics » (Huntington, 1968 : vii)
Cest dans cette perspective que les partis sont considérés
comme des institutions de stabilisation de lordre politique. Il existe une relation
causale entre participation politique, institutionnalisation et stabilité politique.
Ainsi, les sociétés ayant créé un large spectre dinstitutions capables de
prendre en charge le passage de la culture de sujétion à la culture de participation
politique sont susceptibles dêtre stables ; les sociétés où la participation
politique excède linstitutionnalisation sont instables tandis que les sociétés
où il existe un équilibre entre un haut degré de participation et
dinstitutionnalisation sont véritablement stables. Ces systèmes politiques sont à
la fois politiquement modernes et politiquement développés, parce quils ont des
institutions capables dabsorber dans le système les nouvelles forces sociales et le
développement de la participation produit par la modernisation. Dès lors, la stabilité
future dune société avec un faible niveau de participation politique dépend dans
une large mesure de la nature des institutions politiques avec lesquels elle fait face à
la modernisation. Or, les principales institutions politiques pour organiser
lexpansion de la participation politique sont les partis politiques et le système
de partis. Doù cette loi : « a society which develops reasonably well organized
political parties while the level of political participation is still relatively
low(
.) is likely to have a less destabilizing expansion of political participation
than a society where parties are organized later in the process of modernization »
(Huntington, 1968 : 398).
Huntington (1968 : 407) postule ainsi une relation causale entre parti
institutionnalisé et stabilité, en dautres termes, les coups dEtat (ici
synonyme dinstabilité) sont plus fréquents dans les sociétés nayant pas au
moins un parti fortement institutionnalisé. Cest ainsi que chiffres en main, il
montre que ce qui importe pour la stabilité dun ordre politique est moins le nombre
de partis politiques que leur degré dinstitutionnalisation. Ainsi, les coups
dEtat sont plus fréquents dans les Etats sans partis que nimporte où
ailleurs (Huntington, 1968 : 407). Bien plus, « in modernizing states, one-party systems
tend to be more stable than pluralistic party systems. Modernizing states with multiparty
systems are, for instance, much more prone to military intervention than modernizing
states with one party, with dominant party, or with two parties » (Huntington, 1968 :
422).
Ce qui caractérise les travaux de ces auteurs de la première
génération, cest de voir comment les partis africains tendent à contribuer à la
construction de lEtat moderne. La seconde génération des auteurs sur les partis
africains se résume pour lessentiel à mesurer linfluence des partis sur le
processus de démocratisation. Doù la mobilisation du concept
dinstitutionnalisation. La littérature sur la transition et la consolidation
démocratique postule une relation daffinité entre le degré
dinstitutionnalisation des partis et des systèmes de partis et la consolidation
démocratique. Cest ce postulat que les auteurs de la seconde génération essayent
de vérifier en Afrique depuis le retour au multipartisme.
e - Kuenzi et Lambright (2005) : système de partis et consolidation démocratique
En sinterrogeant sur la relation entre les systèmes de
partis et la consolidation démocratique dans trente pays africains, ils parviennent à la
conclusion que : « both stability, in terms of the stability of parties roots in
society, and competition, in terms of the number of parties, have a positive association
with democracy in african countries » Kuenzi et Lambright (2005 : 424). En effet, ils
montrent comment la stabilité du système de parti, mesurée à partir de lâge
moyen des partis, et la compétitivité du système de partis, mesurée à partir du
nombre de partis politiquement pertinents, ils formulent trois hypothèses. La première
postule une relation causale positive entre volatilité législative et democracy en
Afrique ; la seconde postule une relation positive entre nombre de partis et démocratie,
et la troisième postule une affinité entre âge des partis et démocratie en Afrique. En
dautres termes, les pays avec les plus vieux partis tendent à être plus
démocratiques que ceux ayant des partis politiques plus jeunes (Kuenzi et Lambright, 2005
: 426-427).
Le principal défaut de cette étude cest que les auteurs situent
leurs analyses à un niveau dabstraction et à un nombre de cas si élevé que
seules des études moins larges peuvent permettre de tester la pertinence et la robustesse
de leurs hypothèses. Cest la perspective adoptée par Creevey et al (2005).
Creevey et al (2005) dans la même perspective, montrent le rôle
majeur que les partis politiques ont joués dans les transitions démocratiques réussies
et divergent à léchelle du Bénin et du Sénégal. Au Bénin, les partis et les
leaders politiques se sont appuyés sur les clivages ethno régionaux pour formuler leur
interaction stratégique, mobiliser le soutien électoral et organiser des élections
compétitives. Au Sénégal par contre, le parti dominant (Parti Socialiste) au pouvoir
depuis les années 1970, a réussi, par un ajustement progressif des institutions
politiques à se maintenir au pouvoir, en permettant par ailleurs à une opposition faible
et fragmenté de participer à la compétition électorale. Cette stratégie sur le long
terme a affaibli le contrôle du parti dominant, car à partir des années 1990, chaque
reforme affaiblissait ce dernier en renforçant lopposition au point où la rotation
est devenue possible en 2000 et 2001 avec larrivée au pouvoir dun parti
dopposition et qui est en passe de devenir, à son tour, parti dominant.
Le principal intérêt de ce travail réside dans le fait quil
met en exergue le fait que quelque soit la trajectoire suivie par les régimes politiques
africains, les partis politiques y jouent un rôle central dans le processus de
démocratisation. Contrairement au doute souvent plus sceptique que méthodique sur leur
sérieux. La contribution de Randall et Svasand (2002) est dune tout autre nature.
f - Randall et Svasand (2002) : le concept dinstitutionnalisation14 et
linstitutionnalisation des partis dans le Tiers-monde
Lanalyse de Randall et Svasand (2002) part dun
constat. Le rôle des partis dans la démocratisation est aujourdhui incontestable.
Cest ainsi que de nombreux critères sont pris en compte pour mesurer cet impact :
le nombre idéal de partis, le degré de polarisation idéologique, les mérites des
différents systèmes de parti, mais surtout linstitutionnalisation. Or, ce dernier
critère fait problème dans la mesure où lunanimité sur son importance
nemporte pas une clarté sur le contenu du concept et ses implications dune
part, et son application au contexte du tiers monde, dautre part. Randall et Svasand
(2002) passent dabord en revue les différentes conceptions de
linstitutionnalisation dans la littérature pour en relever les faiblesses et les
contradictions, avant de proposer une conception originale ; Ensuite, ils
opérationnalisent leur modèle aux partis politiques du tiers monde.
Pour Huntington, « institutionalization is the process by which
organisations and procedures acquire value and stability ». Suivant cette perspective, la
mesure de linstitutionnalisation suppose la prise en compte de quatre critères: Ce
processus comprend quatre dimensions: ladaptabilité, la complexité,
lautonomie et la cohérence. Concentrant son analyse aux seuls partis politiques,
Panebianco, estime quant à lui que linstitutionnalisation est le processus par
lequel les institutions se solidifient ; c'est-à-dire le processus par lequel les
organisations perdent lentement leurs caractères doutils pour acquérir une valeur
propre, intrinsèque, dans et par lui-même, ses objectifs deviennent inséparables et
indistincts de cette valeur. De cette façon, sa présentation et sa survie deviennent un
« but » pour le plus grand nombre de ses supporters. Pour mesurer
linstitutionnalisation dans cette perspective, deux critères sont nécessaires : le
degré dautonomie vis à vis de son environnement et la « systémicité »
(systemness) des différents secteurs internes. Pour Janda par contre,
linstitutionnalisation est conçue comme lun des différents aspects des
relations du parti avec lextérieur plutôt que comme une caractéristique interne
du parti. Pour lui, un parti institutionnalisé est celui qui est « réifié dans
lesprit du public » autrement dit, il prend en compte la façon dont le parti est
perçu par la société (Randall et Svasand, 2002 : 10-11).
Le problème majeur auquel se trouve confronté la littérature sur
linstitutionnalisation en général et linstitutionnalisation des partis
politiques en particulier, comme le relève Randall et Svasand (2002), cest celui de
labsence de consensus sur les dimensions précis du phénomène et la nature des
relations entre ces divers éléments. En dautres termes, les éléments qui
caractérisent linstitutionnalisation sont-ils des causes ou des pré-requis ?
Cest dans cette perspective quils proposent une approche originale de
linstitutionnalisation des partis politiques sappuyant sur une distinction
préalable entre institutions et organisations. Ainsi, « Organizations are not
necessarily institutions, and vice versa. Organization, to variable extends
and over time, are transformed into institutions
Political parties are
organizations, however rudimentary, set up more or less intentionally and with some kind
of formal rules and objectives. But the process through which they become
institutionalised is not identical with the partys development in purely
organisational terms. Rather we suggest that institutionalization should be understood as
the process by which the party becomes established in terms both of integrated patterns of
behaviour and of attitudes, or culture. We suggest further that it is helpful to
distinguish between internal and externally related aspects of this process. Internal
aspect refers to developments within the party itself; external aspects have to do with
the party relationship with the society, in which it is embedded, including others
institutions. Within each of these aspects there will be a structural and attitudinal
componement, yielding a simple, four-cell matrix. Using this framework we suggest a model
of the central elements or dimensions of party institutionalization (systemness, value
infusion, decisional autonomy and reification) » (Randall et Svasand, 2002: 12-13).
Il résulte de ce nouveau modèle, que linstitutionnalisation,
c'est-à-dire le processus par lequel le parti sétablit comme institution comprend
quatre variables fondamentales : la « systémicité » (concept quils préfèrent
à celui plus rigide dorganisation), la « value infusion », lautonomie
décisionnelle et la réification (Randall et Sysand, 2002 : 14). Dans cette perspective,
plus un parti est institutionnalisé plus il est susceptible de sadapter et de
survivre. Ici, ladaptation est conçue davantage comme une conséquence que comme
une caractéristique de linstitutionnalisation. Comme Huntington (1968), Randall et
Svasand ne postulent pas lirréversibilité de linstitutionnalisation. En
effet, « although institutionalization in terms of the four variables will increase the
partys prospects for survival, it is certainly no guarantee against regression or
de-institutionalization » (2002: 15). Ainsi à titre dillustration, dans le cadre
des transitions démocratiques, la désinstitutionalisation des anciens partis dominants
est souvent le corollaire de linstitutionnalisation des nouveaux partis.
Le second apport de Randall et Svasand (2002) réside dans
lopérationnalisation de ce modèle aux partis du tiers monde. Il sagit ici du
tiers monde homogénéisé à partir de certaines caractéristiques communes : extrême
pauvreté, dépendance économique, analphabétisme, identification religieuse et ethnique
très forte, etc. Appliqué au tiers monde, ils proposent des indicateurs pour mesurer le
degré dinstitutionnalisation des partis. Le degré de systémicité doit être
mesuré à partir de quatre indicateurs, à savoir lorigine des partis, ses
ressources, le type de leadership, le factionnalisme et le clientélisme. La « value
infusion » dépend de la relation du parti à son support populaire et à limpact
du clientélisme. Lautonomie décisionnelle doit être mesurée en fonction du
sponsoring externe apporté au parti. Autrement dit, laide financière venue de pays
étrangers doit être prise en compte pour mesurer linstitutionnalisation dun
parti quant à son autonomie décisionnelle. Enfin, la réification dépend de la
capacité du parti à imposer et à revendiquer avec succès des symboles et des valeurs
quil représente.
Lapport de Randall et Svasand (2002) est doute la contribution la
plus significative dans létablissement dune théorie générale des partis au
sens que préconise Sartori (2003), c'est-à-dire une théorie de
linstitutionnalisation qui transcende les aires culturelles.
b - Lapproche inductive ou par
les modèles
Comme ailleurs, létude des partis africains a donné lieu à de
nombreuses typologies. Celles-ci se fondent sur une multitude de critères,
géographiques, structurels, idéologiques temporels, modes dexercice du pouvoir,
etc. Deux principales typologies doivent être envisagés : une relative aux partis
uniques et une autre relative aux systèmes multipartites. En 1960, Coleman proposait de
distinguer la typologie des partis uniques et partis pluralistes.
1 - Hodgkin (1971) : le critère géographique de classification des partis
Il utilise un critère géographique pour distinguer les partis
africains. Sur cette base, il identifie cinq types de partis, le parti interterritorial,
le parti territorial, le parti régional, le parti ethnique et le parti nain. (Cité par
Bayart, 1970 : 685).
Les partis inter-territoriaux sont ceux qui transcendent les
frontières dun seul Etat. Lexemple emblématique est le R.D.A. Les partis
territoriaux sont ceux qui ont pour champ daction un territoire donné, colonial ou
indépendant, et sa population. les partis régionaux ou ethniques, parfois dénommés «
tribaux » dont la limite dinfluence ne dépasse pas une région donnée ou une
communauté spécifique, du fait des liens historiques, culturels, religieux, de
parentés, ou dun mélange de ceux-ci. Les partis-nains, enfin sont ceux réduits
aux habitants dune localité.
2 - Morgenthau (1998): la distinction partis de masse /partis de patron
La typologie de Schafer-Morgenthau sinspire ouvertement de
celle de Duverger (1976). La distinction se fonde sur les différences au niveau de
lorganisation locale, du nombre dadhérents, de la structure, des finances et
de lorganisation hiérarchique (
) la principale distinction entre parti de
masse et parti de cadres nest pas liée à lorigine sociale de ceux qui
aspirent à gouverner le pays, ni la taille des organisations locales » (Morgenthau (1998
: 370). Elle sétablit sur la base des réponses données à deux questions :
quelles sont les relations entre les dirigeants nationaux et le reste de la population ?
Sur quels groupes et avec quelles idées et structures ont-ils construit leur parti ? De
ces postulats, elle montre que : « la plupart des partis de masses naquirent après la
guerre ou furent issus des conférences anticoloniales » tandis que les partis de cadres
regroupaient quant à eux « lélite urbaine davant guerre qui occupait les
plus hauts postes auxquels pouvaient prétendre des africains dans le système colonial,
et les chefs officiels conscients du fait que la présence des européens leur assurait
une situation privilégiée » (Morgenthau, 1998 : 376-377). Par ailleurs, les partis de
cadres, à direction collégiale, étaient généralement financés par ces notables sur
leurs propres fonds ou par les dons extérieurs. Les autorités françaises les
subsidiaient souvent sous forme de facilité de transport, dhébergement,
dimpression de tracts et de journaux, et en leur offrant laccès aux moyens
officiels de communication ». En outre, ils sintéressaient presque exclusivement
à ceux qui ont un droit de vote, présentent des candidats aux élections et mobilisent
pour le vote.
Par contre, « les Partis de masse ont joué un rôle révolutionnaire
dans la mesure où ils proposèrent de substituer leur organisation aux institutions de
lEtat, ou le firent effectivement pendant un certain temps
pendant quelque
temps, la population considéra que la légitimité des partis de masse était beaucoup
plus grande que celle des institutions juridiques conçu à Paris. Par conséquent,
lorsque les partis de masse acceptèrent de fonctionner au moins partiellement, dans le
cadre des institutions daprès-guerre, ce furent les partis qui légitimèrent
celle-ci et non pas linverse » (Morgenthau, 1998 : 375) ; Ces partis pouvaient
être qualifiés des partis dintégration sociale dans la mesure où ils ne
sintéressaient pas seulement à leurs succès électoraux, mais aussi à tous les
aspects de la vie de lindividu de la naissance à la mort.
Le principal mérite de cette typologie cest davoir réussi
à saisir les clivages sociaux qui traversent la société politique des Etats
dAfrique noire francophone. Ce quelle labellise « équation ethnique et
sociale » lui permet de mettre en exergue lopposition entre traditionalistes et
modernistes, évolués et non évolués. Plutôt que de sarrêter à la structure
des partis, elle prend en compte un substrat ou un invariant fondamental, les clivages
fondamentaux dalors. De ce point de vue, la critique de Lavroff (1978 : 78-79) et de
Schwartzenberg (1998 : 427-428) qui consiste à dire que les conditions sociologiques,
économiques et historiques sont trop dissemblables entre lAfrique et lEurope
pour que le critère structurel de Duverger soit mobilisé ne semble pas fondée.
3 - Coleman et Rosberg (1966) : Partis révolutionnaires-centralisateurs et partis
pragmatiques-révolutionnaires
Coleman et Rosberg (1966) ont établi une typologie binaire des
partis africains en sappuyant sur des critères plus idéologiques que structurels.
Dun coté se trouvent les partis «
révolutionnaires-centralisateurs » (Ghana, Mali, Guinée). Ils se caractérisent,
dabord, par une attention constante aux problèmes idéologiques, de manière à
modifier profondément la société. Notamment, ils sont animés par une volonté de
transformation planifiée de la situation économique de lAfrique noire et par une
politique panafricaine. Ils se caractérisent ensuite par une organisation monolithique et
fortement centralisée. Ils sefforcent dintégrer les autres organisations et
de fondre les structures du parti et celles de lEtat.
De lautre, se trouvent les partis « pragmatiques-pluralistes »
(Sénégal, Cote dIvoire, Cameroun). Ils sont moins préoccupés par les questions
idéologiques et sont moins portés aux transformations radicales. Ils saccommodent
de la persistance dans la société de structures sociales et économiques anciennes. Sur
le plan de lorganisation, ils sont peu structurés et peu hiérarchisés. Ils
encadrent et mobilisent moins fortement la population. Ils pratiquent un pluralisme
contrôlé qui laisse une certaine autonomie aux autres groupes sociaux.
Cette typologie présente plusieurs mérites. Comme le relève Lavroff
(1978 : 83), cette classification des partis politiques africains est intéressante car,
« elle a le grand mérite de dépasser la simple analyse organique pour faire intervenir
lélément très important quest lidéologie. Elle permet de ne pas
limiter létude des partis politiques à des groupes homogènes que ceux-ci
constituent et de considérer les partis comme un élément de lensemble du système
politique dans lequel des groupes et des structures de nature variée interagissent ».
Cependant, la prise en compte du critère idéologique pose problème, car elle semble
démesurée par rapport à la vie réelle de ces partis. En effet, comme le montre à
juste titre Sylla (1977 : 243), « les dirigeants des partis uniques africains prônent
souvent des idéologies comme pour cacher la réalité de leurs partis, idéologies
auxquelles les masses incultes ne comprennent rien et qui voilent les modes réels
dexercice du pouvoir. Le pragmatisme politique a beaucoup plus dirigé les leaders
africains que les idéologies
quils utilisent très souvent comme façades à
la réalité du pouvoir ».
4 - Van de Walle et Smiddy Kimberly (2000) : la distinction ex-partis uniques/partis
historiques/nouveaux partis
Ces deux auteurs ont quant à eux procédé à une typologie
sommaire qui sappuie sur un critère essentiellement temporel, prenant en compte
lempan de vie des partis africains à partir des années 1990. Ils distinguent ainsi
les ex-partis uniques, les partis historiques et les nouveaux partis.
Les « ex-partis uniques » sont ceux qui ont fait la transition du
régime de parti unique au multipartisme et qui continuent de jouer un rôle actif dans la
plupart des régimes multipartites actuels en tant que partis au pouvoir ou partis
dopposition loyale. Les « partis historiques » renvoient aux organisations qui ont
existé pendant plusieurs décennies, mais qui étaient en grande partie en sommeil ou
même éteintes et qui émergent à nouveaux grâce à la transition des années 1990. Par
ailleurs, ce sont des partis qui ont participé à la compétition pour le pouvoir pendant
les premières années de lindépendance avant que leurs dirigeants soient cooptés,
exilés et/ou mis hors la loi par le parti unique. Les « nouveaux partis » quant à eux
renvoient aux organisations qui ont émergé pratiquement « sui generis », pendant ou
juste avant la transition pour participer à la compétition pour le pouvoir. Ces nouveaux
partis proviennent de la société civile.
Cette typologie présente de nombreuses limites. Dabord sur la
terminologie utilisée : les termes « ex partis uniques », « partis historiques » ou
« nouveaux partis », sont des expressions mobilisées par les acteurs politiques
eux-mêmes soit pour se qualifier, soit pour qualifier leur adversaires et qui traduisent
souvent des luttes de positionnement dans le champ politique. Les reprendre dans une
typologie savante semble peu judicieux. Ensuite, la pertinence théorique du modèle
proposée est discutable. La catégorie « ex partis unique » par exemple, rigoureusement
entendu, nest pas homogène. Tous les partis uniques ne se ressemblent pas, encore
moins les ex partis uniques (Sylla, 1977 ; Gonidec et Tran Van Minh, 1980 : 326). La
catégorie « partis historiques », est sujette à caution. Objectivement, même les ex
partis uniques sont des partis historiques, si on prend en compte la durabilité de ces
derniers sur la scène politique africaine. La catégorie « nouveaux partis » semble
ignorer le continuum qui caractérise les partis africains depuis les années quarante.
Les nouveaux partis daujourdhui ne sont pas que le reflet de nouveaux enjeux,
mais ils sont aussi la résurgence des anciens clivages mis sous boisseau par le système
de parti unique. Enfin, le critère temporel utilisé ne prend en compte ni
lidéologie ni la structure des partis africains. Ce faisant, cette typologie ne
rend pas compte de la complexité des partis africains. Elle colle de trop près aux
typologies de sens commun, ce faisant la critique formulée par (Koole, 1996 : 517) à
propos de la terminologie utilisée par Katz et Mair (1995) peut être appliquée ici.
Sur les soixante ans dexistence du phénomène partisan en
Afrique près de vingt cinq ans se sont limité au phénomène de parti unique, qui a
donné lieu à de nombreuses typologies. En effet, « Tous les partis uniques ne sauraient
être confondus dans une seule et même catégorie
» (Gonidec et al, 1980 :
326-333).
5 - Sylla lanciné (1977) : la distinction parti unique composite à direction
collégiale/parti unique centralisateur à direction populaire/ parti unique
atomiste à direction personnelle
La typologie de Sylla (1977 : 240-250) prend appui sur un critère
spécifique, les modes dexercice du pouvoir à lintérieur des partis uniques.
Sur cette base, il distingue trois types de parti unique : le parti unique composite à
direction collégiale, le parti unique centralisateur à direction populaire, et le parti
unique atomiste à direction personnelle.
Le parti unique composite à direction collégiale désigne tous les
partis uniques constitués par coalition, fusion ou amalgame de deux ou plusieurs partis
de forces à peu près égales et dans lesquels le pouvoir reste entre les mains des
principaux leaders des différentes factions, clans et tendances personnelles qui ont
présidé à la formation du parti unique. Cest le parti dit « unifié ». Ici, on
note la primauté de lEtat sur le parti, comme par exemple lUPS au Sénégal.
Le parti unique centralisateur à direction populaire est celui qui se réclame et
applique les principes du « centralisme démocratique ». Le parti est centralisé, mais
il procède à la désignation de ses dirigeants par les procédés démocratiques des
élections. Le parti de ce type est marqué par une discipline des militants très
poussée par opposition au premier type miné par les factions. Ici, il y a une confusion
entre Etat et parti, avec primauté du second sur le premier. Lexemple type est le
PDG étudié par Charles (1962). Le parti unique atomiste à direction personnelle est
celui où les différents organes du parti, les militants et les individus entretiennent
des relations personnelles avec le « chef du parti-chef de lEtat-président de la
République » et dépendent directement des décisions prises par lui. Ici, les
antagonismes entre les clans, les tendances et les factions, clientèles et groupes
ethniques à lintérieur du parti et la dépendance de tous à légard du chef
renforcent la structure du parti et le pouvoir personnel de son fondateur. Lexemple
type est le PDCI. De parti de masse avant les indépendances, il est devenu parti de
patrons après, avant de devenir le parti « dun seul patron » (Sylla, 1977 ).
Le principal mérite de cette typologie est quelle permet de
distinguer les types des partis africains après les indépendances. Les autres typologies
pêchent souvent par la confusion quils ont entre partis multiples et partis
uniques, notamment parce quau moment où ils sont élaborées, le parti unique
nest pas encore un fait établi. Il propose ainsi un processus de développement du
modèle de parti unique africain. Toutefois, lévolutionnisme qui sous-tend cette
typologie en relativise la valeur scientifique. (Sylla, 1977) part du postulat que les
partis uniques africains évoluent tous dun type précis, le parti unique composite
à direction collégiale, vers des types subsidiaires, le parti unique centralisateur à
direction populaire dabord, et le parti unique atomiste à direction personnelle
enfin, étant son apogée. Faisant ainsi lhypothèse de la pérennité des partis
uniques. Le retour au multipartisme a montré les limites de ces prédictions.
6 - Gonidec et Van thran Minh (1980 : 326-333) : la distinction parti progressiste ou
révolutionnaire/parti réformiste ou conservateur
Sur la base de critères essentiellement idéologiques, ils
distinguent trois sortes de partis uniques. En premier lieu, les partis communistes dont
lobjectif est de passer dune formation sociale complexe, où le mode de
production dominant est capitaliste à une formation sociale dans laquelle le capitalisme
cède la place au mode de production socialiste et où apparaissent des institutions
différentes de celles qui existent dans les démocraties dites libérales. En second
lieu, les partis uniques réformistes quant à eux « cherchent non pas à détruire
lordre social issu des siècles où de décennies de domination, mais de lui
apporter un certain nombre de modifications qui ne mettent pas en cause sa nature. En
dernier lieu, les partis uniques conservateurs se caractérisent par le fait dêtre
voués à la consolidation de lordre établi, sans que des changements notables,
dans le sens du progrès puisse être portés à leur crédit, « Le parti émet la
prétention de sidentifier à lEtat et à la nation en voie de formation. Par
suite, ceux qui ny adhèrent pas ne sont pas considérés comme des rivaux
politiques mais des ennemis » (Gonidec et Van Thran Minh, 1980 : 332).
Les typologies des partis uniques proposées par ces deux auteurs
mettent en exergue le fait que tous les partis uniques ne sauraient être confondus dans
une seule et même catégorie.
Au total, cette revue des différentes typologies permet de montrer que
les partis africains comme les partis politiques ailleurs ont été soumis aux mêmes
instruments danalyse que ces derniers. Ce qui apparaît clairement cest la
tentative qui est faite de procéder au rapprochement des partis politiques africains avec
ceux dailleurs.
C - Lapproche des choix rationnels
Autant lapproche structuro-fonctionnaliste prend en compte les
effets des facteurs sociologiques, institutionnels et de la compétition politique dans ce
quils ont de mécanique, parce quils sont conçus comme des contraintes,
autant lapproche des choix rationnels met laccent sur la façon dont ces
facteurs sont manipulés par des acteurs rationnels et égoïstes préoccupés uniquement
par leurs intérêts.
1 - Basedau Matthias et al. (2007) : lapproche néo institutionnaliste des
partis interdits
Basedeau, Bogaards et al. (2007) partent dune problématique
négligée dans létude des partis africains, celle des partis interdits. En effet,
« ethnic, religious, and regional parties are illegal in large number of African state...
(they) would not be allow to register as a party and compete in election in many African
democracies today
While, democratization is normally equated with multi-party
parties, in Africa frequently explicit exception are made for parties based on clan,
community, ethnicity, faith, gender, language, region, race sect and tribe » (Basedeau et
al., 2007 : 617-618).
En partant de cette problématique, ils se proposent de comprendre
comment linterdiction des partis ethniques dans des pays où la politisation de
lethnicité et les conflits ethniques sont nombreux. Pour ce faire, ces auteurs
inscrivent cette problématique dans le paradigme institutionnaliste et plus précisément
dans le néo institutionnalisme. Dans cette perspective, ils formulent lhypothèse
que les partis interdits, en tant que variable indépendante, apparaissent dans la plupart
des cas, comme une forme dingénierie politique, un instrument dans la prévention
et la gestion des conflits ethniques. En tant que variable dépendante, le désir
légitime des décideurs de prévenir les conflits ethniques doit être tempéré par le
fait que les intérêts égoïstes ne doivent pas être négligés, encore moins
limpact de la dépendance de sentier et des conjonctures critiques quant à
linstitutionnalisation du phénomène. (Basedeau et al., 2007 : 622-623).
Le principal mérite de cette approche est de traiter
linterdiction des partis ethniques des partis en Afrique non comme une pathologie,
mais comme un fait social banal. Les problèmes auxquels on se trouve confronté avec
cette analyse sont de deux ordres : premièrement, il y a une surestimation de la force
contraignante du droit positif. Certes, la norme légale exerce une contrainte sur la
façon dont les acteurs perçoivent les partis politiques. Cependant, lintérêt
manifeste défendu par un parti peut en cacher un autre. En Afrique, la plupart des partis
sont ethniques (au sens large). Ici, les clivages sont avant tout de nature
ethno-régionale et religieuse. Doù la pertinence de la typologie proposée par
Diamond et Gunther (2003) qui prennent en compte ces substrats sociaux, car, même
sil ny a pas une ratification juridique de ces clivages, pour des raisons
objectives et subjectives, elles nen sont pas moins déterminantes dans la vie
partisane en Afrique. Deuxièmement, le finalisme soutenant lensemble de cette
recherche en relativise la valeur scientifique. Comme le relèvent les auteurs eux-mêmes,
« the project intended to collect reliable and scientific evidence about the effects of
the institution of party ban that might assist law-makers and political engineers in their
attempts to influence institutional change ». « Derrière les plus belles proclamations
idéologiques on retrouve toujours la défense dintérêts dune catégorie
sociale : classes, fractions de classes ou alliance de classes, communauté religieuse ou
ethnique, voire société locale. Inversement, tout conflit inspiré par les conditions
les plus matérielles se traduit toujours en termes culturels. Porté par un mouvement, le
projet politique dun parti sert à intégrer la défense des intérêts dune
catégorie sociale dans une conception globale dun intérêt général » (Seiler,
1986 : 107).
2 - Mozaffar, Scarritt et Galaich (2003) : lanalyse stratégique des clivages
ethnopolitiques et des institutions électorales
Lapproche la plus originale dans cette problématique en termes de
système est celle de Mozaffar et al. (2003). En partant de deux variables classiques dans
létude des partis et systèmes de partis, Mozaffar et al. (2003) montrent comment
les institutions électorales et les clivages ethnopolitiques structurent de manière
stratégique les comportements et les attentes des acteurs politiques, électeurs et
candidats. Le principal mérite de cette analyse réside dans lintroduction de
lanalyse stratégique là où en général lanalyse culturaliste est
privilégiée. Notamment parce quils considèrent que les institutions électorales,
mais surtout les clivages ethnopolitiques sont un palliatif au déficit
dinformations dans les sociétés politiques africaines. Doù la conclusion,
à première vue paradoxale, que la multiplicité des groupes ethniques est à la base des
systèmes de parti dominant en Afrique15. Cependant, cette étude souffre de deux limites.
En premier lieu, comme le note justement Brambor, Clarck et Golder (2007), la conclusion
au caractère exceptionnel des systèmes de partis africains, parce quils ne
répondraient pas de la même façon quailleurs aux facteurs institutionnels et
sociologiques, résulte dune interprétation erronée de leur modèle.16 En second
lieu, outre la complexité du modèle quils utilisent et qui par ailleurs ne
sappui sur aucun travail empirique, la question en fond reste celle du lien postulé
entre partis et démocratie.
3 - Patterson et Fadiga-Stewart (2005) : les limites de lanalyse stratégique
des institutions électorales
Matthijs Bogaards (2004), a montré que les partis dominants
dominent lAfrique subsaharienne, sans toutefois proposer une explication de ce
phénomène. Cest dans cette perspective que Patterson et Fadiga-Stewart (2005)
tentent dexpliquer comment des règles électorales différentes peuvent produire
relativement le même résultat, à savoir lhégémonie dun parti sur les
autres, quelque soit la nature démocratique ou semi autoritaire du système politique
concerné, ou mieux encore, si la source de la dominance en Afrique est partout la même.
Ces questions partent dun constat pertinent: «
the nations of Africa employ a
distinct variety of electoral rules in their respective legislative elections. This
variety includes nations like Botswana, Malawi, and Cameroon, which employ different type
of plurality rules, the first two being single member district plurality systems
and Cameroon employing multi-member district plurality rule. It also includes countries
which employ majority formulas (Mali), a variety of proportional representation formulas
(Burkina Faso and Namibia), and countries which conduct elections under some mixed-member
formulas (Senegal and Lesotho in 2002).What is interesting about the variety of electoral
rules employed in Africa is not only that they do not quite operate in the expected
Duvergian fashion with respect to effective number of electoral and parliamentary parties
they produce but also that, with respect to aggregate outcomes, they tend to produce
similar party-system pattern across the various nations of the continent » (Patterson et
Fadiga-Stewart, 2005 : 2-3)
Pour répondre à ces questions, ils proposent de prendre en compte à
la fois des données holistes et individualistes, c'est-à-dire communes et propres à
chacun des pays. Suivant cette approche, deux variables doivent être retenues, les
institutions électorales du pays concerné, mais aussi et surtout les groupes
politiquement pertinents. Autrement dit, il convient dexaminer «
each
countrys electoral institutions to assess how they related to the politically
relevant groups in that country that are used by dominant parties to maintain their
electoral status » (Patterson et Fadiga-Stewart, 2005 : 10). En effet, ces deux
éléments permettent de comprendre que ce qui importe cest nest pas seulement
la fragmentation des différents groupes, mais aussi la façon dont ces derniers sont
concentrés ou non dans un pays. Car la stratégie des partis dominants est conditionnée
par ces paramètres.
Lanalyse de Patterson et Fadiga-Stewart (2005) présente
plusieurs mérites. En premier lieu, il relativise leffet mécanique des lois
électorales que postulait Duverger (1976 : 291). En Afrique, ce critère à lui tout seul
ne permet absolument pas de comprendre la dominance des partis dominants, qui constitue un
phénomène politique majeur de la vie politique des sociétés africaines17. En second
lieu, ils montrent que les partis dominants en Afrique développent et sappuient sur
des stratégies différentes pour réaliser leur hégémonie électorale. Ce faisant, ils
rompent avec une certaine homogénéisation des partis dominants africains ; tous les
partis dominants ne se ressemblent pas et existent aussi bien dans des systèmes
démocratiques (Afrique du Sud) que dans des systèmes semi autoritaires.
Cependant, cette analyse connaît quelques limites. Elle sappuie
uniquement sur les données de LAfro Barometer, comme source principale. Par
ailleurs, la systématisation des ressemblances et des différences des partis dominants,
à léchelle du continent, à partir de deux variables seulement pose problème,
dans la mesure où il conviendrait daller au delà des institutions électorales et
des groupes politiquement importants, pour prendre en compte les facteurs historiques,
économiques par exemple. Cette perspective plus riche est celle suivie par Ishiyama et
Quinn (2006) pour expliquer les trajectoires électorales diverses des ex partis uniques
en Afrique.
4 - Ishiyama et Quinn (2006) : lapproche compétitive du succès électoral des
ex partis uniques
Ishiyama et Quinn (2006) se posent la question des facteurs
explicatifs de la variabilité du succès électoral des ex-partis uniques en Afrique. En
dautres termes, pourquoi certains anciens partis connaissent un succès électoral
éclatant et dautres pas. En partant de lexpérience de 22 pays africains, ils
parviennent à la conclusion que lhéritage de lancien régime, le temps mis
par ces derniers au pouvoir et le degré de fractionalisation ethnolinguistique, sont les
facteurs déterminants. Deux principales hypothèses sont formulées pour expliquer le
succès proprement dit. La première a trait aux facteurs internes. Ici, le succès des
partis dominants résulterait de ladaptation organisationnelle de ces derniers à
lenvironnement compétitif des années 1990. La seconde renvoie aux facteurs
externes, en dautres termes, le succès des partis dominants en Afrique
sexplique par les caractéristiques de lenvironnement.
Le principal mérite de cette analyse outre son caractère pionnier,
cest davoir transféré dans le champ africain le résultat des recherches
menées sur les anciens partis dominants de lEurope de lEst post communiste.
Ce faisant, Ishiyama et Quinn (2006) rattachent létude des partis africains à
celle de lEurope. Si cette contribution permet un gain de connaissance théorique
sur les partis dominants, il reste toutefois que les connaissances empiriques lui font
largement défaut.
Ce qui uni les explications universalistes des partis africains,
cest de considérer dans une perspective évolutionniste que, même sils ne
sont pas tous comme des partis dailleurs, ils finiront par lêtre, le modèle
de parti occidental étant pris comme lhorizon indépassable. Doù la
mobilisation des mêmes paradigmes pour les étudier. A cette approche soppose une
analyse relativiste des partis africains.
C - Lexplication relativiste des partis africains
De manière paradoxale, étudier les partis africains dans le cadre de
lEtat colonial et dans le cadre de lEtat post colonial de la deuxième
génération est celui qui pose le plus problème. Si avant la tendance était aux
recherches des similitudes partis africains/partis occidentaux, lavènement de
lEtat post colonial de la deuxième génération marqué par un retour au pluralisme
a donné lieu à des études en termes de déviance des partis africains par rapport aux
partis occidentaux.
1 - Schachter-Morgenthau (1998) ou la sociogenèse des partis nationalistes en Afrique
francophone
Schachter-Morgenthau (1998) formule la problématique de la
genèse des partis africains de la première génération, c'est-à-dire de la période
nationaliste, celle des « pères fondateurs ». La thèse quelle défend est claire
: « La phase des partis nationalistes, dans lhistoire politique africaine, révèle
limportance des racines démocratiques indigènes. Lexistence des partis, dans
lère nationaliste, apporte la preuve empirique que le dégagement du consensus
national est possible. Les événements ultérieurs ne peuvent effacer les faits, ni la
promesse induite dun nouvel essor des traditions démocratiques engendrés par
lAfrique elle-même. Il y a des précédents africains dinstitutions basées
sur la loi, lexercice des droits à participer et à exprimer son désaccord, à
sorganiser et à concourir pour le pouvoir, à voter pour changer léquipe au
pouvoir » (Schachter-Morgenthau, 1998 : XXV).
Dans cette contribution majeure, elle met en exergue les conditions
spécifiques dans lesquelles les partis africains naissent. Prenant au sérieux la
temporalité particulière des sociétés africaines dexpression française, elle
dégage lhistoricité propre des partis africains. En effet, dans cette perspective,
le développement des partis politiques dans tous les Etats dAfrique de lOuest
Francophone (AOF) sest effectué autour de deux enjeux : la lutte anticoloniale et
la modernisation. La lutte anticoloniale peut se résumer dans ce slogan « Devenez
maître chez vous ! ». Cette lutte qui oppose Européens et Africains dissimule un
conflit entre africains eux-mêmes. Dun coté les « modernisateurs » qui adhérent
au principe de légalité sociale, et de lautre, les « traditionalistes »
qui croient aux distinctions sociales fondées sur lhérédité. Cest elle qui
donnera naissance à la distinction partis de masses/partis de cadres. En effet, le combat
« nationaliste » obligea tous les africains à prendre position sur la problématique de
l« allégeance ». Cest dans cette perspective que lon peut comprendre
que « la plupart des partis de masses naquirent après la guerre ou furent issus des
conférences anticoloniales », tandis que les partis de cadres regroupaient quant à eux
« lélite urbaine davant guerre qui occupait les plus hauts postes auxquels
pouvaient prétendre des africains dans le système colonial, et les chefs officiels
conscients du fait que la présence des européens leur assurait une situation
privilégiée » (Schachter-Morgenthau, 1998 : pp. 376-377). Ce faisant,
Shacher-Morgenthau met en exergue la place centrale que les partis politiques occupent
dans la vie politique des sociétés africaines bien avant lavènement des Etats
autonomes et indépendants. Cest dans cette perspective quelle relève que :
« Les partis étaient parmi les plus anciennes institutions politiques existant sur le
plan national ; entièrement africanisés bien avant les gouvernements et les services
administratifs, dont certains ne le sont pas encore totalement, les partis se
développèrent en fonction des particularismes africains, car ils étaient devenus, par
la force des choses, les représentants des principales forces de lensemble de la
société. Les institutions gouvernementales, en revanche furent établies sur le modèle
métropolitain car, cétait lune des conditions au retrait de la France »
(Schachter-Morgenthau, 1998 : 364).
Lun des mérites de cette analyse cest de montrer
limplantation réussie des partis politiques en Afrique. Elle montre par ailleurs
quon ne peut pas expliquer la structuration des partis politiques africains sans
remonter loin dans lhistoire, sans analyser ses conditions fondatrices et sans
prendre en compte les processus précurseurs dorganisation territoriale, de
décolonisation, de construction des Etats et de gestion des ressources de pouvoir. Dans
une large mesure, elle montre que ce sont les partis politiques de la première
génération qui ont conféré leur légitimité à linstitution étatique
elle-même. Cette position est à lexacte opposée de celle défendue par Bertrand
Badie
2 - Badie (1992 : 177-220) ou la thèse du décrochage par rapport au modèle
Selon Badie, les partis africains, produit de limportation,
sécartent substantiellement du modèle de parti occidental. Cela pour deux raisons
principales. Dabord en tant que produit de limportation, ils sont une pale
copie et sont dépendants. Ensuite parce quils sont dysfonctionnels au regard des
partis occidentaux.
Sur le premier point en effet, les « symboles, structures, programmes
et idéologies de ces partis ont été appris et véhiculés par les premiers députés
africains siégeant au Palais Bourbon, (
) et simposent comme des décalques
des partis de gauches français
la rupture se faisait ainsi dans limitation »
(Badie, 1992 :179). Par ailleurs, « cette logique où se combinent rupture et imitation
est porteuse de dysfonctions » (Badie, 1992 : 182). En effet, dans la perspective de
Badie, une fois arrivés au pouvoir, ces partis tentent de pérenniser une identité
essentiellement liée à la lutte contre létranger tout en tenant un discours et
des pratiques très largement inspirés de lextérieur. Ce qui renforce la
distanciation entre les partis politiques et la population. La principale conséquence qui
en découle toujours selon cet auteur, cest leffondrement des ressources
partisanes de mobilisation, les rendant de plus en plus tributaires des soutiens
extérieurs. « Ce nest pas, relève-t-il, le moindre paradoxe de ces partis de
rupture que dêtre devenus ainsi, par leur incapacité croissante à renouveler et
à adopter leurs fonctions, une cause indirecte mais particulièrement riche, de
lapprofondissement des relations de dépendance » (Badie, 1992 : 183-184).
Sur le deuxième point, les partis africains sont dysfonctionnels par
rapport aux partis occidentaux. Cette thèse sappuie sur lanalyse de deux
fonctions : la fonction de communication politique et le rôle institutionnel des partis
africains. La fonction de communication politique, celle qui permet la liaison entre
gouvernants et gouvernés est faible, notamment parce que contrairement aux relations
horizontales des sociétés politiques occidentales, cest lusage des réseaux
sociaux verticaux, traditionnels, qui est privilégié ici. En plus, la centralisation des
partis africains pose problème en ce quelle affecte le patronage politique. La
conséquence de la faible réalisation politique est que les partis africains deviennent
des « éléments de communication diplomatique et internationale » (p. 185). Quant au
rôle institutionnel des partis africains, il est inversé : « les fonctions du parti
unique sappauvrissent avec la durée, la part de spécificité sétiolant peu
à peu par rapport à lEtat », «
limportation du modèle pluraliste a
ainsi conduit à générer des accomplissements fonctionnels en total contradiction avec
les caractéristiques originelles du produit importé, consolidant lautoritarisme au
lieu de le défaire, faisant du parti non un instrument de dispersion du pouvoir, mais au
contraire daggravation de sa concentration » (Badie, 1992 : 185-188).
Le principal mérite de Badie, cest de relativiser
lexplication universaliste en ce quelle a dévolutionniste. En outre, il
montre que les partis africains ont généré des fonctions spécifiques, autres que
celles des partis ailleurs. Toutefois, cette analyse souffre de labsolutisation de
lécart entre le modèle de parti occidental, représentation simplifiée de la
réalité et les partis africains, objets singuliers et concrets. En effet, le lien de
plus en plus faible entre les organisations partisanes et la population nest pas une
spécificité africaine. Comme le montre Katz et Mair (1996 : 18) en partant de
lexpérience occidentale, de représentants, les partis sont devenus tour à tour
des représentants de la société face à lEtat, de courtiers concurrents entre la
société civile et lEtat, pour devenir de nos jours des agents de lEtat. La
collusion entre les partis africains et lEtat, et corrélativement la distance entre
les partis et la population, est une tendance lourde quon observe même en occident.
Par ailleurs, lanalyse de Badie doit être relativisée en ce quelle fuit un
extrême pour un autre. En remettant en cause le caractère évolutionniste des
explications développementalistes, qui estiment que les partis africains vont tous vers
le modèle occidental, Badie tombe dans un autre extrême, celui qui consiste à soutenir
que ceux-ci iront en séloignant du modèle occidental. Doù la pertinence de
la problématique du juste milieu de Sindjoun (2002b). En effet, pour une étude sereine,
il convient de prendre au sérieux lévolution et les changements qui affectent les
institutions (Lewis et Steinmo, 2007 : 18 ; March, 1991 : 87-109 ; Axelrod, 1986), sans
toutefois préjuger du sens de cette évolution ou de ce changement.
Lanalyse de Nicolas Van De Walle (2004 : 105-128) sinscrit
dans la même perspective. En sinscrivant dans lanalyse des systèmes de
partis plutôt que des partis per se, il parvient à la conclusion que la nature « non
libérale » des démocraties dans la région, la centralisation du pouvoir autour de la
présidence et la nature clientéliste des systèmes politiques africains sont les
facteurs déterminants la nature des systèmes de partis et, par ricochet celui des partis
africains. Le mérite de son approche cest de montrer que la nature du régime et du
système politique influence la configuration des partis au même titre que le
clientélisme. Le problème de son analyse cest labsolutisation de
lapproche culturaliste qui insiste uniquement sur les spécificités qui seraient
propres aux partis africains dune part, et la forte propension à évaluer les
systèmes de partis africains à laune des critères « démocratiques » quà
les prendre pour ce quils sont, des institutions ordinaires, dautre part.
Lapproche qui sera la notre est celle préconisée par Michael Walzer, à savoir un
« universalisme de contiguïté ». Autrement dit, plutôt que de rechercher la
spécificité ou luniversalité des partis dominants africains à tout prix, nous
montreront quune analyse heuristiquement payante est celle qui considère les partis
africains comme une « chose » dont on peut déterminer à la fois la spécificité et la
banalité.
3 - La thèse de labsence ou de la faiblesse de lidéologie
Sur la question centrale de lidéologie, lunanimité
semble faite sur labsence de projets de société et didéologie
(Buijtenhuijs, 1994 ; Vaziri, 1990 ; Konings, 2004 : 5). En partant des textes officiels,
des manifestes et des programmes électoraux, ces auteurs concluent très souvent que les
partis africains nauraient pas didéologie. Cette hypothèse souffre de deux
limites. Premièrement elle na de sens que par rapport à un « ailleurs »
idéalisé. Autrement dit, la plupart des auteurs qui réfléchissent sur les partis
africains, de manière consciente ou non, considèrent que les partis occidentaux ont tous
des projets de sociétés. Or, à lobservation, tous les partis politiques ne
disposent pas dun Adam Smith ou dun Karl Marx pour nourrir leurs programmes.
Les « machines » américaines que Jean Blondel (2003 : 255) qualifie de parti « décor
» et Forza Italia de Berlusconi en sont des exemples illustratifs. Deuxièmement, il ne
suffit pas de faire lexégèse des programmes électoraux et textes officiels pour
trouver lidéologie dun parti politique. Certes, il est généralement admis
que cette dimension nest que la face publique dun parti, ce que le parti dit
quil fera. Ce faisant, ils confondent doctrine et idéologie alors même que la
doctrine nest quune partie de lidéologie. Comme le note justement Alan
Ware (1996: 21): « A partys doctrines are not the same as its programmes or
manifestos, though usually these latter will be fair guide to what its doctrine are.
Furthermore, doctrines are not the only components of party ideology; its ideology
embraces its ethos as well as its doctrines. Examining a partys doctrines and ethos
enables us to explain what it will try to do when in government or when it is in a
position to influence government policy; examining that partys programmes alone may
well give us a limited understanding of how it will behave ».
Au surplus, comme le relève à juste titre Seiler, « derrière les plus belles
proclamations idéologiques on retrouve toujours la défense dintérêts dune
catégorie sociale (...) Inversement tout conflit inspiré par les conditions les plus
matérielles se traduit toujours en termes culturels. Porté par un mouvement, le projet
politique dun parti sert à intégrer la défense des intérêts dune
catégorie sociale dans une conception globale dun intérêt général » (Seiler,
1986 :107).
Conclusion
Il ressort de lanalyse qui précède que létude des partis politiques
africains est quantitativement faible par rapport aux partis politiques dailleurs -
et par rapport à dautres objets comme lEtat africain et la Démocratisation
en Afrique et se trouve confronté sur le plan qualitatif à de nombreux problèmes
théoriques dont trois apparaissent déterminantes :
léquation parti politique égale démocratie. Dans le
cadre de cette problématique pauvre, les partis ne sont jamais étudiés per se. Ici, il
est très souvent question de répondre à la question devenue routinière de savoir si,
les partis uniques dhier et les partis dominants daujourdhui sont des
facteurs ou des pesanteurs aux processus de démocratisation. Cette posture dans la
littérature dominante est la conséquence dun autre travers, celle de
lanalyse top down.
lanalyse top down est un raisonnement qui consiste à
évaluer le fonctionnement dune organisation, ses éventuels transformations, mais
surtout ses dysfonctionnements, ses blocages, en tenant compte de la finalité et de
lobjectif quelle est censée viser (Abélès, 1995 : 74 ; DiMaggio et Powell,
1997 : 128). Or cette vision des choses correspond très souvent à limage des
institutions telle quelle est proposée par ses propres élites, une image statique.
Dans cette perspective, les critiques formulées a lencontre des pères fondateurs
de lanalyse des partis (Seiler, 1986 : chap. 1) peuvent être valablement
reconduites ici : posture idéologique - croyance dogmatique en la légitimité de la
démocratie (Almond, 1997), fétichisme des résultats électoraux à lexclusion de
données sur lorganisation et le fonctionnement concret des partis. Lanalyse
top down des partis africains trouve un champ fertile dans le choix, non moins
critiquable, dun niveau danalyse systémique tendant à
lhomogénéisation des partis africains.
Le niveau danalyse. En effet, la prédilection pour les
comparaisons larges intégrant un très grand pays présente de nombreux écueils. Le
principal risque ici cest de procéder à une généralisation abusive des
résultats des études menées à léchelle du continent au niveau des pays
particuliers. Autrement dit, il existe un risque à postuler que les résultats vrais pour
les partis politiques africains en général, le sont aussi pour chaque parti pris
individuellement. Les controverses Mozaffar et al. (2003) et Brambor et al. (2007)
dune part et Mozaffar et Scarritt (2005) et Bogaards (2008) dautre part,
illustrent de façon significative les limites de cette approche. Il sagit de ce que
Gazibo (2002 : 441) a labellisé de « tentation de lillère ». En effet, le
chercheur qui sengage dans une comparaison transnationale large est souvent tenté
de combler le déficit de familiarité ou de données sur un des cas en se laissant guider
par le cas ou par les données les mieux maîtrisées. Or, il semble quil existe
dimportantes différences entre les pays africains. Doù lintérêt de
procéder à une analyse de la formation, du développement, de lorganisation et du
fonctionnement des partis spécifiques. Car en effet, «
il nexiste en fait
aucune analyse approfondie des partis spécifiques comme sils étaient si mal
organisés quils ne sauraient faire lobjet dune étude » (Carbone, 2006
: 22). Pourtant, cette étape apparaît comme un préalable nécessaire à toute analyse
sérieuse, visant à rechercher les affinités et les différences quil y aurait
entre les partis africains et entre les partis africains et les partis dailleurs.
Notes
1. Pour une présentation détaillée de lhistoricité des partis politiques, cf.
Sartori (1976 : chap.1) ; Seiler (1986 : chap. 2)
2. Pour une présentation exhaustive des définitions, cf. Charlot (1971 : 46-54)
3. Cet apport sera abordé dans le cadre de lapproche inductive.
4. Même Ostrogorski (1979 : 171-172) rejette la pertinence de ce dualisme : « la
théorie du dualisme naturel de lesprit humain
selon laquelle lespèce
humaine se partage naturellement suivant deux tendances, la tendance à maintenir les
choses telles quelles sont, et la tendance à les changer, doù il suivrait
quil doit y avoir et quil y aura toujours deux partis permanents. Sans doute,
chaque problème est susceptible dêtre envisagé dans deux sens opposés, les uns
soutenant le pour les autres le contre. Mais est-il naturel que les mêmes personnes
prennent toujours, en toutes choses, les unes la négative, les autres laffirmative
? ».
5. Souligné par lauteur.
6. Souligné par lauteur
7. Souligné par nous.
8. Pour une critique globale de lapproche des choix rationnels cf. Green et Shapiro
(1995 : 96-130).
9. Seiler (1986, 2000, 2001)
10. Ici, les termes indépendance et démocratie sont utilisés sous réserves des
connotations, notamment leurs caractères réels ou fictifs. Ils sont utilisés parce que
même si on admet quil sagit de pure fiction, ils peuvent produire des effets
de réalité, et de ce fait devenir une contrainte et/ou une ressource pour les acteurs
aussi bien locaux quinternationaux.
11. Huntington « the distinctive problem of the later modernizing countries is that they
confront simultaneously the problems which the early modernizers faced sequentially over
fairly long historical periods » (Huntington, 1968 : 399).
12. La situation actuelle en Mauritanie renforce la validité de cette hypothèse. En
effet, si en Occident, la compétition politique a évolué séquentiellement, dune
compétition politique brutale à une compétition politique parlementaire, en Afrique par
contre, les deux formes de compétition politique évoluent simultanément. En nous
inscrivant dans la perspective de Durkheim (1987), élections et coup dEtat sont les
deux formes normales de conquête du pouvoir politique en Afrique. Etudier le paradigme de
la compétition politique en Afrique, en prenant pour variables fondamentales à la fois
les élections et les coups dEtat, peut permettre de sortir de lhégémonie du
paradigme démocratique, et permettre de combler le gap qui existe entre la littérature
consacrée à la démocratisation et celle consacrée à la violence en Afrique. Non pas
dans le sens dun passage progressif de lun vers lautre, mais plutôt
dans le sens de la mise en exergue de la simultanéité des deux.
13. Il suffit de relever la place centrale que les partis politiques occupent dans les
différents événements politiques en Afrique pour cette année 2008 : lANC a
réussi à renvoyer le Président Sud Africain ; au Zimbabwe, ce sont les partis
politiques qui sont les principaux vecteurs de la crise actuelle. Autrement dit, les
partis africains jouent un rôle fondamental dans les processus politiques en cours.
14. Pour une discussion dordre général du concept dinstitutionnalisation,
cf. Chevallier (1996 : 17-26),
15. Erdman et Basedau (2007) et Erdmann (2007) sintéressent à la même
problématique de la dominance au niveau des systèmes de parti africain.
16. Brambor et al. (2007) en partant des mêmes données que Mozaffar et al (2003) sont
parvenus à des résultats contraires.
17. En Afrique en général, et au Cameroun en particulier, un débat existe sur la
question de la loi électorale. Le succès du RDPC, par exemple, serait la conséquence
dun système électoral sur mesure. Or, lexpérience des autres pays telle que
mise en exergue par ces deux auteurs montre que ce qui importe le plus cest moins le
système électoral lui-même que la façon dont il est instrumentalisé et conjugué à
dautres facteurs très nombreux. Autrement dit, même en modifiant la loi
électorale dans le sens voulu par lopposition, le RDPC pourrait conserver son
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