RUPTURES ET PERMANENCES DE L'IDENTITE DE SUBVERSIF AU CAMEROUN : LE DROIT PENAL AU SECOURS DE LA SCIENCE POLITIQUE ?

 

par Adolphe MINKOA SHE

Professeur
Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé I
I

 

Mener une réflexion sur le thème "Identité politique et processus démocratique au Cameroun" voit son intérêt accru au moment où une étape décisive vient d’être franchie sur le plan des réformes institutionnelles qu’on voudrait propitiatoires à la consolidation d’un processus démocratique dont on situe volontiers l’accélération au début des années 1990. En effet, la constitution du 2 Juin 1972, telle que modifiée par la loi N° 96/06 du 18 Janvier 1996 (portant révision de la constitution du 02 Juin 1972) vient relancer d’une manière quelque peu inattendue (?) et en tout cas spectaculaire le débat sur ce qu’on pourrait appeler la "problématique identitaire" à travers un certain nombre de dispositions sinon originales, du moins inédites dans l’"arbre institutionnel" camerounais.

Mais il ne suffit pas de pressentir ou même de constater les transformations induites par la question identitaire; encore faut-il supporter l’ampleur du phénomène. Autrement dit, il importe véritablement de s’interroger en profondeur sur le phénomène, nécessairement dialectique, des "ruptures et permanences" de l’identité politique depuis l’amorce du processus démocratique en cours.

Assurément, nous sommes en présence d’un champ d’investigation et de réflexion qui appelle (d’abord ?) une approche "politiste". On ne s’étonnera donc pas que les travaux de cette Journée de réflexion dédiée à la mémoire de Jean-Louis SEURIN soient organisés, par la Section camerounaise de l’Association Africaine de Science Politique, dont il convient, ici, de saluer l’initiative. Mais on ne s’étonnera pas non plus de la participation des juristes à ces travaux ; tant il est vrai, d’une part, que le politiste qui ignorerait le travail, pour partie proprement juridique de construction des institutions politiques, "ne disposerait pas par là-même d’un instrument d’analyse adéquat de ces institutions politiques entendues au sens le plus simple de cadres organisés de la vie politique officielle" (B. LACROIX et J. LAGROYE, "Le Président de la République, usages et genèses d’une institution", Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1992, p. 8); et d’autre part, que le juriste qui ferait l’économie d’une réflexion sur "l’usage politique" du droit se cantonnerait à un positivisme étroit et stérile.

Le thème retenu pour ces travaux nous paraît suffisamment "oecuménique" pour aider à faire la preuve qu’il est possible de mettre un bémol à la concurrence qui oppose parfois juristes et politistes pour le monopole de la parole autorisée sur les institutions.

Ceci étant, par "quel bout" prendre le problème pour que le juriste que je suis "mette en appétit" ce parterre à dominante "politiste"? Ma facette pénaliste m’aura amené presqu’intuitivement à m’intéresser à un "personnage" qui, et c’est le moins qu’on puisse en dire, aura été caractéristique du "paysage politique" camerounais depuis les premières années de l’indépendance: le subversif.

Cette communication introductive aura donc pour thème: "Ruptures et permanences sur l’identité de subversif".

Pour comprendre l’émergence de la "subversion" comme catégorie juridique, il convient d’avoir à l’esprit le rôle dévolu au droit en général et au droit pénal en particulier par les premiers gouvernants du Cameroun indépendant.

On a souligné l’orientation volontariste originelle du droit camerounais (voir notre thèse de Doctorat d’Etat, "Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance", Strasbourg 1987), que les gouvernants ont entendu utiliser comme instrument de mise en oeuvre de la "construction nationale"; notion qui, considérée par rapport à ses objectifs, peut être définie comme la mobilisation de l’ensemble du potentiel (humain et économique nationale) en vue de la réalisation, d’une part, de l’unité nationale et, d’autre part, du développement national, celle-là s’affirmant comme une condition de celui-ci (cf. KAMTO (M.), "Pouvoir et droit en Afrique noire", Paris, L.G.D.J., 1987).

On connaît aussi l’opposition, relative au moyen de mise en oeuvre de la construction nationale entre, d’une part, la thèse de démocratie multipartisane comme vecteur "incontournable" de la "construction nationale" et, d’autre part, la thèse selon laquelle l’autoritarisme est nécessairement consubstantiel de la lutte contre le sous-développement et que la cohésion nationale ne peut être acquise que par un gouvernement "fort", appuyé par un parti unique.

La seconde thèse a eu la préférence des gouvernants, ce qui va avoir des conséquences considérables. L’autorité de l’Etat va en effet chercher à s’affirmer pour obtenir l’ordre et la stabilité réputés nécessaires au développement économique et à l’émergence d’une conscience nationale. Mais, faute de légitimité véritable, cette autorité ne peut s’affirmer elle-même et s’assurer la prépondérance que par l’exercice de la force ou la violence. C’est dans cette perspective que la politique criminelle (au sens où l’a entendu FEUERBACH) en cours d’élaboration va être amenée à mettre la force contraignante du droit pénal au service de la limitation de l’exercice des libertés et droit fondamentaux.

Plus particulièrement, la politique criminelle des premières années de l’indépendance va contribuer, dans une large mesure, à donner une consistance juridique au "mythe de l’ennemi", excellemment analysé par le Professeur P. F. GONIDEC ("Les systèmes politiques africains", Paris, L.G.D.J., 1978, p. 164), en reprenant à son compte la notion floue, au plan juridique, de "subversion".

Dans son acception courante, la subversion s’entend comme l’action de troubler, de renverser l’ordre politique établi ... Mais, dans l’ordre politique camerounais, la subversion va plus précisément désigner l’action de s’opposer à l’émergence d’une sorte de dynamique de substitution de l’ordre de la volonté à l’ordre de l’histoire. L’adversaire politique, diabolisé et promu au rang d’"ennemi de la nation" parce que s’opposant au projet politique de celui que certains ont appelé le "père de la nation": c’est le subversif de la législation d’exception mise sur pied en 1962-1963, dite législation anti-subversive. Il s’agit d’un instrument répressif redoutable, qui aura marqué d’une manière presqu’indélébile la vie politique camerounaise. En effet, avec cette législation anti-subversive, on sera parvenu à l’inhibition quasi-totale de toute velléité de contestation politique (tout au moins à l’intérieur du pays) ; car, la législation anti-subversive va fonctionner comme une véritable épée de Damoclès, dont les citoyens vont intérioriser la présence pour s’autocensurer sur le plan de l’exercice des libertés.

Comme on reconnaît un oiseau à son plumage, on reconnaît un Etat à sa politique criminelle. Dès lors, on comprend que l’abrogation ou le maintien de la législation anti-subversive soit considéré comme un indicateur de la volonté de démocratisation du système politique par les gouvernants. c’est ainsi, par exemple, que, dans un article paru dans le Journal "La Croix" du Mardi 5 Mai 1987, M. J. F. BAYART pouvait écrire : "En ce qui concerne la situation politique interne, le Président de la République du Cameroun affirme le maintien de la volonté de démocratisation du pays. Mais, simultanément, il a admis que des "dérapages" avaient conforté les réticences de certains à l’égard de la politique d’ouverture et leurs craintes de voir s’instaurer à terme une situation incontrôlable (...) Il semble écarter l’éventualité d’une levée de la législation anti-subversive héritée de M. A AHIDJO, encore qu’il entend en modérer l ’application par rapport à l’époque de son prédécesseur".

Pareille attitude a pu être considérée comme une manière pour le Président de la République, de "louvoyer" avec la démocratisation du pays. Mais, l’accélération du processus démocratique observée au début des années 1990 va s’illustrer entre autres, par l’adoption de la loi n°90/46 du 19 Décembre 1990 abrogeant l’ordonnance N°62/OF/18 du 12 Mars 162 "portant répression de la subversion". Préparé par une grande effervescence politique, cet événement législatif était attendu. Il efface (?) le passé (I), marque le présent (II) et prépare l’avenir (III).

I - HIER, LE PASSE SIMPLE DE L’IDENTITE DE SUBVERSIF

Un regard sur le contexte (A) et le texte (B) de la législation anti-subversive permet de prendre la mesure de la marque imprimée dans notre passé politique par celle-ci.

A/ Le contexte

Rarement, une législation aura soulevé un tollé de protestations comme la législation anti-subversive constituée par l’ordonnance n°62/OF/18 du 12 Décembre 1962 et la loi n°63/30 du 25 Octobre 1963 "complétant l’ordonnance n°61/OF/14 du 4 Octobre 1961 fixant l’organisation judiciaire militaire de l’Etat et modifiant l’ordonnance n°62/OF/18 portant répression de la subversion".

Au plan international, on peut souligner entre autres la réaction de la Commission Internationale de Juristes qui, très tôt, s’est émue de l’émergence d’une législation d’exception, dont elle pressentait déjà qu’elle constituerait "un des principaux moyens par lesquels le Président A. AHIDJO comptait réussir, dans le cadre d’institutions apparemment démocratiques, à éliminer toute opposition et à soumettre les organes gouvernementaux et législatifs (...) au contrôle exclusif d’un parti" (Bulletin n°20, 1964, pp. 5-12).

Au plan interne, de vives protestations se sont également levées. Outre l’opposition politique, d’éminents juristes avaient tenu à marquer leur désapprobation. Ce fut notamment le cas de deux hauts magistrats : le premier, Marcel NGUINI, va, dans une lettre datée du 30 Octobre 1963, attirer l’attention du chef de l’Etat sur le caractère inique de la législation anti-subversive dont il était l’inspirateur ; le second, M. Louis-Marie POUKA MBANGUE va adresser au Président de la Cour d’appel de Yaoundé et au Procureur Général près ladite Cour, une lettre de protestation pour faire observer que la législation anti-subversive "contredit toutes les déclarations faites au Cameroun et ailleurs par le Président de la République" sur l’attachement du Cameroun aux principes posés par la Déclaration Universelle des Droits de l’homme. [Pour le texte des lettres de ces magistrats, ainsi que les problèmes auxquels ils ont dû faire face à la suite de ces lettres, cf. H. BANDOLO, La flamme et la fumée, Yaoundé, SOPECAM, 1985, pp. 362 et ss].

De fait, les inquiétudes exprimées par les uns et les autres étaient confortées par les premiers cas d’application de la législation anti-subversive, qui étaient suffisamment indicateurs de l’orientation politique qui se dessinait déjà. Les premières personnes poursuivies et condamnées sur la base de cette législation sont en effet des leaders de partis politiques de l’opposition. Le 11 Juillet 1962, le tribunal correctionnel de Yaoundé condamnait à trente mois d’emprisonnement et à 250.000 francs d’amande MM. André-Marie MBIDA, ancien Premier ministre et chef du parti des démocrates camerounais (P.D.C.), Charles Réné-Guy OKALA, ancien ministre des affaires étrangères et chef du parti socialiste camerounais (P.S.C.), et Benjamin MAYI MATIP, alors président du Groupe parlementaire de ce qu’il était convenu d’appeler l’"U.P.C. l égale". Ces responsables politiques avaient commis la faute de co-signer et de distribuer un document dans lequel, tout en "exprimant leur enthousiasme" à l’idée de former le front de l’unité nationale proposée par le parti de l’union camerounaise, (U.C.) et le Kamerun National Democratic Party (K.N.D.P.), ils reprochaient aux leaders de l’U.C. de rechercher l’absorption pure et simple des autres formations politiques. Au reste, il apparaîtra clairement plus tard que les appréhensions de ces leaders politiques étaient fondées, relativement au dessein du Président A. AHIDJO. Ce dernier déclarera, en guise de justification de l’orientation politique qu’il aura imprimée au Cameroun que :

"Dans un pays aussi jeune et aussi divers que le nôtre, la nation ne peut se construire que dans le cadre d’un grand parti national et non dans celui du multipartisme qui entretient des divisions par une démagogie préjudiciable aux intérêts du pays, une multiplicité de partis basée d’ailleurs souvent sur des ethnies, sur des régions ...". (A.C.A.P., 24 Janvier 1969).

En tout état de cause, les premiers cas d’application de la législation anti-subversive "annoncent en quelque sorte la couleur" sur l’identité de subversif, dont le statut est largement laissé à la sagacité des gouvernants par une législation imprécise à souhait.

B/ Le texte

Il est aisé de démontrer que l’existence de la législation anti-subversive rendait véritablement impossible toute vie politique démocratique, parce qu’en fin de compte, elle vidait de toute substance l’exercice des libertés et droits fondamentaux reconnus par la Constitution. La démonstration peut être faite au regard du champ d’application de cette législation (1°) de la technique d’incrimination utilisée par le législateur (2°), et enfin de la procédure exorbitante du droit commun prévue pour la répression des infractions concernées (3°).

1°) S’agissant d’abord du domaine d’application de la législation anti-subversive, on soulignera qu’aux termes des dispositions de l’ordonnance du 12 Mars 1962, la subversion est le fait :

- d’avoir par quelque moyen que ce soit, incité à résister à l’application des lois, décrets, règlements ou ordres de l’autorité publique (article 1er) ;

- d'avoir porté atteinte au respect dû aux autorités publiques ou incité à la haine contre le gouvernement de la République, ou de participer à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités et les lois de ladite République, ou d'encourager cette subversion (article 2);

- et, surtout, d'avoir émis ou propagé des bruits, nouvelles ou rumeurs mensonges, soit assorti de commentaires tendancieux des nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles et commentaires sont susceptibles de nuire aux autorités publiques (articles 3).

2°) S'agissant ensuite de la technique d'incrimination utilisée par le législateur, c'est celle des "incriminations-cadres" ou "incriminations-chahuts", véritables fourre-tout permettant d'attraire dans la sphère pénale toutes sortes de comportements à caractère politique, dès lors qu'ils contrarient peu ou prou les gouvernants.

A la lecture des dispositions sus-évoquées, il apparaît en effet, que le législateur s'est gardé, au mépris du principe de légalité criminelle affiché au pourtour de notre édifice juridique, de définir d'une manière précise l'infraction de subversion. Il en résulte que le subversif, c'est potentiellement tout le monde, du leader politique au citoyen ordinaire. Quelques exemples pour s'en convaincre :

- Nous avons déjà noté qu'en 1962, pour avoir exprimé, par une "lettre ouverte" le refus de saborder leurs partis politiques respectifs au profit d'un parti unique, des leaders politiques ont été lourdement condamnés pour subversion;

- Une décision du tribunal militaire de Yaoundé du 25 Juin 1963, parlant des manoeuvres subversives reprochées aux accusés, met l'accent sur "l'attentat dont le but sera, soit d’exciter (sic) à la guerre civile en armant ou en poussant les citoyens ou habitants à s'armer les uns contre les autres, soit de porter la dévastation, le massacre et le pillage dans une ou plusieurs communes". On soulignera qu'ici, la notion de subversion est littéralement confondue avec celle d'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat;

- Dans une autre décision, du 26 Juin 1967 (jugement N° 956, affaire Ministère Public c/ K. V., J. P., F. F., N. P., E. C., N. S.), les accusés ont été condamnés pour subversion, pour avoir "émis des bruits, nouvelles ou rumeurs mensongers, assortis de commentaires tendancieux, susceptibles de mise aux autorités publiques". Ici, les juges se contentent de reprendre purement et simplement les termes de la loi, et il n'est pas rare que dans certaines décisions, on parle de subversion tout simplement, sans prendre la peine de préciser ce que recouvre cette notion (voir, par exemple, l'affaire MBINKAR KPUNSA Sébastien, Jugement N° 119/79 du 26 Avril 1979, tribunal militaire de Yaoundé).

En tout état de cause, il apparaît que les tribunaux n'ont fait aucun effort pour corriger les imperfections de l'ordonnance de 1962 sur le plan de la technique d'incrimination, en essayant de préciser les contours de la subversion, qui est par conséquent demeurée une infraction de type ouvert.

3°) S'agissant enfin de la procédure, la répression de la subversion va donner l'occasion au législateur camerounais de donner la pleine mesure de son imagination. En effet, pour s'assurer de la condamnation effective de tout subversif poursuivi, le législateur va consacrer, outre l'exclusion de toute voie de recours en faveur des condamnés, une procédure spéciale dite de "rejugement", en vertu de laquelle le Ministre de la Justice peut, s'il l'estime opportun, après avis du Ministre des forces armées, ordonner qu’il soit statué à nouveau sur toute procédure en matière de sûreté de l'Etat et de subversion. Cette procédure scélérate, établie par la loi N° 63/30 du 25 Octobre 1963 sera reprise par les lois successives portant organisation de la procédure devant les tribunaux militaires.

L'analyse qui précède met en lumière la législation anti-subversive de 1962-1963. l'adoption de la loi N° 90/46 du 19 Décembre 1990 va-t-elle réussir à faire oublier ce passé?

II - AUJOURD'HUI, LE PRESENT COMPLEXE DE L'IDENTITE DE SUBVERSIF

Les analystes ne sont pas toujours d'accord sur la signification et la portée de la loi du 19 Décembre 1990 abrogeant l’ordonnance anti-subversive de 1962. Pour certains, il s'agit d'un "non-évenement", alors que pour d'autres, il s'agit d'un événement qui marque la fin de la diabolisation de l'adversaire politique par les gouvernants.

Les choses sont certainement plus nuancées. Car, si l'abrogation de la législation anti-subversive véhicule une symbolique indéniable (A), sa portée réelle est plus mitigée (B).

A) La portée symbolique de la loi du 19 Décembre 1990

Il est incontestable que l’abrogation de la législation anti-subversive est significative d'une volonté de rompre avec le passé, d'une volonté de s'orienter vers la primauté du droit dans notre système socio-politique. En tout cas, elle rend notre cadre institutionnel plus conforme aux instruments juridiques internationaux de protection des droits de l’homme, que le Cameroun a ratifiés notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il est clair, en effet, que la législation anti-subversive était en contradiction flagrante avec ces instruments, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, comme il a été souligné à l'occasion de l'affaire MUKONG contre Etat du Cameroun devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies . Il faut d'ailleurs noter qu'il eût été intéressant de connaître la position de notre jurisprudence, si un accusé avait argué de l'incompatibilité de l'ordonnance du 12 Mars 1962 avec le Pacte, qui lui est postérieur, pour demander son acquittement. Nos tribunaux auraient-ils appliqué la règle "lex posterior, priori derogat" et donné préférence au Pacte, alors censé avoir abrogé l’ordonnance? Assurément, on a manqué une occasion de résoudre un problème juridique auquel l'article 45 de la Constitution de 1972 révisée n'apporte pas une réponse précise; ce texte dispose que : "les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois..." Mais la constitution n’indique pas comment sera assurée la supériorité du traité.

Nul ne peut nier le soulagement que constitue la loi de 1992, sur le plan psychologique.

B) Au plan réel

Peut-on déduire de la loi N° 90/46 du 19 Décembre 1990 la fin de la subversion, comportement réprimé? On peut en douter, pour deux raisons:

1°) En premier lieu, il faut avoir présent à l'esprit le fait que l’ordonnance du 12 Mars 1962 était souvent en quelque sorte, "doublée" par d'autres dispositions qui, elles, demeurent en vigueur. Qu'on songe, par exemple, à la législation relative à la sûreté intérieure; qu'on songe aussi à l'article 153 du code pénal...

2°) En second lieu, il convient de souligner qu'en dépit du caractère ouvert de l'incrimination de subversion, circonstance qui facilitait les choses aux gouvernants, ces derniers ont pour l'essentiel opté pour la "gestion" de la subversion en dehors du circuit juridictionnel. C'est bien connu, le subversif était plus souvent ce citoyen détenu arbitrairement sans jugement, ni même inculpation, dans des centres spécialisés (B.M.M. de Yaoundé; Tchollire, Mantoum, ...). Dès lors, il convient d'apprécier la disparition ou non du subversif, à l'aune de la pratique politique quotidienne et non exclusiveemnt au regard de l’abrogation de la législation anti-subversive. De ce point de vue, le subversif a-t-il disparu ?

III - L'AVENIR, LE FUTUR HYPOTHETIQUE DE L'IDENTITE DE SUBVERSIF

L'avenir nous en dira plus sur la suite réservée à l'option dont l'abrogation de la législation anti-subversive est un indicateur. Mais une chose est certaine: pour se consolider, cette option a besoin d'un fil conducteur; et celui-ci doit être constitué par les droits de l'homme, pour qu'enfin ... vive la subversion !