EXISTE-T-IL UNE IDENTITE DEMOCRATIQUE
CAMEROUNAISE ?
LA SPECIFITE CAMEROUNAISE A LEPREUVE DE
LUNIVERSALITE DES DROITS FONDAMENTAUX
par
Léopold DONFACK SOKENGUniversité de Douala/GRAP
RESUME: La construction dune identité démocratique apparaît comme l un des soucis majeurs du constituant camerounais de 1996. Elle se traduit dans la loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996 par une tension vive entre l adhésion au standard quasi-universel des droits de l homme et de lEtat de droit dune part , et la mise en relief de lidentité culturelle camerounaise dautre part. Doù une affirmation ambiguë ,voire problématique du principe démocratique, de certains droits fondamentaux autant que de la citoyenneté républicaine. Ce recours à l " exception démocratique " revendiqué par le législateur constituant camerounais ne serait-elle pas en ultime analyse une manifestation de la résistance acharnée et protéïforme de loligarchie gouvernante à la démocratisaton en profondeur de la Société camerounaise?
" Le Cameroun cest le Cameroun ". Cette boutade quelque peu simpliste de M. le Président BIYA, mais dont le sens pour le moins sibyllin néchappe à personne, nous situe demblée au coeur de la problématique de la revendication des identités culturelles face à la poussée du puissant courant universaliste qui marque la diffusion des droits de lhomme et de la démocratie pluraliste à la faveur du renouveau du Constitutionnalisme en Afrique.
En effet, les mutations politiques, économiques et sociales en cours dans le Continent Noir depuis la fin des années 1980, et au Cameroun en particulier depuis les années 1990, sont révélatrices de la volonté de l Afrique et plus spécialement du Cameroun, dadhérer au standard quasi-universel de lEtat de droit et de la démocratie libérale.
Ces mutations reflètent au plan politique, aujourdhui plus quhier, mais certainement moins que demain, la revendication dune adhésion réelle au constitutionnalisme. Fétichisme juridico-politique ou quête avant-gardiste dun standard de " bon Etat " ? le débat sur ce point demeure ouvert. Théorie prescriptive sil en est, le constitutionnalisme entendu stricto sensu comme laffirmation de la primauté des droits et libertés fondamentaux garantie par la Constitution et protégée par le juge dans la société, et par voie de corollaire sur laction de tous les pouvoirs publics, sinscrit désormais en lettre dor comme modèle référentiel dorganisation des sociétés humaines, au point où il est désormais un lieu commun de le retenir avec lEtat de droit comme critérium didentification des " nations civilisées ".
Alors que la réflexion sur lexistence et le contenu dun patrimoine constitutionnel commun de lhumanité fait du chemin, le Cameroun qui avait jusque là revendiqué à cri et à cor sa spécificité pour sen marginaliser, semble faire une entrée remarquée dans larène de la démocratie libérale à la faveur notamment de la toute récente réforme constitutionnelle ; réforme consacrant au plan institutionnel les mutations politiques, économiques et sociales tantôt évoquées.
Cette adhésion au courant universalisant des droits de lhomme et de la démocratie libérale consacre-t-elle pour autant léchec des velléités identitaires qui avaient tant marqué le Cameroun ? Autrement-dit, serait- ce la fin déclarée de la fameuse revendication de la " spécificité camerounaise " symbolisée par le fameux " le Cameroun cest le Cameroun " présidentiel ?
Le dire serait sans doute aller un peu trop vite en besogne ; comme le confirmerait une lecture rapide de la Constitution de 1972 en sa forme révisée et actuelle, qui nest guère avare en références aux singularités camerounaises (un Sénat dans lequel 30% de membres sont nommés, une affirmation brumeuse de la protection des droits spécifiques des autochtones etc...), traduisant ainsi la revendication dune identité politique en tant quEtat et République sui-generis.
Notre propos consistera donc en une réflexion sur les termes de la rencontre entre luniversel et le particulier manifestée dans ce que daucuns appellent non sans hésitation la " nouvelle Constitution camerounaise ".
Sagit-il en effet dune nouvelle Constitution ou beaucoup plus simplement dune actualisation de la Constitution du 2 Juin 1972 ?
La pertinence de cette question nest pas sans rappeler le débat sur la nature de la loi constitutionnelle n° 61/24 du 1er Septembre 1961 portant révision constitutionnelle, qui tendait à adapter la Constitution du 4 Mars 1960 aux nécessités du Cameroun unifié.
Mais, faut-il préciser au regard des ambiguïtés de la procédure observée durant la réforme constitutionnelle qui vient de sachever, lon ne saurait demeurer insensible à la manifestation de ce que le professeur LIET-VEAUX appelle une " fraude à la Constitution " eu égard au détournement de la procédure révisionnelle que lon aura observé au cours des travaux de discussion et dadoption parlementaire de la loi fondamentale de 1996.
Pour revenir à notre interrogation précédente, lon dira en reprenant mutandis mutandis la thèse défendue par la doctrine au sujet de la " Constitution " de 1961, que si la récente réforme constitutionnelle constitue à nen point douter et dun point de vue formel, une révision de la Constitution du 2 Juin 1972 comme le précise si bien la loi portant révision de la Constitution du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 Juin 1972 toujours est-il quen réalité et dun point de vue strictement matériel, il sest agi purement et simplement de doter le Cameroun dune nouvelle Constitution. Ce que confirme du reste le discours politique ambiant.
Toutefois, et en attendant que les spécialistes des questions constitutionnelles tranchent ce débat, nous nous en tiendrons au formalisme caractéristique de notre discipline et opterons ainsi pour lexpression " Loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996 ".
La présente réflexion sur lambiguïté de la consécration constitutionnelle des droits fondamentaux au Cameroun est ainsi chevillée autour du désormais classique débat relatif à luniversalité des droits fondamentaux et au relativisme culturel, la démocratie étant appréhendée ici comme lun des plus importants des droits fondamentaux référés dans le texte de la Constitution.
En effet, le vaste mouvement de décolonisation qui suivit la 2ème guerre mondiale, en même temps quil consacra le polycentrisme et la diversification de la société internationale, devait déboucher sur une revendication sans cesse croissante dun nouvel ordre mondial reposant, dans la philosophie des droits de lhomme, sur une grande prise en compte de la diversité culturelle des nations du monde. La tension entre luniversalité des droits de lhomme qui avait été jusquà lors professée et le relativisme culturel ne devenait alors que plus vivace.
Certes la question est-elle fort ambivalente :
- dune part, on a les droits fondamentaux qui sont ceux de lhomme . Conçus à partir de la rationalité de lhomme, ils sont inhérents à la nature de celui-ci, et donc marqués du sceau de luniversalité. Héritage des déclarations des droits du XVIII ème siècle, ils se rattachent au puissant courant jus naturaliste qui fut inspiré par la tradition judéo-chrétienne et imposé par lOccident comme étant " la culture universelle " pour ne plus dire celle des " nations civilisées ". Cette puissante idéologie profondément enracinée depuis les lumières consiste à ériger la théorie des droits de lhomme en une sorte de culture universelle à laquelle devrait se référer toute société politique qui se veut moderne
- Dautre part, ces droits de lhomme, relève si pertinemment M. le professeur François TERRE, " cest lhomme qui les constate ou les déclare : en tant que droits, ils sont des créations de son esprit, des fruits de sa culture. Mais en même temps, cette culture, résultat de laction de lesprit créateur, est nécessairement diverse et diversifiée ".
M. RAYMOND POLIN résume cette ambiguïté fondamentale qui est du reste celle de lhomme, en montrant que " lhomme parce quil est homme, crée sa culture; mais que justement, cette culture est diversité ,car lhomme est libre ".
Cest donc dans un tel contexte que nombre de pays en développement ont enfourché les chevaux du relativisme culturel pour remettre en question dans les années 60 et 70, la notion de droits de lhomme telle quelle résulte de nombreux instruments internationaux qui sy rapportent, et qui pour eux , traduit davantage limpérialisme occidental - libéral ou socialiste peu importe !
Sappuyant sur le fait que, comme le dispose si bien larticle 9 du statut de la Cour Internationale de Justice, il y a dans chaque zone " des grandes formes de civilisation représentatives " des principaux systèmes juridiques du monde ", les Etats Africains défendirent dans les années 60 une conception des droits de lhomme liée à lhistoire, à la géographie, aux moeurs et aux formes de pensées des populations locales, malgré la valeur extra-spatiale et extra-temporelle que lon attribue à lhomme.
Ainsi, ces Etats optaient-ils pour une idéologie du culturalisme promouvant de facto une conception des droits de lhomme qui varierait à lextrême à travers les aires et les ères.
On peut certes sinterroger avec le juge KEBA MBAYE sur les motivations profondes de cette remise en cause de luniversalisme des droits de lhomme. Celle-ci ne cachait-elle pas des motifs inavouables et inavoués ? Ne sagissait-il pas, en ce qui concerne au moins les droits fondamentaux, dun moyen commode pour saffranchir de lobligation de les respecter ?
Nolens volens, cette période de la contestation des droits de lhomme semble révolue. La virulence de lantagonisme entre les conceptions occidentales et tiers-mondistes des droits fondamentaux sest considérablement atténuée à la faveur du vaste mouvement de démocratisation qui parcourt le monde, et plus particulièrement le Continent Noir depuis la fin des années 1980 : ladhésion de lAfrique au standard universel de la démocratie libérale et des droits fondamentaux ne fait plus aucun doute, du moins à la lecture des nouvelles Constitutions des Etats africains.
Toutefois, loin dabandonner toute référence à la diversité culturelle au profit de luniversalité des droits fondamentaux, ces Etats semblent sarc-bouter sur la notion de " spécificité ", attitude symbolisée par ladoption il y a 15 ans dune " Charte africaine des droits de lhomme et des peuples ", sensée réfléter une problématique des droits de lhomme propre à cette région
Sagissant spécifiquement du Cameroun, la toute récente réforme constitutionnelle est apparue comme un champ privilégié dappréhension et de réflexion de la rencontre et du choc entre luniversalité des droits fondamentaux et le relativisme culturel
Les développements qui vont suivre consisteront donc en une réflexion sur les termes de cette rencontre entre luniversel et le singulier, relativement à la question des droits fondamentaux ; légalité, les libertés politiques et le droit à la démocratie apparaissant ici comme les plus en vue desdits droits fondamentaux., autant que les éléments référentiels de la construction dune identité démocratique camerounaise. Sagit-il de relations harmonieuses et complémentaires ou alors dun choc des contraires ? Seule une analyse de la loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996 nous permettra de nous fixer les idées, qui nous donnera à voir la démocratie libérale en expérimentation au Cameroun quelque peu ébranlée par la revendication identitaire, ou si lon préfère, par la " spécificité camerounaise "
Nous nous proposons de le démontrer à travers lanalyse de quelques points saillants du texte constitutionnel, qui révélera à nen point douter lambiguïté identitaire de la consécration constitutionnelle des droits de lhomme au Cameroun, manifestée par une tension aiguë entre luniversel et le spécifique dune part (I) et le risque évident de perversion du principe libéral démocratique du fait de lexacerbation des spécificités culturelles de cette société que mettrait en évidence la recherche à tout prix et à tous les prix dune identité camerounaise en la matière dautre part (II).
I / LA TENSION ENTRE LUNIVERSEL ET LE SPECIFIQUE DANS LOI CONSTITUTIONNELLE DU 18 JANVIER 1996 : VERS LA CONSTRUCTION DUNE IDENTITE DEMOCRATIQUE CAMEROUNAISE
La loi constitutionnelle promulguée le 18 Janvier 1996 apparaît comme le champ privilégié dexpression des nouvelles tendances du constitutionnalisme camerounais.
En effet, la mise à neuf de la Constitution camerounaise semble avoir été dominée par une double préoccupation, comme le révèle lexposé des motifs du projet de loi n° 590/PLI/AN déposé par le Gouvernement sur le bureau du Parlement en Décembre 1995.
Dune part, il sest agit dancrer les institutions politiques camerounaises dans la modernité en mettant en place un cadre institutionnel susceptible d "accompagner, voire davancer les mutations importantes que connaît la société camerounaise ", lidée étant de consolider loption démocratique et libérale du Cameroun .
Dautre part et parallèlement, il sagit de prendre en compte les " aspirations et les préoccupations du peuple camerounais telles quelles se sont exprimées ces dernières années ".
Cette double préoccupation du constituant camerounais nous situe dans un constitutionnalisme fondamentalement ambigu, écartelé quil est entre une évidente tendance à la reproduction dun modèle métropolitain à prétention universelle et porteur de modernité, du moins semble-t-on le croire, et dautre part, un réel souci dinnovation constitutionnelle traduisant plus que par le passé le souci de transcription des spécificités camerounaises dans la loi fondamentale camerounaise.
La loi constitutionnelle de 1996 porte à nen point douter la marque de la technocratie politico-juridique camerounaise. Toutefois, et pour autant quelle na pas été confectionnée dans des " officines à Paris ", elle nen conserve pas moins la marque, au regard de sa charpente toute française... Cest dire toute la fascination exercée aujourdhui encore par le droit français sur les constitutionnalistes et autres experts camerounais mis à contribution à cette occasion.
Nolens volens, et sagissant précisément des droits fondamentaux et de la démocratie, lappropriation par le constituant camerounais de ces valeurs universelles apparaîtra comme le moment privilégié de manifestation des toutes récentes tendances innovatrices du constitutionnalisme camerounais. Lexamen de ce processus nous situe ainsi au coeur même du débat sur luniversalité des droits de lhomme et le relativisme culturel.
Peut-on en effet transcrire dans une Constitution des spécificités culturelles proprement nationales sans pour autant innover par rapport au mouvement constitutionnel classique à prétention universelle ?
Revenant à notre loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996, et sagissant de la tension entre luniversel et le spécifique quelle reflète, celle-ci est manifestée par dimportantes références aux principes universels relatifs aux droits de lhomme et à la démocratie pluraliste dune part (A), et aux spécificités culturelles camerounaises dautre part (B).
A - LES TERMES DE REFERENCE A LUNIVERSEL : LES DROITS DE LHOMME ET LA DEMOCRATIE
Ladhésion du constituant camerounais à ce que lon pourrait qualifier à la suite de M. SINDJOUN déléments fondamentaux du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques, a été mise en exergue par linitiateur du projet de loi N° 590/P.L.J./AN portant révision de la Constitution du 2 Juin en ces termes. " Le projet de révision de la Constitution (...) vise à assurer une consolidation de notre démocratie (...) à limiter le pouvoir au sein de lEtat et le pouvoir de lEtat au sein de la société ". De même, ledit projet innove-t-il de par " la promotion dune société plus libérale, plus démocratique et plus respectueuse des droits et libertés du citoyen et des minorités ".
Comment ce souci dancrage de la société camerounaise dans le constitutionnalisme moderne et la démocratie libérale se manifeste-t-il dans le nouveau texte constitutionnel ?
Il convient en vue dapporter réponse à cette question, dexplorer tour à tour les termes de référence du constituant aux deux principaux axes du mouvement constitutionnel universaliste que sont la revendication ferme de ladhésion du Cameroun au courant universel des droits de lhomme et le renforcement de la démocratie pluraliste.
1- La revendication ferme de ladhésion du Cameroun au courant universel des droits de lhomme
La loi constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996 manifeste aujourdhui plus quhier lattachement du peuple camerounais au courant universaliste des droits et des libertés. En atteste la constitutionnalité désormais certaine, parce que clairement affirmée, du préambule de la Constitution et des principes fondamentaux qui y figurent. La référence aux principes fondamentaux de la charte des Nations-Unies et à la déclaration universelle des droits de lhomme le confirme sans doute..
Lévocation de ces textes universels ouvre en effet la voie à une longue énumération des principes universels relatifs à la protection des droits de lhomme jugés particulièrement importants, et auxquels lEtat entend apporter une garantie tout aussi particulière.
Ainsi, peut-on lire que lêtre humain, sans distinction de race, de religion, de sexe ou de croyance possèdent des droits inaliénables et sacrés. Cette idée de " droits inaliénables et sacrés " qui trouve son origine dans le constitutionnalisme révolutionnaire du 18ème siècle en Occident est contenu dans la déclaration dindépendance des U.S.A., les déclarations française des droits de lhomme et du citoyen de 1789, universelle des droits de lhomme de 1948, et dans bien dautres textes plus ou moins célèbres.
De cette longue énumération des droits et libertés, on pourra retenir deux idées-forces relativement à la référence au système universel de promotion des droits.
La première serait alors la confirmation dans le nouveau texte des droits figurant dans celui de 1972 à savoir, outre légalité en droits et en devoirs de tous les citoyens de lun et lautre sexe ;
- La liberté et la sécurité individuelles
- La liberté détablissement et de mouvement
- Linviolabilité du domicile et du secret de la correspondance
- La non rétroactivité de la loi et le principe de la légalité des peines
- Le droit à la justice et la garantie contre les arrestations arbitraires
- La liberté de conscience, de pensée et de culte assortie du principe de la laïcité et de la neutralité de lEtat
- La liberté dexpression et de presse
- La liberté dassociation, de réunion et de manifestation
- La liberté de fonder une famille
- Le droit à linstruction
- Le droit de propriété
- Le droit au travail et la liberté syndicale.
La seconde idée-force est lapparition dans lénumération préambulaire de nouveaux droits et le renforcement de certains droits et libertés préalablement affirmés. Sans doute sagit-il pour le constituant de 1996, de tirer les conséquences de la ratification par lEtat camerounais de nombre de conventions universelle portant sur les aspects spécifiques des droits de lhomme faisant lobjet dune promotion et dune protection renforcée par le régime des Nations-Unies.
Ainsi relèvera-t-on lapparition
- De la protection des minorités
- De la liberté de communication
- Du droit à la vie et à lintégrité physique et morale
- Du droit de grève
- De la protection de la femme, des jeunes, des personnes âgées et des handicapés
-Du droit à un environnement sain ainsi que la promotion et la protection de lenvironnement
Au titre des droits et libertés qui connaissent une protection renforcée, lon notera avec satisfaction le développement des garanties relatives à la sûreté. Ainsi la présomption dinnocence et le strict respect des droits de la défense en matière pénale acquièrent un statut constitutionnel. De même le constituant insiste-t-il sur la nécessité de traiter les hommes " avec humanité en toute circonstance. " Doù linterdiction absolue de la " torture, des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. "
Au total voit-on réunies dans cette énumération constitutionnelle les trois générations des droits de lhomme ainsi que la promotion des droits collectifs, autant dévocation qui illustrent de manière certaine ladhésion du Cameroun au courant universaliste des droits de lhomme.
Il ne sagit guère dune adhésion en trompe-loeil comme ce fut le cas par le passé dès lors quil est clairement disposé que le préambule qui les contient fait partie intégrante de la Constitution dune part, et quil est institué une juridiction constitutionnelle à la saisine relativement ouverte, pour assurer la protection de ces libertés et droits fondamentaux contre les éventuelles violations du législateur : le conseil constitutionnel . Quid de la démocratie, considérée ici comme un droit fondamental du citoyen ?
2 - Le renforcement du principe démocratique
La démocratie connaît dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 un renforcement particulier, attesté par la réaffirmation de la souveraineté du peuple dune part, et par le renforcement de la démocratie locale dautre part. Mais il sagit dun progrès mitigé cependant, au regard notamment de la limitation du principe de la souveraineté par le constituant
En effet, le principe de la souveraineté nationale exercée par le peuple qui figurait déjà en bonne place dans la Constitution de 1972 est cetes confirmé dans la récente loi constitutionnelle : " La souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui lexerce, soit par lintermédiaire du Président de la République et les membres du Parlement, soit par voie de référendum ", peut-on lire dans le nouveau texte constitutionnel. Les autorités chargées de diriger lEtat tiennent leurs pouvoirs du peuple par voie délection au suffrage universel direct ou indirect, le vote ouvert aux citoyens dau moins vingt ans, demeurant égal et secret
Si lon peut également enregistrer dans le même sens la multiplication des postes électifs au sein de lEtat (Présidence de la République, Assemblée Nationale, Sénat, Régions, Communes), qui confirme ainsi dun certain point de vue, le caractère pluraliste de la démocratie au Cameroun, il nen demeure pas moins que celle-ci connaît une limitation pour le moins regrettable : certaines personnes appelées à exercer au plus haut niveau lautorité de lEtat peuvent ne pas tenir leurs pouvoirs du peuple. Cest notamment le cas de 30% des membres du Sénat qui sont nommés par le Président de la République. .
Sagissant de la Démocratie locale, elle connaît dans le nouveau texte constitutionnel un essor particulier, au regard du développement de la décentralisation territoriale qui caractérise lorganisation de lEtat en cette aube du 3ème millénaire.
La loi constitutionnelle de 1996 consacre en effet - et la chose est nouvelle - un titre aux collectivités territoriales décentralisées qui acquièrent ainsi un statut constitutionnel. On en distingue désormais deux types à savoir les régions et les communes. Il est à regretter toutefois que la constitutionnalisation de ces collectivités décentralisées, et notamment des régions soit quelque peu limitée : La Constitution ne définit pas clairement les compétences de la région quelle évoque tout simplement, laissant le soin au législateur de les déterminer.
Au regard de tout ce qui précède, force est de constater et denregistrer le souci dancrage de la Constitution camerounaise au vaste mouvement de libéralisation et de démocratisation qui parcourt le monde depuis quelques années, mu par un évident souci duniversalisation de lorganisation des sociétés politiques contemporaines. Mais convient-il de préciser, lambition du constituant paraît s'étendre bien au-delà, au regard notamment des usages qu'il fait de la spécificité camerounaise dans le contexte des droits de l'homme et de la démocratie. A l'évidence, il tient à marquer la spécificité culturelle camerounaise dans son entreprise d'appropriation du fond commun du constitutionnalisme libéral.
B/ - LES TERMES DE REFERENCE A LA SPECIFICITE CAMEROUNAISE
Le souci de refléter dans le texte de la Constitution les spécificités de la société camerounaise semble avoir été une des préoccupations fondamentales du constituant de 1996. Ce souci transparaît en effet à la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi n° 590/PLJ/AN portant révision de la Constitution du 2 Juin 1972.
La réforme constitutionnelle, peut-on y lire, "prend largement en compte les aspirations et les préoccupations du peuple camerounais telles qu'elles se sont exprimées ces dernières années". De même vise-t-elle entre autres "l'enracinement de l'Etat dans nos traditions séculaires, à travers la protection de l'autorité et des valeurs traditionnelles".
Comment ce souci se traduit-il dans la Loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996 ?
Il apparaît à l'analyse dudit texte constitutionnel que le souci de marquer la spécificité de la République camerounaise est mis en exergue par la promotion de l'identité culturelle camerounaise d'une part, et des droits spécifiques particulièrement illustratifs de la réalité camerounaise d'autre part.
1/ - La Promotion de lidentité culturelle camerounaise
Elle est assurée dans le nouveau texte constitutionnel par l'affirmation d'un bilinguisme égalitaire d'une part, et par la protection et la promotion des valeurs traditionnelles et langues nationales d'autre part.
- S'agissant de l'affirmation du bilinguisme égalitaire, celle-ci se traduit par la reformulation dans le cadre de la définition de la République, des termes du bilinguisme camerounais.
Il ne suffit plus de présenter simplement le français et l'anglais comme seules langues officielles de la République. Il s'agit aussi et surtout de marquer l'égalité des deux langues, des deux cultures, et partant, des communautés anglophone et francophone.
C'est pourquoi le constituant affirme expressément l'adoption de l'anglais et du français "comme langues officielles d'égale valeur". De même ajoute-t-il que la République du Cameroun "garantit la promotion du bilinguisme sur toute l'étendue du territoire". Il s'agirait ainsi, croit-on, de passer du bilinguisme régional au stade suprême du bilinguisme intégral qui verrait les camerounais du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest s'exprimer indifféremment en Anglais et en Français.
Ces dispositions pour le moins ambitieuses visent surtout à rassurer les camerounais de culture anglophone, dont les protestations contre ce qu'ils considèrent comme une tentative d'assimilation ou de recolonisation de la partie anglophone par les francophones se font de plus en plus vives, allant souvent jusqu'à la manifestation des velléités sécessionnistes.
Elles prêtent cependant à sourire dans un pays où la lutte contre l'analphabétisme demeure une priorité... Il sagit certainement de normes projectives, transcrivant un idéal dont leffectivité sinscrit dans un futur plus ou moins lointain.
- Quant à la promotion et la protection des valeurs traditionnelles, elle se traduit d'abord par la présentation de la protection et de la promotion des langues nationales comme étant un des objectifs principaux de la République. De même est-il affirmé que la République "reconnaît et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes démocratiques, aux droits de l'homme et à la loi". Cette subordination de la reconnaissance et de la protection des valeurs traditionnelles au respect des principes démocratiques et des droits de lhomme devrait permettre le recul dans certaines contées des pratiques moyenne-âgeuses relevant davantage des féodalités et monarchies absolues que de la modernité républicaine à laquelle se réfère le constituant. Il sagit, observe M. NGAYAP d "une avancée démocratique importante qui clot positivement le débat sur le pouvoir autonome et le poids des traditions antidémocratiques perpétuées par certains chefs traditionnels ".
La promotion et la protection de l'autorité et des valeurs traditionnelles semblent trouver ensuite dans les conseils régionaux leur cadre d'expression favori. La loi constitutionnelle du 18.01 1996 assure la représentation des chefferies traditionnelles en déterminant les modalités de représentation dans cette assemblée du commandement traditionnel en son article 57(2) in fine.. Celles-là ne sont-elles pas le lieu de manifestation et de conservation par excellence de ces valeurs traditionnelles à promouvoir ?
Il est à craindre toutefois que la mise en scène politique de l'autorité cheffale n'aboutisse à l'effet contraire à celui escompté. La montée de la contestation dans les chefferies de l'Ouest et du Nord du pays qui se sont prêtées au jeu politique ces dernières années en est symptomatique.
De même, la nomination par le Chef de l'Etat du tiers des membres du Sénat - autre élément d affirmation de la spécificité camerounaise - qui est l'organe représentatif au plan national des régions, ne saurait suffire à pallier les dangers d'une politisation à l'extrême des chefferies traditionnelles. On courrait alors le risque de sacrifier les valeurs traditionnelles à promouvoir, à l'autel des ambitions égoïstes des Chefs traditionnels que pourrait y coopter le Chef de l'Etat.
Quid de la promotion par le constituant camerounais de certains droits particuliers et fort illustratifs de la spécificité camerounaise ?
2/ - La Promotion des droits spécifiques
S'agissant des droits de l'homme à proprement parler, le souci de démarcation par rapport au courant universaliste est d'abord reflété par l'attachement du constituant camerounais, parallèlement au système des Nations-Unies, à la Charte Africaine des Droits de lhomme et des Peuples, texte qui reflète les spécificités d'une vision africaine des droits de l'homme.
La référence à ce texte dans la loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996 apparaît à n'en point douter comme une des grandes innovations du préambule de la constitution camerounaise, qui traduit dans les faits la ratification par l'Etat camerounais du texte adopté par la Conférence des Chefs dEtat et de Gouvernement de l'O.U.A le 28 juin 1981 à Naïrobi.
Il s'agit pour le peuple camerounais, comme pour les autres sociétés africaines, d'affirmer son aptitude à la réceptivité des droits de l'homme d'une part, et de revendiquer une approche spécifiquement africaine des droits de l'homme d'autre part ; car une charte rédigée et adoptée par les Africains ne peut être que l'expression des traditions et croyances des peuples africains. L'accent mis sur les droits de la famille et des peuples d'une part, et sur les devoirs de l'individu vis-à-vis de la société dautre part - autant d'éléments nouveaux qu'enregistre le nouveau texte constitutionnel - n'est-il pas le reflet de l'esprit communautaire qui caractérise si bien la culture camerounaise ?
S'agissant ensuite de la promotion de certains droits collectifs des groupes particuliers, le constituant camerounais innove dans le texte du 18 Janvier 1996 en avançant l'idée d'une protection des minorités et des "populations autochtones "
Il dispose à cet effet dans son préambule que "l'Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi". En attendant lélaboration d'une telle loi, dont on peut dores et déjà imaginer moult problèmes qu'elle susciterait, la matérialisation constitutionnelle de cette protection se situe sans doute dans des dispositions du titre X de ladite loi constitutionnelle consacrée aux collectivités territoriales décentralisées, et selon lesquelles le " Conseil Régional " doit refléter les différentes composantes sociologiques de la région dune part, et " être présidé par une personnalité autochtone de la Région élue en son sein pour la durée du mandat du conseil ".
Si la première disposition peut s'interpréter comme garantissant la participation des groupes minoritaires à la gestion de la Région, il nen va pas de même de la seconde.
Il s'agit ici nous semble-t-il, d'une garantie des droits des "autochtones" fondée sur la présomption qu'une personnalité reconnue comme autochtone serait sans doute plus soucieuse des intérêts des populations autochtones que toute personne dite " allochtone " Par ailleurs, elle garantit une participation effective, et de premier choix de la couche de populations dite " autochtones " à la gestion de la région.
Toujours au chapitre des droits spécifiques à certains groupes, l'on notera la réservation de l'éligibilité à la fonction présidentielle aux seuls " citoyens camerounais d'origine " sans autre précision : formule somme toute lapidaire, qui n'est pas sans évoquer le cas de l'actuelle Constitution ivoirienne qui l'a sans doute inspirée
Ces nombreuses références aux spécificités culturelles camerounaises ne sont pas sans conséquence sur la conduite du processus de démocratisation en cours au Cameroun. Et pour cause, l'exacerbation de la spécificité camerounaise ne risque-t-elle pas à terme de pervertir la démocratie libérale à laquelle le constituant de 1996 accorde pourtant la primauté ?
II / - EXACERBATION DE LA SPECIFICITE CAMEROUNAISE ET RELATIVISATION DU PRINCIPE DEMOCRATIQUE : LES LIMITES DE LA CONSTRUCTION DE LIDENTITE DEMOCRATIQUE CAMEROUNAISE
Partant du constat de la très forte tension entre l'universel et le spécifique dans l'entreprise de consécration des droits de l'homme, sans doute conviendrait-il de s'arrêter quelques instants sur les problèmes tant théoriques que pratiques que suscite l'appropriation camerounaise desdits principes libéraux et démocratiques. Les deux tendances sus-évoquées peuvent-elles en effet cohabiter sans heurts ? Autrement dit, l'affirmation poussée des spécificités camerounaises est-elle toujours compatible avec les principes démocratique et libéraux donnés en modèle référentiel ? Ne court-on pas ici le risque de verser dans une idéologie du culturalisme pas toujours compatible avec lidéal démocratique et libéral tant revendiqué ?
Les dangers d'une exacerbation du relativisme culturel en la matière ont été suffisamment mis en exergue par le professeur Etienne LE ROY pour que l'on ne s'y attarde. En effet dans une excellente contribution au colloque international de Port-Louis sur << L'effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone >>, contribution intitulée << Les droits de l'homme entre un universalisme hâtif et le ghetto des particularismes culturels >>, notre auteur, reprenant à son compte les thèses de l'anthropologue SELIM ABOU, relève que la prise en compte des particularismes a conduit certains à préconiser un << droit à la différence >> qui peut justifier un "droit à l'enfermement", un "droit à l'oppression" et un "droit à la mort". Réfléchissant sur les causes et les avatars de l'exacerbation du droit à la différence, il souligne en substance que la reconnaissance du droit à la différence conduit au relativisme culturel et dérape dans ce quil appelle des "provincialismes culturels", c'est-à-dire "le risque d'un enfermement dans la glorification des particularités culturelles qui excluraient de s'intéresser à ce qui se passe au-delà du village, de l'ethnie ou de la nation".
Avec l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle adoptée le 23 décembre 1995 par l'Assemblée Nationale, le Cameroun semble avoir amorcé le virage conduisant vers le ghetto des particularismes et des provincialismes culturels qui, s'ils sont bel et bien révélateurs de l'identité culturelle camerounaise, n'apparaissent pas moins comme des limites à l'expression de la Démocratie libérale et pluraliste.
A titre illustratif, il conviendrait d'examiner l'impact de la protection des droits particuliers des minorités et des autochtones sur la citoyenneté camerounaise d'une part (A) et l'effet de la prise en compte de la nécessité d'assurer la juste représentation politique des groupes sociaux sur le principe démocratique d'autre part. (B).
A/ AFFIRMATION PROBLEMATIQUE DES DROITS DES COLLECTIVITES ET INSTITUTION DUNE CITOYENNETE REPUBLICAINE AMBIGÛE
L'affirmation des droits des minorités et des autochtones dans la loi constitutionnelle du 18.01.1996 ne va pas sans susciter des problèmes au regard des incertitudes qui caractérisent leur formulation constitutionnelle. Il importe toutefois de souligner que l'une des conséquences les plus évidentes de cette apparition de nouveaux sujets de droit dans la société politique camerounaise sera certainement la remise en cause de la citoyenneté et partant, de la République, telles que définies jusqu'à lors.
1/- L'Apparition de nouveaux sujets de droit dans la société politique et les limites de leur constitutionnalisation
L'affirmation de la protection des minorités et des droits des populations autochtones prête certainement à conséquence, tant au plan politique que d'un point de vue strictement juridique. Il sagit là comme le souligne avec appréhension M. OLINGA, didées potentiellement nocives dont il convient de se débarrasser au plus vite, au risque " dinextricables difficultés à venir ".
Labsence de définition constitutionnelle pose un évident problème d'identification desdites minorités. En effet ,quel en est le critérium d'identification ?
Il en va de même de la définition de l'identité d'autochtone. A partir de quel moment peut-on être objectivement considéré comme autochtone au regard de la loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996 ?
Il importe de s'attarder sur l'une et l'autre de ces questions.
Définition et identification difficultueuses des minorités
La nécessité d'une protection des minorités n'est pas une préoccupation spécifiquement camerounaise. En effet, la protection des minorités nationales et des libertés des personnes appartenant à ces minorités fait partie intégrante de la protection internationale des droits de l'homme et préoccupe la Communauté Internationale depuis plus d'un siècle. De même, cette préoccupation est-elle prise en compte dans laménagement des Institutions de droit interne par nombre d'Etats. Elle pose cependant ici comme ailleurs plusieurs problèmes tant d'ordre conceptuel que pratique. L'intensité des débats y relatifs s'explique par l'extrême difficulté que comporte la solution du problème des minorités ; celle-ci étant subordonnée au règlement de trois questions fondamentales à savoir :
1°/ - Comment les définir ?
2°/ - Quels droits leur reconnaître ?
3°/ - De quelles garanties assortir cette reconnaissance ?
Sagissant du premier point, la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 ne résout pas l'une des difficultés cardinales de la protection des minorités qu est la définition du concept de minorité. Il est vrai, cette lacune n'est pas spécifiquement camerounaise , le débat demeurant largement ouvert sur ce point, tant il est constant qu'aucune Organisation Internationale, y compris l'ONU, n' y a trouvé de solution satisfaisante.
Lon pourrait toutefois relever, nonobstant cette absence de définition généralement admise de la notion de minorité, quil existe dés à présent, et selon le mot de Mme le professeur CONSTANCE GREWE, <<un embryon de droits des minorités qui résultent de larticle 14 de la convention Européenne des Droits de Lhomme, de larticle 27 du pacte International relatif aux droits civils et politiques et - mais ces textes nont pas force juridique obligatoire - des travaux du Conseil pour la Sécurité et la Coopération en EUROPE (C.S.C.E)>>
De lensemble de ces dispositions, lon pourrait, toujours à la suite de notre auteur, esquisser une définition des minorités se composant de plusieurs critères objectifs et dun critère subjectif.
Les éléments objectifs tiennent au caractère ethnique, racial religieux ou linguistique de la minorité et au fait que ce caractère la distingue de la majorité de la population du pays, étant entendu que les membres de la minorité possèdent la nationalité de lEtat dans lequel ils se trouvent..
Lélément subjectif réside à la fois dans la volonté du groupe de préserver son identité et dans le choix effectué par chaque individu dappartenir ou non à la minorité.
Partant dune telle esquisse, il devient alors extrêmement délicat didentifier les groupes susceptibles de constituer des minorités au regard des composantes sociologiques du CAMEROUN.
Se référant au critère ethnique et au regard des quelques trois centaines de groupes ethniques censées composer le CAMEROUN, quels seraient le ou les groupes considérés comme minorités au sens du droit international ou même du droit comparé ,étant entendu que chacun desdits groupes pourrait revendiquer ce statut somme toute privilégiée ? Le risque est en effet grand , au regard du critère volontariste avancé dans la définition des minorités - et qui nous semble pour le moins discutable en raison justement de sa subjectivité essentielle - de voir tous les groupes ethniques et linguistiques du pays revendiquer une protection spéciale par rapport au reste de la population dès lors que chacun desdits groupes peut arguer dune frustration plus ou moins légitime au regard dune quelconque spécificité
En réalité et de prime abord, seuls les pygmées semblent présenter les caractéristiques générales qui permettent lidentification aisée dune minorité nationale. leurs difficultés à sintégrer dans la société moderne justifieraient sans doute le recours aux inégalités compensatrices en vue de faciliter la jouissance effective de leurs droits fondamentaux et de protéger leur identité ethnique et culturelle.
La chose est moins évidente pour les autres groupes ethniques, tant il est vrai, comme le relève si pertinemment le rapport de la réunion des experts du Conseil pour le Sécurité et la Coopération en Europe sur les minorités nationales tenue à GENEVE le 19 juillet 1991, <<Toutes les différences ethniques, culturelles, linguistiques ou religieuses ne conduisent pas nécessairement à la création des minorités nationales>>.
La difficulté des corses à se faire admettre en France comme peuple minoritaire, comme le montre la décision du conseil constitutionnel en date du 09 mai 1991 relative au statut de la CORSE en est du reste fort révélatrice...
Quant au critère linguistique, il peut permettre avec quelques réserves cependant, didentifier lexistence dun minorité linguistique anglophone, par opposition à la majorité francophone, et dont la situation peut nécessiter une attention particulière.
Quels droits reconnaître aux minorités?
La Constitution camerounaise demeure assez silencieuse sur la question, sagissant notamment du cas des minorités ethniques, sauf à considérer que la protection particulière des autochtones y contribue suffisamment.. Mais il sagit là dune question sur laquelle nous reviendrons.
En ce qui concerne la minorité linguistique, la promotion dun bilinguisme égalitaire sur toute létendue du territoire apparaît comme une reconnaissance et une protection idoine des droits de ceux quon pourrait appeler la " minorité anglophone ".
Pour revenir au cas des minorités ethniques qui semble poser plus de problèmes, il convient de relever au regard tant du droit international que du droit comparé, quelle se fait en général au moyen des législations nationales et de politiques gouvernementales appropriées: respect des droits fondamentaux, de la démocratie et de létat de droit, protection contre lassimilation forcée , principe de non discrimination, libertés linguistiques, droit à l enseignement, libertés culturelles, coopération internationale et transfrontalière, participation à la vie économique, culturelle et à la vie publique etc... Peut être le constituant camerounais a-t-il vu dans la garantie des droits des populations autochtones un moyen efficace de protection des minorités?
Une distinction autochtones/allochtones porteuse de tensions sociales
Au titre des innovations majeures du texte constitutionnel de 1996, se trouve la référence aux " droits des populations autochtones " que lEtat sengage à préserver conformément à la loi. Lautochtonie dans ce contexte semble circonscrite aux limites géographiques des entités décentralisées que sont les régions, et non à celles du territoire de lEtat camerounais, à laquelle renverrait la notion de " Peuple camerounais " inscrite dans le préambule de la Constitution.
Cette disposition introduit en nen point douter une discrimination au sein du peuple Camerounais; et lon est désormais en droit dopérer un distingo entre les populations autochtones et celles allochtones encore appelées allogènes.
Les unes se distinguent des autres dun point de vu strictement juridique en ceci quelles ne jouissent pas exactement des mêmes droits sur toute létendue du territoire, leur situation juridique différenciée étant fondée sur le lieu détablissement.
A titre dexemple et en attendant la définition de leurs droits à protéger par la loi, seuls les citoyens autochtones sont éligibles à la présidence des conseils régionaux . En préservant ainsi les droits des populations autochtones, ne viole-t-on pas par là même occasion les droits fondamentaux des populations allochtones dont on sait pourtant quelles peuvent aux terme de la même constitution " se fixer en tout lieu sur le territoire national "?
Au demeurant et dès lors quon opère une telle distinction, apparaît alors une première difficulté: étant entendu que lhistoire lointaine et récente du Cameroun révèle comme partout en Afrique la permanence et la fréquence des mouvements migratoires des populations, à partir de quel moment une population peut-elle être considérée comme autochtone? autrement dit, qui est autochtone et qui ne lest pas? au regard du silence de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, il appartiendra au législateur de le préciser, sans doute dans le cadre de la loi relative à la préservation des droits des populations autochtones prévue par la constitution en son préambule.
Dautre part, cette discrimination, si elle satisfait sans doute légo de certaines populations, nest pas moins lourde de dangers dès lors quelle sattache à valoriser davantage ce qui différencie que ce qui peut unir. Le risque est alors fort élevé de dresser les communautés les unes contre les autres, les populations dites autochtones et allochtones se regardant désormais en chiens de faïence. Lethnisme ainsi prôné révèle alors son vrai visage : il est, souligne le professeur Etienne Le Roy,<<une autre forme de racisme>>!
Par ailleurs la pertinence de lintroduction dans la constitution de la distinction autochtones/allochtones peut être discutée au regard de son impact sur la conception de la citoyenneté et de la république qui a prévalu jusquà lors.
2 /- Ambiguïtés et paradoxes de la citoyenneté républicaine dans la Constitution camerounaise
Lintroduction on ne peut plus brutale des notions de " minorités " mais surtout d "autochtones " nantis de droits spécifiques à préserver traduit à nen point douter la crise du modèle classique dintégration sociale qui ne semblait souffrir daucune contestation jusquà lors. Adjointes à celle de " citoyens camerounais dorigine "- autre innovation discriminatoire du texte constitutionnel camerounais - elle donne lieu à une définition différenciée et contradictoire de la citoyenneté camerounaise.
En effet, sil est constant que la Constitution camerounaise dispose sous forme de principe manifestement absolu dans son article premier que la république du Cameroun " une et indivisible (...) assure légalité devant la loi de tous les citoyens ", il nen demeure pas moins que les discriminations constitutionnelles sus évoquées ouvrent la voie à une classification des citoyens qui permet de distinguer:
- Les citoyens camerounais dorigine que lon opposerait aux citoyens non originaires ou citoyens dadoption.
- Les citoyens minoritaires par opposition à ceux issus de la majorité nationale.
- Les citoyens autochtones que lon opposerait au citoyens allochtones, les uns nayant pas à strictement parler, les mêmes droits politiques que les autres.
Cette discrimination que lon voudrait positive, nous introduit dans la sphère complexe des inégalités compensatrices. Toutefois, se justifient-elles au regard tant de loption républicaine affirmée dans le texte constitutionnel originaire, que de la théorie juridique en la matière? Lon pourrait en douter compte tenu des solutions quoffrent le droit comparé et la doctrine en la matière, relativement à la théorie des inégalités compensatrices ou discriminations positives.
Partant de lunicité et de lindivisibilité de la République affirmées par larticle premier de la loi constitutionnelle de 1996 - principe fortement inspiré du droit constitutionnel français - lon pourrait à ce propos raisonner par analogie en sinspirant de la position du conseil constitutionnel dans sa décision de 1991 relative au nouveau statut de la corse. Le raisonnement du conseil constitutionnel en cette occurrence est le suivant " la République étant indivisible et le peuple français constitué de tous les citoyens, ces derniers étant sans distinction dorigine, de race ou de religion, égaux devant la loi, il ne peut y avoir un peuple corse composante du peuple français. En sintercalant entre les citoyens et le peuple français, celui-là constituerait en effet un élément de division de la République ".
De même aurait-on pu invalider la distinction populations autochtones / populations allochtones qui, sintercalant entre les citoyens et le peuple camerounais, constituerait un élément de division de la République ; ce que proscrivent lunicité et lindivisibilité de la République. Mais étant entendu que cest la Constitution elle même qui institue ces corps intermédiaires entre le peuple et la république, un tel raisonnement appliqué à la réalité camerounaise, ne devient-il pas tout simplement spécieux? Lhypothèse dun droit constitutionnel inconstitutionnel est pourtant à envisager avec sérieux dès lors que nous nous situons en présence dune loi portant révision de la constitution. Cette inconstitutionnalité peut dautant plus être envisagée que la loi constitutionnelle nest pas la Constitution, et demeure logiquement subordonnée à celle-ci autant quaux principes fondamentaux qui linforment. Ces limites du pouvoir de révision qui peuvent être formelles ou matérielles, formalisées dans le texte constitutionnel originaire ou non, ne sauraient être transcendées par lacte de révision sous peine de substitution illégitime dudit Pouvoir de révision au Pouvoir constituant originaire. Ainsi et sagissant de la Constitution de 1972, lon relèvera que le principe de lunité qui induit lunicité et lindivisibilité de la République et de son peuple composé de citoyens égaux en droits et en devoirs, sans distinction de race, de sexe ou de religion; autant que les principes démocratiques régissant leur organisation, apparaissent comme autant de principes fondamentaux, substantiels, qui ne sauraient être remis en cause par une simple loi constitutionnelle.
Un tel raisonnement conduit ainsi à douter de la constitutionnalité de la discrimination entre " populations autochtones " et " populations allochtones " introduite au sein du Peuple camerounais par la loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996, et reposant sur une différenciation des droits politiques et une relativisation du principe démocratique régissant lorganisation de lEtat.
Peut être lexploration de la très controversée théorie des inégalités compensatrices qui sous-tend la démarche du constituant camerounais, s'avérerait- elle plus fructueuse?
Les inégalités compensatrices dérivent de lapplication du principe de légalité dont elles sont des exceptions Elles visent à transcender la dimension purement formelle de légalité pour lappréhender de façon concrète, dans sa dimension matérielle.
En règle générale, les inégalités compensatrices apparaissent comme des discriminations positives qui protègent les minorités ou plus précisément les groupes minorés sidentifiant par des caractéristiques comme la race, le sexe, ou la croyance, observe le professeur RUSEN ERGEC de lUniversité Libre de Bruxelles. " Ensuite , poursuit notre auteur, les inégalités compensatrices constituent un remède aux discriminations dont les groupes ont souffert dans le passé. Mais elles ont aussi un effet préventif, car elles visent à parer aux futures discriminations en tarissant leurs sources. "
Toutefois, linstrument de linégalité compensatrice nest admissible, nous dit encore le Pr. ERGEC, que lorsquil satisfait à un certain nombre de critères: Il faut dabord que les compensations nintroduisent aucune distinction dans la jouissance dun droit essentiel pour lordre social démocratique. Tel est le cas par exemple de léligibilité et de la liberté de conscience. Il faut en second lieu que le critère de distinction, tel la race ou le sexe, soit pertinent par rapport à lobjectif légitime poursuivi. Il faut en troisième lieu que la distinction ne soit pas fondée sur une présomption dinfériorité raciale ou ethnique, et quelle nait pas pour effet de susciter la haine raciale ou de favoriser la ségrégation raciale.
Cette condition est fondamentale, car elle interpelle sur les effets pervers que peuvent comporter les inégalités compensatrices. Sil est vrai, observe encore le Pr. ERGEC, que celles-ci favorisent lintégration harmonieuse des minorités dans la collectivité , elles peuvent aussi cultiver voire aggraver les sentiments dégoïsme de groupe, approfondir le fossé entre les sous-collectivités et par là, saper les fondements mêmes de la société multiculturelle, laquelle doit concilier les spécificités avec lesprit douverture et de dialogue de laltérité.
Quid des discriminations opérées dans la Constitution camerounaise au regard de ces éléments théoriques?
Si lon ne peut encore présager de ce que seront les discriminations positives visant à protéger les minorités au Cameroun, lon ne saurait en dire de même en ce qui concerne des droits des populations autochtones.
En effet linégalité introduite par la Constitution leur réservant lexclusivité de la direction des conseils régionaux peut prêter dores et déjà à discussion pour plusieurs raisons.
Dabord elle introduit une discrimination portant sur un droit démocratique essentiel, à savoir leligibilité à une fonction publique. Ce que proscrivait le conseil constitutionnel français dans sa décision du 18 novembre 1982 relative à linstitution dune discrimination positive en faveur des femmes dans létablissement des listes de candidatures aux élections communales, la jugeant contraire au principe constitutionnel de légalité.
Sans doute convient-il de reconnaître avec le Doyen Favoreu que le droit à léligibilité en matière délections politiques est un " domaine singulièrement sensible " qui constitue un feu stop à toute politique de discrimination positive, au nom de la suprématie des droits fondamentaux.
Ensuite cette discrimination ne semble pas pertinente, encore moins proportionnelle au but légitime poursuivi. Car non seulement lon ne voit pas clairement en quoi la présence à la tête du Conseil Régional dun autochtone constitue une garantie irréfutable de la préservation des droits ou de lidentité des populations autochtones, mais encore elle est porteuse de ségrégation et vise plutôt à aiguiser des sentiments dégoïsme de groupe insusceptibles de favoriser lessor démocratique au Cameroun. Or, comme le relève si pertinemment la Cour Européenne des Droits de lHomme, lexistence dune justification objective et raisonnable qui légitime toute différence de traitement " doit sapprécier par rapport au but et aux effets de la mesure considérée eu égard aux principes qui prévalent généralement dans les sociétés démocratiques ". Autrement dit, linégalité compensatrice devient une discrimination " lorsquil est clairement établi quil nexiste pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. "
Enfin, elle heurte linterdiction de traiter de manière différente des personnes placées dans des situations analogues ou comparables en labsence de justification objective et raisonnable de la différence de traitement, disposition contenue dans les différentes conventions internationales relatives à la non discrimination. Seule lexistence dune minorité peut légitimer de telles discriminations qui , dans tous les cas, ne sauraient porter atteinte aux droits fondamentaux.Or il nest pas démontré que les populations autochtones sont minoritaires dans leurs régions respectives, ni même quelles sont des minorités au sens où lentend la théorie du droit, pour que soit légitimé un traitement discriminatoire en leur faveur.
Au regard de tout ce qui précède, lon ne peut que constater lambiguïté statutaire du citoyen camerounais désormais à létroit dans une République tout aussi ambiguë, et ce malgré les dispositions principières contenues dans le préambule de la loi constitutionnelle de 1996 affirmant légalité des citoyens en droits et en devoirs dune part, et le " droit de chaque citoyen de se fixer en tout lieu sur le territoire national ".
Sans doute le constituant aurait-il dû tirer toutes les conséquences juridiques et politiques des discriminations par lui opérées en posant le principe dun Etat camerounais multiethnique , ou si lon préfère dune république des ethnies ou des Régions dans le cadre de ce que le Pr. Christian BIDEGARAY appelle un " Etat autonomique " pour ne pas reprendre les expressions " Etat régional " ou " Etat des autonomies " usitées en Italie et en Espagne?
B /- REPRESENTATION POLITIQUE ET ALTERATION DU PRINCIPE DEMOCRATIQUE
Autre élément révélateur de la spécificité camerounaise, la minoration du principe démocratique dans les Assemblées représentatives est sans conteste une autre innovation majeure de la loi constitutionnelle promulguée le 18 janvier 1996. Elle se manifeste tant au niveau régional que national, relativisant ainsi la souveraineté du peuple.
1 /- La décentralisation régionale et la relativisation du principe démocratique
La Constitution en vigueur pose le principe de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées sur la base du principe démocratique dès lors quelle dispose que cette auto-administration se fera par des conseillers élus et dans les conditions fixées. par la loi.
Elle ne précise pas pour autant sil sagira de conseillers élus au suffrage universel direct ou indirect. Ce faisant, elle subordonne cette question qui nest pourtant pas des moindres au caprice dun parlement " qui représente les intérêts et les vues dune oligarchie partisane, où lon perd son mandat quand on est exclu de son parti (...) où lon pose officiellement quon nest pas le mandataire dun électorat, où tous saccordent sur la pratique anticonstitutionnelle selon laquelle lappartenance à un parti politique est une condition obligatoire déligibilité "; si lon peut établir avec certitude que la désignation des conseillers régionaux obéira à linstar des conseils municipaux, au principe de lélection, il est fort hasardeux de préciser les contours que la dite élection pourrait revêtir.
Quel quen soit le cas, on peut déjà affirmer que le jeu démocratique ne sera point libre au regard de la nécessité de pourvoir la tête du Conseil régional dun " autochtone ". Il sen suit une altération du principe démocratique relativisant le pouvoir souverain du peuple camerounais et les droits fondamentaux des citoyens. Cette relativisation est poussée à lextrême dans le cadre de la représentation au Sénat.
2 /- La représentation au Sénat: le refuge de l oligarchie politico-administrative ?
En réservant au Président de la République la prérogative de la désignation discrétionnaire de 30 sénateurs sur la centaine que comptera cette assemblée, le constituant de 1996 a considérablement hypothéqué le principe libéral de la séparation des pouvoirs au Cameroun, en conférant notamment au Président de la République un moyen supplémentaire dinféodation du Pouvoir législatif
Une telle représentation constitue au demeurant une altération substantielle du principe démocratique sous-tendant la République quaucun argument objectif et légitime ne suffirait à justifier dans le champs conceptuel démocratique et républicain auquel se réfère le constituant camerounais depuis 1960. La conséquence évidente sera le développement du clientélisme et le maintien au sein du Parlement dune oligarchie politique somme toute réfractaire à la démocratisation en profondeur de la société pour des raisons évidentes .
Sans doute objectera-t-on quil nexiste pas de théorie démocratique applicable ne variatur, urbi et orbi , et quil sagit là dune formule démocratique épousant les spécificités de la société camerounaise; ou encore quil existe bel et bien le président Anglais de la chambre des Lords... Ce serait sans doute trop vite oublier que cet Etat demeure un Royaume et non une République dune part, et que la chambre des Lords nexerce plus que des attributions purement formelles et na de ce fait pas dentreprise réelle sur le processus législatif proprement dit.
Certes la démocratie nest pas un produit exportable " clefs en mains ", parce quelle nest pas une idéologie, mais le fruit capricieux dune évolution historique, comme le remarquait si pertinemment M. le professeur Jacques BARZUN de luniversité de Columbia, mais elle a tout de même un théorème, pouvant sénoncer en une formule simple: " Pour que lhumanité soit libre, mieux vaut que le peuple soit souverain, et cette souveraineté populaire implique légalité politique et sociale ".
Il sagit là, croyons-nous, du substrat commun qui pourrait, au-delà de la diversité des cultures, fonder luniversalité des droits fondamentaux en tant quun " requis " et non " un acquis ", selon la subtile distinction du philosophe Raymundo PANIKKAR.
Lexploitation intelligente dun tel théorème permettrait alors aux constituants dici et dailleurs de tourner le dos au ghetto des particularismes culturels sans pour autant tomber dans le piège dun universalisme hâtif et avilissant.
N importe-t-il pas en effet que les uns et les autres , lisant dans le temps et lespace, tirent les leçons positives de lhistoire de lorganisation politique des sociétés humaines afin déviter certaines dérives?
Sil est vrai que le principe ethnique demeure très mobilisateur, et que lactualité atteste de la résurgence de lethnicité comme critérium de régulation des sociétés politiques en cette fin de siècle, toujours est-il que lutilisation qui en est faite dans les stratégies de conquête et de conservation du pouvoir au Cameroun, et qui consiste pour lessentiel en un dressage à peine voilé des ethnies les unes contre les autres, peut savérer extrêmement dangereuse. Elle le peut dautant plus que la surenchère ethnique se greffe autour dun réel déficit déquité dans la gestion des richesses de lEtat et dérive inexorablement vers des logiques particularistes et discriminatoires.
Les crises rwandaise et burundaise, libérienne ou érythréenne, limplosion de lex-Yougoslavie, voilà autant de drames nés de lexacerbation des identités ethniques qui sont encore trop présents à lesprit pour ne pas rappeler lurgence dune " réversion mentalitaire " qui, détournant les camerounais du ghetto des particularismes ethniques et culturels, seule,permettrait leur reconnexion au mouvement universel et revalorisant de la démocratie et des droits fondamentaux; la bonne problématique étant celle de la construction dune véritable démocratie qui prenne en compte les intérêts de tous.