NATIONALISME GOUVERNEMENTAL ET PRESSIONS EXTERIEURES DANS
LE CONTEXTE DE DEMOCRATISATION : LE CAS CAMEROUNAIS

 

par Martin Dieudonné EBOLO

GRAP et IRIC Yaoundé
(Cameroun)

 

INTRODUCTION

Les revendications démocratiques en Afrique contemporaine plongent leurs racines dans deux séries de facteurs, internes et externes (1). Cette lecture de la réalité socio-politique semble partagée -à quelques nuances près - dans le " concert de litanies " (2) qui fait office de littérature en matière d’évaluation du mouvement de démocratisation en Afrique (3). L’espace du politique ne se limitant, par conséquent, pas à la dimension nationale, l’on devrait pouvoir logiquement tenir compte de sa dimension internationale. De surcroît, la " position d’infériorité occupée par la plupart des Etats d’Afrique noire dans le champ de la problématique internationale légitime les conditionne ou les prédispose à la consommation des manières d’être ou de faire dont la définition est l’enjeu de la compétition entre les Etats " (4) puissants de la scène internationale. En tout état de cause, nonobstant le spectre de la marginalisation, le continent noir demeure le champ d’expansion des grandes nations du Nord (5).

Aussi, en matière de démocratisation, les régimes des pays en développement ont-ils été soumis à des pressions internationales directes ou indirectes depuis la fin de la guerre froide. Certes, ces pressions ne sauraient , à elles seules, entraîner un changement démocratique, mais il est difficile de sous-estimer l’influence potentielle que pourraient exercer les Etats-Unis d’Amérique et/ou les autres acteurs étrangers dans la conduite ou l’aboutissement des processus internes. Ce qui est valable des pays en développement en général, l’est davantage pour le Cameroun.

Depuis l’accélération de la transition démocratique au Cameroun (6) dès le début de la décennie 90, l’on constate un déploiement considérable d’acteurs extérieurs dans le champ politique camerounais. Afin de faire face à ces " assauts destabilisants " en provenance de l’environnement extérieur, la catégorie dirigeante au pouvoir à Yaoundé recourt à l’argument nationaliste.

Le nationalisme apparaît, en effet comme une doctrine ou une action politique " des individus qui cherchent à réaliser l’indépendance de leur nation en la libérant de la domination étrangère " (7). Apparu en Europe au XVIIIè siècle, le mouvement nationaliste s’est développé et est devenu un phénomène mondial depuis le début du XXè siècle (8) . Au Cameroun, et depuis la mise en oeuvre du processus de démocratisation qui suit encore son cours, le recours au levier nationaliste est l’apanage du Gouvernement en place.

Par Gouvernement, nous entendons " le pouvoir organisé, les institutions de commandement et de contrainte " (9) existant dans l’espace politique camerounais. Ainsi, le nationalisme gouvernemental s’entend aussi bien de la légitimation d’actions déployées, sur le plan interne, par le pouvoir central camerounais en faveur de la démocratisation, que de la réaction contre la tendance à l’imposition de modèles venus d’ailleurs. Pourtant, il semble inévitable à la formation dirigeante -en charge du pilotage du système, politique camerounais- de par la caractéristique de ce système de ne pouvoir tenir compte des exigences de l’environnement extérieur.

Du point de vue méthodologique, notre analyse s’inspire du modèle systémique de David EASTON (10). Le Cameroun est considéré comme un sous- système affecté par des " inputs " en provenance de l’environnement externe. Etant donné qu’il dispose d’un appareil central lui permettant d’agir intentionnellement comme acteur collectif, ce sous-système réagit en usant de sa ressource nationaliste. Au même moment, l’environnement externe rétro-agit sur le sous-système camerounais en mettant à rude épreuve la ressource nationaliste usitée par le pouvoir central.

Fort de cet acquis, nous pouvons avancer deux séries de propositions cumulatives et complémentaires :

- Pour la catégorie dirigeante camerounaise, l’argument nationaliste apparaît comme le moyen par excellence de préservation d’une marge d’autonomie face aux pressions extérieures en faveur de la démocratisation (I).

- Pourtant, l’ouverture excessive, voire l’extraversion du système politique camerounais constituent un facteur de relativisation du nationalisme gouvernemental (II).

I/ - LE NATIONALISME GOUVERNEMENTAL, INSTRUMENT DE PRESERVATION D’UNE AUTONOMIE D’ACTION DANS LA MISE EN OEUVRE DU PROCESSUS DE DEMOCRATISATION.

Les pays et les organisations du Nord prennent actuellement des positions dont l’objectif est non seulement de faire respecter les droits de l’homme, mais surtout une Conditionnalité démocratique au Sud  (11). Ainsi, face à l’interférence de l’environnement externe, le nationalisme gouvernemental, qui dans une certaine mesure s’abreuve aux sources du tiers-mondisme, se porte en faux de la tendance à l’universalisation de la démocratie libérale célébrée avec une bonne dose d’optimisme par Françis FUKUYAMA (12). Il pourrait aussi s’agir d’une affirmation de son identité face à l’" impérialisme " inhérent à toute tendance homogénéisatrice.

Mais, dans la mesure où le processus de démocratisation camerounais s’apparente à une " performance démagogique de la formation dirigeante " (13) en ce sens qu ’ " il s’agit de fabriquer l’image d’un régime qui n’a pas été contraint de libéraliser par la force des pressions intérieures et extérieures " (14) deux leviers permettent au pouvoir en place de s’assurer une marge d’autonomie dans la conduite du processus de démocratisation qui suit son cours. A n’en pas douter, il s’agit, d’une part, de la disqualification des modèles véhiculés par l’environnement international (A), et d’autre part, d’une tendance assez prononcée au "pilotage " exclusif de la dynamique politique interne (B). Les deux réalités sont tellement imbriquées qu’il n’a pas été aisé d’opérer un distinguo.

A - LA DISQUALIFICATION DES MODELES VEHICULES PAR L’ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL

Depuis la fin de la guerre froide, le monde est balayé par une vague démocratique de grande envergure. Parti de l’Est, cette " onde de choc " atteindra l’Afrique de plein fouet. Le cas béninois a constitué un précédent de taille dans la mise en oeuvre des processus de démocratisation qui déferleront par la suite en Afrique.

Suite à une réunion des instances dirigeantes du parti, de l’Etat et de l’armée, le Président KEREKOU cède, le 07 décembre 1989, à la pression conjuguée de la rue et des bailleurs de fonds. Il annonce l’abandon du Marxisme-léninisme et du rôle dirigeant du parti ainsi que la convocation d’une Conférence Nationale réunissant toutes les forces vives du pays (15). D’autres pays d’Afrique francophone s’engageront dans cette voie (16).

Pourtant, l’influence de ces facteurs semble difficile à attester pour le cas camerounais(17). Les forces extérieures qu’on peut directement associer au processus de démocratisation au Cameroun sont la France, les Etats-Unis et plus généralement la Communauté des créanciers (18). Face à leur poussée, le pouvoir central Camerounais va moduler sa réaction en fonction de sa provenance.

1. LA RESISTANCE AUX ASSAUTS DESTABILISATEURS EN PROVENANCE DE L’ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL DANS SON ENSEMBLE

La récession économique que traverse le continent africain depuis le début de la décennie 1980 et la disparition des rivalités géopolitiques Est-Ouest dans cette aire géographique ont amené les bailleurs de fonds occidentaux à réévaluer les fondements de leur aide (19). Par delà cette révision, c’est tout particulièrement le rôle de l’Etat africain qui était ainsi visé (20).

En ce qui concerne les donateurs de l’aide bilatérale, on a coutume d’insister sur le fameux discours de la Baule prononcé en 1990, par le Président français d’alors, M. François MITTERRAND, les multiples mises en garde des Etats-Unis voire de la Grande Bretagne. Mais, on a tout aussi coutume de passer sous-silence l’action de la République fédérale d’Allemagne dont le Ministre de la Coopération Economique et du Développement, M. Carl DIETER SPRANGER a énoncé en octobre 1991 cinq nouveaux critères (21) en matière de Coopération au Développement avec les pays du Tiers-monde. C’est en application de ces prescriptions que ce pays suspendit ses négociations intergouvernementales sur la coopération financière et technique d’avec le Cameroun en 1992 (22).

Quant aux organismes multilatéraux, outre la clause de protection des droits de l’homme incorporée dans le dispositif de la IVe Convention de Lomé (1989) (23) par les pays membres de la CEE, le Parlement européen, dans sa résolution 981 (1992) du 5 mai 1992 relative aux relations Nord-Sud (24), s’est voulu plus ferme : " L’aide officielle doit en principe être réservée aux pays qui s’orientent vers la démocratie, le respect des droits de l’homme et la mise en place d’une administration responsable et efficace (un bon gouvernement). Il faut cesser de soutenir des dictateurs. Il faut suspendre l’aide officielle aux pays où le processus démocratique s’est arrêté, sauf urgence humanitaire " (C’est nous qui soulignons).

Cette machine infernale a été mise en branle aussi bien par la Banque Mondiale que par d’autres organismes du système onusien.

Face à ce déferlement de pressions directes et indirectes, le Gouvernement Camerounais oppose l’argument nationaliste.

Les prestations publiques du Chef de l’Etat seront l’occasion de tempérer les ardeurs des partisans d’un universalisme de façade. Aussi, à l’occasion de l’ouverture officielle de la 87e Conférence de l’Union Interparlementaire, le 06 Avril 1992, le Président Paul BIYA est formel : " C’est à chaque peuple qu’il appartient, en dernier ressort, de décider de ce qui est bon pour lui, pour sa liberté, pour son mieux être " (25). Il s’agit, en réalité, d’une mise en garde à l’endroit de " ceux qui seraient tentés de donner des leçons... "(26), car ils " ...devraient comprendre que des Etats libres et indépendants n’ont de compte à rendre qu’à leurs citoyens " (27). Ce discours, dont le caractère dissuasif est sans fioriture, apparaît comme un moyen, pour le pouvoir central, de se dérober face aux pressions extérieures en faveur de la démocratisation.

La récurrence des propos appelant à la sauvegarde de l’intérêt supérieur de la nation et de sa souveraineté s’analyse en un refus de la transposition et/ou de l’imposition de modèles venus d’ailleurs : " Nous ne pouvons transposer, chez nous, aveuglement, sans discernement, des recettes étrangères toutes faites, des modèles d’emprunt, eussent-ils réussi ailleurs, car le Cameroun - je l’ai dit en d’autres circonstances- a son identité propre " (28). Déjà, à l’occasion de son discours d’investiture devant l’Assemblée Nationale et la Cour Suprême le 03 Novembre 1992, le Président BIYA, après avoir épilogué sur l’ouverture de son pays à la coopération internationale, déclarait que celui-ci " entend voir respecter ses options et sa souveraineté " (29). Ces propos étaient probablement orientés vers les Représentations des pays amis qui avaient manqué de réserve lors des péripéties marquant l’organisation des élections présidentielles du 11 Octobre 1992. De plus, le lundi 19 octobre 1992, M. Jacques Roger BOOH BOOH, Ministre camerounais des Relations Extérieures rappelle à tous les Ambassadeurs accrédités à Yaoundé, capitale du Cameroun, les principes de la non ingérence dans les affaires intérieures du Cameroun (30). De même, l’activité diplomatique s’est aussi déployée par l’envoi des missions d’explication de haut niveau à travers le monde dès le 04 novembre 1992 (france, Belgique, Allemagne, Grande Bretagne, Espagne, Etats Unis, Canada, Chine, etc) (3O’). Il s’agissait, en effet, de rassurer la Communauté internationale que le processus démocratique en cours est en bonne voie.

Autant le Chef de l’Etat a joué un rôle de premier plan dans la formulation du nationalisme face aux pressions de la communauté internationale dans son ensemble, autant les Ministres semblent avoir été perspicaces et tenaces vis-à-vis des pressions exercées par les Etats-Unis d’Amérique.

2/ - LA DENONCIATION DES PRESSIONS EXERCEES PAR CERTAINS ACTEURS IMPORTANTS DE LA SCENE INTERNATIONALE : le cas Américain.

Des représentants officiels des Etats-Unis se sont prononcés clairement au sujet de la démocratisation en Afrique. En 1990, Hermann Cohen, alors Sous-Secrétaire d’Etat Adjoint aux Affaires Africaines, déclarait qu’à un avenir proche, la démocratie serait la pré-condition nécessaire pour obtenir une aide au développement (31). Cet héritage est assumé par l’Administration CLINTON depuis 1993 (31’). Le Gouvernement de YAOUNDE apparaît comme l’un des destinataires de ce message, ce d’autant plus qu’en 1988/89, le Cameroun comptait parmi les pays-clés (32) de l’aide bilatérale américaine en Afrique subsaharienne (33).

Deux faits majeurs retiennent notre attention à ce niveau de l’analyse. La réaction du Gouvernement Camerounais suite au fameux rapport du NDI à l’issue de l’élection présidentielle du 11 Octobre 1992 ainsi que son attitude vis-à-vis des nombreux communiqués-presse diffusés par les services d’Information de l’Ambassade des Etats-Unis à YAOUNDE.

- Les rapports du National Democratic Institute for International Affairs (NDI) s’inscrivent dans le sillage de l’action de l’Ambassadeur américain au Cameroun d’alors, Mme Frances COOK, qui non seulement " condamnait les violations des droits de l’homme au Cameroun pendant les années 1990-92 " (34), mais aussi prenait part, au grand dam du pouvoir en place, aux activités de certains grands partis politiques de l’opposition, notamment du Social Democratic Front (SDF) du " Chairman " FRU NDI.

Les rapports (35) présentés par les experts du NDI sur la dynamique des élections présidentielles du 11 Octobre 1992 ont été à l’origine de ce que le Gouvernement Camerounais a appelé " Un malentendu malheureux " (36). Ces rapports critiquaient assez sévèrement les conditions d’organisation ainsi que le déroulement effectif du scrutin. Ils insistaient, par ailleurs, sur la " gravité des irrégularités et le caractère massif des fraudes "(37). Suite à ces prises de position, la réaction du Gouvernement Camerounais interviendra deux jours plus tard.

Lors d’un point de presse organisé le 30 Octobre 1992 -point de presse auquel prenaient activement part les Ministres DOUALA MOUTOME de la Justice et Robert MBELLA MBAPPE de l’Education Nationale- le Ministre de la Communication, le Professeur Augustin KONTCHOU affirme sans ambages que le rapport du N.D.I. " est un véritable scandale intellectuel " (38). Par conséquent, il constitue " un tissu de mensonges " (39). Cette disqualification de l’objectivité du rapport du N.D.I. apparaît comme une stratégie du Gouvernement à se dérober des pressions qui pourraient en découler. La fibre nationale s’identifiant en l’ultime recours, étant entendu que " certains étrangers agissent de manière hostile à l’endroit du Cameroun "(40).

En outre, face aux journalistes qui l’accusent d’avoir reconnu -lors d’un entretien à Cameroon Tribune- que les présidentielles d’Octobre 1992 ont été entachées d’irrégularités, le Ministre DOUALA MOUTOME pense beaucoup plus que " le rapport du N.D.I. pose un problème de respect de notre souveraineté et de notre indépendance " (41).

Quant au Ministre MBELLA MBAPPE, le Cameroun n’étant pas une colonie, il est inadmissible pour un Camerounais d’accepter qu’un organisme qui n’a " aucune valeur ", puisse émettre un jugement qui " manifestement porte atteinte à la souveraineté du pays... "(42). Le paroxysme des appels à la fibre nationaliste est atteint lorsque DOUALA MOUTOME déclare : " Le Cameroun n’a pas besoin de ce genre de donneurs de leçons qui nous fourvoient. Le N.D.I. est venu ici pour nous fourvoyer. [...] Lorsque le N.D.I. n’arrive pas à respecter la chose jugée Camerounaise, qu’est-ce qu’ils viennent faire au Cameroun ? Ils ne nous considèrent pas comme un Etat ! " (43).

- Plusieurs communiqués-Presse de l’Ambassade des Etats-Unis à YAOUNDE sur les droits de l’Homme et le processus de démocratisation au Cameroun ont, à certains moments, suscité la réaction des autorités gouvernementales de ce pays. Nous nous en tiendrons à celui du 22 Novembre 1994 au motif qu’il a provoqué un sursaut d’orgueil nationaliste qui fera date.

Usant et même abusant parfois de leur statut de " Maître du monde " (44), les Etats-UNIS déclarent -par communiqué-presse du 22 Novembre 1994- appuyer " fortement la mise en oeuvre de mesures maintes fois et depuis longtemps promises et ajournées par le Gouvernement du Cameroun, visant à faire avancer la démocratisation " (45). Pis encore, ils vont jusqu’à esquisser le schéma à suivre : " Pour être significatives, ces mesures doivent donner lieu à un processus transparent, ouvert à la participation de tous, et conduire à la séparation des pouvoirs exécutif, législatif , judiciaire et à la décentralisation " (46). Le comble de l’injonction est atteint lorsque les Etats-Unis " demandent instamment au Gouvernement du Cameroun d’aller jusqu’au bout de ses promesses, d’éliminer la censure des médias, et de cesser le harcèlement et la détention des journalistes " (47). En fait, il s’agit d’un texte dont le contenu se situe aux antipodes de la communication entre deux partenaires reconnus de la société internationale.

Par communiqué-presse en date du 03 décembre 1994, le Gouvernement Camerounais estime que celui diffusé par l’Ambassade américaine " n’est acceptable ni pour le ton, ni pour le contenu " (48). Ainsi, face à une action qui " présente les allures d’une leçon d’instruction civique " (49), aux banbins de l’école primaire, le Gouvernement a tenu à " rappeler à ceux qui feignent de ne pas le reconnaître, qu’aucune étape de son processus démocratique n’a été la conséquence d’une pression extérieure, mais est toujours restée l’oeuvre pleine et entière d’un peuple fier et jaloux de sa souveraineté " (50).

Ainsi qu’on le constate aisément, le Gouvernement Camerounais n’a eu de cesse, par l’entremise de l’argument nationaliste, de dénoncer, parfois avec véhémence les pressions extérieures en faveur de la démocratisation. Cette stratégie a pour corollaire la volonté de " pilotage " exclusif de la dynamique politique interne.

B/- LE PRIMAT D’UNE VOLONTE DE " PILOTAGE " EXCLUSIF DE LA DYNAMIQUE POLITIQUE INTERNE

Le processus de démocratisation camerounais s’analyse en une " offensive de la formation dirigeante " (51) aussi bien face à la " volonté subversive " de la société civile que face aux pressions extérieures. Ainsi que le rappelle fort pertinemment KARL DEUTSCH, le mot " gouvernement " vient " d’une racine grecque se référant à l’art de piloter un navire " (52). En effet, " piloter un navire revient à guider son comportement futur,... " (53).

En tout état de cause, deux facteurs auront permis au pouvoir central de " nationaliser " la problématique de la démocratisation au Cameroun : l’argument(aire) d’un processus graduel (1) et l’attachement en l’existence d’une " exception camerounaise " (2).

1)- L’argument (aire) d’une Démocratisation graduelle

Cet argument(aire) a pour objectif la disqualification des tenants de la thèse d’une imbrication entre les démocratisations d’Afrique et l’évolution brusque des relations internationales actuelles (54). Ce faisant, le pouvoir en place procède en la construction du " mythe de l’antériorité présidentielle de l’offre libérale " (55). Ainsi, il essaie de fabriquer l’image d’un régime qui n’a pas été contraint de libéraliser la vie politique par la force des pressions intérieures et extérieures (56). Le 20 Juillet 1990, le Président BIYA était formel : " Nous avons commencé à libéraliser notre vie politique depuis 1985, avant que le vent de l’Est ne se lève " (57). Cet argumentaire d’une approche gradualiste est savamment entretenu par Cameroon Tribune, l’organe d’expression gouvernementale. Esquissant le chemin parcouru, ce journal écrit : " Lorsqu’il décide de la fondation du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais en Mars 1985 à Bamenda, Paul BIYA, sans attendre que la démocratie apparaisse aux peuples de l’Est de l’Europe comme principe universel, part d’un constat annonciateur d’une époque nouvelle pour le Cameroun " (58). Ce recours en un langage spécifique a pour objectif de stimuler la " conscience de former un groupe et d’imposer son existence à l’environnement extérieur " (59).

Certes, il est indéniable que l’accession au pouvoir de Paul BIYA en Novembre 1982 coïncide avec un discours au contenu libéral et l’adoption de quelques réformes. Mais , la rupture avec l’autoritarisme ne fut jamais radicale (60). L’attitude du pouvoir central participe de la dynamique de la gouvernance magistralement décrite par PHILIPPE BRAUD : " Gouverner, c’est réagir, sans doute ! Mais beaucoup plus fréquemment, c’est prendre en charge des processus décisionnels complexes, c’est avaliser des décisions prises ailleurs... ou nulle part. C’est subir l’événement en donnant l’illusion de le régenter " (61). (c’est nous qui soulignons). Quelques faits permettent de démontrer que le pouvoir en place n’a cessé de prétendre en la maîtrise de la situation.

La poussée subversive de la société civile commence avec l’affaire YONDO Black et ses acolytes qui sont condamnés le 5 Avril 1990 par le Tribunal de Grande Instance de Douala, à un emprisonnement de trois ans ferme pour " avoir tenu des réunions clandestines et diffusé des tracts hostiles au régime ". Les 17 et 18 Mai de la même année, le Social Democratic Front (SDF), formation politique non légalisée, appelle à une manifestation publique en se fondant sur l’article 3 de la Constitution du 02 Juin 1972. Le 26 Mai, la manifestation est réprimée non sans une dose de brutalité. Le 20 Juin 1990, a lieu l’ouverture solennelle de la célèbre Conférence de la Baule avec le message que l’on sait.

C’est dans cette foulée que se tiendront les assises du tout premier Congrès ordinaire du Rassemblement Démocratique du peuple Camerounais (RDPC) -parti unique évidemment au pouvoir- le 28 Juin 1990 au Palais des Congrès de Yaoundé. Afin d’administrer la preuve de sa volonté libérale, le Président BIYA invitera ses camarades à se " préparer à affronter une éventuelle concurrence " (62). Cet argumentaire s’enrichit de quelques actions concrètes, à l’instar de la pluralité de candidatures -au sein du parti- lors des élections législatives de 1988, de la levée de l’Etat d’urgence dans le Haut-Nkam, le Ndé, les localités de Nkondjock et de Makénéné en 1987.

La session ordinaire de l’Assemblée Nationale du mois de Novembre de la même année permettra au pouvoir de poser les jalons de l’infrastructure juridique du multipartisme au Cameroun. C’est au cours de cette session, dite " des libertés ", que seront adoptées les lois sur les partis politiques, la liberté d’association et l’abrogation de l’ordonnance n° 62/OF/18 du 12 Mars 1962 portant répression de la subversion, pour ne s’en tenir qu’à ces textes. Ce nouvel environnement juridique va favoriser la légalisation de plusieurs formations et associations politiques dès les premiers mois de l’année 1991. D’entrée de jeu, les nouveaux partis politiques vont revendiquer la convocation d’une Conférence Nationale Souveraine. Cette revendication a sérieusement secouer les bases du pouvoir, sans pour autant " réduire sa capacité et sa technicité à conduire un changement selon son rythme, ses projets et sa volonté " (63). C’est dans cette logique que fut convoquée la rencontre Tripartite à partir du 30 Octobre 1992. La suite des péripéties de la dynamique politique camerounaise sera marquée par le souci constant du pouvoir de se soustraire aux pressions de toutes sortes (64).

L’argument d’une démocratisation progressive est renforcée par le recours au mythe de " l’exception Camerounaise ".  

2)- Le Paravent d’une " Exception Camerounaise "

Univers de communication, la scène politique mobilise de multiples langages pour signifier le pouvoir. De façon extensive, le langage s’entend de tout système de signes porteurs de sens (65). La validité d’une telle analyse pourrait s’appliquer au cas Camerounais dans la mesure où l’autorité investie du pouvoir de direction du pays utilise à fond la symbolique d’une " exception camerounaise " pour pouvoir disqualifier les arguments de tous ceux qui -au Cameroun comme ailleurs- pensaient (ou pensent encore) que ce pays aurait dû se mettre au diapason d’une mode symbolisée par la Conférence Nationale Souveraine. " Le Cameroun, c’est le Cameroun ! ", lançait Paul BIYA le 27 Juin 1991, à l’Assemblée Nationale pour justifier son refus de la Conférence Nationale et amener les partisans de cette -désormais fameuse- formule à comprendre que les contingences inhérentes aux réalités camerounaises n’imposent pas forcément un mimétisme à tout vent. Cette prise de position du Chef de l’Etat rejoignait celle d’une frange non négligeable de la formation au pouvoir qui se résume en ces termes : " Nous ne voulons pas de modèles importés ".

Au-delà des slogans, il convient de relever la résurgence d’une certaine forme de vanité nationale (66). Mais soutenir qu’un tel nationalisme est bien dérisoire étant donné qu’il a pour fonction essentielle d’offrir un fondement " philosophique ", " juridique " et " intellectuel " au maintien du système répressif (67) peut être contestable. Aucun gouvernement au monde n’accède facilement aux injonctions, même voilées, des autres acteurs de la scène internationale. L’attitude du pouvoir central français, face aux réactions de la communauté internationale suite à la reprise des essais nucléaires en dit long. De surcroît, pour un Etat Tiers-mondiste, il pourrait s’agir d’un subterfuge devant la " tentative de reprise en mains des pays du Sud par les pays du Nord, à travers la culture... " (68). Car, comment convaincre et se convaincre qu’une telle action internationale ne tend pas prioritairement à sauvegarder un intérêt national ? (69) En effet, l’établissement fréquent des liens entre l’aide étrangère et les progrès réalisés dans le domaine de la démocratie et des droits de l’homme constitue une indication incontestable de la difficulté à poursuivre un tel objectif sans arrière-pensées (70).

En clair, le nationalisme gouvernemental s’analyse en une volonté affichée, de la part du pouvoir en place, de préserver une marge d’autonomie considérable dans la gestion de l’agenda démocratique Camerounais. Cependant, cette autonomie est partiellement assurée du fait de l’ouverture, voire de l’extraversion du système politique camerounais.

II - L’EXTRAVERSION DU SYSTEME POLITIQUE CAMEROUNAIS, FACTEUR DE RELATIVISATION DU NATIONALISME GOUVERNEMENTAL

Autant le système international présente la particularité d’être un système " clos " (71), autant le système politique camerounais -dont la configuration matérielle s’identifie au cadre physique et géographique dans lequel l’Etat exerce sa capacité en tant qu’acteur de relations internationales- apparaît, à l’instar de la plupart, sinon de tous les sous-systèmes internationaux, comme un champ ouvert affecté par plusieurs facteurs situés en dehors de ses frontières.

Pis encore, depuis la mise en chantier intensive du processus de démocratisation, les faits démontrent que le nationalisme gouvernemental est atténué en raison de l’extraversion des différents acteurs du jeu politique camerounais. Non seulement le contexte extérieur a une influence notoire dans la conduite du système politique camerounais, mais encore les acteurs du jeu politique national éprouvent une tendance naturelle à recourir aux bonnes grâces de la communauté internationale. En tout état de cause, l’extraversion caractérise deux catégories d’acteurs : les acteurs non officiels (A) et l’Etat, acteur officiel (B).

A/- L’extraversion des acteurs non officiels du jeu politique camerounais, élément d’atténuation du nationalisme gouvernemental

Par " acteur ", nous entendons " toute autorité, tout organisme, tout groupe et même à la limite, toute personne susceptible de " jouer un rôle " dans le champ social " (72). Tenir un rôle peut consister, à tout le moins à prendre une décision, à entreprendre une action ou même tout simplement, à exercer une influence sur les détenteurs du pouvoir de décision et de la force matérielle (73). A côté des acteurs officiels -l’Etat et éventuellement ses démembrements et les organisations intergouvernementales- existe une panoplie d’acteurs non officiels dont l’action sera mise en exergue dans le cadre de cette sous-partie de notre travail. Ces acteurs non officiels sont constitués d’organisations, de groupes, voire d’individus non investis du pouvoir d’Etat, mais jouant un rôle dans le commerce politique interne et/ou externe. A ce niveau de l’analyse, il s’agit, pour nous de dépasser le paradigme stato-centrique imposé par HANS MORGENTHAU et ses disciples afin de mettre en relief à la fois l’enchevêtrement des rapports entre une pluralité d’acteurs internationaux et le fait fondamental suivant lequel ces rapports transgressent les frontières étatiques. Ce qui constitue un facteur limitant du nationalisme gouvernemental.

Notre attention sera spécifiquement focalisée sur les associations et partis politiques de l’opposition camerounaise, véritables acteurs non officiels.

Assurément, l’opposition camerounaise n’a cessé de " chercher des partenaires internationaux " (75). Blaise Pascal TALLA dénonce cette tendance à l’extraversion. L’éditorialiste de Jeune Afrique Economie estime en effet que beaucoup d’opposants africains n’ont pas encore compris qu’il vaut mieux promouvoir des idées alternatives à travers le pays, parallèlement à l’information et à la sensibilisation de l’opinion internationale, au lieu de sillonner les bureaux du Ministère de la Coopération, du Quai d’Orsay, des Réseaux Foccart, ou la Cellule Africaine de l’Elysée (76) en France. Ce qui est vrai pour la France l’est aussi pour les Etats-Unis, la Belgique...

Réunis sous la banière du Directoire de la " coordination des partis de l’opposition et des associations " constitué à Douala le 11 Août 1991 (77), MM. Sammuel EBOUA, Augustin KODOCK, Jean Jacques EKINDI et SINDJOUN POKAM -pour ne citer que ceux-là- entreprirent une " mission d’explication " à Paris, Londres, Bonn, Ottawa et Washington entre les mois d’Août et de Septembre 1991. En réalité, il s’agissait, pour cette organisation, d’obtenir que les puissances extérieures fassent pression sur le pouvoir central camerounais afin qu’il organise une Conférence Nationale (78). Cette mission au cours de laquelle des contacts furent noués avec les états-majors des différents partis politiques, les représentants d’Amnesty International..., avait aussi pour objectif l’obtention d’une suspension de l’aide économique au Cameroun conduit sous la férule du régime BIYA (79). Il est difficile d’apprécier l’impact de telles manoeuvres, mais l’on peut mentionner, voire y rattacher, la fermeture de l’Agence USAID de Yaoundé et la suspension des négociations intergouvernementales sur la coopération économique et technique avec l’Allemagne Fédérale.

La tentation à engager des opérations de charme à l’extérieur a aussi été l’apanage du S.D.F., principale formation politique de l’opposition radicale au régime en place. Ainsi, au terme du premier congrès ordinaire du S.D.F. tenu à Bamenda -courant 1992-, le " Chairman " John FRU NDI décide d’entamer le 29 Juin 1992, une tournée en France, Grande-Bretagne, Allemagne et aux Etats-Unis afin de " convaincre l’opinion internationale sur la nécessité absolue d’un changement pacifique au Cameroun " (80). Il s’agissait, en réalité, pour cette formation politique de s’assurer des soutiens extérieurs avant l’échéance décisive des présidentielles, qui tourneront, on le sait, à la défaveur du " Chairman " FRU NDI.

Pourtant, ce dernier n’en démordra pas. Profitant d’une invitation du parti Démocrate Américain, à l’occasion des cérémonies d’investiture du Président Bill CLINTON, le " chairman " fit un détour en France, en Belgique, en Grande-Bretagne et en Allemagne (81). Cette tournée lui permit des " rencontres formelles ou informelles avec des responsables politiques ou économiques américains et européens " (82).

En dernière analyse, l’extraversion de l’opposition camerounaise est une donnée non négligeable du système politique national. Elle participe à la fois de la quête de légitimation internationale, de la volonté de destabilisation du pouvoir en place et de l’espoir de jouir -une fois au pouvoir- des rapports privilégiés avec les principales composantes de la communauté des bailleurs de fonds. Quelque soit sa connotation et les effets qui en découlent, l’extraversion de l’opposition camerounaise porte un coup de boutoir aux prétentions à la souveraineté du Cameroun. Par conséquent, elle relativise l’argument nationaliste usité par le pouvoir en place pour faire face aux assauts destabilisants en provenance de l’environnement international. En dehors de cette limite, il en existe une autre, liée au caractère spécifique de l’Etat Camerounais.

B/- Le Nationalisme gouvernemental à l’épreuve des contraintes inhérentes à l’Etat post-colonial

Beaucoup de choses ont été dites sur l’Etat Africain. Le cadre de cette étude est inapproprié pour analyser ce que certains ont fait avec profondeur et érudition (83). Pour mémoire, l’on notera que les éléments constitutifs de tout Etat sont l’existence d’un territoire délimité par des frontières reconnues par le droit international, une population plus ou moins homogène, un pouvoir institutionnalisé investi du monopole de la contrainte légitime et en mesure de préserver son autonomie d’action sur le plan international. Evidemment, le nationalisme gouvernemental participe de cette prétention à préserver son autonomie. Pourtant, et à l’instar de tous les Etats d’Afrique Noire, l’Etat Camerounais " baigne " parfois dans des contradictions qui le rendent sinon impotent, du moins dépendant à plus d’un titre.

L’Afrique d’aujourd’hui porte le poids d’un passé précolonial et colonial qui continue de peser sur les comportements. Il n’y a pas eu de rupture véritable avec ce passé, quel qu’ait pu être le type de régime socio-économique et politique adopté (84). Pendant la période de la guerre froide, les Etats Africains étaient exposés aux interventions étrangères dont les effets immédiats consistaient à en annihiler la souveraineté.

Après l’effondrement de l’URSS et des démocraties populaires, les Etats Africains font désormais face aux pressions des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, et sont amenés à mettre en oeuvre des transitions démocratiques et des politiques économiques soutenues de l’extérieur. En tout état de cause, deux facteurs inhérents au caractère post-colonial de l’Etat, peuvent expliquer la relativisation du nationalisme gouvernemental : le poids de la France dans le déroulement des processus socio-politiques camerounais (1), la récession économique et la quête de légitimation politique auprès de certaines instances internationales (2).

1)- L’implication de la France dans le cours des processus socio-politiques camerounais, facteur de limitation du nationalisme gouvernemental

L’implication de la France dans les processus socio-politiques camerounais trouve son fondement dans l’histoire. Protectorat allemand de 1884 jusqu’à l’éclatement de la première conflagration mondiale, l’extension à l’Afrique de la guerre à partir du mois d’Août 1914 marque " l’acte de naissance " de la dynamique d’implication de la France dans la vie socio-politique du Cameroun. Du mandat à l’indépendance en passant par la tutelle, une grande partie du Cameroun subira l’administration d’une puissance en quête permanente des intérêts de la métropole. Cette réalité a favorisé l’emergence d’une tradition nationaliste symbolisée à cette époque par l’Union des Populations du Cameroun (UPC).

A la veille de l’indépendance, elle va s’assurer l’accession au pouvoir d’une équipe partageant ses options idéologiques et stratégiques au détriment des nationalistes de l’Union des Populations du Cameroun, formation politique -créée le 10 Avril 1948 et interdite le 13 Juillet 1955. Lorsque le pays accède à l’indépendance, le 1er Janvier 1960, il est empêtré dans une guerre civile. Celle-ci fut un prétexte de taille pour la France de consolider son soutien au pouvoir AHIDJO. La réunification survenue le 1er Octobre 1961 et la constitution d’un Etat Fédéral n’apporteront pas de modification significative aux relations privilégiées que le Cameroun avaient déjà nouées avec la France.

Dans ces conditions , il est difficile aux dirigeants d’un tel Etat, de faire litière du poids des forces du dehors dans la dynamique interne, quelque soit la virulence de leurs propos nationalistes. Cette réalité implacable aura survécu au changement survenu à la tête du pays le 06 Novembre 1982.

Déjà lors du coup d’état manqué du 06 Avril 1984, des " pays amis " avaient été officiellement mis en cause (85). La presse (86) se voudra plus précise. Outre le Maroc et la Libye, certains milieux français furent impliqués bien que le Président François MITTERRAND et son gouvernement ne fussent pas directement impliqués (87).

Par ailleurs, à la faveur du discours de la 16e Conférence des Chefs d’Etat de France et d’Afrique en juin 1990, le Président François MITTERRAND prononça un discours dont l’impact psychologique fut considérable sur la volonté subversive de la société civile en Afrique Noire. De par ce discours, le Chef d’Etat français affirmait le caractère universel de la démocratie et entendait ainsi imprimer un schéma aux Chefs d’Etat Africains : " ...j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons " (88).

Face à ces prescriptions d’un partenaire privilégié, le pouvoir en place, déjà en proie à une forte contestation de la société civile, affirmera cahin-caha son alignement. Pis encore, le Chef de l’Etat se mue en " élève ". En effet, lors d’une interview sur le perron de l’Elysée le mercredi 03 Avril 1991, et en réponse à la question de savoir s’il faisait partie des bons ou des mauvais élèves du Président Mitterrand en matière de démocratie, le Président Paul BIYA est formel : " Eh bien ! je ne crois pas déformer la pensée du Président Mitterand en disant qu’il estime que je suis parmi les meilleurs élèves " (89). Cette prise de position officielle constitue un coup aux prétentions nationalistes de quelque Camerounais que ce soit.

Enfin, dans son analyse " des ressorts du système BIYA ", Jean Marc KALFLECHE est sans complaisance : " Acteur invisible mais permanent dans le champ politique camerounais, le soutien sans faille de Paris au régime de M. BIYA depuis le début de la démocratisation est presque unique en Afrique francophone " (90). La veille de l’élection présidentielle du 11 Octobre 1992, de hautes personnalités (91) françaises ont effectué une visite au Cameroun et " ne se sont pas privées d’intervenir dans le débat interne du pays " (92). Sans prétention d’exhaustivité, ces faits attestent, s’il en était besoin, que la France exerce une influence non négligeable sur la conduite des agendas politiques au Cameroun. Ce qui, à n’en pas douter, constitue une limitation aux prétentions nationalistes de la formation dirigeante.

L’érosion d’un tel nationalisme semble aussi liée à la récession économique ainsi qu’à la quête de légitimation auprès de certaines instances internationales.

2)- Erosion du nationalisme gouvernemental, récession économique et volonté d’accession à certaines instances internationales

La crise économique que traverse le pays depuis le renversement de tendance en 1985/86 (93) et le souci de ce dernier d’accéder au Commonwealth l’ont amené à tenir compte du minimum d’exigences extérieures nonobstant le discours nationaliste de ses dirigeants.

a- Crise économique et prise en compte minimum des exigences des bailleurs de fonds

Le renversement de tendance en 1985/86 a donné lieu à une certaine vanité nationale de la part du pouvoir camerounais. De prime abord, le Chef de l’Etat exclut le recours au FMI : " ce plan de rigueur dont je viens d’exposer les grandes lignes doit nous permettre de surmonter la crise sans avoir recours au Fonds Monétaire International " (94).

L’échec des mesures d’ajustement autonome (95) prises par le Gouvernement Camerounais a conduit ce dernier à se tourner du côté des institutions de financement multilatéral et bilatéral. La signature du premier accord avec le Fonds Monétaire International (FMI) remonte à 1989. Le dernier en date -le 4ème- a été conclu le 27 Septembre 1995. A cette occasion, un crédit de 101 millions de dollars américains, pour la période allant de juillet 1995 à Juillet 1996 a été accordé au Cameroun.

La conclusion de tels accords qui apparaît désormais comme une sorte de légitimation du pouvoir en place, devrait pouvoir permettre au pays concerné d’obtenir des financements de la part des bailleurs de fonds afin d’assurer la relance de son économie. Mais, au-delà des résultats mitigés, la mise en oeuvre des programmes d’ajustement structurel pose le problème de l’indépendance des Etats concernés. Intervenant lors du séminaire sur " les relations de coopération entre le Cameroun et les institutions de Bretton Woods ", tenu à Yaoundé du 21 au 22 Novembre 1995, M. Théodore EJANGUE dresse un bilan sans fioriture : " le système dans le quel nous évoluons est plus un modèle de subordination et de dépendance qu’un modèle de coopération "  (96). Cette lecture des faits est partagée par le professeur Georges NGANGO. En effet, économiste reste convaincu que la politique de coopération avec les institutions de Bretton Woods s’apparente à des " relations de mendicité financière "(97).

Ces mises en garde, de la part des spécialistes, tendent à démontrer que le Cameroun subit encore des politiques et stratégies conçues ailleurs. Comment concevoir dès lors le nationalisme -fut-il gouvernemental- comme instrument de préservation de son autonomie ? Ce d’autant plus que les mêmes autorités qui brandissent le levier nationaliste reconnaissent simultanément la nécessité d’un appui extérieur. L’appui à la démocratisation, disait le Président Paul BIYA, " passe nécessairement par un soutien accru au redressement économique des pays en développement " (98). Peut-on vouloir une " chose " et son contraire ?

Dans l’affirmative, le nationalisme proclamé par ailleurs ne que peut prendre un coup. Ce qui est valable pour les relations du Cameroun avec les bailleurs de fonds l’est aussi pour ce qui est de certaines instances internationales.

b)- La volonté d’accession et de légitimation auprès des instances internationales : le cas du Commonwealth.

L’admission du Cameroun au Commonwealth n’aura pas été facile. De prime abord, une brève présentation de cette institution s’impose.

Le Commonwealth n’a pas de date de création officielle. Il est une association de 53 Etats qui reconnaissent en la Reine Elizabeth II, le symbole de leur libre association d’Etats indépendants et l’acceptent comme Chef du Commonwealth. Le fonctionnement de l’Association s’inspire de principes déterminés (99) auxquels s’est ajoutée la Déclaration de Harare -véritable bible du Commonwealth- adoptée lors du sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement organisé au Zimbabwé.

Le 16 Octobre 1995, le Cameroun devenait le 52ème Etat membre du Commonwealth. Perçue comme une " consécration historique " (100), cette admission s’analyse aussi en une sorte de légitimation du pouvoir en place. L’acharnement de ce dernier à démontrer que le Cameroun satisfait aux exigences du Commonwealth en matière de démocratisation en dit long.

Tout commence le 29 Septembre 1989 quand le gouvernement camerounais saisit le Secrétariat Général du Commonwealth pour lui signifier son intention de bénéficier du statut d’observateur. Cette demande est déboutée au motif qu’il n’existe pas de statut d’observateur au Commonwealth (101).

Au sommet de Harare en 1991, il est demandé au Cameroun d’adhérer à la Déclaration qui porte le nom de la capitale qui abrite les travaux, afin de pouvoir compléter son dossier de candidature (102). En effet, la Déclaration de Harare en ses points 4 et 9, réaffirme l’attachement du Commonwealth à la démocratie et à la protection des droits de l’Homme. Le Cameroun y a adhéré le 1er Avril 1992. Pourtant, il fallait encore convaincre les instances du Commonwealth des bonnes dispositions du régime en place à promouvoir la démocratie et les droits de l’Homme. Cette phase était d’autant plus importante dans la mesure où certains Camerounais signaient, distribuaient et soutenaient des " pétitions hostiles à leur patrie " (103). C’est la raison pour laquelle le Secrétaire Général du Commonwealth -Chief EMEKA ANYAOKU- effectua du 19 au 23 Juin 1993, une visite officielle au Cameroun, à l’occasion de laquelle il rencontra les plus hautes autorités de l’Etat. En dehors de la descente qu’il fit dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le Secrétaire Général avait rencontré les autorités locales et les leaders des partis politiques (104).

En juillet 1995, une délégation du Commonwealth conduite par Dr KAMAL HOSSAIN -ancien ministre des Affaires Etrangères du Bangladesh- devait collectionner sur le terrain des informations destinées à la finalisation du dossier d’admission du Cameroun en tenant compte de l’évolution du processus démocratique. Cette délégation rencontra le Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, Dr Solomon NFOR NGWEI, le " chairman " John FRU NDI (SDF) ainsi que les ambassadeurs des pays membres du Commonwealth accrédités à Yaoundé, les personnalités de la société civile, les leaders des autres partis politiques, les groupes de pression, etc (105).

Enfin, le Président Paul BIYA semble avoir déployé l’énergie nécessaire pour soutenir le dossier Camerounais, ainsi que l’ " illustrent les audiences accordées à Yaoundé, à Tunis ou à Addis-Abeba, aux envoyés et responsables du Commonwealth " (106). Il s’agissait de convaincre les interlocuteurs que l’évolution du processus de démocratisation camerounais est en conformité avec les prescriptions du Commonwealth et qu’il est de bon ton que ce pays soit admis dans ce cercle prestigieux.

CONCLUSION

" Il est toujours difficile et risqué d’écrire l’histoire immédiate " (107). Cette mise en garde du Professeur KAMTO traduit en quelque sorte, l’embarras qu’éprouve tout analyste des processus dont les rebondissements restent possibles. La difficulté est plus grande lorsqu’il est question de procéder au décryptage scientifique des desseins d’un pouvoir encore en possession de ses moyens d’action. Tant et si bien qu’il est préférable d’éviter toute prise de position absolue. Aussi, les éléments d’analyse à notre disposition nous autorisent-ils à avancer que le nationalisme apparaît comme un argument par lequel le pouvoir central Camerounais essaie de s’assurer une marge d’autonomie face aux pressions extérieures en faveur de la démocratisation. Les éléments d’une telle stratégie s’articulent autour de la disqualification de tout " modèle importé " et de la volonté obsessionnelle à conduire la dynamique politique interne.

Pourtant, l’extraversion du système politique Camerounais a tendance à relativiser ces ardeurs nationalistes. En l’état actuel de la réalité internationale, il semble illusoire, à quelque acteur que ce soit, de faire litière des contraintes d’un environnement extérieur qui agit et rétroagit sur le contexte interne. Ce qui soulève toute la problématique du mondialisme et du régionalisme, de l’universalisme et du particularisme. Mais, tout gouvernement dont les espoirs restent fondés sur l’apport multiforme des acteurs extérieurs, ne saurait, sans courir le risque de myopie politique, fonder toute son action sur des arguments qui ne tiennent pas compte du poids des contraintes inhérentes à l’environnement extérieur. Ainsi, nonobstant les prétentions nationalistes de ses ténors et de ses méthodes, les faits en notre possession tendent à démontrer que la formation dirigeante au Cameroun n’a pas pu (ne parvient pas toujours à) se soustraire entièrement des pressions extérieures dans la mise en oeuvre du processus de démocratisation. Il s’agit d’une dialectique que tout acteur, qui plus est, tiers-mondiste doit pouvoir intégrer dans sa stratégie./-