DEMOCRATISATION ET LEGITIMITE TRADITIONNELLE EN
PAYS BAMOUN : DE LA PERSONNALISATION DE L'EXPRESSION
POLITIQUE A LA SUBVERSION SOCIALE

 

par Jean NJOYA

Université de Yaoundé II

 

L'identité politique de l'institution Traditionnelle dans un contexte de démocratisation encore aux "starting blocks" est assez risqué. C'est d'ailleurs une incontestable gageure surtout lorsqu’il s'agit d'une société dont la complexité sociologique tend parfois à décourager les plus ambitieux des analystes et à les cantonner dans des conclusions quelque peu caricaturales.

L'analyse des sociétés politiques traditionnelles a longtemps souffert de la têtutesse du monisme explicatif et de l'évolutio-nnisme unilinéaire. Revenir sur ces obstacles méthodologiques, serait certainement enfoncer les portes ouvertes. Mais ce qu'on peut déplorer, c'est qu'ils continuent d'exercer un fort tropisme sur la <<formation du nouvel esprit scientifique>> africain. En prendre conscience est déjà un regal.

Dans la perspective d’une révision et d'une redéfinition de l'héritage anthropologique du 19e siècle, les africanistes ont beau jeu de s'investir dans les études monographiques pour découvrir la riche diversité de la réalité africaine.

Le pays Bamoun que nous nous proposons d'étudier est une société politique qui s'est développée avec une certaine singularité dans l'ensemble des populations des grassfields du Cameroun (OUEST du Cameroun). Une datation approximative fait remonter sa fondation au XVIIe siècle par une poignée d'immigrants Tikar venue d'un royaume de la vallée supérieure du Mbam. Contrairement aux autres entités politiques de la région caractérisées par une certaine atomisation structurelle, le pays Bamoun a pu se constituer en une société politique unitaire dans un contexte qui, paradoxalement eut pu le prédisposer à une segmentation continue de ses composantes. La conjuration des velléités centrifuges s'est opérée à la faveur d'une projection spatiale de la parenté royale sur l'ensemble de la communauté. Cette fonction matricielle du lignage royal a produit une image fictive du géniteur universel de la société. Dès lors, on devait s'attendre à une vision ensembliste des grands problèmes nationaux; le Palais Royal se positionnant comme la "boîte noire", comme le catalyseur des aspirations du peuple Bamoun. En langage systémique il était le << gate-keeper>>" périphérique des demandes et des soutiens de son peuple . On comprend donc que dans le "commerce politique" central, le sultan se soit révélé comme un interlocuteur valable.

Le processus démocratique a progressivement altéré cette identité politique. La lente sécularisation des comportements politiques a favorisé l'émergence des nouvelles élites modernes ou ce que J.L. Seurin appelle les "forces nouvelles Africaines" dont le discours iconoclaste fragilise le paternalisme politique du sultan. Les résultats des élections municipales du 21 Janvier 1996 traduisent non pas une perte totale du magistère d'influence du Sultan, mais une diversification du champ politique local caractérisée par la présence active de nouveaux acteurs dissidents.

Dans le système politique Camerounais, l'identité politique du pays Bamoun est perceptible dans la fonction démobilisatrice que cette entité a toujours exercé dans la région des grassfields du Cameroun. On a noté d'ailleurs qu'il y avait comme une complicité centre-périphérie entre les autorités centrales et le Sultan. La démocratisation augure déjà une fragilisation de la position stratégique du pays Bamoun. Mais peut-on déjà parler d’un Roi "soliveau" en marge de la vie politique, cantonné aux tâches purement symboliques?. Loin s'en faut, car à l’analyse il y a comme une résurgence feinte de l'hégémonie de la parenté royale.

LA CONSECRATION DE LA PERSONNALISATION DE L'EXPRESSION POLITIQUE EN PAYS BAMOUN : LE SULTAN REGULATEUR DE L'ORDRE POLITIQUE

Le pays Bamoun apparaît comme un bouclier politique pour le pouvoir central dans la "zone-tempête". Son homogénéité culturelle et linguistique contraste fort avec la trop grande disparité des populations voisines. Par une image par trop simpliste le Professeur J.L. Dongmo les qualifie de "poussière de lignages".

L'histoire politique est riche d’enseignements quant au rôle joué par le Sultan des Bamoun dans le contrôle de l'espace par le pouvoir central; rôle joué avec d’autant plus de doigté et dextérité qu'il a préservé le pays Bamoun des "convulsions politiques". Il est à noter qu’une telle entreprise s’est faite sur fond de bargaining politique entre le centre et la périphérie.

L'ACTION DEMOBILISATRICE: L'EXPRESSION PERSONNIFIEE DE LA POLITIQUE

Le pouvoir central a toujours exploité avantageusement, la mésentente entre les Bamoun et les Bamileké. Ceux-ci, faut-il le rappeler ont rarement entretenu des relations conviviales malgré leur origine commune (comme le soulignent certains auteurs) .

"Le tempérament industrieux et entreprenant" attribué aux Bamiléké, leur mentalité acquisitive et leur expansionisme à la limite agressif ont pour longtemps constitué le fond de la discorde.

Pendant la période trouble qui caractérisa le nationalisme upéciste, la quasi-totalité de la région Bamiléké s'était illustrée par un activisme débordant, employant tous les moyens sans exclure la violence. Les auteurs soulignent l'ironie du sort d'une sociéte où le respect de l'autorité établie était enseigné comme un dogme et où contre toute attente un passé féodal s'était mué en un présent révolutionnaire . Sur ce dernier point, Lucy Mair fait observer dans une conférence dédiée à Lord Lugard, père de l'indirect rule que "c'est là où le nationalisme africain s'est manifesté avec le plus de virulence que la chefferie a été plus affaiblie".

La singularité du Pays Bamoun réside dans le comportement politique du Sultan, notament au moment des grandes alliances politiques qui ont précédé l'indépendance. Le scénario s'est dessiné avec clarté: Alors que la plupart des chefs traditionnels soutenaient ouvertement L'U.P.C qui était en lutte contre le gouvernement, le Sultan des Bamoun apporta un soutien inconditionnel au parti gouvernemental dont le vice-président n'était autre que Mr Njoya Arouna, son cousin croisé matrilatéral. Aussi fallait-il contrecarrer l'ascension fulgurante de l'upéciste Roland Felix Moumié dont "le statut social dans l'ordre traditionnel ne prédisposait pas au commendement". Est-il nécessaire de rappeler que le Sultan évitait une nouvelle confrontation avec le pouvoir, car fort de l'expérience douloureuse du démantelement du Royaume par l'Administration coloniale, il avait beau jeu de pactiser avec les autorités centrales. Qui plus est, des purges politiques ont été organisées dans toute la région. Ce qui suscita des pétitions isolées aux Nations Unies.

A partir de 1953, la géoscopie politique du cameroun présentait une vaste zone anti-upéciste s'étendant du Pays Bamoun au Nord du Cameroun. L'action politique du Sultan fut également déterminante lors des négociations sur la constitution fédérale du Cameroun tenues à Foumban du 17 au 28 juillet 1961. En effet, John Ngu Foncha obtint un soutien déterminant du Sultan des Bamoun aux yeux duquel d'ailleurs la réunification signifiait essentiellement les retrouvailles de la grande famille Tikar. Les cordiales relations entretenues par le Sultan des Bamoun, Njoya Arouna et Foncha ont sans doute fait d'eux les soutiens de la politique unificatrice de Mr. Ahidjo.

La circonspection et la prudence de ce monarque, sa capacité de mobilisation politique contre toute action hostile au Régime se sont revelées lorsqu'en 1984 une fraction de Garde présiden tielle tente de s'emparer du pouvoir. La réunion de 1983 qui précédait le coup de force et qui devait aboutir à une démission collective des Ministres "Nordistes et Musulmans" n'avait apparement pas acquis l'unanimité de ses participants. Le fils du Sultan MBombo Njoya intervint à l'occasion pour souligner les dangers d'une telle conspiration et refusa d'ailleurs de signer la lettre de démission. Dans les dédales de la procédure judiciaire consécutive à la crise de la succession Présidentielle d'Août 1983, il déclara que sa position lui avait été dictée par son père.

Tirant parti de ces faits, on peut légitimement conclure que l'identité politique en pays Bamoun semble avoir été dominée par la personnalisation sultanique de l'expression politique.Ce paternalisme se mue insidieusement en aliénation des masses puisque le sultan se positionne comme le pédagogue suprême qui explique la politique faite en son nom. Et on peut bien se demander avec Lacouture s'il s'agit d'une école de citoyens ou d'éxécutants. "Car un peuple qui ne se sent concerné qu'en tant qu'auditeur, disciple ou témoin, ne peut se transformer". On comprend donc qu'il y ait eu cassure du consensus lors de la crise de la libéralisation politique de 1991 et durant les élections municipales du 21 Janvier 1996. Et comme toute pédagogie parternaliste, qui maintient l'enseigné dans l'enfance, celle-ci n'est guère apte à émanciper une société fortement imprégnée du traditionnalisme, à transformer une culture de sujétion en participation.

LA PERSONNALISATION A DISTANCE: LE FILS-REPRESENTANT

Dans un article publié aux annales africaines de DAKAR, le professeur Jean-Louis Seurin à l'appui d'un échantillon largement représentatif, met en relief la maîtrise de la vie politique nationale par les chefs traditionnels en Afrique occidentale francaise. Maîtrise qui bien que figurative, n'en revèle pas moins "la tendance des dominants à persévérer dans leur être". On s'explique donc que le sultan NJIMOLUH SEIDOU ait délibèrement voulu noyauter la représentation politique en pays Bamoun.

En prenant sa retraite parlementaire en 1965, il avait apparemment tiré les leçons d'une présence figurative au sein du parlement, préférant une sorte de "représentation politique ombilicale". Ainsi par une reproduction politique surveillée, une "parentocratie regnante" se transpose dans la vie politique nationale. La longévité de MBombo Njoya au gouvernement traduit la réalité de la complicité centre-périphérie. Ce prince héritier apparaissait comme la contrepartie du loyalisme politique de son père. Il se pourrait qu'après sa retraite parlementaire, le sultan ait cru devoir personnaliser à distance l'expression politique. Une telle pratique confortait le palais dans sa fonction de reservoir du recrutement politique.

En 1978, on observe un certain dysfonctionnement temporaire des rapports clientélistes entre le centre et la périphérie. Le prince héritier est déchu de ses fonctions et remplacé par Adamou Ndam Njoya. Si anthropologiquement ce dernier devait son ascension à son appartenance au lignage royal par la collatéralité matrilinéaire, il le devait davantage à la politique de reproduction continue des élites du président Ahidjo. L'introduction de cet élément perturbateur du système a inscrit la vie politique en pays Bamoun dans une bipolarisation feinte cristalisée autour de deux axes: le pôle de la noblesse paternelle et le pôle de la noblesse palatine (Sultan Mbombo). Soulignons que l'émergence d'une noblesse maternelle à côté de la noblesse palatine a été le fait d'une conjoncture politique particulière. On ne trouve nulle part dans l'ordonnancement "constitutionnel" de l'ancien Royaume Bamoun pareille institution. Elle naquit sous le Roi Kouotou et aurait eu une prolificité sous celui de Njoya à la faveur du rôle joué par son oncle Njimon Kouop dans les guerres fratricides qui envénimèrent les relations entre les princes. Le roi se constituait ainsi des appuis sérieux dans les lignages occupant une position intermédiaire entre la noblesse de sang à laquelle il se rattachait par l'origine et celle du palais à laquelle il se rapprochait par la fonction.

Il va sans dire que, cette bipolarité s'apparentait à un partage du pouvoir dans un contexte où le sultan se présentait délibèrement comme le résumé officiel de la pensée politique du peuple Bamoun. Le limogeage prématuré d'Adamou Ndam a été une rupture de l'équilibre bipolaire. Puisqu'il a permis le recentrage du pouvoir autour du noyau palatin. L'opinion silencieuse à cette époque a crié au complot palatin contre celui qui apparemment incarnait leurs aspirations. On peut penser légitimement que cette rupture a fait le lit de la contestation en 1990.

Si l'on s'en tient aux querelles de personnes, on ne comprendrait pas le comportement politique du sultan qui correspond anthropologiquement à la perception traditionelle des phénomènes politiques. En effet, comme le note Jean Ziegler," le pouvoir africain n'admet guère de subdivision...Le pouvoir africain est". Si dans la pensée traditionnelle, le pouvoir politique est personnalisé et personnifié, les acteurs politiques devraient être recrutés dans "les familles appelées à exercer coutumièrement le ponvoir".

Le maintien ad-vitam aeternam de Mbombo Njoya au gouvernement est une expression tentaculaire de la projection de la parenté royale dans la vie politique. Le fils représentant devient une satellite sur orbite. Ici au moins parenté et politique se recoupent manifestement.

La singularité politique du pays Bamoun se traduit également par le maintien de son intégrité territoriale contrairement àl'atomisation progressive des autres entités ethniques des grass-fields par l'administration. Les anthropologues ont relevé l'importance de la fixation territorialisée du pouvoir. En effet, si la politique se définit prioritairement par l'action, son domaine se saisit d'abord en tant que système de pouvoir opérant dans le cadre d'un territoire délimité.

L'identité des Bamoun s'est territorialisée par le maitien du territoire du commandement cheffal du sultan.

LA TERRITORIALISATION DE L'IDENTITÉ POLITIQUE DES BAMOUN: LE RENFORCEMENT DE LA "ZONE BOUCLIER"

Les relations entre le pouvoir central et le sultan se sont inscrites dans une logique de service rendu/récompense. La maîtrise de l'espace est une manifestation concrète de l'identité politique des Bamoun dans les grassfields. Cette maîtrise s'est opérée en amont sur le plan interne par l'utilisation de la parenté royale dans l'ordonnancement territorial et en aval par le maintien de limites territoriales de l'ancien Royaume.

La territorialisation interne du pouvoir : le contrôle de la mobilité sociale

Les anthropologues retiennent le territoire parmi les éléments définissant l'organisation politique en analysant avec une réélle exigence de rigueur théorique les rapports entre l'organisation sociale et le territoire. L'organisation territoriale est largement tributaire de l'histoire politique des Bamoun. En effet, les rois paraissent avoir opté pour une stratégie d'organisation concentrique du territoire. Ce qui a fait apparaître une compatibilité entre la parenté et la territorialité.

Une analyse topographique fait apparaître des cercles qui progressent excentriquement en fonction du dégré des rapports politiques entre les groupes sociaux et le palais. A la lecture de Tardits on peut résumer les installations topographiques ainsi qu'il suit: La 1ère zone qui jouxe le palais est occupée par les lignages palatins et maternels du roi. La 2ème zone est le domaine des princes du souverain régnant. La 3ème et la 4ème sont occupées par les fils du Roi défunt.

L'objectif d'un tel ordonnancement géométrique était de maîtriser sur le plan interne les forces politiques en présence et de surveiller la mobilité sociale. En effet, la projection

excentrique des princes vers les extrêmités du Royaume anéantissait les velléités d'usurpation. Et, la rivalité entretenue par le Roi entre la noblesse palatine et la noblesse de sang par le biais de ce quadrillage territorial a été fondamentale dans la stabilisation des rapports de force en Pays Bamoun. Toute fixation territoriale est chargée symboliquement et dégage la nature des rapports entre les différents groupes sociaux et le palais. C'est une véritable politisation de l'espace.

L'occupation territoriale en zone domaniale épouse largement les contours de l'agencement territoriale du centre. Il y a donc une structuration identique du territoire Bamoun qui a entretenu dans toute l'histoire du Royaume une uniformité organisationnelle.

Ainsi, la politique unificatrice du sultan, symboliquement hyperthrophiée tombe-t-elle dans son assiette territoriale.

La personnification de l'expression politique à laquelle nous avons constamment fait référence, semble s'inscrire dans les limites précises du décor politique en réalisant ainsi ce que Pierre Bourdieu appelle l'unité souhaitée entre << l'habitus et l 'habitat>>.

Dans une telle fresque, le pouvoir devient coextensif à la structure de son champ, et cette formidable capacité à maîtriser l'espace révèle en définitive la politique comme le lieu de production du discours <<sur le monde qu'il organise et territorialise à sa manière>>.

La territorialisation externe du pouvoir est plus symboliquement significative. Toutes choses étant par ailleurs égales, elle contribue à la personnification de l'action politique.

La territorialisation externe du pouvoir: Le Maintien du territoire du commandement royal

La découpage administratif de l'Etat cache parfois dans sa banalité et dans la volonté fallacieuse des dirigeants d'assurer le rapprochement l'Administration des Administrés, une réalité politique. Si non comment comprendre que dans la province de l'Ouest dont les dimensions sont les plus réduites, on "charcute d'un côté et on unifie de l'autre". Il y a bien plus, sur une province qui compte environ 1.252.000 habitants, le Noun a une population qui s'élève à 246.000 habitants. Sa superficie couvre la moitié de la province. Il a également le plus grand nombre d'arrondissements. Mais, parallèlement le département de la Mifi vole en éclats avec l'érection de Baham et Bandjoun en départements alors qu'à vol d'oiseau la distance qui les sépare n'est pas supérieure à 5 km.

Une lecture fonctionnaliste nous permet de négliger la signification "manifeste" exacerbée par les auteurs qui privilégient l'élément ethnique dans l'explication. En réalité, la justification d'un tel découpage se trouve dans la fonction géostratégique de démobilisation à la quelle nous avons constamment fait référence. Il s'agit pour le pouvoir central de maintenir compacte et homogène, cette "zone bouclier" qui de tout temps a amorti le choc de la contestation généralisée à l'Ouest et désamorcé à travers ses élites toutes les conspirations contre le régime. On comprend que depuis le décret N°72-349 du 27 juillet 1972 portant organisation administrative du Cameroun, aucun texte modificatif subséquent n'a pu renverser cette tendance. Bien plus, le pouvoir central a usé de la stratégie de "l'attaque cancéreuse" qui ronge irrémédiablement un organisme dans l'espoir de le détruire systématiquement. En utilisant le pays Bamoun, le pouvoir central visait à la longue la soumission totale de la province, du moins entretenir l'illusion d'une entité partiellement sur orbite.

Les mythes se fanent; la grandeur fait le lit de la décadence. La personnification de l'action politique par le sultan, son parternalisme pédagogique étaient tout à la fois une réalité et un fantasme. En jouant quelque peu sur l'imaginaire, on a cru au surhomme. Mais la défaite électorale n'a-t-elle pas étalé au grand jour la nudité du Roi?

Plaçons les choses dans leurs justes proportions. Car une réponse affirmative serait tout aussi partisane qu'une négation béate. En réalité, il s'agit d'une résurgence du conflit séculaire entre la légitmité traditionnelle et la légitimité légale rationnelle.

On peut harsarder provisoirement à la lecture de l'actualité politique en pays Bamoun, une hypothèse qui s'apparente à un jeu d'addition et de soustraction:

- La legitimité du sultan se fragilise...

- au profit d'une récomposition compensatoire qui conforte l'hégémonie de la parenté royale. C'est dirait Bourdieu <<la tendance des dominants à persévérer dans leur être>>.

LES INDICATEURS ET LES ACCELERATEURS DE L'ALTERATION DE LA LEGITIMIT: LA DEFECTION DE L'APPAREIL DE SURVEILLANCE DE L'EXPRESSION POLITIQUE

Nous reculerons encore la pendule de l'histoire pour ordonner l'étagement des ruptures qui par effet cumulatif ont constitué le signe prémonitoire de la dépersonnification de l'action politique. Il va sans dire que la naissance de ce que le Pr.J.L. Seurin appelle les "forces nouvelles africaines" a eu une influence déterminante dans la lutte contre la chefferie puisque << ayant favorisé la politisation des milieux ruraux en soutenant financièrement les partis politiques>>.

L'étagement des ruptures: La sédimentation progressive de la subversion sociale

En concluant un chapitre de la thèse que nous avons consacrée à la Société traditionnelle Bamoun, nous disions en gobant une belle expression d'Aroum Jamous que <<dans la mentalité psychique des Bamoun, un ministre devrait être un représentant-solution>>. Les malentendus politiques ont commencé dès les premières années de la décennie 80 avec le limogeage d'Adamou Ndam Njoya à l'Inspection Générale de l'Etat et de la réforme administrative après un bref passage au Ministère de l'éducation nationale. Son action et son discours étaient pour le moins osés dans un contexte où l'expression politique était méticuleusement surveillée. Dès lors, l'unanimité semblait s'être faite autour de cet homme qui par un jeu astucieux de médiatisation et de personnalisation des réalisations de l'Etat, avait suscité une adulation collective en jouant des réactions émotionnelles des masses. Selon une impression largement distillée par une méthode discursive et persuasive, son limogeage ou ce qu'on a appelé le complot de 1981, aurait été le fait d'une haute machination ourdie par le sultan pour <<positionner le prince héritier>>. L'enfermement dans son soliloque, le mutisme suspect et le comportement d'évitement adopté par Ndam Njoya vis-à-vis du sultanat ont donné plus de corps à une telle supposition. Toutes proportions gardées, il faut sans doute avouer une part de "spectacularisation" de cette disgrace. C'était certainement l'ère du soupçon qui conduit généralement à décrire chez l'adversaire plus de défauts qu'il n'en a pour mieux le pourfendre. A qui mieux mieux, on accède au pouvoir en dévorant la substance de son rival. Cette querelle par son caractère silencieux s'apparentait à une lutte normale dans le système, à une contestation "tribunitienne" aux effets anodins.

Les choses sont tombées de charybde en Sylla avec l'avènenent du multipartisme. Ndam Njoya ne manque pas le coche et par une prestidigitation discursive, il réveille la figure de l'homme

providentiel qui logeait encore dans le champs de la conscience Bamoun.

Une fois de plus, il va faire dans la "spectacularisation", la légalisation de son parti qui accuse un retard, est interprétée comme un complot qui impliquait certaines élites Bamoun qui auraient préalablement tenté de l'en dissuader. Dès lors des pôles d'agitation naissent et s'enchaînent avec les villes mortes jusqu'à l'élection présidentielle du 11 octobre 1992. Il faut avouer que les débordements avaient largement dépassé les prévisions des instigateurs. Ndam Njoya se ravise et opte pour un discours lénifiant. En réalité, ce surprenant angélisme politique n'était pas neutre. Il s'agissait de sauvegarder sa base en se soustrayant d'une coordination dont le discours populiste de Mr John Fru Ndi avait contribué à ternir l'image sur le plan international.

La contestation culmine avec une déclaration alors compromettante du Sultan NJIMOLUH qui affirma lors des villes mortes que son peuple et lui soutenaient le RDPC. Ce fut le chant de cygne d'un homme politique qui de tous temps avait manifesté son indéfectible attachement au Régime. Déclaration qui va déboucher sur un acte sacrilège: le tambour Royal est incendié. C'est bien le point de rupture le plus dangereux qui puisse affecter la légitimité du sultan puisqu'il ébranle jusqu'aux raisons que les hommes se donnent de vivre ensemble.

Ces événements qui atteignent plusieurs coins de la République reposent au-dela des projections catastrophistes des certains analystes, le problème du rôle du Chef traditionnel dans la vie politique. Peut-on parler de conflict entre la légitimité traditionelle et la légitimité légale-rationelle? En tout cas, ceux qui posent le problème en termes de conflit se fondent sur l'illusion de la séparation du politique et du traditionnel. C'est d'ailleurs sur cette dichotomie que repose tout l'argumentaire électoraliste du leader de l'UDC.

La Problématique de la séparation du traditionnel et du politique: un leitmotiv électoraliste

La chefferie est l'une des institutions qui ont été les plus rebelles à la juridicisation. Son encadrement juridique reste inachevé. Cette situation précaire prète le flanc à des analyses superficielles. Le principal grief qu'on fait valoir contre les chefs traditionnels est leur implication partisane dans la vie politique. Alors qu'on aurait imaginé un chef neutre s'érigeant au dessus des joutes politiques. Cette dépolitisation suppose la plus grande réserve des chefs dans la vie publique et de ne pouvoir exprimer leur obédience politique que dans le sécret de l'isoloir. A l'analyse, cette thèse étale toute sa fragilité.

"La dépolitisation" des chefs traditionnels est juridiquement eronnée car elle met en cause un droit fondamental reconnu par les différentes déclarations de droits: celui de la participation à la gestion de la chose publique.

Une telle conception rélève d'autre part d'un manque de discernement. Qu'y a-t-il d'imcompatible pour un chef traditionnel d'être à la fois le gardien des traditions et participer activement à la vie politique?

Le leader de l'UDC a récupéré ce discours pour en faire un leitmotiv électoral. Il n'a cessé de répéter qu'un chef devrait se cantonner à la chose traditionnelle en se démarquant autant que possible de la politique. Aussi devrait-il se placer au dessus des querelles partisanes en agissant avec la plus grande neutralité. Cette construction discursive a eu une résonance persuasive dans la mentalité psychique des Bamoun. En réalité, cette attitude n'est pas neutre; Il s'agit bien plus de déplacer progressivement le centre de décision qui était jusque-là incarné par le sultan, pour se présenter désormais comme l'interlocuteur valable de la pensée politique des Bamoun. A l'évidence les choses n'ont pas fondamen- talement changé puisqu'on passe paradoxalement d'une expression politique personnifiée à un nouveau parternalisme politique. Sa large victoire aux élections du 21 janvier 1996 le ragaillardit davantage et désormais il évolue à visage découvert en multipliant des déclarations qui cachent mal une querelle de personnes. "J'ai battu Mbombo Njoya et non le sultan des Bamoun" déclare-t-il sans ambages. Préserve-t on encore la chefferie traditionnelle lorsqu'on désacralise celui qui l'incarne ?

Le discours devient bien plus alléchant lorsqu'on l'accompagne d'un exposé factualiste; c'est ici que se ressent la note "patrimonialiste" et appropriative des réalisations de l'Etat. Le leader de l'UDC a lors de la campagne appelé l'histoire à la rescousse de son argumentaire électoral. Il utilise son bref passage au Ministère de l'éducation nationale, marqué par d'importantes réalisations: la construction du lycée classique de Foumban, la multiplication des établissements primaires et maternels dans tout le département. Cette personnalisation des réalisations l'Etat a eu tout les effets escomptés et corrobore d'ailleurs le concept de "représentant-solution" plus soucieux des intérêts paroissiaux que de l'intérêt général. Il a saisi son adversaire dans sa fibre sensible et sur ce registre le sultan allait s'attendre aux coups les plus fatals car, selon une opinion largement répandue, le sultan n'aurait rien réalisé en pays Bamoun. On peut dire que le leader de l'UDC a élagué le bras mort de l'arbre de la légitimité traditionnelle. Mais si ce discours populiste est manipulé sans précautions, les auteurs risquent de se voir débordés à la longne par les contestataires qui reclameront une radicalisation des choix politiques.

En définitive, la séparation du traditionnel et du politique est plus un leimotiv électoraliste qu'une réélle volonté de sauvegarder les traditions.

Le système politique ne doit pas être pensé comme statique, mais comme la condition d'un équilibre qui ne persiste qu'en étant continuellement renouvelé. Sitôt que des événements surviennent, perturbant de quelque manière l'équilibre, il se produit une

réaction du système qui tend à le restaurer; un nouvel équilibre est atteint qui diffère de celui qui existait préalablement. Mais après un sérieux dérangement, le processus de réajustement peut être long.

La défaite électorale du Sultan des Bamoun peut donner l'illusion d'une profonde mutation ou (en usant d'un jargon systémique) d'une scission de la boîte noire politique. Les choses sont plus complexes et nécessitent pour le politiste un recul. A y voir de près, il y a comme une recomposition, un réajustement et une contextualisation de la gestion parentale du pouvoir. L'empire n'a pas encore éclaté, bien au contraire, il y a un élargissement du noyau dur.

L'ILLUSION DE LA BIPOLARITE POLITIQUE EN PAYS BAMOUN: LE POUVOIR FAMILIAL

L'histoire se repète. Cette boutade ferait école si nous remontions dans les profondeurs de l'histoire politique des Bamoun. En effet, sous le règne du Roi Njoya qui s'achève en 1933, on note un partage du pouvoir entre la noblesse de sang et la noblesse maternelle du Roi incarnée par Njimo Kouop, oncle maternel du Roi et arrière-grand-père d'Adamou Ndam Njoya. On lie cette situation à l'époque où le Roi se trouvait confronté à une noblesse palatine velléitaire. Ici se revèle l'importance de la collatéralité parentale dans l'exercice du pouvoir. L'interprétation conflictuelle des rapports entre le Sultan et Adamou Ndam Njoya doit être relativisé. La bipolarité politique devient une illusion quand la parenté s'y mèle. On se resoud à croire que la parenté royale aurait bénéficié de deux chevaux de bataille pour se reproduire à l'identique.

La reproduction à l'identique ?

On ne saurait nier cette évidence, parenté et politique se côtoient sous une autre forme. Elles ne s'expriment plus uniquement par une concentration du pouvoir au palais. Mais par un partage des pouvoirs qui revèle <<la tendance des puissants à persévérer dans leur être>>. Bien entendu, il y a une, excentration feinte de la <<boite noire>> vers les branches collatérales du lignage royal. Avec 78,51% à la commune urbaine de Foumban et une moyenne de 74,10% dans la zone urbaine, l'UDC se présente désormais comme le catalyseur ethnique des aspirations des Bamoun. Soulignons en passant le caractère ethnique de ce vote, l'UDC n'a pas tellement ratissé large à Foumbot et à Magba, zone de forte concentration allogène.

La surchage révendicative n'a pas tellement fissuré le système. Les fonctions d'adaptation et de maintien ont opéré fatalement une formidable reproduction à l'identique. Le palais par son excentricité reste "l'instrument enregistreur du mouvement social qu'il contrôle" . Ainsi, la noblesse de sang et la noblesse maternelle du Roi recupèrent-elles les forces de la dissolution pour servir leur propre réajustement.

Le ton incisif du discours de Ndam Njoya, les rapports antagonistes entre les deux hommes ne sont que la face visible de l'iceberg.Puisque cette rivalité apparente se convertit paradoxalement en un jeu d'intégration dialectique. Le rite électoral s'est présenté dans une certaine mesure en pays Bamoun comme une entreprise de récréation par laquelle la parenté royale conjure par un retour à l'équilibre de sa cohérence initiale,les forces subversives qui la menacent. << La société retrouve ainsi sa verdeur en jouant de sa propre genèse>>.La défaite électorale du sultan n'a suscité ni animosité, ni remous. le Roi semble avoir fait sienne cette belle formule de Napoléon: << à une juste victoire, on préfère la fuite>>.

Il est pour l'instant indiqué de s'interroger sur l'attitude du pouvoir central dans ses rapports avec le sultan à l'issue des élections municipales.

Vers la rupture du "serment du jeu de paumes ?

Membre du Bureau politique du RDPC, il a perdu le capital d'influence qui justifiait cette position. Il n'est plus "le résumé officiel" de la pensée politique. La recomposition du paysage politique ne fait plus de lui le démobilisateur politique dans les grassfields puisque la province de l'ouest dans sa totalité a basculé dans l'opposition. Sa position à l'égard du pouvoir central est à renégocier compte-tenu de la tradition de complicité ou d'alliance et de la nouveauté subversive.