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CODIFIER LA VIOLENCE MARTIALE : REFLEXIONS SUR LES DIFFICULTES DE LA CODIFICATION par Maurice ENGUELEGUELE IRIC-GRAP/CURAPP-CNRS. Il existerait des limites objectives à lentreprise de codification et à lemprise du droit dans la société. Dabord, selon les thèses libérales ( HAYEK ), la codification serait productrice deffets pervers. Ensuite, plusieurs pratiques ou réalités semblent difficilement codifiables en raison de leur nature ou de la diversité des enjeux quelles recouvrent (lintimité, le for intérieur, le harcèlement sexuel, la bioéthique, lenvironnement,...). La violence martiale pourrait, à première vue, être rangée dans ce répertoire de pratiques difficilement codifiables dans la mesure où elle est porteuse denjeux complexes pour les acteurs étatiques qui y ont recours. Cependant, même dans ce domaine, le droit est présent : lacte de guerre et la violence quil implique sont codifiés et ne peuvent pas se libérer de lemprise du droit. Deux précisions doivent immédiatement être apportées. Par " codification ", on entendra ici deux processus distincts mais complémentaires : dune part la production de dispositifs juridiques visant à réguler une pratique ou une réalité ; dautre part, la construction dune représentation objectivée de cette pratique ou réalité à laide de différents ressorts, généralement de règles non juridiques mais qui, sappuyant sur la" force du droit " et reposant sur des principes de rationalité, produisent une police de significations et disciplinent les comportements des acteurs. De ce double point de vue, la codification a pour objectifs la normalisation des conduites, ou bien par le biais de règles écrites, ou bien par lhabitualisation à certaines pratiques ou réalités à laide de standards et dautres instruments dobjectivation. Par ailleurs, il faut, en matière de codification de la violence martiale dans les conflits armés internationaux, distinguer ce qui relève de la prévention de cette dernière ( droit préventif de la guerre - jus ad bellum ) de ce qui ressort de la régulation ou de la licitation des actes quelle recouvre (droit des conflits armés internationaux - jus in bello au sein duquel on doit différencier, tout en reconnaissant leur complémentarité, le droit dit de " la Haye " centré sur le comportement des belligérants dans la conduite des hostilités et qui sefforce de limiter lampleur de la violence, et le droit dit " de Genève " consacré à la protection des victimes ). Cest le Jus in bello qui retiendra notre attention. Réfléchir à la codification de la violence martiale ainsi conçue exige quon renonce préalablement au " juridisme ", cest-à-dire à la tendance qui consiste à décrire un objet, une pratique ou une réalité dans le langage du droit et à faire comme si on lavait épuisé(e) par le seul fait de lénonciation de la règle explicite qui est censée lencadrer. On doit, au contraire, prendre en compte tout ce qui se joue derrière lentreprise de codification de la violence martiale et la rhétorique juridique quelle produit pour saisir ce qui fait sa " réalité " et son " efficacité sociale ". Sur ces bases, on examinera successivement les conditions de production de la codification de la violence martiale ( I ) puis les équivoques de cette codification ( II ).
I - Les conditions de production de la codification de la violence martiale Lexamen des conditions de production de la codification de la violence martiale sera mené à travers un double questionnement : celui dabord des propriétés de ce processus ( A ) ; celui ensuite des hypothèses qui permettent de lexpliquer ( B ). A - Les propriétés du processus de codification de la violence martiale La codification juridique de la violence martiale est le produit de lensemble des déterminations qui pèsent sur la société internationale dans laquelle elle sinscrit ; résultat dun arbitrage entre rationalités hétérogènes dacteurs divers, au premier rang desquels se trouvent les grandes puissances occidentales, elle est aussi la traduction dun certain rapport de force entre eux : comme le note M. WEBER, la codification est une expression du pouvoir ; source de prestige pour le souverain, elle lui permet dassurer sa puissance ou de pérenniser son oeuvre conquérante. Il sagit dune entreprise ancienne ( 1/.), doublement caractérisée par son aspect " diffus " et sa " densité " ( 2/.). 1/. Une entreprise ancienne Lentreprise de codification de la violence martiale fait suite à sa régulation par la coutume et commence durant la deuxième moitié du XIXè siècle. Pour les grandes puissances qui en prennent linitiative, elle est alors dénuée de toute visée utilitariste et ne doit ni se limiter à constater, à photographier les figures coutumières du droit de la guerre, ni en faciliter la pratique par laccès direct à des règles écrite : elle est au contraire animée dune volonté créatrice ; elle doit légiférer lexercice de la violence martiale et assigner à son " règne " les bornes dune " monarchie limitée " par les lois fondamentales de lhumanité. Pour la clarté de lexposé, on distinguera schématiquement la codification antérieure à la seconde guerre mondiale ( a ) de celle postérieure à ce conflit ( b ). a- La codification antérieure à la seconde guerre mondiale Parmi les conventions de la deuxième moitié du XIXè siècle figure dabord la " Déclaration de Paris de 1856 sur la guerre maritime ", oeuvre collective des vainqueurs de la guerre de Crimée. Par la suite, trois autres conventions seront établies qui jeteront les premières bases de ce qui sera désormais appelé le " droit humanitaire " : la " Convention de Genève de 1864 relative à la protection des blessés, des malades et du personnel sanitaire " ; la " Déclaration de Saint-Petersbourg de 1868 " qui inaugure le mouvement en faveur de la prohibition du recours à certaines armes au cours des conflits armés internationaux ; enfin, la " Déclaration de Bruxelles de 1874 " qui ouvre la voie à la consécration positive de la distinction entre combattants et non combattants. La codification de la violence martiale se poursuit au début du XXè siècle, lors des deux Conférences de la Paix de la Haye de 1899 et 1907. La première adoptera une "Convention relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre " suivie dune annexe, et une " Convention pour ladaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève du 22 Août 1864 " ; à ces textes sajouteront trois Déclarations sur le " Lancement des projectiles du haut des ballons ", " Les gaz asphyxiants " et " Lemploi des balles ". En 1907, la codification juridique de la violence martiale atteint une ampleur inégalée. Treize textes sont alors élaborés et signés : une " Convention sur louverture des hostilités " ( la IIIè ), une" Convention sur les lois et coutumes de la guerre sur terre " (la IVè ) accompagnée dune annexe contenant un " Règlement ", six conventions sur la guerre maritime auxquelles il convient dadjoindre la convention non ratifiée portant création de la Cour internationale des prises ( la XIIè ), deux " Conventions sur la neutralité dans la guerre terrestre et dans la guerre maritime ", enfin une nouvelle " Déclaration sur Lancement de projectiles du haut des ballons ". Si rien nest fait alors sur la guerre aérienne, cest parce que celle-ci est encore inconnue de la technique guerrière de lépoque : elle napparaîtra pour la première fois quen 1911, lors de la guerre italo-turque. Après 1919, les puissances occidentales devront tenir compte non seulement de lexpérience de la guerre qui vient de sachever mais aussi des nouveaux perfectionnements en matière de technique guerrière. Dès 1922, la conduite de la guerre navale est à nouveau encadrée par une " Convention Navale " signée Washington. En 1923, un " Règlement sur la guerre aérienne " comprenant 62 articles est mis sur pied à la Haye ; il ne sera jamais ratifié en raison des divergences de rationalités persistantes entre les grandes puissances mais également entre ces dernières et les Etats désireux de ne pas limiter les applications de cette " nouvelle " technologie à la guerre. Sagissant de la guerre sur terre, un " Protocole sur la prohibition de lemploi des gaz asphyxiants ou toxiques et des moyens bactériologiques " est signé à Genève le 11 Juin 1925. Quant au traitement des blessés, des malades et au sort des prisonniers, il sera lobjet de plusieurs textes signés à Genève le 27 Juillet 1929. Enfin, la juridicisation de la guerre maritime sera encore complétée par la " Convention Navale de Londres de 1930 ", suivie dun Protocole spécifiquement consacré à " lattaque des navires de commerce par les sous-marins ". b- La codification postérieure à la seconde guerre mondiale La codification de la violence martiale après la fin de la seconde guerre mondiale est opérée dans une double direction. Dune part, le renforcement du droit humanitaire de la guerre. La Conférence de Genève de 1949, organisée par le Comité International de la Croix-Rouge, a en effet adopté trois conventions portant révision des textes antérieurs sur les malades, blessés et prisonniers ainsi quune quatrième relative à la protection de la population civile en temps de guerre. De plus, le CICR a pris en 1970 linitiative dune Conférence sur " la réaffirmation et le développement de certaines règles et matières du droit humanitaire " : cette dernière na débuté quen 1974, après de longs travaux préparatoires au niveau des experts, et sest achevée le 10 Juin 1977 par ladoption de deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 : le premier relatif aux conflits armés internationaux ; le second consacré aux conflits armés non internationaux. Ces deux textes sont entrés en vigueur le 7 Décembre 1978. Dans un registre assez différent, on doit noter quavait été conclue en 1954, sous les auspices de lUNESCO, une " Convention sur la protection des biens culturels en cas de conflit " prohibant leur utilisation à des fins susceptibles de les exposer à des destructions ou à la déprédation. Dautre part, la réglementation ou limitation de lusage de certaines armes. Les accords conclus en matière de maîtrise des armements ont également un impact direct sur les techniques guerrières auxquelles les Etats ont recours lors des conflits armés au point que la frontière entre droit du désarmement et régulation de la violence martiale est fluide. On peut toutefois considérer que << (...) linterdiction de la détention de certaines armes relève du premier tandis que la limitation ou lexclusion de leur utilisation du second >>. Dans ce domaine, le principal progrès en matière de codification réside dans ladoption, le 10 Octobre 1980, de la " Convention sur linterdiction ou la limitation de lemploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination ". Cette convention a été ouverte à la signature le 10 Avril 1981 et est entrée en vigueur en 1983 ; elle na été ratifiée par la France quen 1988. Si aucun progrès significatif nest dans un premier temps accompli en ce qui concerne la limitation de lemploi des armes biologiques ou chimiques, lutilisation de telles armes par les belligérants au Cambodge, en Afghanistan et pendant la guerre Iran-Irak conduira lAssemblée Générale des Nations Unies à adopter en 1982 la résolution 37/98 D instituant des " procédures provisoires denquête visant à maintenir lautorité du protocole de Genève de 1925 ". La récente guerre du Golfe doublée de la pression des grandes puissances occidentales relanceront les travaux de la Conférence sur le Désarmement dans ce domaine : cette dernière a, le 3 Septembre 1992, adopté un " projet de Convention sur linterdiction de la mise au point, de la production et du stockage des armes chimiques et sur leur destruction ". Le projet a été approuvé par lAssemblée Générale des Nations Unies le 30 Novembre 1992 et la Convention ouverte à la signature le 13 Janvier 1993. 2/. Une entreprise doublement caractérisée par son aspect " diffus " et sa " densité " Trois enseignements, permettant de caractériser la codification de la violence martiale, peuvent être dégagés de cette énumération non exhaustive et volontairement descriptive. Dabord, la pluralité des instances de formalisation juridique de lexercice de la violence martiale dans les conflits armés internationaux et le rôle prépondérant joué par les puissances militaires ou leurs représentants en leur sein (conférences internationales, organisations internationales ou non gouvernementales, comités dexperts,...) : loin de résulter de laction de " foyers de droit " "concentrés" et homogènes, lentreprise de codification de la violence martiale se présente en fait comme le produit complexe dun processus largement décentralisé et dun jeu dinteractions entre différents acteurs dont les rationalités sont souvent hétérogènes ; ce qui lui donne un aspect " diffus ". Ensuite la diversité des aspects de la violence martiale codifiés ; ce qui se traduit par une véritable "profusion normative " dans ce domaine : ainsi par exemple, outre le "lancement des projectiles du haut des ballons " et le " droit de nuire à lennemi ", les " ruses de guerre " sont codifiées et considérées comme licites par larticle 24 du règlement de 1907 et par larticle 37 du Protocole I de 1977. Elles y sont définies comme des << (...) actes ayant pour but dinduire un adversaire en erreur ou de lui faire commettre des imprudences, comme lusage de camouflages, de leurres, dopérations simulées et de faux renseignements >>. Leur licéité sarrête cependant au seuil de la " perfidie ", notion fort subjective que larticle 37 paragraphe 1 du même Protocole définit comme des << (...) actes faisant appel, avec lintention de la tromper, à la bonne foi dun adversaire pour lui faire croire quil a le droit ou lobligation daccorder la protection prévue par les règles du droit international applicable dans les conflits armés >>. Enfin et surtout, le souci des organes qui participent à la codification de la violence martiale de lui conférer une véritable portée normative. Ce souci est notamment perceptible au vu des énoncés des dispositions inscrites dans les différentes conventions établies : si elles ne sont pas toujours formulées sous la forme " impérative " - positivement dun ordre ou dune injonction, négativement dun interdit ou dune prohibition - dans la mesure où elles peuvent être " permissives " ou " habilitatrices " (ce que les acteurs étatiques peuvent faire ), elles ne se limitent jamais à un constat, à une description: elles comportent des prescriptions ( ce que les acteurs étatiques doivent faire ) et renvoient toujours à des sources supérieures auxquelles les acteurs étatiques doivent se conformer même dans le cadre de la violence martiale ; elles édictent des dispositions et fixent des règles auxquelles ils sont tenus dobéir. Ces deux derniers enseignements, qui lui donnent un caractère " dense ", conduisent à rechercher les explications de la codification de la violence martiale. B - Les explications de la codification de la violence martiale Au-delà de celle avancée par les Etats qui en prennent linitiative ( cf. supra. ), différentes hypothèses peuvent être proposées pour expliquer la codification de la violence martiale. On en retiendra essentiellement trois. La première réside dans la permanence du couple paix/guerre dans les relations entre acteurs étatiques. Le recours à la force armée étant une des formes possible et non définitivement supprimée de ces dernières, et lacte de violence, la guerre, étant << (...) la continuation de la politique par dautres moyens >> , il paraît nécessaire de soumettre son déroulement à des règles écrites afin de limiter autant que faire se peut ses dangers et ses dommages. On rejoint ainsi la " loi " formulée par P. BOURDIEU et relative à lélévation tendancielle des probabilités ou des " chances " de codification dune pratique ou dune réalité en fonction du potentiel de violence dont elle est porteuse : << (...) plus la situation est dangereuse, plus la pratique tend à être codifiée. Le degré de codification varie comme le degré de risque (...). Plus la ( pratique ) sera grosse de violence à létat potentiel, plus il faudra "mettre des formes", plus la conduite librement confiée aux ( rationalités ou à la coutume ) cédera la place à la conduite expressément réglée par un rituel méthodiquement institué voire codifié >>. Un paradoxe naît cependant du fait que cette régulation de la violence martiale par le droit écrit équivaut, comme le notent plusieurs professionnels du droit international, à <<(...) une véritable organisation de lillicite >> eu égard à " la mise hors la loi " de la guerre en tant quinstrument de politique nationale des acteurs étatiques, sauf hypothèse de légitime défense, depuis le Pacte Briand-Kellog entré en vigueur le 24 Juillet 1929 et la Charte des Nations Unies. Par ailleurs, cette hypothèse ne permet pas totalement dexpliquer les " effets de cycles " qui existent dans la codification de la violence martiale ( pourquoi cette entreprise est plus poussée à certains moments quà dautres ). La seconde hypothèse explicative tient aux finalités mêmes du recours à la violence martiale : acte de violence dont lobjectif est dimposer sa volonté à lennemi, la guerre inclut un moyen, la violence, et une fin fixée par le politique selon CLAUSEWITZ : non la victoire mais le retour à la paix. Pour cet auteur en effet, << (...) les fils principaux qui courent à travers les événements de guerre et auxquels ils se rattachent ne sont que des linéaments dune politique qui se poursuit à travers la guerre jusquà la paix >>. Dans cette perspective, la codification de la violence martiale ne vise ni à sa suppression, ni à sa disparition mais à créer les conditions de possibilité dun retour à la paix, finalité ultime de la guerre, à travers lencadrement et la soumission des comportements des acteurs étatiques qui y ont recours à certains principes écrits, à certaines valeurs communes. On peut, en paraphrasant J. CHEVALLIER, dire que le retour à la paix passe certes ici par la violence martiale ; cependant cette dernière est médiatisée par le droit : elle ne sexerce pas de manière spontanée, directe, immédiate mais est mise au service dun objectif politique et articulée à un système de contraintes dense et diffus dans lequel le droit écrit occupe une place majeure. La " force " de la codification juridique de la violence martiale est somme toute cette force proprement symbolique qui permet aux acteurs étatiques de recourir pleinement à la force armée en la faisant méconnaître en tant que force et en la faisant reconnaître, approuver, accepter par le fait quelle sinscrive dans la perspective du retour à la paix. Pas plus que la précédente cependant, cette hypothèse noffre la possibilité dexpliquer les " effets de cycles " observés dans la juridicisation de la violence martiale. Toutefois, elle permet de rejoindre implicitement la troisième explication possible. La troisième hypothèse explicative est celle de la légitimation par le droit de la violence martiale et de la rationalisation a posteriori du recours à des armes de plus en plus modernes par les acteurs étatiques dans les conflits armés grâce à la codification juridique. Dune part en effet, à travers les conventions établies, les acteurs étatiques - et notamment les plus puissants dentre eux - disposent dun " stock " de principes et de règles, enrichi en fonction des actions guerrières qui les ont mobilisés, dans lequel ils peuvent puiser pour légitimer leurs comportements au cours de ces dernières et stigmatiser ceux de lennemi. Vue sous cet éclairage, cette codification juridique participerait de stratégies permanentes dimposition de la frontière entre violence martiale institutionnalisée, homologuée, routinisée dans le jeu politique international et violence martiale relevant de laction politique non conventionnelle ; stratégies elles-mêmes indissociables dentreprises daffirmation dun pouvoir demprise international déployées par chacun. On peut ici parler dusages stratégiques et politiques des conventions de codification de la violence martiale : ces dernières nexistent pas en dehors du jeu des acteurs étatiques qui y ont recours car il est important pour eux, dans les actions guerrières qui les mobilisent, davoir le droit de la guerre pour soi. Il donne une force symbolique au point de vue du plus fort et transforme un point de vue intéressé en point de vue incontestable et légitime car fondé en droit. Dautre part, lénumération précédemment opérée révèle que la codification juridique de la violence martiale est stimulée, au moins pour partie, par les progrès technologiques réalisés en matière dexercice de laction guerrière ; innovations technologiques généralement " testées " au cours dun conflit précédant le travail de " mise en droit ". Aussi lhypothèse peut être faite que la régulation juridique de la violence martiale est au moins autant la conséquence du " besoin " ou de la " nécessité " dun dispositif daction régulant cette pratique que dune " volonté " délibérée détablir une surface dinscription enregistrant avec plus ou moins de fidélité les mouvements capricieux et récurrents qui agitent linnovation en matière de technique guerrière. Ces trois hypothèses explicatives sont en réalité loin dêtre dissociables et peuvent même être complémentaires. Mais il reste que la codification juridique de la violence martiale comporte de nombreuses équivoques.
II - Les équivoques de la codification de la violence martiale La codification juridique de la violence martiale comporte des incertitudes et paradoxes générateurs déquivoques qui, pour certains, conduisent à poser la question de sa pertinence. Cest dabord la question de leffectivité des normes juridiques qui encadrent lexercice de la violence martiale ( A ) ; cest ensuite lexistence du " flou " dans la régulation de la violence martiale ( B). A - La question de leffectivité des normes qui encadrent lexercice de la violence martiale Leffectivité des conventions de codification qui encadrent lexercice de la violence martiale dans le cadre des conflits armés internationaux fait problème en raison de leur normativité relative ( 1/.), mais aussi parce que leur positivité est déniée par de nombreux spécialistes du droit international ( 2/. ). 1/. Une normativité relative Le premier paradoxe de la codification de la violence martiale réside dans la normativité relative des conventions établies. Différents éléments témoignent de cet état de fait. Dune part, le contenu de certaines normes codifiant la violence martiale reste trop controversé du point de vue des obligations pour réguler utilement la conduite des Etats. Cet élément de "dilution de la normativité " , indissociable de la nature spécifique de la violence martiale, peut être illustré par larticle 51 paragraphe 4 (b) du Protocole Additionnel I qui << (...) interdit les attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent être dirigés contre un objectif militaire déterminé >>. Or, non seulement les acteurs étatiques - et notamment les plus puissants - usent désormais de plus en plus de la " technologisation " en présentant les moyens de combat auxquels ils ont recours dans un conflit armé comme des " armes intelligentes ", de " précision " ou " non létales " , mais encore, comme le montre H. MEYROWITZ, ils ont chacun leur propre définition des " objectifs militaires déterminés " ; celle-ci, indissociable de leur stratégie guerrière, rendra possible une rationalisation a posteriori des violations des conventions de codification de la violence martiale dont ils se seront rendus coupables. Dautre part, le rapport des conventions de codification de la violence martiale à la configuration des forces au plan international est complexe : tout se passe comme si ces conventions ne pouvaient pleinement remplir leur fonction quà condition que soient transcendés leurs conditions délaboration, occultés le poids et la pression des grandes puissances militaires dans leur production, effacées les traces de leur généalogie politique : elles ne se présentent plus alors comme des produits contingents dun rapport de force politique circonstanciel et susceptible de réévaluation périodiques, mais comme parées des attributs de la nécessité et de lincontestabilité. Enfin et surtout, lapplication des règles conventionnelles en matière de violence martiale, lors des conflits armés internationaux, dépend du contenu des liens contractuels des parties : dans ce domaine plus que dans dautres, le principe demeure que les conventions établies ne lient que les Etats qui y sont devenus parties et ne peuvent créer dobligations à la charge dEtats tiers. Ce principe est cependant largement atténué par deux éléments : dabord, bien que la violence martiale soit encadrée par des règles écrites, tous ses aspects nont pu être codifiés et les conventions de codification doivent être complétées en cas de besoin par le recours à la coutume qui conserve sa validité ; ensuite la norme conventionnelle peut créer des obligations simposant à tous les Etats, y compris à ceux qui ne sont pas parties à la convention, soit quand elle a acquis la qualité de règle de droit coutumier ( cas par exemple de la IVè Convention de la Haye de 1907 relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre à laquelle nest partie aucun des Etats nés après la première guerre mondiale ) , soit encore quand elle constitue << (...) un résumé de ( règles ) minima dhumanité dont lobservation est imposée impérativement dans toute lutte armée entre collectivités politiques >>. Or ce sont précisément ces règles qui ne sont pas toujours observées par les belligérants et cette normativité relative des conventions de codification de la violence martiale est un nouveau signe du faible degré dinstitutionnalisation de la société internationale dans laquelle elles sinscrivent. 2/. Une positivité déniée La positivité des conventions de codification de la violence martiale est par ailleurs déniée par de nombreux professionnels du droit international ; ceux-là même qui, au moins en tant que producteurs de biens doctrinaux , ont souvent participé à cette entreprise. Il faut ici sinterroger sur léconomie de ce déni de la positivité du jus in bello par ces professionnels. Lactivité de codification implique la fin du " flou ", du vague, des frontières mal définies entre le " conventionnel " et le " non conventionnel " ; coder cest " mettre en formes " dans le langage du droit des principes, des valeurs communément intelligibles. Toutefois, << entre lédiction du texte et son application sinterpose lentre-deux de linterprétation : le texte ne se présente plus comme porteur dune vérité incontestable, simposant par voie dévidence ; encore faut-il que les significations quil recèle soient décantées par le filtre de linterprétation. (...) Si elle ouvre un espace dincertitude dans le droit, linterprétation apparaît en même temps comme un moyen de le refermer, en dissipant lobscurité que les textes recèlent, en tranchant entre les différentes lectures possibles, en " fixant " le sens du texte, en " arrêtant " la dérive des significations : ainsi conçue, linterprétation se présente comme un acte dautorité, dont la portée dépend de la qualité et des attributs de celui qui lénonce >> ,. On comprend alors que la critique de ces spécialistes du droit international participe en réalité des " mécanismes dautorisation " , basés sur leur compétence propre en matière de jus in bello, dont dépend leur accès et leur maintien dans le statut dinterprètes légitimes des conventions de codification de la violence martiale ; elle sinscrit aussi dans la perspective de " lillusion " de la " paix par le droit " quils partagent largement. Pour ces spécialistes, cette codification serait dabord inutile parce que toujours en retard dun conflit : établies sur les expériences du conflit précédent, les conventions de codification de la violence martiale seraient inapplicables au conflit suivant en raison des progrès rapides accomplis en matière de technique guerrière dans lintervalle. La codification de la violence martiale serait ensuite vaine et inefficace. Vaine car, dans la pratique, elle nimpressionne pas les belligérants qui lont toujours violée lors de toutes les guerres: chaque conflit armé denvergure qui éclate est ainsi loccasion de vérifier que les règles conventionnelles conçues antérieurement ou bien ne sont pas appliquées par ces belligérants, ou bien ne le sont pas intégralement, compte tenu de léquilibre précaire à assurer par chaque partie au conflit entre les " nécessités militaires " ou impératifs de guerre, autrement dit le déchaînement de la violence martiale, et les impératifs humanitaires qui sefforcent de limiter les excès inhérents au recours à la force armée. Inefficace aussi car les conventions de codification établies souffrent dun déficit " dexigibilité " , à savoir lincapacité dobtenir lexécution de la norme par les destinataires, au besoin contre leur gré. Lexigibilité a pour soubassement la " sanction " mais elle << (...) ne sy réduit pas, dans la double mesure où il est rarement nécessaire dy recourir - lexécution étant généralement acquise spontanément par le seul jeu de la puissance persuasive du droit, et où dautres moyens ( par exemple des mesures de rétorsion ) peuvent être mobilisés pour lobtenir >>. Or, comme le déplorent RJ DUPUY, NGUYEN QUOC DINH, P. DAILLER et A. PELLET, " lexigibilité " nexiste pratiquement pas dans le droit des conflits armés internationaux ; elle en est plutôt un " mythe " : certes les Conventions de 1949 prévoient une responsabilité internationale, généralement pécuniaire , de lEtat auteur dun manquement mais << (...) le châtiment des criminels de guerre ( cest-à-dire dacteurs ayant violé les conventions de codification de la violence martiale ) demeure un événement exceptionnel >> ; et ils ajoutent << (...) tant quune responsabilité pénale de lindividu en droit international ne sera pas pleinement instituée, il ny aura pas de sanctions effectives contre les actes individuels de violation >> des normes régulant la violence martiale. Lobservation faite par JJ. ROUSSEAU dans son Jugement sur la paix perpétuelle, pour qui << les conventions sans un glaive ne sont que paroles dénuées de la force dassurer aux gens la moindre sécurité >> , trouve ici une nouvelle actualité. En conclusion de leurs critiques, ces professionnels du droit international estiment quil serait préférable de renoncer à codifier << (...) cette matière juridique incertaine quest la guerre >> pour reporter lattention sur la " mise en droit " de la " paix ". On peut toutefois se demander si cette montée en généralité ne susciterait pas les mêmes critiques. Une hypothèse peut néanmoins être avancée pour expliquer cette proposition : le corpus juridique qui encadre lexercice de la violence martiale dans les conflits armés internationaux est, pour ces professionnels du droit international, difficile à manipuler dans le cadre de linterprétation en raison de la prépondérance des positions prises et exprimées dans ce domaine par les acteurs étatiques. Doù lidée de " décentrer " lentreprise de codification vers la " paix " ; domaine dans lequel, parce quil reste imprécis et vaste aux plans conceptuel et pratique, ces professionnels du droit retrouveront leur capacité et leur tendance à concurrencer tout en lorientant la parole des acteurs étatiques. B - La prégnance du " flou " et du " non-droit " dans la régulation de la violence martiale La codification juridique de la violence martiale ne signifie pas quelle parvienne totalement à encadrer cette pratique ; au contraire si on inverse la perspective danalyse en la centrant sur les " vides ", les " blancs ", les " silences ", les " lacunes ", on se rend compte que la part du " flou " reste prédominante ( 1/. ) et que celle du non-droit est considérable ( 2/. ). 1/. La prédominance du " flou " Pour comprendre la prédominance du " flou " dans la codification de la violence martiale, il faut dabord partir de lidée que cette dernière correspond à une violence dEtat, au double sens de violence dont la monopolisation tendancielle est le fondement ultime de lautorité du pouvoir politique mais aussi de violence exercée par larmée sur ordre du pouvoir politique de lEtat, dont ce dernier peut par conséquent poser les principes de régulation et qui peut être dirigé contre lui. Aussi les acteurs étatiques sefforceront-ils de préserver une dose de " flou ", par exemple en matière de différenciation entre " objectifs militaires " et " objectifs illicites " ; ce qui leur permettra de conserver une marge de manoeuvre dans lexercice de la violence martiale et est également une condition de leur emprise politique ainsi que de leur indépendance. Tout se passe en effet pour ces acteurs comme si, dans la mesure où la codification juridique est porteuse de limitations des " jeux " autour de la violence martiale, ils réalisent quen poussant trop loin son encadrement par le droit écrit ils verraient surgir des contradictions à chaque acte quils posent dans ce domaine. 2/. Limportance de la part du " non-droit " La codification juridique de la violence martiale est enfin de plus en plus concurrencée, complétée, subvertie par tout un ensemble de technologies déployées par les acteurs étatiques et qui, usant dautres ressorts, tendent à rationaliser, standardiser et créer les conditions de possibilité de lacceptabilité politique et sociale de la violence martiale aux plans interne et international. Cest le cas par exemple du discours euphémique ou, plus généralement, de la " mise en scène " médiatique ; technologies dont le recours par les acteurs étatiques - principalement occidentaux - sexplique par trois phénomènes complémentaires : dune part, la volonté de renforcer la juridicité des conventions de codification de la violence martiale, dans la mesure où la " force du droit " est aussi liée au jeu des croyances ; dautre part labaissement dans les opinions publiques du seuil de tolérance à la violence, qui explique que le potentiel de réprobation suscité par la violence martiale demeure élevé quelque soient les systèmes de légitimation qui la requalifient ; enfin le contraste des sentiments, " scandalisation" et/ou fascination, que suscitent dans lopinion publique interne et internationale les images de violence guerrière complaisamment diffusées par la télévision dans une logique commerciale. On peut pour conclure dire que la violence martiale apparaît bien comme une pratique difficilement codifiable et que les conventions établies débouchent plus sur un " droit de coordination ", caractéristique de la " sociation " que forment en réalité les acteurs étatiques et tirant pour lessentiel sa force de leur seule volonté ainsi que des considérations éthiques auxquelles acceptent de se soumettre leurs dirigeants, que sur un " droit dintégration " dont les normes, communément acceptées par ces Etats en raison de la "communauté " quils constituent, simposeraient par nature à eux. Ces conventions de codification de la violence martiale imposent néanmoins des restrictions, des limitations et des interdictions dans la conduite par les acteurs étatiques des opérations guerrières et, bien que leur normativité soit relative, elles constituent des vecteurs de diffusion et dinculcation des valeurs qui en sont les soubassements. |