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NOUVELLES DU GRAP Colloque des 24 et 25 juillet 1996 Organisé par le GRAP, avec le concours de l'Association Africaine de Science Politique et de la Fondation F.EBERT - Yaoundé "Les ASPECTS JURIDIQUES ET POLITIQUES DE LA REFORME CONSTITUTIONNELLE DU 18 JANVIER 1996"
Maurice ENGUELEGUELE IRIC - GRAP/CURAPP - CNRS
Rapport Général Le Groupe de Recherches Administratives et Politiques a organisé, avec le concours de l'Association Africaine de Science Politique et de la Fondation F. EBERT de Yaoundé, un colloque les 24 et 25 Juillet 1996 : réunissant les membres de l'équipe, ainsi que des étudiants de troisième cycle, ce colloque, auquel ont accepté de participer de nombreux intervenants extérieurs qu'il convient ici de remercier, a été l'occasion d'un travail de réflexion collective particulièrement fructueux dont ce rapport ne suffira pas à rendre compte. L'objectif du colloque était d'analyser les aspects juridiques et politiques de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996. Cette entreprise ne pouvait être engagée qu'en formulant comme postulat de départ l'autonomie, au moins relative, du droit constitutionnel et du politique au CAMEROUN comme dans de nombreux pays africains et occidentaux (Doyens MELONE et MINKOA SHE, SINDJOUN L ., ENGUELEGUELE M., MENTHONG HL., BOYOMO.,) : certes droit constitutionnel et politique ont-ils partie liée, si tant est que la norme constitutionnelle est simultanément le produit de rapports de forces politiques ainsi qu'un instrument privilégié d'objectivation de l'ordre politique et de régulation des comportements politiques ; mais la rationalité juridique qui imprègne toute norme constitutionnelle et la rationalité politique ne peuvent être pour autant ramenées l'une à l'autre. Bien qu'ils soient en interaction constante, l'ordre du droit et celui du politique ne se confondent pas et une "tension nécessaire" existe entre eux. Sur la base de préalables, les travaux ont tourné autour de trois interrogations qu'on tentera de rappeler brièvement. I - La nature du processus dont le loi n° 96/06 est l'aboutissement et celle de ce texte ? A - La nature du processus ? (MBOME, Doyen MELONE, GUIMDO, Doyen MINKOA SHE, DONFACK, SINDJOUN L.,...) Cette interrogation générale a été abordée à travers plusieurs questions : la loi n° 96/06 consacre-t-elle une révision constitutionnelle (pouvoir constituant institué) ? S'agit-il de l'élaboration d'une nouvelle constitution (pouvoir constituant originaire) ? Quels sont les critères pertinents à retenir afin d'opter pour l'une ou l'autre interprétation (OLINGA) voire pour adopter une position "médiane" ou "minimaliste" (Doyen MINKOA SHE)? Le débat est resté ouvert et les ambiguïtés à l'oeuvre dans le champ politique camerounais autour de ce questionnement, largement entretenues par les autorités politiques (Doyen MELONE, MBOME, MENTHONG), se sont révélées être le signe non d'une incompétence ou d'un déficit de coordination mais plutôt l'expression de compromis politiques qui rendent compte des investissements multiples à l'oeuvre dans et autour du processus dont la loi n° 96/06 est l'aboutissement, de la pluralité des enjeux politiques qu'il recouvre, de la diversité des transactions et gages entres acteurs politiques en son effectuation a supposé, de l'éclatement des anticipations quant aux usages de cette loi que font les acteurs politiques camerounais mais aussi les interprètes du droit. B - La nature du texte ? (SINDJOUN L., Doyen MINKOA SHE, ENGUELEGUELE M,...) La nature exacte de la loi n° 96/06 a également été l'objet d'interrogations : texte juridique ? politique ? Droit politique ? Texte juridique à portée politique pour l'essentiel symbolique ? Cette troisième interprétation a eu la faveur des participants et les travaux ont permis de mettre en lumière la double dimension de ce symbolisme. D'une part en effet, la loi n° 96/06 renvoie à une prescription d'un ordre particulier : l'important est qu'elle ait été adoptée et promulguée ; si son application intégrale ne suit pas, si elle n'est pas complètement mise en oeuvre, c'est parce que l'enjeu qu'elle recouvre semble résider dans l'obtention par les autorités politiques camerounaises d'un "effet d'annonce" auprès de l'opinion publique interne et internationale. A sa façon, l'effet d'annonce est un fait, un changement, car il modifie les perceptions, les attentes ou mêmes les comportements. Il peut obéir à plusieurs intentionnalités : désamorcer pour un temps les pressions qui s'exercent sur ces autorités politiques ; envoyer des messages à des publics spécifiques, pour leurs dire que des solutions sont recherchées à leurs problèmes, mais en renvoyant à plus tard les mesures d'exécution concrètes. D'autre part, la portée symbolique de la loi n° 96/06 ne signifie pas pour autant que ce texte soit dénué de toute positivité : non seulement il est producteur d'une police des conduites et d'une disciplinarisation des comportements des acteurs politiques camerounais, mais encore il contribue à façonner les limites du champ du possible sur les plans juridique (droit pénal, droit du travail respect des droits et libertés individuelles -Doyens MELONE et MINKOA SHE, MBENDANG, BOYOMO ASSALA, DONFACK SOKENG, MOLUH YACOUBA, MOUELLE KOMBI) et politique au Cameroun (rapports de force entre les institutions, organisation territoriale de l'état, coexistence de groupes sociolinguistiques différents - HOND, MOUELLE KOMBI, GUIMDO, NKOUM-ME-NTSENY). II - L'économie du texte Le second questionnement a porté sur l'économie générale du texte de la loi n° 96/06 ; la richesse des travaux étant ici liée au croisement de trois grilles d'interprétation des constitutions : l'analyse généalogique, l'analyse de contenu et un début d'analyse structurale. A - L'analyse généalogique (Doyens MELONE et MINKOA SHE, MBOME, BOYOMO A., SINDJOUN POKAM ) L'objectif de l'application de cette grille d'analyse était de tenter de restituer certaines des conditions de production de la loi n° 96/06 à partir de multiples éléments ; ce texte apparaissant alors non pas comme un produit mais comme un effet . L'analyse généalogique a pour spécificité de ne pas partir du postulat selon lequel l'investigation historique n'a de légitimité que dans la recherche d'indices confirmant la valeur d'un modèle, par exemple d'une "institution" ; elle ne pose pas non plus l'existence d'un pur déterminisme causal conduisant à envisager le problème de la formation-transformation en terme de production : << elle donne priorité à la recherche d'éléments hétérogènes, disparates, divers dont la réunion conduit de manière contingente à l'émergence de la singularité étudiée >>. Plusieurs intervenants ont d'abord émis le souhait que les professionnels du droit qui ont participé à l'élaboration de la loi n° 96/06, à un moment où à un autre, et qui ont rendu compte de leur expérience au cours du colloque, poursuivent leur oeuvre par la retranscription des conditions de préparation et de rédaction de ce texte mais aussi que les politistes ou chercheurs en science politique consacrée à l'étude des rôles des professionnels du droit dans les enceintes autorisées de préparation et de rédaction de la loi constitutionnelle n° 96/06 a ainsi été avancée). L'analyse généalogique de la loi n° 96/06 a ensuite permis de mettre en lumière trois choses : la différenciation des enjeux ou intérêts sous l'emblème desquels se sont situés, mobilisés et positionnés les différents participants à l'entreprise de rédaction de la loi n° 96/06 ; la pluralité des modèles constitutionnels qui ont inspiré ses rédacteurs ( modèles constitutionnels anglais, français, espagnol, mexicain, canadien,...) ; enfin la difficulté pour les professionnels du droit et de la politique qui ont participé à l'élaboration de ce texte de penser la continuité et de dire l'innovation en droit politique dans une conjoncture politique et sociale fluide. B - L'analyse de contenu (Doyens MELONE et MINKOA SHE, BOYOMO A., GUIMDO, NKOUM-ME-NTSENY, TATAH MENTAN, MOUELLE KOMBI, MBENDANG,MENTHONG, HOND, KODJOU, DONFACK SOKENG, MIAFFO ) Bien que la démarche soit périlleuse, dans la mesure où tous les énoncés de la loi n° 96/06 n'ont pas encore été confrontés au réel et que le risque d'une lecture partielle ou partiale soit par conséquent important, les travaux ont permis d'identifier les nombreuses avancées contenues par ce texte : constitutionnalisation du préambule de la constitution et création d'un bloc de constitutionnalité ; mise en place d'un contrôle de constitutionnalité dont le double rôle est de veiller au respect de la séparation des communication ; constitutionnalisation du droit privé et du droit du travail ; différenciation de l'espace public et déplacement de "l'unité de survie" du national vers le local ; internationalisation progressive de l'ordre juridique interne ; responsabilisation politique et financière des autorités politiques et administratives ;... Plusieurs interventions ont cependant montré que ces avancées manifestes dissimulaient de nombreuses contradictions politiques ( TATAH, MENTHONG, GUIMDO ) et antinomies juridiques (Doyen MINKOA SHE, MBENDANG ), implicites ou explicites. La trame du texte traduit, si on se limite à lui appliquer une analyse de discours classique, le souci conscient ou inconscient d'innovation en même temps que de stabilité ; des figures discursives imprécises et des règles dont la normativité est "relative" ou "variable" ( Doyen MELONE) sont ainsi convoquées pour tenter d'adopter le texte aux événements et a la conjoncture extrêmement "fluide" du champ politique et social camerounais. Faut-il déplorer l'existence de ces contradictions politiques et antinomies juridiques ? je ne le crois pas, ceci pour plusieurs raisons. D'abord la loi constitutionnelle n° 96/06 n'a pas encore révélé toutes ses potentialités pratiques. Et si on part du postulat de l'interdépendance de ses différents énoncés, une disposition aujourd'hui appliquée de manière isolée pourrait être contraire à une autre non encore appliquée, alors que la perspective serait inversé en cas de confrontation simultanée des deux dispositions avec le réel. Ensuite, ces contradictions politiques et antinomies juridiques sont le signe du caractère dynamique du nouveau droit politique camerounais : c'est à partir de leur identification et de leur analyse que ce dernier sera amélioré, perfectionné. Enfin il faut s'interroger sur les conditions de possibilité de la mise en lumière de ces contradictions politiques et antinomies juridiques : elles résultent au moins autant des imperfections du texte lui-même que de la pluralité des grilles de lecture sollicitées pour l'analyser ; chaque grille de lecture permet de dévoiler certains éléments du texte et la juxtaposition de toutes conduit souvent à des interprétations contradictoires, antinomiques. C - L'analyse structurale (MENTHONG, Doyens MELONE et MINKOA SHE, BOYOMO A., SINDJOUN, MIAFFO,...) Le point fort des travaux a sans conteste été le début d'application de l'analyse structurale à la loi n° 96/06. Cela supposait, par application du principe d'immanence, que le texte soit étudié dans sa logique interne, à l'exclusion de toute prise en compte de ses conditions de production ou des filiations auxquelles il est susceptible de se rattacher. Envisagée de manière synchronique, la loi n° 96/06 a été considérée comme une totalité, composée d'un ensemble d'éléments interdépendants et en interaction constante, qui n'ont de sens que dans /par les relations qui les unissent ; le signifiant de chaque énoncé de cette loi étant ainsi fonction de la place qu'il occupe dans le système syntagmatique (enchaînement d'énoncés) et paradigmatique (classes d'équivalences) qu'il entretient avec les autres énoncés. Par ailleurs, à la différence de l'analyse de contenu évoquée précédemment et qui repose sur le postulat de la transparence, l'analyse structurale avait pour but de découvrir l'ordre caché qui gouverne le texte : cette démarche méthodologique apparaît au terme de l'identification du système de relations unissant les divers énoncés. Contrairement au "structurel", immédiatement perceptible et observable, le "structural" ne peut être directement repéré et expliqué : pour en dégager l'économie, le texte doit faire l'objet d'un processus de déconstruction / reconstruction, permettant de faire émerger les significations sous-jacentes de son élaboration et de son contenu. L'application d'une analyse de type structurale à la loi n° 96/06 a permis d'identifier des enjeux de la préparation et de la rédaction de ce texte ; de repérer les stratégies adaptées par les acteurs qui ont participé à son élaboration ; de mettre en lumière leurs transactions, les gages qu'ils ont dû échanger, les alliances et retournements d'alliances qui ont marqué ce processus. Elle a par ailleurs ouvert la possibilité de dégager deux enseignements au moins du processus dont la loi n° 96/06 est l'aboutissement. D'une part, loin de présenter les données d'une représentation homogène et unique des "règles du jeu" qui doivent désormais réguler le politique au Cameroun, cette loi constitutionnelle apparaît comme un texte dont les raisons d'être et les fondements sont éclatés et pluriels ; elle est ainsi le produit d'une succession de compromis et "d'arrangements" entre les acteurs qui ont participé à sa rédaction et à son adoption, postérieurement rationalisés par les professionnels du droit et de la politique. D'autre part, la dynamique discursive du rituel institutionnel explique la forme du texte : sa structure lexicale et syntaxique mêle formellement des dispositions politique et juridique, programmatiques et d'application immédiate ; ces dernières s'inscrivant en plus dans des catégories normatives différenciées. La faiblesse des travaux sur ce point tient cependant au fait que les participants n'aient pas suffisamment insisté sur l'analyse de la réception de la loi n° 96/06 dans les champs politique et juridique camerounais. Sans doute, cette absence est-elle liée au caractère trop récent du texte. III- Les perspectives ouvertes par l'analyse de la loi n° 96/06 Enfin, les travaux ont ouvert différentes perspectives de recherche. La première renvoie à la problématique de l'efficacité de la loi n° 96/06. Deux thèses ont été avancées par les participants. Celle d'abord d'une effectivité conditionnée par la force prescriptive des énoncés du texte et par le potentiel "d'exigibilité" dont il est porteur (GUIMDO, MBENDANG, EBOLO). Celle ensuite d'une effectivité qui ne se mesure pas uniquement à la seule force prescriptive des énoncés du texte, car ce dernier est aussi imprégné de valeurs fondamentales, de "conventions" qui assurent la cohésion transcrivent les déterminations élémentaires qui sont au coeur de l'ordre social : dans la loi n° 96/06 comme dans toute norme juridique se profile une certaine conception de la " normalité", pétrie des représentations sociales dominantes. Or le droit est un vecteur privilégié de diffusion et d'inculcation de ces valeurs et de ces normes, dans la mesure où la conjugaison de la systématicité et de la force prescriptive confèrent à son discours une singulière puissance persuasive, en le parant du privilège de l'incontestabilité ; les représentations qu'il véhicule bénéficient en effet par projection tout à la fois de l'aura de la rationalité qui enveloppe l'ordre juridique tout entier et de l'autorité qui s'attache à ses énoncés : << la force obligatoire n'est (donc) pas limitée au dispositif instrumental, elle s'étend aux valeurs qui en sont le soubassement >>. Le débat relatif à la prédominance de l'une ou l'autre thèse est resté ouvert et les participants ont convenu qu'il était important d'y revenir au cours d'un prochain colloque. La seconde perspective théorique ouverte est celle des usage sociaux du droit : les travaux ont en effet permis de confirmer l'idée que la norme n'existe pas en dehors du jeu des acteurs. C'est à travers les usages du droit, conditionnés par les rapports de forces politiques, que les acteurs définissent la norme et lui confèrent sa force contraignante. La norme ne s'applique que lorsqu'elle rend compte des rapports de force : les agents politiques la mobilisent comme ressource dans le jeu politique car il est important pour eux d'avoir le droit pour soi. Ce n'est pas seulement l'interprétation au point de vue du plus fort : un point de vue partisan et intéressé est transformé en point de vue incontstable et légitime car fondé en droit. Les travaux se sont achevés sur le souhait unanime des participants que la perspective de recherche pluridisciplinaire ouverte par le colloque sur les "aspects juridiques et politiques de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996" soit renouvelée et sur des félicitations adressées au GRAP ainsi qu'à son Directeur, L. SINDJOUN. P.S.: 1 - Les actes du colloque des 24 et 25 Juillet 1996 seront publiés en Septembre de cette année grâce à un soutien financier de la Fondation F. Ebert. 2 - La recherche, menée autour du thème "Etat, société et changement au Cameroun" grâce à un soutien financier et intellectuel du CODESRIA, sera portée à la connaissance du public sous la forme d'un ouvrage collectif enrichi de la préface de Achille MBEMBE et de la postface de Mamadou DIOUF. L'équipe des contributeurs comprend : - Hélène Laure MENTHONG "Mutations politiques et champ scolaire: l'école aux politiciens"; Laurent Charles BOYOMO ASSALA "Média et démocratie"; Martin Dieudonné EBOLO "Dialectique d'émancipation et d'assujetissement de la société civile"; George KOBOU "Ajustement structurel et exclusion sociale"; Léopold DONFACK SOKENG "Etat, autoritarisme, ajustement problématique aux libertés publiques"; Louis-Marie Magloire NKOUM-ME-NTSENY ""Question anglophone", libéralisation politique et crise de l'Etat-Nation au Cameroun : "les ennemis dans la maison"?"; Patrice BIGOMBE LOGO "Changement politique et dynamiques dinstrumentalisation de "lethnicite kirdi" au Cameroun septentrional : éléments danalyse politiste"; Luc SINDJOUN "Le paradigme de la compétition électorale dans la vie politique camerounaise. |