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Les " nouvelles " politiques africaines de la France et des États-Unis vis-à-vis de lAfrique centrale et orientale (" Afrique des Grands Lacs " et République démocratique du Congo-Zaïre)
par André Guichaoua Université de Lille I
Aborder ce sujet dans le contexte actuel où les accusations respectives de " paranoïa " anti-américaine ou anti-française sont devenues courantes aussi bien dans la presse que dans les sphères dites " proches des milieux officiels " présente bien des difficultés. Le titre, déjà, renvoie à bien des présupposés. Jen énumérerai dès le départ au moins deux : - si les politiques africaines de la France et des États-Unis ont bien été reconsidérées depuis la fin de la politique des blocs Est-Ouest, peut-on vraiment parler de " nouvelles politiques " dans cette région de lAfrique, en particulier depuis 1994 ? Aujourdhui, entre la France qui prétend en avoir une, sans que lon puisse savoir précisément en quoi elle consiste et qui la définit, et les États-Unis qui proclament à qui veut les entendre quils nen nont pas, tout en étant directement ou indirectement omniprésents sur tous les fronts, il nest pas aisé de trancher; - par ailleurs, les appellations géographiques elles-mêmes font désormais problème puisque le terme de " région des Grands lacs " est récusé, entre autres, par le nouveau pouvoir rwandais qui y voit une survivance de lex-Congo/Ruanda-Urundi et qui sestimait, au moins jusquà la fin 1996,membre de lAfrique orientale. De même, le Burundi du major Pierre Buyoya se refuse vigoureusement à toute intégration dans ce qui est perçu comme la nouvelle Great Horn of Africa, sans parler du nouveau Congo condamné à lécartèlement entre ses tropismes anciens et probables. Les points suivants seront successivement abordés, certains de manière assez succincte : 1. LES ANTECEDENTS DES PRESENCES AMERICAINE ET FRAN"AISE EN AFRIQUE CENTRALE Un rapide retour sur la position de cette région dans les enjeux internationaux simpose. Il se limitera à quelques éléments historiques essentiels. Sans revenir sur les conflits politiques qui ont marqué laccès du Zaïre à lindépendance et sur la consolidation du pouvoir de Joseph-Désiré Mobutu, on ne peut manquer de rappeler, comme les médias le font depuis quelques mois en parlant du " lâchage américain ", tout ce que le régime Mobutu doit aux États-Unis depuis 30 ans, cest-à-dire très précisément depuis son installation jusquà son départ, y compris pendant les périodes les plus difficiles du début des années 90. Est moins connue par ailleurs lancienneté de limplication américaine aussi bien au Congo belge que, plus tard, dans la région des Grands lacs proprement dite. Ainsi, on mentionnera les débats, suscités en Angleterre en 1940 sur le contrôle du Congo et la gestion de ses richesses, puis surtout les accords secrets confiant lexploitation de luranium congolais à une structure militaire relevant du gouvernement américain en septembre 1944 pour une période de 10 ans, accords qui seront renégociés en 1951. La politique de mainmise sur les matières premières stratégiques congolaises censées assurer la primauté des États-Unis en matière darmement nucléaire ainsi que la défense des autres intérêts économiques américains (diamant, pétrole, etc.), face aux Allemands tout dabord puis aux Russes ensuite, précède donc même la création dun Bureau des affaires africaines au sein du Département dÉtat en juillet 1958 ! On soulignera encore que lassassinat de Patrice Lumumba, le 17 janvier 1961, décidé et mis en oeuvre avec ladministration dEisenhower et accompli lors de linstallation de celle de J.-F. Kennedy, ne sappuya même pas sur le soupçon de sympathie communiste comme le reconnurent ultérieurement les rapports américains : " il nétait tout simplement pas un être rationnel " rapporta le sous-secrétaire dÉtat Dillon devant le Senate Intelligence Committee en 1975. Avec lélimination de Moïse Tshombe (révoqué en octobre 1965) puis de Joseph Kasa-Vubu déposé un mois après, cest à nouveau ladministration américaine (en étroite relation avec les conseillers militaires belges) qui joua un rôle décisif dans le choix, la promotion et linstallation au pouvoir de celui qui leur apparut alors incarner limage du " chef rationnel ", le colonel Joseph-Désiré Mobutu. Mais limplication américaine ne concerna pas que le " riche " Congo dalors et engloba, dès leur accession à lindépendance, le Burundi et le Rwanda dont lintérêt stratégique fut considéré comme important. Elle sexprima en particulier par la volonté dimplanter une base américaine au Burundi, susceptible de servir de point dappui face aux risques déclatement du Congo. La pression sur le gouvernement burundais devint très forte particulièrement en 1964 pour obtenir des autorités dalors un pied à terre dans la plaine de lImbo, demande qui sera finalement refusée. Du fait de lhostilité des autorités burundaises, le projet fut reporté sur le Rwanda anticommuniste de la " Révolution sociale ", qui avait quant à lui besoin de lappui belge et américain confronté quil était aux tentatives de reconquêtes des exilés tutsi, considérés, dans le discours dominant de lépoque, comme " pro-communiste ". Exilés qui trouvaient des soutiens décisifs à Bujumbura dont les dirigeants entretenaient de bonnes relations avec les pays communistes et iront même jusquà reconnaître la Chine en 1965 ! Dans sa lutte contre la restauration des " féodo-monarchistes " soutenus par les pays communistes, les nouveaux dirigeants rwandais bénéficièrent de manière continue de lappui ferme de lOccident qui les rangeait dans le bon camp. La possibilité dutiliser le Rwanda comme relais en cas de nécessité et l" unité " zaïroise finalement parachevée, la base américaine ne vit pas le jour. Elle constituera néanmoins un thème rémanent de la politique extérieure rwandaise et lhypothèse selon laquelle les Américains auraient fait chuter Grégoire Kayibanda, le premier président de la République, à cause de son refus personnel de voir installer cette base américaine dans le Bugesera, sera ensuite avancée par diverses personnalités rwandaises. Nous retiendrons ensuite brièvement que la France commença à poser des jalons dans ces divers pays dès la fin des années 60, mais ce nest vraiment quau début des années 70 quelle devint vraiment active dans cette région " francophone ". Au Zaïre, elle profita à la marge de louverture du jeu économique lié à la " zaïrianisation " des grands groupes miniers effectuée en 1974 et conforta son assistance militaire ; au Burundi, il sagit également de livraisons de matériels militaires et de formation au début des années 70 ; au Rwanda enfin, un " accord particulier dassistance militaire " concernant lorganisation et linstruction de la gendarmerie sera signé en juillet 1975. Dune manière générale, la France, peu engagée jusque là, disposa dune marge de manoeuvre beaucoup plus grande que la Belgique, très liée aux régimes rwandais et souvent empêtrée dans des enjeux passionnels au Zaïre. En fait, ce fut Valéry Giscard dEstaing qui engagea une politique de présence offensive sur cette région pionnière et y supplanta pour lessentiel la Belgique au niveau militaire. Cet engagement prolongea celui couvrant le " pré carré " africain traditionnel de Paris et sétendit jusquà la " ligne de front " autour de lAfrique du sud où lassistance militaire relevait principalement des Américains. Cette répartition des tâches fut entériné par les États-Unis à partir de 1975, la France se voyant confier de facto un statut de chef de file sur le plan militaire pour ces trois pays. Ce rôle, internationalement reconnu, de gendarme de lensemble de lAfrique francophone suffit apparemment à satisfaire la grandeur française même si la prééminence militaire ne se traduit pas par des contreparties financières ou économiques majeures. La France prospecta le sous-sol au Burundi et au Rwanda sans grand succès et surtout, au Zaïre, elle ne réussit pas à entamer les positions belges et anglo-saxonnes dont la rentabilité cependant était en déclin du fait du sous-investissement productif. Elle bénéficia toutefois des relations privilégiées nouées entre Kinshasa et Brazzaville où les banques (relevant de la zone franc) et limport-export tirent profit de linstabilité chronique de léconomie et de la monnaie zaïroises. Cette division des fonctions et des bénéfices symboliques et matériels ne fit pas lobjet de rivalités majeures jusquà la fin des années 80 (sauf épisodiquement avec la Belgique lors de la gestion des crises zaïroises justifiant des interventions militaires sous commandement français ou par Marocains interposés). Avant de clore ces quelques rappels, il faut encore sinterroger sur les raisons de lintérêt que les grandes puissances tutélaires du nord peuvent porter aux deux petits pays enclavés que sont le Burundi et le Rwanda. En fait, lentité Congo/Ruanda-Urundi est spontanément maintenue dans la géopolitique de base des stratèges des différentes puissances occidentales jusquau début des années 90 et les crises politiques de chaque composante sont perçues comme susceptibles de peser sur les équilibres politique et économique de ses voisins. Ce lien est conforté au travers de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands lacs) qui établit des relations étroites entre le Burundi, le Rwanda et lest zaïrois. Larrimage de lensemble au camp occidental est en outre renforcé par le biais des institutions financières internationales et bilatérales, ancrage redoublé au Rwanda par les grandes fondations (allemandes, en particulier), ONG et autres relais de la démocratie chrétienne européenne. 2. LA RECOMPOSITION REGIONALE DES POUVOIRS 2.1. Les nouveaux équilibres régionaux à la fin des années 80 et au début des années 90 Les tendances qui prévalent aujourdhui trouvent bien entendu leur origine dans la réévaluation générale des intérêts des puissances occidentales et de limportance relative accordée aux différentes régions et pays africains une fois dépassée la politique des blocs Est-Ouest. Mais la rupture naurait pu être ici aussi décisive si elle navait été préparée par une nouvelle donne au sein du contexte régional. Celle-ci tient à deux éléments décisifs : - Le premier élément réside dans la reconstruction de lÉtat ougandais amorcée en 1986, avec la victoire de Yoweri Museveni, rapidement consolidée, puis reconnue régionalement lors de laccès de ce dernier à la présidence de lOUA en 1990. Les caractéristiques et atouts du nouveau pouvoir furent ensuite systématiquement survalorisés après la radicalisation soudanaise. Installé en 1989, le nouveau régime met fin à toute opposition politique, syndicale, bâillonne la presse, emprisonne par milliers et épure radicalement larmée et ladministration : comités de quartier, appareil sécuritaire omniprésent, dilution de léconomie publique par la mise en place de réseaux financiers parallèles " privés " contrôlés par les Frères musulmans (privatisations, impôts islamique, système bancaire parallèle, etc.). Y. Museveni sut exploiter la phobie anti-arabe des Américains envers la Libye et son voisin soudanais et proposa dériger son pays en frontière contre le " fondamentalisme " islamique. Il se coula alors explicitement dans la position de médiateur quoccupait Mobutu au cours de la deuxième moitié des années 80, par exemple lors des difficiles tractations entre la Libye et le Tchad pour le compte des Français et des Américains. Son avantage comparatif par rapport à Mobutu sera renforcé au sud par le moindre danger représenté par lAngola où un processus de paix est entamé à partir de 1991 dans un rapport de force extrêmement défavorable pour les combattants de lUNITA dont le Zaïre était le principal soutien pour le compte des États-Unis. LOuganda renforça aussi son assise internationale (particulièrement auprès des grands bailleurs de fonds) en exploitant le phénomène de rejet suscité par Arap Moi au Kenya, incapable de gérer sa transition démocratique, amorcée en 1991 avec la reconnaissance du multipartisme, et toujours tenté par lautoritarisme. Cest donc en tant que bon élève des coopérations bilatérales et internationales que Y. Museveni entama sa stratégie de dérwandisation de la NRA et de retour des réfugiés rwandais sur leur territoire à partir de la guerre doctobre 1990. Cette nouvelle position avantageuse de lOuganda met fin à la stratégie de solidarité concurrente qui avait prévalu vis-à-vis du Zaïre entre la France, la Belgique et les États-Unis dans les années 80 et qui reposait sur un système généralisé de compromissions envers le régime Mobutu de la part de tous les bailleurs institutionnels se satisfaisant de programmes visant à régionaliser la corruption, à faire quune partie de laide internationale aille aux plus démunis, à maintenir en état linfrastructure " lourde ". Chaque puissance tutélaire nhésitaient pas cependant à se rembourser en appuyant parallèlement les filières mafieuses contrôlées par leurs propres ressortissants nationaux (trafics Kinshasa/Brazzaville vers la France ou la Belgique, réseaux diamantifères, etc.). Cest ainsi quen 1990, alors que la position politique intérieure de Mobutu, déjà sauvé à de multiples reprises, apparaît intenable, que les trois parrains associés décident larrêt de leur coopération relayée par le FMI et la Banque mondiale tout en essayant chacun - sans succès - de tester des issues politiques au sein et à lextérieur du camp mobutiste. Cette position ambiguë de défiance officielle et de soutien indirect au Président Mobutu sera maintenue au nom de son statut de garant de l" unité nationale " face à la division et au caractère velléitaire de son opposition " démocratique " jusquen 1993-94 où il redeviendra, pour les Belges et les Français au moins, un interlocuteur irremplaçable du fait des troubles politiques majeurs de la région des Grands Lacs. - le second élément tient à la déstabilisation durable du Burundi, puis à leffondrement dans les pires conditions du régime Habyarimana au Rwanda, deux pays qui servaient de point dappui régionaux stables au dispositif français. Sans revenir sur les responsabilités internationales en ce qui concerne le génocide, nous retiendrons toutefois quil ne sagit pas simplement pour la diplomatie française dun revers local, mais de la mise en cause radicale dune forme de présence désormais inadéquate ou anachronique auprès de forces politiques qui nont pas hésité à recourir aux formes de violence les plus extrêmes et systématiques. Au-delà des erreurs politiques, de la défaite militaire, la France se voit disqualifiée moralement pour ne pas avoir voulu se démarquer à temps de ses " amis " coupables de génocide. Face à cette montée en puissance de lOuganda, parallèle à la déstabilisation zaïroise et qui laissait entrevoir des ouvertures ou des bouleversements décisifs des équilibres régionaux, on relèvera quà la différence des Américains qui surent en tirer profit sans que lon puisse dégager a priori une stratégie à long terme, les Français demeurèrent crispés sur leurs bases et positions traditionnelles : Rwanda, Burundi et, dès que la déroute du régime rwandais limposa, le Zaïre de Mobutu. 2.2. La fin de la région des " Grands Lacs " Lunique chance offerte à cet espace pour continuer à exister en tant que tel résidait dans la mise en place de mécanismes négociés dintégration régionale. En 1985, les trois pays de la CEPGL signaient la Convention sur la libre circulation des biens et des personnes qui représentait à lépoque le document le plus avancé douverture interétatique jamais signé en Afrique et se donnaient les moyens daborder positivement la résolution dun certain nombre de séquelles de conflits, de conflits potentiels ou avérés (réfugiés, résidents anciens, migrants économiques de la période coloniale et post-coloniale). Plus encore, des voies étaient proposées pour réguler les nouveaux flux, y compris dinstallation agricole, aborder de front les questions de compétition foncière, les soldes de pensions de retraite dex-migrants, le statut des " binationaux ", etc. La réalité dune région des Grands Lacs reposant sur trois entités équilibrées : Burundi, Rwanda, Kivu et les franges excentrées des provinces voisines (Buganda, West Lake, Kigoma, etc.), région enclavée mais exceptionnellement dynamique, pouvait seule à cette époque offrir des réponses positives aux contraintes majeures en termes de taille des marchés pour des éléments dindustrialisation, de complémentarité régionale en matière dautosuffisance alimentaire, etc. Les échanges frontaliers (non enregistrés pour la plupart) connaissaient alors une intensité croissante. La région des Grands Lacs, sur une carte de lAfrique, était à lépoque celle où la densité des équipements collectifs (en routes bitumées, aéroports internationaux, centres universitaires, infrastructures sanitaires, etc.) navait déquivalent que dans le cône sud anglophone. Lapplication de la convention a été largement compromise en 1987 avec la dégradation générale de la situation politique régionale. De nombreux politiciens de Kinshasa ont alors voulu briser cette ouverture et ont délibérément saboté tout ce qui pouvait conduire à une expression autonome de desiderata perçus comme purement régionaux. La fin du régime de J.-B. Bagaza au Burundi contribua aussi à la dégradation des relations entre les pays de la région. Mais les années 1989-93, dites de transition démocratique, pouvaient donner une seconde chance au renforcement de la cohésion et de lintégration régionales. Lajustement structurel, les pénuries alimentaires, le desserrement de lemprise de lÉtat central au Kivu offraient un cadre propice aux concertations régionales. Toutefois, paradoxalement, alors que lhypothèque kinoise était levée, ce sont les élites nationales burundaises et rwandaises, anciennes et nouvelles, qui nont pas voulu saisir cette occasion, trop préoccupées quelles étaient par la défense de leurs propres particularismes politiques nationaux, leur système clientéliste, leur nouvelle stratégie hégémonique. Cest pourquoi, initialement prévu comme point dappui pour la régulation dune crise attendue au Zaïre, le dispositif militaire français, principalement basé au Rwanda, a progressivement été absorbé par le maintien de lordre dans ces deux pays sans pour autant être en mesure dempêcher quils ne sombrent dans des situations de quasi " suicide national ". Aujourdhui, après trois ans de guerre civile larvée ou déclarée, la carte régionale est totalement redessinée. Les deux pôles nationaux de stabilité nexistent plus et sont durablement hors jeu. Quil sagisse du Burundi ou du Rwanda, malgré des prouesses militaires qui peuvent faire accroire dans limmédiat ou le futur proche le contraire, les deux pays nont plus guère de moyens autonomes pour peser à moyen terme sur les rapports de force régionaux du fait de leur instabilité propre et de leur totale dépendance économique (le Rwanda avec un PNB par habitant de 80 US $ na pas les moyens dune reconstruction rapide, tout comme le Burundi toujours " sous embargo "). Les vraies grandes puissances régionales (lOuganda, la Tanzanie et le Zaïre) se voient donc désormais obligées à cause de linstabilité durable, de la dépendance économique et/ou du parrainage des deux micro-États de redéfinir leurs propres frontières excentrées, leur implication dans une région quils redoutent, et donc leurs relations. LOuganda est assurément le pays le plus impliqué, celui qui est au centre du jeu, celui qui a le plus dintérêts. Il bénéficie datouts non négligeables : une relative stabilité politique au moins au niveau des institutions, un dynamisme économique dopé par son rôle redistributeur régional, un soutien américain sans faille en particulier sur le plan militaire. La Tanzanie est de plus en plus impliquée certes, mais sans intérêt évident, ni dailleurs de dommages patents. Lhébergement de 700 000 réfugiés burundais et rwandais jusquà leur expulsion en décembre 1996 ne lui a pas causé de torts notables. Au contraire, le pays a bénéficié des retombées de la manne humanitaire internationale et dune grande tolérance des institutions de Bretton-Woods en terme dajustement structurel. La question du leadership régional ne peut cependant la laisser indifférente. Avec le Zaïre, on aborde le maillon le plus faible. La situation du Kivu avec ses centaines de milliers de réfugiés rwandais et burundais était effectivement insupportable dans la durée pour toutes les parties : résidents, réfugiés, pays voisins, autorités centrales, leaders locaux. Dune certaine façon, leffondrement militaire, politique, social du régime Mobutu tient au moins autant à la gravité des contradictions internes quà lagression extérieure caractérisée qui les a mises à nu. Dans létat actuel des lieux, la question centrale sur lévolution du contexte géopolitique régional est conditionnée par la nature de la recomposition dun État central zaïrois : sil faut négocier avec des pays voisins ou des forces politiques à lintérieur, il faut quexistent des partenaires nationaux mandatés, voire éventuellement représentatifs. 3. LES PUISSANCES TUTELAIRES ENTRE LA PASSIVITE ET LINTERVENTION : UNE STRATEGIE DACCOMPAGNEMENT DES ACTEURS NATIONAUX Durant les événements des derniers mois, les jeux dinfluence semblent pouvoir être décrits en différents temps correspondant à des postures politiques plus quà des stratégies explicites. La première concerne le dénouement attendu du " putsch rampant " burundais le 25 juillet 1996. À la fois craint et espéré, il se déroule selon un scénario exposé à Paris fin mai par son promoteur, mais à une date et dans un contexte différents de ce qui était prévu. Lironie voudra quà la différence doctobre 1993, où la plupart des membres du gouvernement légitime sétaient réfugiés à lambassade de France, le président Ntibantunganya menacé cherchera le salut à lambassade américaine pourtant a priori peu disposée à jouer le rôle de lhôte obligé. En fait, le putsch prendra de court le dispositif dinterposition piloté par la Tanzanie et qui visait en particulier à neutraliser la frontière zaïroise et, si possible, à contrôler les agissements de la hiérarchie militaire burundaise. La solution Buyoya soulage objectivement la dite " communauté internationale " très peu motivée par le déploiement du dispositif africain. Aucune puissance tutélaire napprouvera le coup dÉtat, dans le meilleur des cas lappréciation officielle sera reportée, lattentisme tient lieu de politique commune même si la diplomatie américaine se déclare ouvertement " anti-Buyoya ". A lopposé, le coup dÉtat mécontente, pour des raisons divergentes, plusieurs pays riverains. Les uns auraient préféré J.-B. Bagaza, dautres craignent un retour de la France appuyant un duo Buyoya/Mobutu. En deux mois toutefois, les illusions de négociation seront abandonnées, lembargo modulé à la frontière rwandaise et les trois acteurs ougandais, rwandais et, accessoirement, burundais - associés sur ce seul point - prêts à porter le fer au Zaïre. La seconde couvre la période doctobre 1996 à la fin janvier 1997 : lintervention rwando-congolaise de démantèlement des camps de réfugiés du nord et sud-Kivu bénéficie demblée dun large soutien international. Faute davoir eu la volonté politique de transférer les camps à une distance raisonnable de la frontière rwandaise (ce que prévoient les dispositions internationales en matière dinstallation des réfugiés), faute davoir pu rétablir un semblant dordre international dans le fonctionnement des camps (où les ex-FAR rwandaises et la DSP zaïroise se sont mutuellement soutenues pour assurer le contrôle de laide et des populations), la solution militaire était attendue, voire préparée avec la caution explicite des certains bailleurs de fonds et organismes internationaux. Il faudra attendre un bon mois pour que la communauté internationale fasse semblant dagir avec la décision de mise en place dune force internationale humanitaire. A Kigali, la période retenue nest pas neutre : les élections américaines étaient en cours et rien de décisif ne pouvait avoir lieu, de plus, et à juste titre, les Rwandais savaient bien que le renouvellement de ladministration américaine ferait vraisemblablement partir leurs relais les plus fidèles (ceux qui se sentaient " coupables " du génocide de 1994) et quil faudrait plusieurs semaines pour reconstituer une équipe " africaine ", puis définir une politique. Au cours de telles périodes de transition, ce sont habituellement les instances militaires qui assurent la continuité de la politique et leur attitude favorable au nettoyage du Kivu par les forces ougandaises, rwandaises et burundaises associées nétait pas cachée. De même, lhostilité américaine à toute intervention internationale était acquise. Malgré les tensions entre Français et Américains, cette période peut être qualifiée de cogestion obligée et déséquilibrée. Cogestion obligée, car la France se trouve malgré elle alignée sur un profil de non intervention imposé par les Américains et évalue ses propres faiblesses avec lembarrassant Mobutu. Déséquilibrée, car elle est en fait totalement isolée vis-à-vis de la quasi totalité des protagonistes internationaux, non pas sur les positions de principe quelle défend dans les enceintes internationales sur lintégrité du Zaïre, la non-ingérence, etc., mais sur les stratégies cachées qui lui sont prêtées. Dès que Mobutu, avec lappui de la France et de troupes mercenaires, enclenche une riposte assumant pleinement la logique de la confrontation militaire, ladministration civile américaine donne le signal du recul : elle dit envoyer un message aux Ougandais et Rwandais (fin de la première semaine de décembre) leur demandant de calmer le jeu (concrètement de ne pas aller jusquà la chute de Kisangani), un second part la semaine suivante à Kinshasa à lattention de Mobutu, de retour de son séjour en Europe, sommé de respecter la " démocratie ", cest-à-dire ses opposants. Schématiquement, avec ou sans Mobutu, les États-Unis soffrent pour couvrir une transition politique et une fédéralisation en douceur du pays en promettant le retour des investisseurs. Hormis la question du leadership, la France na alors guère dautres perspectives. Le jeu semble pouvoir marcher jusquà la mi-décembre, Kisangani apparaît sauvée et lébauche dune contre-offensive sesquisse dune part avec larmement intensif dunités de lUNITA au sud (qui alarma fortement le président Dos Santos), de la rébellion anti-Museveni au nord, et de lautre, avec lencadrement au centre des unités rescapées des FAZ par divers mercenaires. La reprise partielle de Walikale, le recours à laviation (bombardement des convois de troupes et de ravitaillement envoyés en renfort, puis de la ville de Bukavu), la demande dappui au Burundi (20 janvier), etc. marquent un tournant. Débute alors la troisième configuration des postures politiques. LOuganda, le Rwanda et le Burundi (uniquement sur son flanc ouest le long du lac Tanganyika jusquà Kalémié) vont alors sengager pleinement dans le conflit avec des forces importantes. Sur la réalité des ingérences étrangères, la convergence des informations est à peu près totale entre les sources française, belge et britannique. La rupture est alors nette dans les discours gouvernementaux, lagression presquouvertement assumée, les objectifs de guerre explicités. À Kigali, où les ambassades occidentales renâclent, il est explicitement dit que leurs états dâme ne changeront rien à la politique du Rwanda souverain pourvu que le " parapluie américain " demeure acquis. Il lest apparemment au niveau des livraisons darmes avec la noria quotidienne des gros porteurs sur Kigali et surtout sur Goma, il lest aussi sur le plan diplomatique par " accompagnement " tacite ou explicite selon les interlocuteurs. En fait, leffondrement de larmée et de ladministration liées à Mobutu est devenu largument essentiel du parachèvement de lopération dintervention et de " lentente entre les pays de la région " selon les termes du vice-président rwandais A. Kagame (Le Soir du 9 avril 1997). Dans un premier temps, lexistence dune zone tampon ou dun Kivu fédéralisé pouvait suffire à stabiliser un rapport de force relativement durable et mutuellement avantageux pour les populations zaïroises concernées et les pays riverains, mais le risque durable dun Zaïre sans leadership national et menacé de désintégration était insupportable aussi bien pour le Rwanda, que lAngola, la Zambie ou lAfrique du sud. Alors la " mission " de L.-D. Kabila sest transformée : de la position de point dappui local et dobligé vis-à-vis de ses parrains de proximité, il lui échoit une ambition nationale. Côté français, la débandade immédiate et totale des lignes de défense zaïroises interdit toute réaction. Il ne reste pour Paris quà attendre les erreurs du camp adverse et les inévitables difficultés de digestion de conquêtes aussi rapides. La première va survenir sur la question des massacres de réfugiés hutu. Des forêts de Walikale aux camps de Biaro et Kasese, la vengeance a pu se donner libre cours par action ou par refus de laisser accéder les structures daide jusquaux réfugiés. De ce point de vue, les préoccupations françaises envers les réfugiés produiront plutôt leffet inverse à celui visé : ils seront purement et simplement abandonnés à leur sort. La seconde tient à la capacité politique même de lAlliance des forces démocratiques à contrôler les territoires conquis, à y installer une administration et à gérer les issues finales avec Kinshasa. Sur ce point, les États-Unis se voient progressivement obligés de se démarquer : Kabila, bien quincontournable ne fait apparemment plus partie de la nouvelle génération des " dirigeants rationnels " et Washington tout comme ses alliés ougandais et rwandais nont comme seul vrai moyen de pression sur lui que de doser le rythme de lavancée vers Kinshasa (en refusant par exemple les moyens de transport ou en retardant les livraisons darmes). Cette " non-politique " américaine nest acceptable que si ses protégés gagnent " proprement ", que si la victoire de Kabila nenclenche pas un processus général de déstabilisation avec limmixtion de lAngola ou le rejet des autres forces politiques nationales. Ce nest donc que dans la phase finale que lenvoyé américain après avoir contribué à ridiculiser les négociateurs sud-africains et onusien engagera le poids de son pays en sinstallant auprès de Kabila et de son " état-major " à Lubumbashi pendant la période cruciale de la prise de Kinshasa. Fin mai, seul le Burundi continue à faire cavalier seul et à compliquer les jeux régionaux. La stabilisation à moyen terme du régime Buyoya semble désormais fort probable, car le quasi écrasement de la " rébellion " hutu a finalement été obtenu assez vite en recourant, aux moyens les plus radicaux (regroupement des paysans en camps sous contrôle militaire). De même, les tentatives douverture du FRODEBU dépossédé du pouvoir auprès des régimes de Kigali et de Kampala nont pas dépassé les paroles verbales. Enfin, la solidarité envers les autorités légitimes a partiellement cédé lors du sommet dArusha du 16 avril 1997 où une levée partielle de lembargo consacre linanité de ce moyen de pression (dont J. Nyerere sétait fait le plus farouche défenseur). Perçu comme un régime pro-français, et à ce titre justifiant les réserves ou lhostilité de ses voisins, le Burundi bénéficie effectivement dun soutien discret mais efficace de Paris à la fois pour lexportation de son café via le Congo que pour sa réinsertion africaine contre lembargo tanzanien et rwandais. La principale conclusion de ce résumé des événements tient à la difficulté avérée et vraisemblablement durable à manipuler les interlocuteurs et acteurs africains : il existe désormais des réseaux régionaux (Ouganda, Rwanda, Zambie, Angola, etc.) capables de sauto-organiser pour faire aboutir des stratégies certes avalisées par telle ou telle " grande " puissance mais dont toutes les implications ne recevraient certainement pas les soutiens souhaités. Par ailleurs, léchec de la médiation sud-africaine et les affronts subis par Nelson Mandela de la part de Laurent-Désiré Kabila ont à la fois montré la complexité des enjeux et alliances entre pays africains, mais aussi la volonté de régler les conflits régionaux sur le continent lui-même (Afrique du sud, Gabon, Congo). 4. QUELLES LIGNES STRATEGIQUES SE SONT FINALEMENT AFFIRMEES ? Deux préalables doivent, à notre avis, introduire les propos qui suivent. Le premier tient à la complexité des appareils étatiques censés exprimer une politique étrangère : cette complexité est à la fois un alibi utilisé pour conforter un brouillage des stratégies lorsquelles sont particulièrement délicates à exprimer ou explicitement agressives, mais il sagit aussi dune composante inévitable du fonctionnement des grandes administrations qui rend difficile la mise en oeuvre de politiques claires ou des infléchissements majeurs toujours susceptibles dêtre contrés par des réseaux parallèles. Le second tient ensuite au fait que lorsque lon parle de laction des États-Unis, on désigne en fait le plus souvent celle du binôme États-Unis/Grande-Bretagne. Cette dernière " collant " proprement aux actions américaines pour lessentiel àcause dintérêts politico-économiques partagés. À bien des égards, son autonomie apparaît moindre que celle du Canada qui a essayé dans différents domaines de marquer une volonté propre daction si ce nest dexprimer une vision indépendante de celle des États-Unis (préparation de lopération internationale dassistance humanitaire de novembre 1996 ou session davril de la Commission des droits de lhomme des Nations unies à Genève). Plus largement, hormis la Belgique, lEspagne et lItalie au sein de lUnion européenne, ainsi que la Suisse, la quasi totalité des pays habituellement impliqués ou intéressés par cette région du continent africain soutiendront activement ou par omission les positions américaines envers la région (généralement au nom du discrédit radical et définitif du régime Mobutu). Sur le plan politique En ce qui concerne la France, on pourrait à la limite laisser la page en blanc : lillustration serait certainement plus forte que dessayer de décrire ce qui a été une non-stratégie. La sobriété et la vacuité de la formule ministérielle " soyons prudents et modestes " (Jacques Godfrain, ministre français de la Coopération, Le Figaro, 6 mai 1997) résume bien la vision et la situation. Lanalyse des commentaires officiels sur la région des Grands Lacs est, depuis deux ans, on ne peut plus simple puisque prévaut en quelque sorte un silence radio qui semble être devenue la manière de répondre constante et commune face à lincompréhension extérieure, à moins tout simplement quil ny ait rien à dire sur une stratégie de pure conservation. Lisolement français dans le camp occidental est à la mesure de la suffisance passée et affaiblit même les prises de position et analyses, qui seront pourtant considérée a posteriori justes par de nombreux analystes ou responsables politiques européens ou américains (comme sur la question de la force dintervention humanitaire ou les dérives de lÉtat de droit à Kigali). Cet isolement et limpuissance qui laccompagnent marquent vraisemblablement la fin dune époque : lincapacité à renouveler les analyses et pratiques est aujourdhui payée au prix fort. Pour autant et pour peu quune meilleure évaluation des nouvelles réalités africaines prévale, la position française nest pas catastrophique car, dans une région des Grands lacs " stabilisée ", il sera rapidement évident que les États-Unis nont pas, comme certains membres du département dÉtat sévertue à le dire, de vraie politique africaine ni de volonté ferme de sinvestir de manière tangible et massive sur cette région du monde. Dune certaine façon, laffaire zaïroise prolongeant les déboires rwandais et burundais de la coopération française satisfait ses homologues américains mais en même temps, si ce terme à un sens dans le domaine des relations internationales, elle les désole, car elle les oblige à suppléer les défaillances dune puissance intermédiaire incapable de remplir sa fonction " régionale " de stabilisation qui jusquici nétaient pas contestée. Il est par ailleurs difficile didentifier une ligne précise du département dÉtat américain du fait des nombreuses divergences exprimées par les différents porte-parole officiels. On pourrait ainsi juxtaposer les déclarations contradictoires des hommes et femmes en charge de cette région, comparer les propos et les actes, mais lessentiel nest pas là. Il réside dans le fait que les protagonistes africains " amis " qui pèsent de manière déterminante sur le dossier des Grands Lacs savent que, en labsence de politique volontaire, les États-Unis finiront toujours par les couvrir et que la sensibilité panafricaine quils expriment désormais avec force est considérée à Washington comme préférable à un nouveau tutorat français ou franco-belge. On retrouve là lexceptionnelle capacité de Museveni, et de ses alliés rwandais, à déclencher le soutien de la diplomatie américaine. Sa principale force étant dapparaître comme un gagnant et de ne solliciter que les moyens additifs qui confortent une politique qui va dans le sens de la modernité politique (good governance) selon loptique américaine. En fait, le principal souci américain officiellement affiché consiste à faire aboutir la stratégie de renouvellement des cadres politiques africains au moindre coût, ensuite à attendre que les intéressés fassent leurs preuves en terme de stabilisation politique et de dynamisme économique. Lobjectif final étant de faire en sorte que la plupart des pays de ce continent cesse démarger au budget de lhumanitaire international et de laide publique au développement. Ainsi, un ambassadeur américain de la région nhésite pas, en février 1997, à opposer les nouveaux points dappui de la diplomatie américaine issus de la nouvelle génération des " dirigeants rationnels de lAfrique moderne " aux dirigeants de l" Afrique magique des ethnologues ", bien entendu soutenus par la France qui sappuierait elle sur des forces finissantes. Le propos est à la fois fondé pour lessentiel en ce qui concerne létat des lieux français (où la transition des générations est à la fois difficile sur place et à Paris) et fort présomptueux en ce qui concerne laction de la diplomatie américaine. Il fait tout dabord limpasse sur le passé (on a vu précédemment que cest au nom de ce critère que les principaux rivaux de Mobutu ont été physiquement éliminés avant sa consécration par la CIA) ou sur le caractère changeant des appréciations : en mai 1997, par exemple on ne sait plus très bien si Kabila fait encore partie de cette variété de " dirigeants rationnels ". Plus fondamentalement, beaucoup de ces dirigeants ne doivent pas leur accession au pouvoir à leurs éventuelles performances mais plutôt à des soutiens américains exclusifs ou tout simplement déterminants. Par ailleurs, là où le parrainage est revendiqué, il est quelquefois difficile de dissocier ce qui revient ensuite à linfluence américaine et à celle des autres pays. Ainsi au Rwanda, les Américains ne figurent pas dans la liste des principaux bailleurs de fonds, mais ils jouent par contre un rôle décisif dans toutes les démarches visant à minimiser les atteintes aux droits de lhomme, à bloquer toute réflexion concertée sur la formulation dune conditionnalité politique des bailleurs. Cest le porte-parole américain qui en juin 1996 à la table-ronde des aides extérieures a approuvé le premier ministre rwandais qui demandait le retrait du texte - combien prudent pourtant - des ambassades occidentales posant différentes questions sur le bon usage des fonds déboursés et lavenir politique du pays. Cest encore lambassade américaine qui considère comme un mal nécessaire que plus de 50 % du budget de lÉtat soit consacré à leffort de guerre, que la plus grande part de ces fonds soit dépensées selon la procédure des marchés de gré à gré qui alimente et renforce politiquement les éléments mafieux de larmée, etc. Sur le plan économique Les fantasmes journalistiques sur les intérêts économiques colossaux quoffriraient le Zaïre sont à la fois largement exagérés, et bien réels justifiant en particulier une précipitation des investisseurs ostensiblement mise en scène au fur et à mesure de la progression militaire des forces rebelles. La prise de contrôle quasi exclusive des différents sites miniers par des entreprises américaines, canadiennes et dAfrique du sud seffectue pour une part au détriment des intérêts belges et ne fait que consolider une primauté déjà ancienne. La redistribution des concessions permet à Kabila dhonorer ses traites à court terme et de payer les charges quotidiennes de lappareil politico-administratif qui le supporte. Pour les grands groupes miniers, lengagement leur permet de faire le tour des potentialités, de chiffrer linvestissement de remise en état de loutil de production, le coût des charges induites de réhabilitation de lenvironnement et surtout de voir venir le temps que le deuxième volet de la stratégie " américaine " se mette en place à savoir le lancement annoncé dun mini-Plan Marshall de reconstruction. Ce plan serait lancé avec lappui de la Banque mondiale et des bailleurs de fonds du PNUD qui répartiraient et étaleraient les coûts pour favoriser le retour de linvestissement privé. Le paradoxe de ladministration américaine dans le cadre politique actuel des rapports entre la Présidence et les Chambres consiste justement à parler fort et à débourser elle-même le moins possible. Les stratégies de politique économique se décident pour lessentiel dans des cadres concertés entre les organismes nationaux et internationaux de coopération aux procédures longues et complexes. Dans cette optique, si le rapport de force militaire porte indéniablement la stratégie des amis des États-Unis et donc celles des investisseurs privés américains, la " socialisation " de la lourde charge financière des séquelles des divers conflits régionaux sera demain au Congo-Zaïre, comme aujourdhui au Rwanda, confrontée à linconstance des bailleurs et proportionnée aux ressources économiques effectivement mobilisables par chaque partenaire local. Tout laisse penser en outre que, dans le cas du Congo-Zaïre, le consensus (obligé) qui a prévalu le mois dernier au niveau de la Banque mondiale pour classer lOuganda comme premier pays bénéficiant des nouvelles procédures dallégement de la dette multilatérale pour 338 millions de US $ (décision du 23 avril 1997) ne pourra se renouveler du fait des contentieux accumulés entre les puissances tutélaires. Enfin, on ne peut manquer de penser que la stratégie du " plan Marshall " visant à gagner la paix en couvrant un pays de dollars, tout à fait irréaliste dans le contexte économique international actuel, relève dune extrême naïveté. Il est certes concevable de lancer un tel plan dans un Zaïre débarrassé de son système kleptocrate qui permettrait de financer linstallation dun nouveau système fédéral et dune administration minimale des biens et des personnes. Mais la principale leçon de trois décennies du développement a été justement de démontrer quon ne construit pas les cadres politiques favorables à une croissance durable de lextérieur. Maîtrisant loffre de développement, lillusion constante des développeurs a été de façonner eux-mêmes la demande de développement, en demandant aux élites du pouvoir, civiles ou militaires, installées à la tête de dispositifs étatiques lourds et autoritaires, dappliquer les recettes ultralibérales
5. LES ENJEUX REGIONAUX A COURT ET MOYEN TERME La question des droits de lhomme et des éventuelles poursuites pour crimes contre lhumanité et génocide Cette préoccupation sera vraisemblablement considérée comme secondaire au regard des tâches et défis du nouveau régime congolais. Il est impossible cependant dimaginer que dans les trois pays de la région, elle puisse être passée durablement par profits et pertes : limpunité figure au même titre que la corruption parmi les héritages honnis des régimes déchus. De ce point de vue, lomniprésence américaine dans la région, se substituant à une puissance justement disqualifiée pour défaillance évidente en la matière, va mettre à rude épreuve le " pragmatisme idéaliste " proclamé de Madeleine Albright. Les États-Unis apportent en effet un appui décisif à la stratégie de " blanchiment " des nouveaux régimes en matière de droits de lhomme et de démocratie. On a assisté depuis octobre 1996 à de véritables campagnes de désinformation sur la situation effective et le retour des réfugiés rwandais, de même aucune exigence forte na été formulée face à la rétention systématique de linformation et au frein aux investigations pratiqués par lAFDL, le Rwanda et lOuganda, enfin la gestion médiatique de la guerre civile zaïroise relève dune stratégie particulièrement élaborée, etc.). On appréciera aux actes les intentions de lenvoyé spécial américain souhaitant que des procédures denquêtes rapides aboutissent sur ce qui apparaît indéniablement comme une extension des pratiques génocidaires du Burundi et du Rwanda sur le territoire zaïrois. En décembre 1996, le rapporteur spécial pour le Zaïre, Roberto Garreton, déclarait que lAFDL ne faisait pas de prisonniers. Fin mars 1997, il confirmait lexistence indubitable de massacres lors dune rapide mission denquête et ajoutait dans une déclaration, faite à son retour, quil était clair que les militaires présents dans les zones visitées " nétaient pas des Zaïrois " (Le Soir, 3 avril 1997). A son voyage suivant fin avril, il na même pas été autorisé à quitter Kigali. De même, le 5 mai 1997, le communiqué des Nations unies et les dénonciations des pratiques de lAFDL par le porte-parole du secrétaire général, Juan Carlos Brandt, ont dépassé au niveau du vocabulaire les normes habituellement en usage dans cette institution. Sur ces divers points les " hallucinations françaises " décrites par un membre du département dÉtat sont désormais fondées et reconnues. La demande des autorités rwandaises formulée auprès du Conseil de sécurité des Nations unies de redéfinir le mandat du TPIR pourrait, bien involontairement pour ses auteurs, donner loccasion dune demande de plusieurs pays délargissement du mandat dans le temps (jusquà lannée 1997) et dans lespace (incluant le Zaïre où prévaut le soupçon de crimes contre lhumanité et de génocide). La recomposition de lUnion économique de lAfrique de lest et lémergence de nouveaux pôles économiques Les efforts pour relancer lUnion économique de lAfrique de lest datent maintenant de trois années. Le contenu et les effets sont toujours ténus et se pose en particulier la question de lespace économique intérieur qui justifierait une délocalisation des investissements, jusque là principalement concentrés sur le Kenya, vers lOuganda afin de conforter et de nourrir durablement sa croissance actuelle. Pour cela, il importe quau-delà de lOuganda existent des marchés solvables ou des richesses exploitables. Lintégration du marché rwandais a tiré cette croissance depuis 1994, mais les effets dentraînement satténuent. Il est donc clair que lavenir des relations avec les provinces riveraines du nouveau Congo sera décisif : recentralisation ou décentralisation, place des investisseurs et de la main doeuvre étrangers, débouchés des voies de transit. Les réponses données à ces questions déterminent les performances futures et le type de croissance de léconomie ougandaise et, par voie de conséquence, le rééquilibrage de lUnion économique au profit de son hinterland. Vu du côté congolais, la question de la polarisation économique nationale demeure entière : maintien du pôle dominant à Kinshasa, large autonomie accordée aux provinces proches des Grands lacs et reconstitution dun pôle est Au-delà de ce premier espace, sesquisse la stratégie dinvestissement de lAfrique du sud qui pèse désormais de tout son poids économique sur lensemble des pays au sud de lÉquateur. Assurément, il est possible dy voir la traduction dune stratégie dite de la " Great Horn of Africa ", mais il serait incompréhensible que la politique des firmes sud-africaines se limite à cette zone. Dans le domaine économique, rien ne soppose, ni les moyens, ni la volonté, à un déploiement économique global, indifférent aux tropismes - politiques - vers lest ou louest du continent : Namibie, Angola, Zaïre dun côté, Union économique de lAfrique de lEst de lautre. En fait, lAfrique du sud participe déjà depuis la fin de lembargo lié à lapartheid en 1990 à la mondialisation : taille de ses firmes, forte participation des capitaux étrangers, implication de ses entreprises sur le marché dautres continents, diversification de ses exportations. Une troisième dimension à laquelle il est prématuré dessayer de répondre mais qui mérite dêtre abordée, concerne la future stratégie du nouveau Congo soit comme puissance économique équatoriale, à cheval entre les zones francophones traditionnelles et le cône sud, soit comme puissance économique méridionale en rupture avec ses partenaires traditionnels et dans le prolongement des grands groupes basés en Afrique du sud. Dune manière générale, on peut souligner que tous les marchés sont désormais ouverts à la concurrence dans lensemble de la zone et que : - la diplomatie sud-africaine nest pas une " diplomatie dépendante ", elle a les moyens de faire prévaloir ses intérêts propres en appuyant tous les efforts de pénétration économique occidentaux, français y compris ; - la France peut trouver auprès du Kenya un pays à la fois plutôt favorable à ses thèses quant à la résolution des conflits dans la région des Grands lacs et largement hostile à la volonté dhégémonie économique présumée de lAfrique du Sud ; - en Angola aussi on assiste à une compétition économico-politique très ouverte. Le handicap de la crise zaïroise ne devrait pas être trop délicat à surmonter pour les investissements français malgré lattitude hostile du président José Eduardo dos Santos vis-à-vis de Mobutu. La France avait clairement fait savoir que le renforcement des troupes de Jonas Savimbi nétait pas dirigé contre le régime de Luanda et avait exprimé sa confiance en une non-intervention directe de lAngola dans les affaires zaïroises. La force interafricaine dintervention Fruit dinitiatives concurrentes de la part de la France et des États-Unis lors des crises rwandaise et burundaise, ce projet prend acte de plusieurs échecs récents sur lensemble du continent et de la volonté de certaines puissances tutélaires de se dégager partiellement de tâches quelles ne sont plus en mesure de supporter seules. La France, par exemple assume à ce jour en Afrique, 8 accords de défense et 23 protocoles de coopération ou dassistance technique militaire. La gestion des crises dépasse manifestement ses seules capacités nationales et elle se voit dans lobligation de les gérer : - a) en coopération avec dautres pays, notamment européens, ou - b) avec dautres États africains liés à la France dans le cadre de plans dintervention multinationaux (type Centrafrique) voire, - c) dans le cadre dune force interafricaine de paix, projet similaire ou concurrent à celui de Washington mais dont le contenu et les missions demeurent flous. Ce dernier projet, intitulé African Crisis Response Force (ACRF), a été formellement exposé en octobre 1996 lors de la tournée en Afrique du secrétaire dÉtat américain Warren Christopher. Sa formulation, à laquelle ladministration américaine réfléchissait depuis plusieurs mois sous la pression de laggravation de la crise burundaise, marquait le point daboutissement dun long travail diplomatique et se substituait au projet français débattu depuis 2-3 ans avec plusieurs pays africains et au sein de lOUA. lACRF reposait à la fois sur un engagement américain ferme et précis (calendrier et budget) et une adhésion de plusieurs pays anglophones de la sous-région (la Tanzanie, lOuganda et lÉthiopie principalement) mais aussi de certains alliés traditionnels de Paris (comme le Mali et le Sénégal). Les conditions de son annonce apparaissent cependant tout à fait étonnantes puisque le coup dÉtat militaire au Burundi rendait demblée les " travaux pratiques " vains et que les grandes puissances africaines décisives sur le plan militaire (comme lÉgypte, lAfrique du sud ou le Nigeria) continuaient à sy opposer ouvertement. Bref, tout laisse penser quil sagissait surtout de prendre date. La solution burundaise de 1996 tout comme lissue zaïroise de 1997 semblent en fait bien préférables. Mises en oeuvre dans le premier cas par des forces internes et, dans le second, par une intervention coordonnée entre pays voisins intéressés, il a suffi dans les deux cas dune politique " daccompagnement " par les puissances tutélaires occidentales rivales pour que simposent les buts fixés par le camp le plus déterminé. Paradoxalement donc, lenjeu de cette force interafricaine apparaît à ce point capital, à la lumière des derniers conflits, que vraisemblablement beaucoup de temps sécoulera avant que des projets précis voient le jour. Si tout le monde saccorde sur le principe de la création dune telle force interafricaine de sécurité pour faire face aux situations durgence : troupe multinationale permanente, intégrée, armée et soutenue par les Occidentaux, la question du leadership africain comme occidental reste posée. LAfrique du sud semble la puissance la mieux placée pour fournir lossature militaire africaine, mais elle ne fait pas lunanimité parmi ses pairs alors même que les conditions politiques internes ne semblent pas encore réunies pour quelle puisse jouer ce rôle militaire. De plus, lAfrique du sud, tout comme le Nigeria ou lÉgypte, etc. posent des questions de principe non résolues à ce jour. En effet, contrairement à la Tanzanie, prête à servir au Burundi à la mi-1996 dans le cadre défini par les Occidentaux en échange dun traitement de faveur en matière dajustement économique, lAfrique du sud a vigoureusement désavoué une telle stratégie de " sous-traitance " et a fait savoir quune initiative de ce type ne pouvait quêtre du ressort de lOUA et des Nations unies. À lheure actuelle, beaucoup defforts en matière de concertation interétatiques au sein de lOUA restent à faire pour dégager une ébauche de consensus. Du côté des Occidentaux, la primauté des États-Unis ne semble guère pouvoir être contestée dans la mesure où ils sont les seuls à disposer de moyens de transport adéquats pour un déploiement rapide et sur de longues distances, mais la question des prérogatives françaises demeure (avec en particulier, les deux problèmes de la place de la France dans le dispositif et de la spécificité des " pays du champ "). En fait, sil y a désormais débat entre les deux puissances interventionnistes en Afrique, la raison tient au fait que politiquement et militairement la France, tout comme les États-Unis pour dautres raisons, ne sont plus ou pas en mesure dintervenir seuls pour régler de telles crises. La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs Cette référence devenue quasiment mythique en particulier pour la France depuis deux ans a largement perdu de sa consistance suite au règlement aux forceps du problème des réfugiés, puis lélimination de lhypothèque Mobutu. La difficulté réside dans le fait que chacun des États, et tout laisse penser que le nouveau Congo ne dérogera pas à la règle, se refuse à voir traiter ou même aborder ses propres problèmes dans un cadre régional. Ce refus demeure difficile à comprendre alors même que des ententes régionales et des systèmes de parrainage ou dintégration fonctionnent déjà de facto et de manière tout à fait efficace. Lexplication la plus vraisemblable réside dans le fait que chaque protagoniste sait à quel point des divergences ou contentieux majeurs subsistent dans leurs propres relations bilatérales, divergences qui pourraient rapidement dégénérer en affrontements économiques ou politiques ouverts si des alliances privilégiées devaient se dégager ou se consolider lors de telles concertations régionales. Une seconde, à mon sens, tient à lexpérience acquise au cours des dernières années dans les négociations avec la " communauté internationale ". Il est évident que chaque pays de la région a tiré des leçons des exercices internationaux de négociation et de leurs limites. Ils ont aussi mesuré les bénéfices majeurs quils peuvent individuellement tirer des divisions occidentales (expulsion des ONG au Rwanda en novembre 1995, non-application de la conditionnalité politique, manipulation de la douzaine de médiateurs mandatés ou auto-mandatés, etc.). Dans cette optique, tout ce qui pourrait apparaître comme une coordination formelle des interlocuteurs internationaux réduirait leurs marges de manoeuvre. 6. CONCLUSION Les compétitions que nous venons de décrire entre les États-Unis et la France sur cette région de lAfrique ne doivent pas faire oublier quelles sajoutent à dautres dossiers faisant lobjet de contentieux comme le renouvellement de Boutros Boutros Ghali au secrétariat génréal de lONU, le commandement sud de lOtan, les rivalités pétrolières, etc. La série des revers français correspond effectivement à des succès américains, mais ces revers ne concernent pas tous les interlocuteurs français qui fréquentent cette région, tout comme les succès ne concernent pas tous les interlocuteurs américains. Pour une large part, lanalyse est identique en ce qui concernent les ressortissants de la région pour lesquels il est bien délicat de préciser, au-delà des personnages emblématiques au nom desquels on se battait, qui est vraiment gagnant ou perdant. Latout principal du camp des vainqueurs est quil est a priori difficile de faire pire que le système Mobutu. Les faiblesses majeures peuvent être énumérées ainsi : - lévolution des " amitiés " régionales alors même quun appareil dÉtat congolais est à construire. Ou, dit autrement par une personnalité zaïroise, sagit-il dune libération ou dune occupation du Zaïre ? Et dans ce dernier cas, quelles issues simposeront ? ; - parallèlement à la stabilisation politique régionale, le redémarrage des économies sinistrées suppose dans les trois pays des apports financiers massifs à des taux concessionnaires et sur longue période. On se retrouve là dans la même situation quen 1990 où, pour le Zaïre, aucune puissance tutélaire navait les moyens ou ne voulait prendre le risque de prendre en charge seule une telle tâche. Quil sagisse du Rwanda, " pays le plus pauvre du monde " en 1996, désormais rejoint par le Burundi, ou du Zaïre pillé, il est impossible dimaginer des reconstructions (et donc, pour une part au moins, une stabilisation politique) sans une stratégie internationale volontariste daide qui, très vraisemblablement ne se produira pas ; - le potentiel dinstabilité régional demeure élevé. Les ordres militaires rwandais, burundais et congolais tirent un trait définitif sur la période dite des transitions démocratiques (1988-94) mais nouvrent aujourdhui, dans les trois pays, aucune perspective claire sur un cadre politique durable. Au contraire même, linexistence de points dappui démocratique consistants sur lesquels pourraient sappuyer des régimes pacifiques laisse entrevoir de nouvelles causes de tensions ou des possibilités de déstabilisation susceptibles dêtre utilisées pour justifier le maintien des ordres sécuritaires : la région disposent aujourdhui de chefs de guerre, de dizaines de milliers dhommes en armes auxquels peu dopportunités de réinsertion civile soffrent. |