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Les " nouvelles " politiques africaines de la France et

des États-Unis vis-à-vis de l’Afrique centrale et orientale

(" Afrique des Grands Lacs " et République démocratique du Congo-Zaïre)

 

par André Guichaoua

Université de Lille I

 

" Il y a ici trois grandes catégories d’ambassades : les cyniques, les naïves et celles que l’on pourrait appeler " éthiques ". Parmi les cyniques se trouvent bien entendu la France, la Belgique et les États-Unis. Mais avec ces derniers c’est plus compliqué, car ils sont aussi naïfs et font de la morale ;… " Boniface Ngulinzira, ancien ministre rwandais des Affaires Étrangères et de la Coopération, principal négociateur des Accords d’Arusha au nom de l’" opposition démocratique " d’août 1993, assassiné en avril 1994 par la Garde présidentielle.

Aborder ce sujet dans le contexte actuel où les accusations respectives de " paranoïa " anti-américaine ou anti-française sont devenues courantes aussi bien dans la presse que dans les sphères dites " proches des milieux officiels " présente bien des difficultés. Le titre, déjà, renvoie à bien des présupposés. J’en énumérerai dès le départ au moins deux :

- si les politiques africaines de la France et des États-Unis ont bien été reconsidérées depuis la fin de la politique des blocs Est-Ouest, peut-on vraiment parler de " nouvelles politiques " dans cette région de l’Afrique, en particulier depuis 1994 ? Aujourd’hui, entre la France qui prétend en avoir une, sans que l’on puisse savoir précisément en quoi elle consiste et qui la définit, et les États-Unis qui proclament à qui veut les entendre qu’ils n’en n’ont pas, tout en étant directement ou indirectement omniprésents sur tous les fronts, il n’est pas aisé de trancher;

- par ailleurs, les appellations géographiques elles-mêmes font désormais problème puisque le terme de " région des Grands lacs " est récusé, entre autres, par le nouveau pouvoir rwandais qui y voit une survivance de l’ex-Congo/Ruanda-Urundi et qui s’estimait, au moins jusqu’à la fin 1996,membre de l’Afrique orientale. De même, le Burundi du major Pierre Buyoya se refuse vigoureusement à toute intégration dans ce qui est perçu comme la nouvelle Great Horn of Africa, sans parler du nouveau Congo condamné à l’écartèlement entre ses tropismes anciens et probables.

Les points suivants seront successivement abordés, certains de manière assez succincte :

• Les antécédents des présences américaine et française en Afrique centrale

• La recomposition régionale des pouvoirs

• Les puissances tutélaires entre la passivité et l’intervention : une stratégie d’" accompagnement " des acteurs nationaux

• Quelles lignes stratégiques se sont finalement affirmées ?

• Les enjeux régionaux à court et moyen terme

• Conclusion

1. LES ANTECEDENTS DES PRESENCES AMERICAINE ET FRAN"AISE EN

AFRIQUE CENTRALE

Un rapide retour sur la position de cette région dans les enjeux internationaux s’impose. Il se limitera à quelques éléments historiques essentiels.

Sans revenir sur les conflits politiques qui ont marqué l’accès du Zaïre à l’indépendance et sur la consolidation du pouvoir de Joseph-Désiré Mobutu, on ne peut manquer de rappeler, comme les médias le font depuis quelques mois en parlant du " lâchage américain ", tout ce que le régime Mobutu doit aux États-Unis depuis 30 ans, c’est-à-dire très précisément depuis son installation jusqu’à son départ, y compris pendant les périodes les plus difficiles du début des années 90.

Est moins connue par ailleurs l’ancienneté de l’implication américaine aussi bien au Congo belge que, plus tard, dans la région des Grands lacs proprement dite. Ainsi, on mentionnera les débats, suscités en Angleterre en 1940 sur le contrôle du Congo et la gestion de ses richesses, puis surtout les accords secrets confiant l’exploitation de l’uranium congolais à une structure militaire relevant du gouvernement américain en septembre 1944 pour une période de 10 ans, accords qui seront renégociés en 1951. La politique de mainmise sur les matières premières stratégiques congolaises censées assurer la primauté des États-Unis en matière d’armement nucléaire ainsi que la défense des autres intérêts économiques américains (diamant, pétrole, etc.), face aux Allemands tout d’abord puis aux Russes ensuite, précède donc même la création d’un Bureau des affaires africaines au sein du Département d’État en juillet 1958 ! On soulignera encore que l’assassinat de Patrice Lumumba, le 17 janvier 1961, décidé et mis en oeuvre avec l’administration d’Eisenhower et accompli lors de l’installation de celle de J.-F. Kennedy, ne s’appuya même pas sur le soupçon de sympathie communiste comme le reconnurent ultérieurement les rapports américains : " il n’était tout simplement pas un être rationnel " rapporta le sous-secrétaire d’État Dillon devant le Senate Intelligence Committee en 1975. Avec l’élimination de Moïse Tshombe (révoqué en octobre 1965) puis de Joseph Kasa-Vubu déposé un mois après, c’est à nouveau l’administration américaine (en étroite relation avec les conseillers militaires belges) qui joua un rôle décisif dans le choix, la promotion et l’installation au pouvoir de celui qui leur apparut alors incarner l’image du " chef rationnel ", le colonel Joseph-Désiré Mobutu.

Mais l’implication américaine ne concerna pas que le " riche " Congo d’alors et engloba, dès leur accession à l’indépendance, le Burundi et le Rwanda dont l’intérêt stratégique fut considéré comme important. Elle s’exprima en particulier par la volonté d’implanter une base américaine au Burundi, susceptible de servir de point d’appui face aux risques d’éclatement du Congo. La pression sur le gouvernement burundais devint très forte particulièrement en 1964 pour obtenir des autorités d’alors un pied à terre dans la plaine de l’Imbo, demande qui sera finalement refusée. Du fait de l’hostilité des autorités burundaises, le projet fut reporté sur le Rwanda anticommuniste de la " Révolution sociale ", qui avait quant à lui besoin de l’appui belge et américain confronté qu’il était aux tentatives de reconquêtes des exilés tutsi, considérés, dans le discours dominant de l’époque, comme " pro-communiste ". Exilés qui trouvaient des soutiens décisifs à Bujumbura dont les dirigeants entretenaient de bonnes relations avec les pays communistes et iront même jusqu’à reconnaître la Chine en 1965 ! Dans sa lutte contre la restauration des " féodo-monarchistes " soutenus par les pays communistes, les nouveaux dirigeants rwandais bénéficièrent de manière continue de l’appui ferme de l’Occident qui les rangeait dans le ‘bon camp’.

La possibilité d’utiliser le Rwanda comme relais en cas de nécessité et l’" unité " zaïroise finalement parachevée, la base américaine ne vit pas le jour. Elle constituera néanmoins un thème rémanent de la politique extérieure rwandaise et l’hypothèse selon laquelle les Américains auraient fait chuter Grégoire Kayibanda, le premier président de la République, à cause de son refus personnel de voir installer cette base américaine dans le Bugesera, sera ensuite avancée par diverses personnalités rwandaises.

Nous retiendrons ensuite brièvement que la France commença à poser des jalons dans ces divers pays dès la fin des années 60, mais ce n’est vraiment qu’au début des années 70 qu’elle devint vraiment active dans cette région " francophone ". Au Zaïre, elle profita à la marge de l’ouverture du jeu économique lié à la " zaïrianisation " des grands groupes miniers effectuée en 1974 et conforta son assistance militaire ; au Burundi, il s’agit également de livraisons de matériels militaires et de formation au début des années 70 ; au Rwanda enfin, un " accord particulier d’assistance militaire " concernant l’organisation et l’instruction de la gendarmerie sera signé en juillet 1975. D’une manière générale, la France, peu engagée jusque là, disposa d’une marge de manoeuvre beaucoup plus grande que la Belgique, très liée aux régimes rwandais et souvent empêtrée dans des enjeux passionnels au Zaïre. En fait, ce fut Valéry Giscard d’Estaing qui engagea une politique de présence offensive sur cette région pionnière et y supplanta pour l’essentiel la Belgique au niveau militaire. Cet engagement prolongea celui couvrant le " pré carré " africain traditionnel de Paris et s’étendit jusqu’à la " ligne de front " autour de l’Afrique du sud où l’assistance militaire relevait principalement des Américains. Cette répartition des tâches fut entériné par les États-Unis à partir de 1975, la France se voyant confier de facto un statut de ‘chef de file’ sur le plan militaire pour ces trois pays.

Ce rôle, internationalement reconnu, de gendarme de l’ensemble de l’Afrique francophone suffit apparemment à satisfaire la ‘grandeur française’ même si la prééminence militaire ne se traduit pas par des contreparties financières ou économiques majeures. La France prospecta le sous-sol au Burundi et au Rwanda sans grand succès et surtout, au Zaïre, elle ne réussit pas à entamer les positions belges et anglo-saxonnes dont la rentabilité cependant était en déclin du fait du sous-investissement productif. Elle bénéficia toutefois des relations privilégiées nouées entre Kinshasa et Brazzaville où les banques (relevant de la zone franc) et l’import-export tirent profit de l’instabilité chronique de l’économie et de la monnaie zaïroises. Cette division des fonctions et des bénéfices symboliques et matériels ne fit pas l’objet de rivalités majeures jusqu’à la fin des années 80 (sauf épisodiquement avec la Belgique lors de la gestion des crises zaïroises justifiant des interventions militaires sous commandement français ou par Marocains interposés).

Avant de clore ces quelques rappels, il faut encore s’interroger sur les raisons de l’intérêt que les grandes puissances tutélaires du nord peuvent porter aux deux petits pays enclavés que sont le Burundi et le Rwanda. En fait, l’entité Congo/Ruanda-Urundi est spontanément maintenue dans la géopolitique de base des stratèges des différentes puissances occidentales jusqu’au début des années 90 et les crises politiques de chaque composante sont perçues comme susceptibles de peser sur les équilibres politique et économique de ses voisins. Ce lien est conforté au travers de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands lacs) qui établit des relations étroites entre le Burundi, le Rwanda et l’est zaïrois. L’arrimage de l’ensemble au camp occidental est en outre renforcé par le biais des institutions financières internationales et bilatérales, ancrage redoublé au Rwanda par les grandes fondations (allemandes, en particulier), ONG et autres relais de la démocratie chrétienne européenne.

2. LA RECOMPOSITION REGIONALE DES POUVOIRS

2.1. Les nouveaux équilibres régionaux à la fin des années 80 et au début

des années 90

Les tendances qui prévalent aujourd’hui trouvent bien entendu leur origine dans la réévaluation générale des intérêts des puissances occidentales et de l’importance relative accordée aux différentes régions et pays africains une fois dépassée la politique des blocs Est-Ouest. Mais la rupture n’aurait pu être ici aussi décisive si elle n’avait été préparée par une nouvelle donne au sein du contexte régional. Celle-ci tient à deux éléments décisifs :

- Le premier élément réside dans la reconstruction de l’État ougandais amorcée en 1986, avec la victoire de Yoweri Museveni, rapidement consolidée, puis reconnue régionalement lors de l’accès de ce dernier à la présidence de l’OUA en 1990. Les caractéristiques et atouts du nouveau pouvoir furent ensuite systématiquement survalorisés après la radicalisation soudanaise. Installé en 1989, le nouveau régime met fin à toute opposition politique, syndicale, bâillonne la presse, emprisonne par milliers et épure radicalement l’armée et l’administration : comités de quartier, appareil sécuritaire omniprésent, dilution de l’économie publique par la mise en place de réseaux financiers parallèles " privés " contrôlés par les Frères musulmans (privatisations, impôts islamique, système bancaire parallèle, etc.). Y. Museveni sut exploiter la phobie anti-arabe des Américains envers la Libye et son voisin soudanais et proposa d’ériger son pays en ‘frontière’ contre le " fondamentalisme " islamique. Il se coula alors explicitement dans la position de médiateur qu’occupait Mobutu au cours de la deuxième moitié des années 80, par exemple lors des difficiles tractations entre la Libye et le Tchad pour le compte des Français et des Américains. Son avantage comparatif par rapport à Mobutu sera renforcé au sud par le moindre danger représenté par l’Angola où un processus de paix est entamé à partir de 1991 dans un rapport de force extrêmement défavorable pour les combattants de l’UNITA dont le Zaïre était le principal soutien pour le compte des États-Unis. L’Ouganda renforça aussi son assise internationale (particulièrement auprès des grands bailleurs de fonds) en exploitant le phénomène de rejet suscité par Arap Moi au Kenya, incapable de gérer sa transition démocratique, amorcée en 1991 avec la reconnaissance du multipartisme, et toujours tenté par l’autoritarisme. C’est donc en tant que ‘bon élève’ des coopérations bilatérales et internationales que Y. Museveni entama sa stratégie de dérwandisation de la NRA et de retour des réfugiés rwandais sur leur territoire à partir de la guerre d’octobre 1990.

Cette nouvelle position avantageuse de l’Ouganda met fin à la stratégie de solidarité concurrente qui avait prévalu vis-à-vis du Zaïre entre la France, la Belgique et les États-Unis dans les années 80 et qui reposait sur un système généralisé de compromissions envers le régime Mobutu de la part de tous les bailleurs institutionnels se satisfaisant de programmes visant à ‘régionaliser la corruption’, à ‘faire qu’une partie de l’aide internationale aille aux plus démunis’, à ‘maintenir en état l’infrastructure " lourde "’. Chaque puissance tutélaire n’hésitaient pas cependant à se ‘rembourser’ en appuyant parallèlement les filières mafieuses contrôlées par leurs propres ressortissants nationaux (trafics Kinshasa/Brazzaville vers la France ou la Belgique, réseaux diamantifères, etc.). C’est ainsi qu’en 1990, alors que la position politique intérieure de Mobutu, déjà sauvé à de multiples reprises, apparaît intenable, que les trois parrains associés décident l’arrêt de leur coopération relayée par le FMI et la Banque mondiale tout en essayant chacun - sans succès - de tester des issues politiques au sein et à l’extérieur du camp mobutiste.

Cette position ambiguë de défiance officielle et de soutien indirect au Président Mobutu sera maintenue au nom de son statut de garant de l’" unité nationale " face à la division et au caractère velléitaire de son opposition " démocratique " jusqu’en 1993-94 où il redeviendra, pour les Belges et les Français au moins, un interlocuteur irremplaçable du fait des troubles politiques majeurs de la région des Grands Lacs.

- le second élément tient à la déstabilisation durable du Burundi, puis à l’effondrement dans les pires conditions du régime Habyarimana au Rwanda, deux pays qui servaient de point d’appui régionaux ‘stables’ au dispositif français. Sans revenir sur les responsabilités internationales en ce qui concerne le génocide, nous retiendrons toutefois qu’il ne s’agit pas simplement pour la diplomatie française d’un revers local, mais de la mise en cause radicale d’une forme de présence désormais inadéquate ou anachronique auprès de forces politiques qui n’ont pas hésité à recourir aux formes de violence les plus extrêmes et systématiques. Au-delà des erreurs politiques, de la défaite militaire, la France se voit disqualifiée moralement pour ne pas avoir voulu se démarquer à temps de ses " amis " coupables de génocide.

Face à cette montée en puissance de l’Ouganda, parallèle à la déstabilisation zaïroise et qui laissait entrevoir des ouvertures ou des bouleversements décisifs des équilibres régionaux, on relèvera qu’à la différence des Américains qui surent en tirer profit sans que l’on puisse dégager a priori une stratégie à long terme, les Français demeurèrent crispés sur leurs bases et positions traditionnelles : Rwanda, Burundi et, dès que la déroute du régime rwandais l’imposa, le Zaïre de Mobutu.

2.2. La fin de la région des " Grands Lacs "

L’unique chance offerte à cet espace pour continuer à exister en tant que tel résidait dans la mise en place de mécanismes négociés d’intégration régionale. En 1985, les trois pays de la CEPGL signaient la Convention sur la libre circulation des biens et des personnes qui représentait à l’époque le document le plus avancé d’ouverture interétatique jamais signé en Afrique et se donnaient les moyens d’aborder positivement la résolution d’un certain nombre de séquelles de conflits, de conflits potentiels ou avérés (réfugiés, résidents anciens, migrants économiques de la période coloniale et post-coloniale). Plus encore, des voies étaient proposées pour réguler les nouveaux flux, y compris d’installation agricole, aborder de front les questions de compétition foncière, les soldes de pensions de retraite d’ex-migrants, le statut des " binationaux ", etc.

La réalité d’une région des Grands Lacs reposant sur trois entités équilibrées : Burundi, Rwanda, Kivu et les franges excentrées des provinces voisines (Buganda, West Lake, Kigoma, etc.), région enclavée mais exceptionnellement dynamique, pouvait seule à cette époque offrir des réponses positives aux contraintes majeures en termes de taille des marchés pour des éléments d’industrialisation, de complémentarité régionale en matière d’autosuffisance alimentaire, etc. Les échanges frontaliers (non enregistrés pour la plupart) connaissaient alors une intensité croissante. La région des Grands Lacs, sur une carte de l’Afrique, était à l’époque celle où la densité des équipements collectifs (en routes bitumées, aéroports internationaux, centres universitaires, infrastructures sanitaires, etc.) n’avait d’équivalent que dans le cône sud anglophone.

L’application de la convention a été largement compromise en 1987 avec la dégradation générale de la situation politique régionale. De nombreux politiciens de Kinshasa ont alors voulu briser cette ouverture et ont délibérément saboté tout ce qui pouvait conduire à une expression autonome de desiderata perçus comme purement régionaux. La fin du régime de J.-B. Bagaza au Burundi contribua aussi à la dégradation des relations entre les pays de la région. Mais les années 1989-93, dites de transition démocratique, pouvaient donner une seconde chance au renforcement de la cohésion et de l’intégration régionales. L’ajustement structurel, les pénuries alimentaires, le desserrement de l’emprise de l’État central au Kivu offraient un cadre propice aux concertations régionales. Toutefois, paradoxalement, alors que l’hypothèque kinoise était levée, ce sont les élites nationales burundaises et rwandaises, anciennes et nouvelles, qui n’ont pas voulu saisir cette occasion, trop préoccupées qu’elles étaient par la défense de leurs propres particularismes politiques nationaux, leur système clientéliste, leur nouvelle stratégie hégémonique.

C’est pourquoi, initialement prévu comme point d’appui pour la régulation d’une crise attendue au Zaïre, le dispositif militaire français, principalement basé au Rwanda, a progressivement été absorbé par le maintien de l’ordre dans ces deux pays sans pour autant être en mesure d’empêcher qu’ils ne sombrent dans des situations de quasi " suicide national ".

Aujourd’hui, après trois ans de guerre civile larvée ou déclarée, la carte régionale est totalement redessinée. Les deux pôles nationaux de stabilité n’existent plus et sont durablement hors jeu. Qu’il s’agisse du Burundi ou du Rwanda, malgré des prouesses militaires qui peuvent faire accroire dans l’immédiat ou le futur proche le contraire, les deux pays n’ont plus guère de moyens autonomes pour peser à moyen terme sur les rapports de force régionaux du fait de leur instabilité propre et de leur totale dépendance économique (le Rwanda avec un PNB par habitant de 80 US $ n’a pas les moyens d’une reconstruction rapide, tout comme le Burundi toujours " sous embargo ").

Les ‘vraies’ grandes puissances régionales (l’Ouganda, la Tanzanie et le Zaïre) se voient donc désormais obligées à cause de l’instabilité durable, de la dépendance économique et/ou du parrainage des deux micro-États de redéfinir leurs propres ‘frontières’ excentrées, leur implication dans une région qu’ils redoutent, et donc leurs relations.

L’Ouganda est assurément le pays le plus impliqué, celui qui est au centre du jeu, celui qui a le plus d’intérêts. Il bénéficie d’atouts non négligeables : une relative stabilité politique au moins au niveau des institutions, un dynamisme économique dopé par son rôle redistributeur régional, un soutien américain sans faille en particulier sur le plan militaire.

La Tanzanie est de plus en plus impliquée certes, mais sans intérêt évident, ni d’ailleurs de dommages patents. L’hébergement de 700 000 réfugiés burundais et rwandais jusqu’à leur expulsion en décembre 1996 ne lui a pas causé de torts notables. Au contraire, le pays a bénéficié des retombées de la manne humanitaire internationale et d’une grande tolérance des institutions de Bretton-Woods en terme d’ajustement structurel. La question du leadership régional ne peut cependant la laisser indifférente.

Avec le Zaïre, on aborde le maillon le plus faible. La situation du Kivu avec ses centaines de milliers de réfugiés rwandais et burundais était effectivement insupportable dans la durée pour toutes les parties : résidents, réfugiés, pays voisins, autorités centrales, leaders locaux. D’une certaine façon, l’effondrement militaire, politique, social du régime Mobutu tient au moins autant à la gravité des contradictions internes qu’à l’agression extérieure caractérisée qui les a mises à nu.

Dans l’état actuel des lieux, la question centrale sur l’évolution du contexte géopolitique régional est conditionnée par la nature de la recomposition d’un État central zaïrois : s’il faut négocier avec des pays voisins ou des forces politiques à l’intérieur, il faut qu’existent des partenaires nationaux mandatés, voire éventuellement représentatifs.

3. LES PUISSANCES TUTELAIRES ENTRE LA PASSIVITE ET L’INTERVENTION :

UNE STRATEGIE D’ACCOMPAGNEMENT DES ACTEURS NATIONAUX

Durant les événements des derniers mois, les jeux d’influence semblent pouvoir être décrits en différents temps correspondant à des postures politiques plus qu’à des stratégies explicites.

La première concerne le dénouement attendu du " putsch rampant " burundais le 25 juillet 1996. À la fois craint et espéré, il se déroule selon un scénario exposé à Paris fin mai par son promoteur, mais à une date et dans un contexte différents de ce qui était prévu. L’ironie voudra qu’à la différence d’octobre 1993, où la plupart des membres du gouvernement légitime s’étaient réfugiés à l’ambassade de France, le président Ntibantunganya menacé cherchera le salut à l’ambassade américaine pourtant a priori peu disposée à jouer le rôle de l’‘hôte’ obligé. En fait, le putsch prendra de court le dispositif d’interposition piloté par la Tanzanie et qui visait en particulier à neutraliser la frontière zaïroise et, si possible, à contrôler les agissements de la hiérarchie militaire burundaise. La solution ‘Buyoya’ soulage objectivement la dite " communauté internationale " très peu motivée par le déploiement du dispositif africain. Aucune puissance tutélaire n’approuvera le coup d’État, dans le meilleur des cas l’appréciation officielle sera reportée, l’attentisme tient lieu de politique commune même si la diplomatie américaine se déclare ouvertement " anti-Buyoya ". A l’opposé, le coup d’État mécontente, pour des raisons divergentes, plusieurs pays riverains. Les uns auraient préféré J.-B. Bagaza, d’autres craignent un retour de la France appuyant un duo Buyoya/Mobutu. En deux mois toutefois, les illusions de négociation seront abandonnées, l’embargo modulé à la frontière rwandaise et les trois acteurs ougandais, rwandais et, accessoirement, burundais - associés sur ce seul point - prêts à porter le fer au Zaïre.

La seconde couvre la période d’octobre 1996 à la fin janvier 1997 : l’intervention rwando-’congolaise’ de démantèlement des camps de réfugiés du nord et sud-Kivu bénéficie d’emblée d’un large soutien international. Faute d’avoir eu la volonté politique de transférer les camps à une distance raisonnable de la frontière rwandaise (ce que prévoient les dispositions internationales en matière d’installation des réfugiés), faute d’avoir pu rétablir un semblant d’ordre international dans le fonctionnement des camps (où les ex-FAR rwandaises et la DSP zaïroise se sont mutuellement soutenues pour assurer le contrôle de l’aide et des populations), la solution militaire était attendue, voire préparée avec la caution explicite des certains bailleurs de fonds et organismes internationaux. Il faudra attendre un bon mois pour que la communauté internationale fasse semblant d’agir avec la décision de mise en place d’une force internationale humanitaire.

A Kigali, la période retenue n’est pas neutre : les élections américaines étaient en cours et rien de décisif ne pouvait avoir lieu, de plus, et à juste titre, les Rwandais savaient bien que le renouvellement de l’administration américaine ferait vraisemblablement partir leurs relais les plus fidèles (ceux qui se sentaient " coupables " du génocide de 1994) et qu’il faudrait plusieurs semaines pour reconstituer une équipe " africaine ", puis définir une politique. Au cours de telles périodes de transition, ce sont habituellement les instances militaires qui assurent la continuité de la politique et leur attitude favorable au ‘nettoyage’ du Kivu par les forces ougandaises, rwandaises et burundaises associées n’était pas cachée. De même, l’hostilité américaine à toute intervention internationale était acquise. Malgré les tensions entre Français et Américains, cette période peut être qualifiée de cogestion obligée et déséquilibrée. Cogestion obligée, car la France se trouve malgré elle alignée sur un profil de non intervention imposé par les Américains et évalue ses propres faiblesses avec l’embarrassant Mobutu. Déséquilibrée, car elle est en fait totalement isolée vis-à-vis de la quasi totalité des protagonistes internationaux, non pas sur les positions de principe qu’elle défend dans les enceintes internationales sur l’intégrité du Zaïre, la non-ingérence, etc., mais sur les stratégies cachées qui lui sont prêtées. Dès que Mobutu, avec l’appui de la France et de troupes mercenaires, enclenche une riposte assumant pleinement la logique de la confrontation militaire, l’administration civile américaine donne le signal du recul : elle dit envoyer un message aux Ougandais et Rwandais (fin de la première semaine de décembre) leur demandant de calmer le jeu (concrètement de ne pas aller jusqu’à la chute de Kisangani), un second part la semaine suivante à Kinshasa à l’attention de Mobutu, de retour de son séjour en Europe, sommé de respecter la " démocratie ", c’est-à-dire ses opposants. Schématiquement, avec ou sans Mobutu, les États-Unis s’offrent pour couvrir une transition politique et une fédéralisation en douceur du pays en promettant le retour des investisseurs. Hormis la question du leadership, la France n’a alors guère d’autres perspectives.

Le ‘jeu’ semble pouvoir marcher jusqu’à la mi-décembre, Kisangani apparaît sauvée et l’ébauche d’une contre-offensive s’esquisse d’une part avec l’armement intensif d’unités de l’UNITA au sud (qui alarma fortement le président Dos Santos), de la rébellion anti-Museveni au nord, et de l’autre, avec l’encadrement au centre des unités rescapées des FAZ par divers mercenaires. La reprise partielle de Walikale, le recours à l’aviation (bombardement des convois de troupes et de ravitaillement envoyés en renfort, puis de la ville de Bukavu), la demande d’appui au Burundi (20 janvier), etc. marquent un tournant.

Débute alors la troisième configuration des postures politiques. L’Ouganda, le Rwanda et le Burundi (uniquement sur son flanc ouest le long du lac Tanganyika jusqu’à Kalémié) vont alors s’engager pleinement dans le conflit avec des forces importantes. Sur la réalité des ingérences étrangères, la convergence des informations est à peu près totale entre les sources française, belge et britannique. La rupture est alors nette dans les discours gouvernementaux, l’agression presqu’ouvertement assumée, les objectifs de guerre explicités. À Kigali, où les ambassades occidentales renâclent, il est explicitement dit que leurs états d’âme ne changeront rien à la politique du Rwanda souverain pourvu que le " parapluie américain " demeure acquis. Il l’est apparemment au niveau des livraisons d’armes avec la noria quotidienne des gros porteurs sur Kigali et surtout sur Goma, il l’est aussi sur le plan diplomatique par " accompagnement " tacite ou explicite selon les interlocuteurs.

En fait, l’effondrement de l’armée et de l’administration liées à Mobutu est devenu l’argument essentiel du parachèvement de l’opération d’intervention et de " l’entente entre les pays de la région " selon les termes du vice-président rwandais A. Kagame (Le Soir du 9 avril 1997). Dans un premier temps, l’existence d’une zone tampon ou d’un Kivu fédéralisé pouvait suffire à stabiliser un rapport de force relativement durable et mutuellement avantageux pour les populations zaïroises concernées et les pays riverains, mais le risque durable d’un Zaïre sans leadership national et menacé de désintégration était insupportable aussi bien pour le Rwanda, que l’Angola, la Zambie ou l’Afrique du sud. Alors la " mission " de L.-D. Kabila s’est transformée : de la position de point d’appui local et d’obligé vis-à-vis de ses parrains de proximité, il lui échoit une ambition nationale.

Côté français, la débandade immédiate et totale des lignes de défense zaïroises interdit toute réaction. Il ne reste pour Paris qu’à attendre les erreurs du camp adverse et les inévitables difficultés de digestion de conquêtes aussi rapides.

La première va survenir sur la question des massacres de réfugiés hutu. Des forêts de Walikale aux camps de Biaro et Kasese, la vengeance a pu se donner libre cours par action ou par refus de laisser accéder les structures d’aide jusqu’aux réfugiés. De ce point de vue, les préoccupations françaises envers les réfugiés produiront plutôt l’effet inverse à celui visé : ils seront purement et simplement abandonnés à leur sort.

La seconde tient à la capacité politique même de l’Alliance des forces démocratiques à contrôler les territoires conquis, à y installer une administration et à gérer les issues finales avec Kinshasa. Sur ce point, les États-Unis se voient progressivement obligés de se démarquer : Kabila, bien qu’incontournable ne fait apparemment plus partie de la nouvelle génération des " dirigeants rationnels " et Washington tout comme ses alliés ougandais et rwandais n’ont comme seul vrai moyen de pression sur lui que de doser le rythme de l’avancée vers Kinshasa (en refusant par exemple les moyens de transport ou en retardant les livraisons d’armes). Cette " non-politique " américaine n’est acceptable que si ses protégés gagnent " proprement ", que si la victoire de Kabila n’enclenche pas un processus général de déstabilisation avec l’immixtion de l’Angola ou le rejet des autres forces politiques nationales. Ce n’est donc que dans la phase finale que l’envoyé américain après avoir contribué à ridiculiser les négociateurs sud-africains et onusien engagera le poids de son pays en s’installant… auprès de Kabila et de son " état-major " à Lubumbashi pendant la période cruciale de la prise de Kinshasa.

Fin mai, seul le Burundi continue à faire cavalier seul et à compliquer les jeux régionaux. La stabilisation à moyen terme du régime Buyoya semble désormais fort probable, car le quasi écrasement de la " rébellion " hutu a finalement été obtenu assez vite en recourant, aux moyens les plus radicaux (regroupement des paysans en camps sous contrôle militaire). De même, les tentatives d’ouverture du FRODEBU dépossédé du pouvoir auprès des régimes de Kigali et de Kampala n’ont pas dépassé les paroles verbales. Enfin, la solidarité envers les autorités légitimes a partiellement cédé lors du sommet d’Arusha du 16 avril 1997 où une levée partielle de l’embargo consacre l’inanité de ce moyen de pression (dont J. Nyerere s’était fait le plus farouche défenseur). Perçu comme un régime pro-français, et à ce titre justifiant les réserves ou l’hostilité de ses voisins, le Burundi bénéficie effectivement d’un soutien discret mais efficace de Paris à la fois pour l’exportation de son café via le Congo que pour sa réinsertion africaine contre l’embargo tanzanien et rwandais.

La principale conclusion de ce résumé des événements tient à la difficulté avérée et vraisemblablement durable à manipuler les interlocuteurs et acteurs africains : il existe désormais des réseaux régionaux (Ouganda, Rwanda, Zambie, Angola, etc.) capables de s’auto-organiser pour faire aboutir des stratégies certes avalisées par telle ou telle " grande " puissance mais dont toutes les implications ne recevraient certainement pas les soutiens souhaités. Par ailleurs, l’échec de la médiation sud-africaine et les affronts subis par Nelson Mandela de la part de Laurent-Désiré Kabila ont à la fois montré la complexité des enjeux et alliances entre pays africains, mais aussi la volonté de régler les conflits régionaux sur le continent lui-même (Afrique du sud, Gabon, Congo).

4. QUELLES LIGNES STRATEGIQUES SE SONT FINALEMENT AFFIRMEES ?

Deux préalables doivent, à notre avis, introduire les propos qui suivent.

Le premier tient à la complexité des appareils étatiques censés exprimer une politique étrangère : cette complexité est à la fois un alibi utilisé pour conforter un brouillage des stratégies lorsqu’elles sont particulièrement délicates à exprimer ou explicitement agressives, mais il s’agit aussi d’une composante inévitable du fonctionnement des grandes administrations qui rend difficile la mise en oeuvre de politiques claires ou des infléchissements majeurs toujours susceptibles d’être contrés par des réseaux parallèles.

Le second tient ensuite au fait que lorsque l’on parle de l’action des États-Unis, on désigne en fait le plus souvent celle du binôme États-Unis/Grande-Bretagne. Cette dernière " collant " proprement aux actions américaines pour l’essentiel àcause d’intérêts politico-économiques partagés. À bien des égards, son autonomie apparaît moindre que celle du Canada qui a essayé dans différents domaines de marquer une volonté propre d’action si ce n’est d’exprimer une vision indépendante de celle des États-Unis (préparation de l’opération internationale d’assistance humanitaire de novembre 1996 ou session d’avril de la Commission des droits de l’homme des Nations unies à Genève). Plus largement, hormis la Belgique, l’Espagne et l’Italie au sein de l’Union européenne, ainsi que la Suisse, la quasi totalité des pays habituellement impliqués ou intéressés par cette région du continent africain soutiendront activement ou par omission les positions américaines envers la région (généralement au nom du discrédit radical et définitif du régime Mobutu).

Sur le plan politique

En ce qui concerne la France, on pourrait à la limite laisser la page en blanc : l’illustration serait certainement plus forte que d’essayer de décrire ce qui a été une non-stratégie. La sobriété et la vacuité de la formule ministérielle " soyons prudents et modestes " (Jacques Godfrain, ministre français de la Coopération, Le Figaro, 6 mai 1997) résume bien la vision et la situation. L’analyse des commentaires officiels sur la région des Grands Lacs est, depuis deux ans, on ne peut plus simple puisque prévaut en quelque sorte un ‘silence radio’ qui semble être devenue la manière de répondre constante et commune face à l’incompréhension extérieure, à moins tout simplement qu’il n’y ait rien à dire sur une stratégie de pure conservation.

L’isolement français dans le camp occidental est à la mesure de la suffisance passée et affaiblit même les prises de position et analyses, qui seront pourtant considérée a posteriori justes par de nombreux analystes ou responsables politiques européens ou américains (comme sur la question de la force d’intervention humanitaire ou les dérives de l’État de droit à Kigali). Cet isolement et l’impuissance qui l’accompagnent marquent vraisemblablement la fin d’une époque : l’incapacité à renouveler les analyses et pratiques est aujourd’hui payée au prix fort.

Pour autant et pour peu qu’une meilleure évaluation des nouvelles réalités africaines prévale, la position française n’est pas catastrophique car, dans une région des Grands lacs " stabilisée ", il sera rapidement évident que les États-Unis n’ont pas, comme certains membres du département d’État s’évertue à le dire, de vraie politique africaine ni de volonté ferme de s’investir de manière tangible et massive sur cette région du monde. D’une certaine façon, l’affaire zaïroise prolongeant les déboires rwandais et burundais de la coopération française satisfait ses homologues américains mais en même temps, si ce terme à un sens dans le domaine des relations internationales, elle les désole, car elle les oblige à suppléer les défaillances d’une puissance intermédiaire incapable de remplir sa fonction " régionale " de stabilisation qui jusqu’ici n’étaient pas contestée.

Il est par ailleurs difficile d’identifier une ligne précise du département d’État américain du fait des nombreuses divergences exprimées par les différents porte-parole officiels. On pourrait ainsi juxtaposer les déclarations contradictoires des hommes et femmes en charge de cette région, comparer les propos et les actes, mais l’essentiel n’est pas là. Il réside dans le fait que les protagonistes africains " amis " qui pèsent de manière déterminante sur le dossier des Grands Lacs savent que, en l’absence de politique volontaire, les États-Unis finiront toujours par les couvrir et que la sensibilité panafricaine qu’ils expriment désormais avec force est considérée à Washington comme préférable à un nouveau tutorat français ou franco-belge. On retrouve là l’exceptionnelle capacité de Museveni, et de ses alliés rwandais, à déclencher le soutien de la diplomatie américaine. Sa principale force étant d’apparaître comme un gagnant et de ne solliciter que les moyens additifs qui confortent une politique qui va dans le sens de la modernité politique (good governance) selon l’optique américaine.

En fait, le principal souci américain officiellement affiché consiste à faire aboutir la stratégie de renouvellement des cadres politiques africains au moindre coût, ensuite à attendre que les intéressés fassent leurs preuves en terme de stabilisation politique et de dynamisme économique. L’objectif final étant de faire en sorte que la plupart des pays de ce continent cesse d’émarger au budget de l’humanitaire international et de l’aide publique au développement. Ainsi, un ambassadeur américain de la région n’hésite pas, en février 1997, à opposer les nouveaux points d’appui de la diplomatie américaine issus de la nouvelle génération des " dirigeants rationnels de l’Afrique moderne " aux dirigeants de l’" Afrique magique des ethnologues ", bien entendu soutenus par la France qui s’appuierait elle sur des forces finissantes.

Le propos est à la fois fondé pour l’essentiel en ce qui concerne l’état des lieux français (où la transition des générations est à la fois difficile sur place et à Paris) et fort présomptueux en ce qui concerne l’action de la diplomatie américaine. Il fait tout d’abord l’impasse sur le passé (on a vu précédemment que c’est au nom de ce critère que les principaux rivaux de Mobutu ont été physiquement éliminés avant sa consécration par la CIA) ou sur le caractère changeant des appréciations : en mai 1997, par exemple on ne sait plus très bien si Kabila fait encore partie de cette variété de " dirigeants rationnels ". Plus fondamentalement, beaucoup de ces dirigeants ne doivent pas leur accession au pouvoir à leurs éventuelles performances mais plutôt à des soutiens américains exclusifs ou tout simplement déterminants.

Par ailleurs, là où le parrainage est revendiqué, il est quelquefois difficile de dissocier ce qui revient ensuite à l’influence américaine et à celle des autres pays. Ainsi au Rwanda, les Américains ne figurent pas dans la liste des principaux bailleurs de fonds, mais ils jouent par contre un rôle décisif dans toutes les démarches visant à minimiser les atteintes aux droits de l’homme, à bloquer toute réflexion concertée sur la formulation d’une conditionnalité politique des bailleurs. C’est le porte-parole américain qui en juin 1996 à la table-ronde des aides extérieures a approuvé le premier ministre rwandais qui demandait le retrait du texte - combien prudent pourtant - des ambassades occidentales posant différentes questions sur le bon usage des fonds déboursés et l’avenir politique du pays. C’est encore l’ambassade américaine qui considère comme un mal nécessaire que plus de 50 % du budget de l’État soit consacré à l’effort de guerre, que la plus grande part de ces fonds soit dépensées selon la procédure des marchés de gré à gré qui alimente et renforce politiquement les éléments mafieux de l’armée, etc.

Sur le plan économique

Les fantasmes journalistiques sur les intérêts économiques colossaux qu’offriraient le Zaïre sont à la fois largement exagérés, et bien réels justifiant en particulier une précipitation des investisseurs ostensiblement mise en scène au fur et à mesure de la progression militaire des forces rebelles. La prise de contrôle quasi exclusive des différents sites miniers par des entreprises américaines, canadiennes et d’Afrique du sud s’effectue pour une part au détriment des intérêts belges et ne fait que consolider une primauté déjà ancienne.

La redistribution des concessions permet à Kabila d’honorer ses traites à court terme et de payer les charges quotidiennes de l’appareil politico-administratif qui le supporte. Pour les grands groupes miniers, l’engagement leur permet de faire le tour des potentialités, de chiffrer l’investissement de remise en état de l’outil de production, le coût des charges induites de réhabilitation de l’environnement et surtout de voir venir… le temps que le deuxième volet de la stratégie " américaine " se mette en place à savoir le lancement annoncé d’un mini-Plan Marshall de reconstruction. Ce plan serait lancé avec l’appui de la Banque mondiale et des bailleurs de fonds du PNUD qui répartiraient et étaleraient les coûts pour favoriser le retour de l’investissement privé. Le paradoxe de l’administration américaine dans le cadre politique actuel des rapports entre la Présidence et les Chambres consiste justement à parler fort et à débourser elle-même le moins possible.

Les stratégies de politique économique se décident pour l’essentiel dans des cadres concertés entre les organismes nationaux et internationaux de coopération aux procédures longues et complexes. Dans cette optique, si le rapport de force militaire ‘porte’ indéniablement la stratégie des amis des États-Unis et donc celles des investisseurs privés américains, la " socialisation " de la lourde charge financière des séquelles des divers conflits régionaux sera demain au Congo-Zaïre, comme aujourd’hui au Rwanda, confrontée à l’inconstance des bailleurs et proportionnée aux ressources économiques effectivement mobilisables par chaque partenaire local. Tout laisse penser en outre que, dans le cas du Congo-Zaïre, le consensus (obligé) qui a prévalu le mois dernier au niveau de la Banque mondiale pour classer l’Ouganda comme premier pays bénéficiant des nouvelles procédures d’allégement de la dette multilatérale pour 338 millions de US $ (décision du 23 avril 1997) ne pourra se renouveler du fait des contentieux accumulés entre les puissances tutélaires.

Enfin, on ne peut manquer de penser que la stratégie du " plan Marshall " visant à gagner la paix en couvrant un pays de dollars, tout à fait irréaliste dans le contexte économique international actuel, relève d’une extrême naïveté. Il est certes concevable de lancer un tel plan dans un Zaïre débarrassé de son système kleptocrate qui permettrait de financer l’installation d’un nouveau système fédéral et d’une administration minimale des biens et des personnes. Mais la principale leçon de trois décennies du développement a été justement de démontrer qu’on ne construit pas les cadres politiques favorables à une croissance durable de l’extérieur. Maîtrisant l’offre de développement, l’illusion constante des développeurs a été de façonner eux-mêmes la demande de développement, en demandant aux élites du pouvoir, civiles ou militaires, installées à la tête de dispositifs étatiques lourds et autoritaires, d’appliquer les recettes ultralibérales…

 

 

5. LES ENJEUX REGIONAUX A COURT ET MOYEN TERME

• La question des droits de l’homme et des éventuelles poursuites pour crimes contre l’humanité et génocide

Cette préoccupation sera vraisemblablement considérée comme secondaire au regard des tâches et défis du nouveau régime congolais. Il est impossible cependant d’imaginer que dans les trois pays de la région, elle puisse être passée durablement par profits et pertes : l’impunité figure au même titre que la corruption parmi les héritages honnis des régimes déchus. De ce point de vue, l’omniprésence américaine dans la région, se substituant à une puissance justement disqualifiée pour défaillance évidente en la matière, va mettre à rude épreuve le " pragmatisme idéaliste " proclamé de Madeleine Albright. Les États-Unis apportent en effet un appui décisif à la stratégie de " blanchiment " des nouveaux régimes en matière de droits de l’homme et de démocratie. On a assisté depuis octobre 1996 à de véritables campagnes de désinformation sur la situation effective et le retour des réfugiés rwandais, de même aucune exigence forte n’a été formulée face à la rétention systématique de l’information et au frein aux investigations pratiqués par l’AFDL, le Rwanda et l’Ouganda, enfin la gestion médiatique de la guerre civile zaïroise relève d’une stratégie particulièrement élaborée, etc.). On appréciera aux actes les intentions de l’envoyé spécial américain souhaitant que des procédures d’enquêtes rapides aboutissent sur ce qui apparaît indéniablement comme une extension des pratiques génocidaires du Burundi et du Rwanda sur le territoire zaïrois.

En décembre 1996, le rapporteur spécial pour le Zaïre, Roberto Garreton, déclarait que l’AFDL ne faisait pas de prisonniers. Fin mars 1997, il confirmait l’existence indubitable de massacres lors d’une rapide mission d’enquête et ajoutait dans une déclaration, faite à son retour, qu’il était clair que les militaires présents dans les zones visitées " n’étaient pas des Zaïrois " (Le Soir, 3 avril 1997). A son voyage suivant fin avril, il n’a même pas été autorisé à quitter Kigali. De même, le 5 mai 1997, le communiqué des Nations unies et les dénonciations des pratiques de l’AFDL par le porte-parole du secrétaire général, Juan Carlos Brandt, ont dépassé au niveau du vocabulaire les normes habituellement en usage dans cette institution. Sur ces divers points les " hallucinations françaises " décrites par un membre du département d’État sont désormais fondées et reconnues.

La demande des autorités rwandaises formulée auprès du Conseil de sécurité des Nations unies de redéfinir le mandat du TPIR pourrait, bien involontairement pour ses auteurs, donner l’occasion d’une demande de plusieurs pays d’élargissement du mandat dans le temps (jusqu’à l’année 1997) et dans l’espace (incluant le Zaïre où prévaut le soupçon de crimes contre l’humanité et de génocide).

• La recomposition de l’Union économique de l’Afrique de l’est et l’émergence de nouveaux pôles économiques

Les efforts pour relancer l’Union économique de l’Afrique de l’est datent maintenant de trois années. Le contenu et les effets sont toujours ténus et se pose en particulier la question de l’espace économique intérieur qui justifierait une délocalisation des investissements, jusque là principalement concentrés sur le Kenya, vers l’Ouganda afin de conforter et de nourrir durablement sa croissance actuelle. Pour cela, il importe qu’au-delà de l’Ouganda existent des marchés solvables ou des richesses exploitables. L’intégration du marché rwandais a tiré cette croissance depuis 1994, mais les effets d’entraînement s’atténuent. Il est donc clair que l’avenir des relations avec les provinces riveraines du nouveau Congo sera décisif : recentralisation ou décentralisation, place des investisseurs et de la main d’oeuvre étrangers, débouchés des voies de transit. Les réponses données à ces questions déterminent les performances futures et le type de croissance de l’économie ougandaise et, par voie de conséquence, le rééquilibrage de l’Union économique au profit de son hinterland. Vu du côté congolais, la question de la polarisation économique nationale demeure entière : maintien du pôle dominant à Kinshasa, large autonomie accordée aux provinces proches des Grands lacs et reconstitution d’un pôle est…

Au-delà de ce premier espace, s’esquisse la stratégie d’investissement de l’Afrique du sud qui pèse désormais de tout son poids économique sur l’ensemble des pays au sud de l’Équateur. Assurément, il est possible d’y voir la traduction d’une stratégie dite de la " Great Horn of Africa ", mais il serait incompréhensible que la politique des firmes sud-africaines se limite à cette zone. Dans le domaine économique, rien ne s’oppose, ni les moyens, ni la volonté, à un déploiement économique global, indifférent aux tropismes - politiques - vers l’est ou l’ouest du continent : Namibie, Angola, Zaïre d’un côté, Union économique de l’Afrique de l’Est de l’autre. En fait, l’Afrique du sud participe déjà depuis la fin de l’embargo lié à l’apartheid en 1990 à la ‘mondialisation’ : taille de ses firmes, forte participation des capitaux étrangers, implication de ses entreprises sur le marché d’autres continents, diversification de ses exportations.

Une troisième dimension à laquelle il est prématuré d’essayer de répondre mais qui mérite d’être abordée, concerne la future stratégie du nouveau Congo soit comme puissance économique équatoriale, à cheval entre les zones francophones traditionnelles et le cône sud, soit comme puissance économique méridionale en rupture avec ses partenaires traditionnels et dans le prolongement des grands groupes basés en Afrique du sud.

D’une manière générale, on peut souligner que tous les marchés sont désormais ouverts à la concurrence dans l’ensemble de la zone et que :

- la diplomatie sud-africaine n’est pas une " diplomatie dépendante ", elle a les moyens de faire prévaloir ses intérêts propres en appuyant tous les efforts de pénétration économique occidentaux, français y compris ;

- la France peut trouver auprès du Kenya un pays à la fois plutôt favorable à ses thèses quant à la résolution des conflits dans la région des Grands lacs et largement hostile à la volonté d’hégémonie économique présumée de l’Afrique du Sud ;

- en Angola aussi on assiste à une compétition économico-politique très ouverte. Le handicap de la crise zaïroise ne devrait pas être trop délicat à surmonter pour les investissements français malgré l’attitude hostile du président José Eduardo dos Santos vis-à-vis de Mobutu. La France avait clairement fait savoir que le renforcement des troupes de Jonas Savimbi n’était pas dirigé contre le régime de Luanda et avait exprimé sa confiance en une non-intervention directe de l’Angola dans les affaires zaïroises.

• La force interafricaine d’intervention

Fruit d’initiatives concurrentes de la part de la France et des États-Unis lors des crises rwandaise et burundaise, ce projet prend acte de plusieurs échecs récents sur l’ensemble du continent et de la volonté de certaines puissances tutélaires de se dégager partiellement de tâches qu’elles ne sont plus en mesure de supporter seules. La France, par exemple assume à ce jour en Afrique, 8 accords de défense et 23 protocoles de coopération ou d’assistance technique militaire. La gestion des crises dépasse manifestement ses seules capacités nationales et elle se voit dans l’obligation de les gérer :

- a) en coopération avec d’autres pays, notamment européens, ou

- b) avec d’autres États africains liés à la France dans le cadre de plans d’intervention multinationaux (type Centrafrique) voire,

- c) dans le cadre d’une force interafricaine de paix, projet similaire ou concurrent à celui de Washington mais dont le contenu et les missions demeurent flous.

Ce dernier projet, intitulé African Crisis Response Force (ACRF), a été formellement exposé en octobre 1996 lors de la tournée en Afrique du secrétaire d’État américain Warren Christopher. Sa formulation, à laquelle l’administration américaine réfléchissait depuis plusieurs mois sous la pression de l’aggravation de la crise burundaise, marquait le point d’aboutissement d’un long travail diplomatique et se substituait au projet français débattu depuis 2-3 ans avec plusieurs pays africains et au sein de l’OUA. l’ACRF reposait à la fois sur un engagement américain ferme et précis (calendrier et budget) et une adhésion de plusieurs pays anglophones de la sous-région (la Tanzanie, l’Ouganda et l’Éthiopie principalement) mais aussi de certains alliés traditionnels de Paris (comme le Mali et le Sénégal). Les conditions de son annonce apparaissent cependant tout à fait étonnantes puisque le coup d’État militaire au Burundi rendait d’emblée les " travaux pratiques " vains et que les grandes puissances africaines décisives sur le plan militaire (comme l’Égypte, l’Afrique du sud ou le Nigeria) continuaient à s’y opposer ouvertement. Bref, tout laisse penser qu’il s’agissait surtout de prendre date.

La solution burundaise de 1996 tout comme l’issue zaïroise de 1997 semblent en fait bien préférables. Mises en oeuvre dans le premier cas par des forces internes et, dans le second, par une intervention coordonnée entre pays voisins intéressés, il a suffi dans les deux cas d’une politique " d’accompagnement " par les puissances tutélaires occidentales rivales pour que s’imposent les buts fixés par le camp le plus déterminé. Paradoxalement donc, l’enjeu de cette force interafricaine apparaît à ce point capital, à la lumière des derniers conflits, que vraisemblablement… beaucoup de temps s’écoulera avant que des projets précis voient le jour.

Si tout le monde s’accorde sur le principe de la création d’une telle force interafricaine de sécurité pour faire face aux situations d’urgence : troupe multinationale permanente, intégrée, armée et soutenue par les Occidentaux, la question du leadership africain comme occidental reste posée. L’Afrique du sud semble la puissance la mieux placée pour fournir l’ossature militaire africaine, mais elle ne fait pas l’unanimité parmi ses pairs alors même que les conditions politiques internes ne semblent pas encore réunies pour qu’elle puisse jouer ce rôle militaire. De plus, l’Afrique du sud, tout comme le Nigeria ou l’Égypte, etc. posent des questions de principe non résolues à ce jour. En effet, contrairement à la Tanzanie, prête à servir au Burundi à la mi-1996 dans le cadre défini par les Occidentaux en échange d’un traitement de faveur en matière d’ajustement économique, l’Afrique du sud a vigoureusement désavoué une telle stratégie de " sous-traitance " et a fait savoir qu’une initiative de ce type ne pouvait qu’être du ressort de l’OUA et des Nations unies. À l’heure actuelle, beaucoup d’efforts en matière de concertation interétatiques au sein de l’OUA restent à faire pour dégager une ébauche de consensus.

Du côté des Occidentaux, la primauté des États-Unis ne semble guère pouvoir être contestée dans la mesure où ils sont les seuls à disposer de moyens de transport adéquats pour un déploiement rapide et sur de longues distances, mais la question des prérogatives françaises demeure (avec en particulier, les deux problèmes de la place de la France dans le dispositif et de la spécificité des " pays du champ "). En fait, s’il y a désormais débat entre les deux puissances interventionnistes en Afrique, la raison tient au fait que politiquement et militairement la France, tout comme les États-Unis pour d’autres raisons, ne sont plus ou pas en mesure d’intervenir seuls pour régler de telles crises.

• La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs

Cette référence devenue quasiment mythique en particulier pour la France depuis deux ans a largement perdu de sa consistance suite au règlement aux forceps du problème des réfugiés, puis l’élimination de l’hypothèque Mobutu. La difficulté réside dans le fait que chacun des États, et tout laisse penser que le nouveau Congo ne dérogera pas à la règle, se refuse à voir traiter ou même aborder ses propres problèmes dans un cadre régional.

Ce refus demeure difficile à comprendre alors même que des ententes régionales et des systèmes de parrainage ou d’intégration fonctionnent déjà de facto et de manière tout à fait efficace. L’explication la plus vraisemblable réside dans le fait que chaque protagoniste sait à quel point des divergences ou contentieux majeurs subsistent dans leurs propres relations bilatérales, divergences qui pourraient rapidement dégénérer en affrontements économiques ou politiques ouverts si des alliances privilégiées devaient se dégager ou se consolider lors de telles concertations régionales. Une seconde, à mon sens, tient à l’expérience acquise au cours des dernières années dans les négociations avec la " communauté internationale ". Il est évident que chaque pays de la région a tiré des leçons des exercices internationaux de négociation et de leurs limites. Ils ont aussi mesuré les bénéfices majeurs qu’ils peuvent individuellement tirer des divisions occidentales (expulsion des ONG au Rwanda en novembre 1995, non-application de la conditionnalité politique, manipulation de la douzaine de médiateurs mandatés ou auto-mandatés, etc.). Dans cette optique, tout ce qui pourrait apparaître comme une coordination formelle des interlocuteurs internationaux réduirait leurs marges de manoeuvre.

6. CONCLUSION

Les compétitions que nous venons de décrire entre les États-Unis et la France sur cette région de l’Afrique ne doivent pas faire oublier qu’elles s’ajoutent à d’autres dossiers faisant l’objet de contentieux comme le renouvellement de Boutros Boutros Ghali au secrétariat génréal de l’ONU, le commandement sud de l’Otan, les rivalités pétrolières, etc.

La série des revers français correspond effectivement à des succès américains, mais ces revers ne concernent pas tous les interlocuteurs français qui fréquentent cette région, tout comme les succès ne concernent pas tous les interlocuteurs américains.

Pour une large part, l’analyse est identique en ce qui concernent les ressortissants de la région pour lesquels il est bien délicat de préciser, au-delà des personnages emblématiques au nom desquels on se battait, qui est vraiment gagnant ou perdant. L’atout principal du camp des vainqueurs est qu’il est a priori difficile de faire pire que le système Mobutu. Les faiblesses majeures peuvent être énumérées ainsi :

- l’évolution des " amitiés " régionales alors même qu’un appareil d’État congolais est à construire. Ou, dit autrement par une personnalité zaïroise, s’agit-il d’une libération ou d’une occupation du Zaïre ? Et dans ce dernier cas, quelles issues s’imposeront ? ;

- parallèlement à la stabilisation politique régionale, le redémarrage des économies sinistrées suppose dans les trois pays des apports financiers massifs à des taux concessionnaires et sur longue période. On se retrouve là dans la même situation qu’en 1990 où, pour le Zaïre, aucune puissance tutélaire n’avait les moyens ou ne voulait prendre le risque de prendre en charge seule une telle tâche. Qu’il s’agisse du Rwanda, " pays le plus pauvre du monde " en 1996, désormais rejoint par le Burundi, ou du Zaïre pillé, il est impossible d’imaginer des reconstructions (et donc, pour une part au moins, une stabilisation politique) sans une stratégie internationale volontariste d’aide qui, très vraisemblablement ne se produira pas ;

- le potentiel d’instabilité régional demeure élevé. Les ordres militaires rwandais, burundais et congolais tirent un trait définitif sur la période dite des transitions démocratiques (1988-94) mais n’ouvrent aujourd’hui, dans les trois pays, aucune perspective claire sur un cadre politique durable. Au contraire même, l’inexistence de points d’appui démocratique consistants sur lesquels pourraient s’appuyer des régimes pacifiques laisse entrevoir de nouvelles causes de tensions ou des possibilités de déstabilisation susceptibles d’être utilisées pour justifier le maintien des ordres sécuritaires : la région disposent aujourd’hui de chefs de guerre, de dizaines de milliers d’hommes en armes auxquels peu d’opportunités de réinsertion civile s’offrent.