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HISTOIRE POLITIQUE DE LA TELEVISION ESQUISSE D'UNE GENESE
par Stéphane OLIVESI Docteur d'Université en Science Politique Retour sur un travail. Rendre compte de son propre travail, de sa genèse et de ses éventuels apports, constitue un exercice plus difficile quil ny parat au premier abord. Ces difficultés ne résident nullement dans la restitution de lintention fondatrice à partir de laquelle se serait déployée le projet. Elles ne résident guère plus dans leffort à fournir pour donner une vision cohérente du cheminement intellectuel parcouru au fil de la recherche. Rien de plus facile en effet que de retracer a posteriori ce cheminement afin de donner lillusion que lon a su réaliser, au prix de quelques efforts méritants, ce que lon a depuis toujours voulu faire. Refuser ces petites hypocrisies auxquelles linstitution nous convie avec force dinsistance lors de rituels tels que soutenance de thèse, rapports de recherche, etc., cest reconnatre que ces difficultés résident avant tout dans les présupposés et les contraintes qui sont inhérents à lexercice singulier qui consiste à prendre pour objet son propre travail de recherche, comme sil était possible de se dédoubler pour devenir le juge impartial et lucide de soi-même, tout en demeurant le laborieux producteur dune vérité aveugle. Quelle est donc cette position-de-sujet que linstitution nous invite dans ce cas à occuper ? Elle nest déjà plus celle des premières incertitudes, des tâtonnements et des erreurs rectifiées qui ont conduit à la réalisation du travail dont il sagit à présent de rendre compte ; le discours sollicité porte sur celui-ci et doit, à cette fin, sen détacher pour prendre, comme on dit familièrement, "une certaine distance". Mais cette position-de-sujet ny est pas, non plus, totalement étrangère. Cest en effet parce quil existe un individu auquel on attribue la qualité dauteur que celui-ci est institué en sujet qui, mieux que dautres, peut discourir sur sa création et restituer lintention cachée qui en sous-tend lagencement. Cette opération de montage conduit ainsi lindividu-auteur à assumer cette part de vérité sur lui-même, incarnée dans son travail, au moyen de laquelle linstitution définit une identité qui lui est irrémédiablement assignée. Pour cet être dinstitution, assumer cette identité demprunt et la position sociale qui lui est corrélative, requiert de tenir un discours sur son propre discours sans se paraphraser, ni simiter servilement au point de ne produire quune pâle copie, privée du supplément dâme tant attendu. Le paradoxe est consubstantiel à lexercice même du commentaire qui "doit (...) dire pour la première fois ce qui cependant avait été déjà dit et répéter inlassablement ce qui pourtant navait jamais été dit. (...) il permet bien de dire autre chose que le texte même, mais à condition que ce soit ce texte même qui soit dit et en quelque sorte accompli."1 Ce paradoxe sarticule sur deux prémisses : lhégémonie de lauteur qui règne sur son discours et lui confère, en retour, son unité sémantique et sa cohérence formelle ; la croyance exégétique en lexistence dune vérité qui serait à chercher dans le Texte même, autonomisé à légard de ses conditions de production et de réception. Il sagirait en conséquence pour lauteur de livrer la vérité cachée de son propre travail, comme si ce dernier ne se suffisait pas à lui-même, comme sil avait besoin que lon vienne en quelque sorte lui donner vie en indiquant quelle est la signification profonde dans laquelle se lit la signature même de son créateur. Assumer linjonction qui consiste à sénoncer sur son propre travail, cest donc méconnaître quavant den être lAuteur, on est un agent qui sest inscrit dans des institutions denseignement et de recherche, a suivi cours et séminaires, fréquenté chercheurs et bibliothèques, etc., bref tout un espace social et intellectuel à lintérieur duquel le travail a progressivement mûri par une sorte de processus détayage, fait de rectifications successives. Cest aussi ignorer que le discours final nest nullement lexpression dune recherche pure et désintéressée qui aurait conduit son auteur à la vérité, comme par un lent cheminement vers la lumière. Dans la définition dune problématique, dans limportation de cadres théoriques, dans la délimitation dun champ dinvestigation, dans la présentation des résultats obtenus et les stratégies rhétoriques mobilisées à cette fin, ainsi que dans la plus élémentaire note de bas de page, il faut lire comme la condensation dun ensemble de rapports de pouvoir que lagent vit, non pas sur le mode paranoïaque de la guerre de tous contre tous, mais à partir de lintériorisation de règles et de nécessités tactiques constitutives de lunivers de la recherche et de son positionnement en son sein. Ces rapports de pouvoir ne se résument donc nullement aux quelques épreuves ponctuelles qui conditionnent la reconnaissance de la scientificité du travail effectué. Ils sont pour ainsi dire premier, au sens où ils définissent la trame du dicible, structurent lespace à lintérieur duquel sélabore la recherche, et déterminent en totalité la production du vrai. Cest dire quil ny a dépistémologie possible qui ne soit fondée sur une science du pouvoir. La présentation de la genèse de tout travail de recherche se doit en conséquence de déjouer une série dillusions qui ont pour double racine les catégories à partir desquelles nous vivons le rapport à notre propre pratique, et les contraintes sociales qui sont inhérentes au jeu universitaire et à sa capacité à nous instituer en sujet dans le discours. Ces précisions nont certes pas pour fonction desquiver les méandres de lexercice, ni den retarder léchéance, mais dattirer lattention sur le fait que lego qui sénonce dans ces lignes nest pas le même que celui qui sénonçait en tant quauteur dune thèse intitulée Histoire politique de la télévision. La présentation qui en est proposée à la suite ne prétend pas en restituer fidèlement la genèse et le contenu ; elle se contente plus modestement den préciser les axes directeurs et de décliner quelques aspects de ce travail sous la forme dune synthèse-bilan. Aux origines dune problématique Sil fallait inventer rétrospectivement un problème initial auquel lHistoire politique de la télévision se serait proposée de répondre, il serait le suivant. En raison de son caractère familier et de la diversité des discours qui la prennent pour objet, la télévision ne laisse guère entrevoir les logiques corrélées qui en sous-tendent la réalité. Ces logiques recoupent divers ordres de phénomènes : social, si lon se reporte à la communication ainsi quaux implications du média sur des champs adjacents (champ journalistique, champ politique...) ; économique, avec la production de programmes, le financement des chanes, le jeu de la concurrence ; technique, en fonction des dispositions du média et du type de communication quil permet dinstaurer ; politique, avec les rapports du gouvernement à laudiovisuel, etc. Comment, dès lors, appréhender la télévision sans perdre de vue la multiplicité des dimensions de cet objet et, par ailleurs, sans négliger le fait quil plonge ses racines dans une société qui détermine les conditions de son développement et de son acceptation par le corps social ? Et comment saisir ce que lon désigne, sans toujours savoir de quoi il sagit, comme étant "son pouvoir" ? Entreprendre une Histoire politique de la télévision, cest tout dabord essayer délaborer un cadre danalyse afin de répondre à ces interrogations générales. Cest aussi suggérer que les éventuelles réponses sont à chercher dans une histoire politique qui ne se limite ni à lhistoire événementielle des relations des acteurs politiques à la télévision, ni à lhistoire des formes de la communication politique, ni même à lhistoire de laction du média sur le corps social et, surtout, qui échappe aux partis pris normatifs inhérents aux spéculations sur lhypothétique déréliction dun "espace public" de la communication2 "Histoire" et "politique" sont en fait à concevoir comme des modes de connaissance de la télévision dans sa réalité présente. Il est sous-entendu que la compréhension des différentes dimensions (sociale, technique, économique, juridique...), la mise à jour de leur corrélation en pratique, ainsi que la saisie des conditions de linscription de la télévision dans la société, requièrent un double traitement historique et politique de cet objet. Cest dire que la télévision, dans sa réalité présente comme dans ses implications sociales, est un produit de déterminants politiques que, seul, le travail de mise en perspective historique permet de dégager. La politique ne doit donc pas être conçue comme une réalité à connatre, mais comme un mode de connaissance requis par lobjet étudié dans la mesure où il répond dune logique dont les déterminants principaux relèvent de cet ordre. Cette acception du concept de "politique" repose sur l(hypo-)thèse selon laquelle il nexiste pas en soi de réalité politique (ce que lon appelle "parti politique" nétant pas en soi une réalité politique, mais une réalité sociale, du moins si on le rapporte à ses militants, son organisation, sa communication), mais des ensembles de phénomènes dont la détermination relève directement ou indirectement de cet ordre. Que lon considère en effet la communication télévisuelle, le droit de laudiovisuel, son économie (politique) et, plus encore, lévolution des formes de gouvernement de laudiovisuel, aucun de ces pans de réalité ne savère indifférent à des considérations dordre politique. En ce sens, la politique est adjacente à lensemble de ceux-ci. Plus encore, elle en constitue le dénominateur commun et le principe dintelligibilité. Le parti pris dun traitement historico-politique de la télévision en découle. Il implique à la fois une appréhension particulière de lobjet "télévision" et un système dexposition adéquat. Il sest en effet agi de traiter, non pas de la réalité historique en tant que telle, mais des différentes formes de problématisation afférentes à la télévision. Cette notion de problématisation recouvre à la fois les formes dans lesquelles la réalité a été perçue et analysée, et les réponses pratiques qui ont été apportées aux enjeux soulevés par celle-ci. Lanalyse des problématisations correspond donc à la nécessité de saisir les diverses dimensions de la télévision à partir des problèmes que son existence na pas manqué de soulever, et des aménagements épistémiques et pratiques qui se sont imposés en réponse à ces mêmes problèmes. Cette option "méthodologique" correspond à une double nécessité. Dépasser lobstacle historiographique : comment en effet réaliser une histoire totale qui, à la différence dune histoire générale, ne juxtapose pas des analyses sur les programmes, leur réception par le public, lorganisation générale du secteur, les statuts des différentes catégories de personnel, etc., mais investisse les rapports entre ces dimensions, dans leur dynamique historique, comme lexpression dune réalité insécable ? Et comment dépasser la multiplicité des points de vue antagoniques, épistémologiques (selon la diversité des savoirs qui la prennent pour objet : juridique, économique, sociologique, sémiologique) et sociaux (les acteurs politiques, les publics, les producteurs de représentations du public, les multiples catégories de personnel), qui structurent la perception de la télévision ? Par ailleurs, ce qui caractérise la réalité de ce média dans sa détermination pratique, cest quil est indissociablement attaché à des systèmes de représentations qui éclairent les manières dont son fonctionnement, sa place dans la société, son statut ont été définis selon certaines nécessités stratégiques quil sagit précisément de faire apparatre. Le système dexposition, cest-à-dire lorganisation de la thèse, reflète cette nécessité. Il est en effet centré sur la thématique générale du pouvoir. A lencontre de la logique induite par une conception pyramidale du Pouvoir politique, il sest agi, non pas simplement de renverser sur un mode dialectique ce schéma pour partir de la base et remonter vers le sommet, mais dopter pour une toute autre construction. Dans un premier temps, les analyses se sont attachées à réaliser une triple investigation archéologique (configuration historique), généalogique (devenir-événementiel des éléments compris à lintérieur de ces configurations épistémiques et pratiques) et stratégique (nécessités en réponse desquelles ces configurations se sont formées ou transformées) de la communication audiovisuelle afin den cerner les conditions démergence et les implications sociales et, à partir de là, de saisir en quoi consiste "le pouvoir de la télévision", comment il sexerce et sous quelles formes. En un deuxième temps, les analyses ont porté sur linstitutionnalisation dun dispositif de communication en France ; il sest alors agi de mettre à jour sous quelles conditions institutionnelles et économiques, mais aussi sous leffet de quelles nécessités politiques, ce dispositif, dépositaire du pouvoir de communication, a pu voir le jour. Enfin, à partir du constat selon lequel ce processus dinstitutionnalisation et les transformations structurelles de laudiovisuel qui lont accompagné, se sont opérés de manière continue, indépendamment donc des changements de majorité politique et des choix gouvernementaux, souvre un troisième axe dinvestigation sur les rapports du "Pouvoir politique" à laudiovisuel et la réalité même de ce "Pouvoir". Enseignements : une généalogie de la communication audiovisuelle Au risque dune simplification abusive, on peut considérer que les analyses relatives au pouvoir de la télévision se classent en trois catégories : la tradition empiriste des "effets limités" ; la perspective "techniciste", dans ses multiples variantes ; enfin les analyses dinspiration marxiste centrées sur lidéologie. Cest à lencontre des principaux présupposés de ces trois conceptions et, indirectement, dessais qui traitent du pouvoir de la télévision sans toujours prendre le soin dindiquer ce que recouvre ce terme, que se déploie linvestigation (généalogique, archéologique et stratégique) de la communication télévisuelle. Afin de faire ressortir la spécificité de ce pouvoir, cette investigation a adopté une démarche comparatiste (sériation des concepts ; repérage des discontinuités ; événementialisation ; critique des universaux) et décomposé son objet selon trois axes : les caractéristiques techniques et fonctionnelles du média ; le régime de pratiques dans lequel son fonctionnement sinsère ; lanthropologie politique impliquée dans les communications de masse. Il en ressort plusieurs enseignements. La permanence de termes tels que "masse", "public", "opinion publique" occulte souvent la détermination historique de concepts qui se rapportent à des phénomènes singuliers. Autrement dit, ce qui est désigné par ces notions à la fin du XIXe siècle na que peu de rapport avec ce qui sera désigné un demi-siècle plus tard par ces mêmes termes. Saisir la logique des changements de concepts derrière lillusion de permanence induite par lidentité des termes, conduit à souligner en quoi et pour quelles raisons la conception quantitative de lopinion publique ne peut simposer que sous certaines conditions historiques, politiques, mais surtout médiatiques, inhérentes à la transformation du public en audience sous leffet du développement de la radiodiffusion3. Encore faut-il indiquer que laudience, avant dêtre un argument commercial auprès des annonceurs, est une construction anthropologico-politique, au sens où la connaissance quantitative et qualitative du public conditionne les formes daction sur ce dernier et contribue ainsi à en définir la réalité4. Il ressort par ailleurs que, du double point de vue historique et pratique, études daudience et sondages dopinion sont corrélés et quils doivent être appréhendés, moins à partir des connaissances quils apportent, que des usages sociaux du savoir et des effets de pouvoir qui en résultent et se traduisent par la rationalisation des pratiques de communication. Comprendre les logiques de programmation mais aussi la définition des contenus de la communication télévisuelle (en matière de fiction, dinformation, de publicité et de communication politique) nécessite en ce sens de se reporter moins aux acteurs, à leurs compétences ou leurs intentions supposées, quaux savoirs quils sont conduits à mobiliser et à suivre. La définition dune quelconque tactique de communication repose en effet sur une série de calculs relatifs à lefficacité de laction. Elle sappuie pour cela sur les ressources que recèle cette configuration médiatique, modelée par des technologies de savoirs qui sétendent de la mesure daudience quantitative la plus élémentaire jusquà lintériorisation, dans des pratiques routinisées, dun savoir-faire particulièrement élaboré, sans oublier évidemment les multiples études relatives aux goûts, aux attentes (supposées), aux opinions du public. Le pouvoir est, en ce sens, à situer dans lémergence dune configuration stratégique (dispositif de communication) dépositaire dun ensemble de technologies de savoir conditionnant les formes daction sur le public. La communication telle quelle apparat vers le milieu des années trente aux Etats-Unis, se définirait ainsi comme lâge positif de la propagande au sens où le dispositif qui sinstaure alors, se caractérise par le développement de ces technologies et la rationalisation des pratiques qui en résulte. Quant au pouvoir de la télévision, il nest nullement réductible au média ; il découle de linscription de ce dernier dans cette configuration singulière qui lui assigne un mode de fonctionnement finalisé. Ce pouvoir traverse les relations de communication et se déploie à partir de la connaissance des goûts, des comportements, des opinions de ceux sur qui lon cherche à agir. Il apparat ainsi comme le principe dintelligibilité de la communication, à la condition toutefois de ne pas le réifier pour en faire un objet dappropriation, ni de le concevoir sur le modèle dun rapport de domination intransitif. Cest en effet parce que, dans ce cadre aménagé, le public manifeste une certaine forme de liberté sur laquelle il sagit davoir prise, quil y a développement et intensification de ce pouvoir consubstantiel à la communication. La libéralisation de laudiovisuel comme processus dinstitutionnalisation dun dispositif de communication Comment un tel dispositif de communication a-t-il pu se déployer en France ? Sous quelles conditions institutionnelles, sociales, économiques, et en fonction de quelles nécessités ? Pour répondre à cette interrogation, linvestigation historique sest portée en un premier temps sur la genèse des statuts de la radio-télévision et sur la première décennie de la Cinquième République. Cest en effet durant cette période que la télévision sest développée en France sous monopole dEtat, et quelle a été amenée à occuper une place prépondérante dans la vie publique. Ont ainsi été analysés des jeux de corrélations historiques entre le développement de la télévision dune part et, dautre part, les transformations des modes de manifestation du "pouvoir politique", les mutations de la presse quotidienne (régionale notamment), le développement des sondages dopinion, etc. Ce premier repérage historique étant centré sur la caractérisation dun "modèle étatiste" de développement, il sest agi ensuite de saisir les logiques de la libéralisation de laudiovisuel durant les années soixante-dix et quatre-vingt. A cette fin, ont donc été analysées conjointement lévolution de la législation, les transformations économiques de ce secteur, la redéfinition des formes de gouvernement de laudiovisuel et lémergence dun système de contraintes, susceptible de déterminer la forme, le contenu et la programmation des émissions pour constituer ainsi "un ordre des pratiques". Il ressort de lensemble de ces analyses que linstitutionnalisation dun dispositif de communication dépend dune série daménagements conditionnés par la libéralisation de laudiovisuel. En ce sens, et contrairement à ce que suggère le partage privé/public érigé en grille dinterprétation de la réalité historique, cette libéralisation nest point synonyme de retrait pur et simple de lEtat. Il sagirait plutôt, au risque dun apparent paradoxe, dune étatisation libérale qui sest imposée à partir du moment où les formes traditionnelles de contrôle et dintervention étatiques devenaient un obstacle pour le développement et le fonctionnement social de laudiovisuel. Du point de vue économique, la libéralisation sest certes traduite par une limitation, puis un recul de la place incombant au secteur public, mais elle correspond surtout à une série de transformations de laudiovisuel. Au travers de la mise en concurrence des chanes, de la dissociation entre production et programmation, sest en effet opérée une rationalisation du mode de production basée sur la prévalence de la production secondaire (de communication) sur la production primaire (de programmes). De même, du point de vue des formes de gouvernement, il y a eu rationalisation, non seulement au travers de la création dune Autorité indépendante, mais parce quà laction volontariste des gouvernants, se sont progressivement substitués des mécanismes de compensation, moins visibles et plus efficaces, liés notamment à la structuration des rapports entre les différents acteurs. Enfin, du point de vue des programmes (fictions, magazines, informations...5), lensemble de ces transformations ne fut pas sans incidences puisque celles-ci correspondent à lémergence dun système de contraintes et de dispositions à lintérieur duquel les pratiques sinscrivent et se structurent autour des exigences (politiques) de la communication. Deux conclusions de nature distincte peuvent alors être tirées. Seul un modèle danalyse politique permet de saisir les transformations économiques, juridiques, sociales, esthétiques de laudiovisuel dans la mesure où il saisit ces différents pans de réalité en démontrant quils sont surdéterminés (Louis Althusser) politiquement et, quen conséquence, leur compréhension requiert un tel mode danalyse qui, seul, permet de saisir et darticuler entre elles les déterminations multiples du concret. Il fait aussi apparatre quun dispositif, tel que celui de communication, constitue en quelque sorte une structure bicéphale de pouvoir : il est le dépositaire, par certains aspects, de ce que lon nomme habituellement le "pouvoir politique", mais il est aussi appareil de gouvernement dans la mesure où il contribue à lextension et à la rationalisation des formes daction sur la société qui ont pour objet les conduites et les opinions.
1. M. Foucault, Lordre du discours (1971), Gallimard, 1986, pp. 27-28. Sur la problématique de lauteur, cf. en particulier "Quest-ce quun auteur ?" (1969), in Dits et Ecrits 1954-1988, Tome 1, Gallimard, 1994. Cf. également P. Bourdieu, ""Quest-ce que faire parler un auteur ?" A propos de Michel Foucault", in Sociétés et représentations, CREDHESS, 1996, n¡3, pp. 13-18. 2. E. Neveu, "Les sciences sociales face à lEspace public, les sciences sociales dans lespace public", Lespace public de la communication, sous la dir. de I. Paillart, Grenoble, Ellug, 1995. 3. P. Champagne, Faire lopinion. Le nouveau jeu politique, Minuit, 1990, ainsi que "La loi des grands nombres. Mesure de laudience et représentation politique du public", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Seuil, 1994, n¡101/102. 4. Dans un article consacré à la communication politique, B. Le Grignou et E. Neveu avaient exploré ce phénomène de prédétermination du contenu de la communication en fonction de lanticipation de sa réception par le public, "Emettre la réception : préméditation et réceptions de la politique télévisée", Réseaux, CNET, 1991, N¡ spécial "Sociologie de la télévision : France". 5. Le récent ouvrage de J. Le Bohec (Les rapports presse-politique. Mise au point dune typologie "idéale", LHarmattan, 1997) a clairement montré que la production de linformation, dans sa diversité même, ne peut être comprise quà partir de lanalyse des rapports de force entre agents impliquées dans cette même production.
Bibliographie ( publications personnelles ). Thèse réalisée à lIEP de Rennes, sous la dir. dErik NEVEU, intitulée Histoire politique de la télévision (une version remaniée est à paratre en 1998 aux éditions LHarmattan). "Histoire de lopinion publique" , dans La pensée, IRM, 1995, n¡302, "La politisation télévisuelle dans ses limites : la dialectique de laction et des formes", dans les Actes du colloque Télécole, Les cahiers du CRESLEF, Besançon, 1996, n¡41-42 "De lanthropologie à lépistémologie de la communication. Variations critiques autour de Palo Alto" , dans Réseaux, CNET, 1997, n¡85. |