L'IMPLICATION DES PUISSANCES OCCIDENTALES DANS LES
PROCESSUS DE DEMOCRATISATION EN AFRIQUE : ANALYSE DES
ACTIONS AMERICAINE ET FRANCAISE AU CAMEROUN (1989-1997)

 

par Martin Dieudonné EBOLO

Docteur en relations internationales
GRAPS / UY II

 

 

La chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc communiste sont apparus, à plus d'un titre, comme les "géniteurs" immédiats des soubresauts démocratiques en cours en Afrique noire. Déclarée au grand jour à partir de 1989, cette révolution était en germination depuis l'accession de M. Mikhaïl Gorbatchev au poste de Secrétaire Général du Parti Communiste de l'Union Soviétique en Mars 1985. Aussitôt installé, le "leader" soviétique a énoncé quatre principes fondamentaux dévoilant, sans ambages, les nouvelles orientations politiques de l'URSS: Perestroïka, Glasnost, Demokratisation, oukonomie. Le tout a mûri, dépassant les cadres établis, pour emporter, tel un mouvement sismique, les régimes autocratiques queff l'on croyait inexpugnables.

Pourtant, cette prise en compte du paradigme "vent d'Est" ne devrait pas occulter le travail domestique de déconstruction progressive de l'ordre autoritaire en Afrique noire, encore moins les contraintes en provenance des bailleurs de fonds occidentaux, suite à la crise économique sans précédent que traverse l'Afrique depuis les années 1980. Obnubilés par la disqualification de l'idéologie communiste - aussi bien dans son "bastion naturel" que dans le reste du monde- les pays et les organisations occidentaux, principaux donateurs de l'aide au développement, vont établir un lien conditionnel entre l'instauration d'un Etat de droit libéral et la coopération au développement, aussi bien dans leurs rapports avec les pays d'Europe Centrale et Orientale que dans ceux avec les pays A.C.P. L'action des pays occidentaux est même allée jusqu'à l'encadrement matériel des processus de démocratisation en Afrique.

Pendant la guerre froide, le continent africain s'identifiait en un champ d'influence des grandes puissances du Nord. Depuis la fin de la guerre froide, et nonobstant le spectre de la marginalisation, l'Afrique demeure une préoccupation pour les Nations prospères de l'hémisphère boréal. L'empire, en se séparant des "nouveaux barbares" y défend toujours ses intérêts, aussi maigres soient-ils. En effet, la gestion simultanée des réformes économiques et politiques a fait accroître les possibilités d'implication des acteurs extérieurs dans l'univers socio-politique africain. C'est dans cette atmosphère que s'inscrivent le fameux discours de la Baule prononcé par le Président français François Mitterrand en Juin 1990 au sommet franco-africain, les nombreuses prises de position de toutes les voix autorisées à dire la politique étrangère américaine au sujet de la démocratisation en Afrique, ainsi que les actions de ce qu'il est convenu d'appeler la "Communauté des créanciers africains". Ces actions trouveront un écho favorable auprès des acteurs sociaux africains qui, trois décennies environ, étaient embrigades dans une sorte de "camisole" monopolistique du pouvoir officiel d'Etat et du pouvoir officieux du parti unique et de ses organisations annexes. Notre étude s'inspire aussi bien de cette tendance à la diffusion d'un modèle politique et économique "homogénéisateur" que de la dynamique socio-politique interne aux Etats africains en général, au Cameroun, en particulier.

A l'époque de la confrontation Est-Ouest, la France apparaissait comme le pays qui instrumentait le mieux la présence de l'Afrique dans le système international et, partant, celle de l'occident en Afrique. Son double rôle de relais des intérêts occidentaux et de "gendarme de l'Afrique", lui permettait, dans une large mesure, de faire écran à l'action américaine dans cette région. Cette règle souffrit néanmoins un certain nombre d'exceptions soit lorsque l'ancien pouvoir colonial était trop faible pour mettre un terme au chaos et pour "néocoloniser"- d'où le soutien américain à l'UNITA en Angola pour contrer l'influence "rouge"- , soit encore pour renforcer l'action de l'ancienne puissance - affaiblissement de la Libye au Tchad-; soit enfin, indépendamment de cette puissance, - cas du Zaïre avec la crise du Katanga et la mise à l'écart de Patrice Lumumba.

Depuis la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc socialiste, la recomposition de l'ordre international donne lieu à la diffusion et à l'expansion d'un modèle "homogénéisateur" incarné, au plan politique par la démocratie représentative et les droits de l'homme et au plan économique par l'économie de marché. Ce mouvement d'uniformisation des valeurs culturelles cardinales de l'occident justifierait l'implication de ses principales composantes - étatiques ou non - dans les processus de démocratisation en Afrique. Tant et si bien qu'aujourd'hui, les Etats-Unis, dépositaires attitrés de trois attributs de la puissance, préfèrent s'impliquer directement dans ce processus "d'occidentalisation de l'ordre politique" en Afrique, nonobstant le maintien dans certains pays, dont le Cameroun, d'une influence de la France. C'est à ce moment qu'apparaissent des rivalités, étant donné que, tout en étant d'accord sur le principe de la mondialisation de la démocratie libérale, la France n'entend pas céder son "précarré". Partant de ces considérations, il nous a été donné de formuler la question centrale de notre contribution de la manière suivante :

Sous prétexte de diffusion d'un modèle "homogénéisateur", les anciennes puissances alliées de la guerre froide ne sont-elles pas en train de se positionner en Afrique, et plus particulièrement au Cameroun, pour la préservation, l'expansion ou la dilatation de leur intérêt national et quelle est l'attitude du système politique camerounais face à ce branle-bas?

De nos investigations, il apparaît que l'implication des Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation Camerounais participe aussi bien de la diffusion d'un modèle " homogène" au plan économique, politique et culturel que de la quête, de la préservation ou de la consolidation de l'intérêt national de chacun des acteurs. Au même moment, cette diffusion d'un modèle "homogène" donne lieu à une diversité de réactions de la part des acteurs du système politique camerounais dont le pouvoir central essaie de jouer sur les intérêts divergents des acteurs extérieurs pour imposer sa stratégie.

Au plan théorique, le recours à un outillage hybride bénéficiant des apports du réalisme et du transnationalisme s'impose comme cadre d'analyse. Ainsi, la compréhension de la dynamique d'implication des Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation camerounais aura nécessité que l'on s'interroge, non seulement, sur ses motivations et fondements manifestes et/ou voilés(I), mais également sur l'attitude du système politique national face à cette poussée en provenance de l'environnement international. (II)

I - L'implication des Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation camerounais, facteur d'expansion d'un modèle "homogéné" et de promotion de leur intérêt national

Quelles sont les raisons profondes du déploiement tous azimuts de Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation camerounais ? La réponse à cette question cruciale constitue la trame des développements qui suivent. Depuis le début de la décennie en cours, en effet, l'impression générale qui se dégage est celle d'une humanité qui serait en train de bâtir son avenir autour de valeurs communes : le marché, la démocratie, la liberté individuelle, etc. Plus que par le passé, la politique étrangère des puissances du Nord semble indissociable des convictions et principes moraux qui sous-tendent le déploiement des ressources symboliques et matérielles indispensables à l'action d'un Etat sur la scène internationale.

Pourtant, cet engagement en faveur d'une "révolution libérale mondiale" ne saurait faire l'économie de la préservation de l'intérêt national : "La défense de la liberté, clame le Président Clinton, et la promotion de la démocratie dans le monde entier ne sont pas seulement le reflet de nos valeurs les plus profondes, elles sont aussi d'une importance vitale pour nos intérêts nationaux". Cette précision de la plus haute autorité américaine lève, s'il en était besoin, l'autre pan du voile sur les raisons profondes d'implication des puissances occidentales dans les processus de démocratisation en Afrique. En tout état de cause, l'implication des Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation camerounais participe à la fois de la diffusion d'un modèle "homogène" au plan économique politique et culturel (A) et de la consolidation de leur intérêt national (B).

A- La diffusion de la démocratie libérale, motivation d'implication des Etats-Unis et de la France au Cameroun

L'"euphorie démocratique" s'inscrit dans un contexte marqué du sceau de la mondialisation de l'hégémonie occidentale et de l'extraversion des acteurs du jeu politique local. Centre du système international dont elles ont organisé la mondialisation, les sociétés d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord semblent occuper une même position de pouvoir et sont réunies par une même grammaire politique à prétention universaliste : la démocratie représentative. C'est cette prétention à l'universalité démocratique qui justifierait l'action américaine et française au Cameroun. Ainsi, afin de mieux cerner les différents contours de cette offensive dans le processus de démocratisation Camerounais, il est opportun, de prime abord, d'en analyser le contexte .

1) Le contexte global de la démocratisation en Afrique

La transition vers la démocratie libérale en Afrique intervient dans un contexte mondial de mutations simultanées et multiples. Grosso modo, ce contexte se caractérise, d'une part, par le déclassement du camp socialiste, la montée en puissance du bloc capitaliste, et une certaine marginalisation de l'Afrique, et d'autre part, par la récession économique et le bouillonnement socio-politique en Afrique.

a - Un environnement mondial propice au changement

Le changement social apparaît sommairement comme une transformation observable dans le temps, qui affecte et modifie de façon significative la structure ou le fonctionnement de l'organisation sociale. A ce titre, le changement se conçoit à la fois comme rupture et déviance de l'histoire. C'est ainsi que la fin de la confrontation Est-Ouest consacre la disparition de l'ordre bipolaire. Elle marque aussi le point de départ de nouvelles recompositions politiques, militaires, économiques et culturelles qui n'ont pas encore - pour la plupart - connu l'aboutissement sous forme d'un nouvel ordre international aux contours clairement définis. En réalité, cette période transitoire porte en elle-même des ferments d'uniformisation de la norme idéologique libérale.

A en croire Francis Akindés, le mois de Mars 1985 entame la "perte de béquilles idéologiques" et le démantèlement du monopartisme. En effet, dès son entrée au Kremlin, M. Mikhaïl Gorbatchev établit un diagnostic sans complaisance de la société soviétique. La diffusion d'un ouvrage présentant les différents axes de la pensée politique du "leader" soviétique, de même que l'adoption d'un train de mesures politiques et économiques internes et externes, sans oublier la décision de ne plus utiliser l'armée Rouge pour des opérations de Police d'Empire vont amorcer, dès l'automne 89, un changement irréversible. De la baltique à la mer noire, le vent de liberté avait soufflé sur les pays situés, des décennies durant, derrière le "rideau de fer", aujourd'hui inexistant. La Hongrie, la Bulgarie, la Pologne, la Roumanie, la RDA, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie connaîtront la fin du monopole du parti communiste. La réunification allemande interviendra le 03 octobre 1990. Sous le poids des contradictions, le divorce des Républiques Tchèque et Slovaque est consommé le 1er Janvier 1993 par l'accord de Bratislava. La Yougoslavie connaît plutôt un sort funeste dans la mesure où la transition a débouché sur ce qu'il est convenu d'appeler la barbarie de la fin du siècle en plein coeur de l'Europe.

Cette déconstruction de l'ordre communiste dans la périphérie n'a pas manqué d'ébranler le noyau du système. Profitant de l'affaiblissement du pouvoir central en URSS, les Républiques fédérées iront à l'"assaut de la fédération". Après la proclamation unilatérale d'indépendance de la Lituanie (11 mars 1990), de l'Estonie et de la Lettonie (20 Août 1991), l'éclatement du géant communiste est définitivement consommé avec la création de la Communauté des Etats indépendants (CEI) suite aux accords d'Alma - Ata le 21 décembre 1991. L'éclatement de l'URSS consacrait la victoire des tendances centrifuges sur les forces centripètes non sans signer l'acte de décès de la politique de "Perestroïka" conçue et mise en oeuvre par M. Mikhaïl Gorbatchev.

En tout état de cause, cette vague de mutations importantes annonçait la fin du monde de Yalta et de Potsdam. Libérés de la confrontation idéologique, les pays occidentaux vont dorénavant tenter de jouer un rôle de premier plan dans l'enracinement de la démocratie libérale dans le monde, notamment en subordonnant désormais formellement leur aide au développement à l'institutionnalisation de l'Etat de droit pluraliste dans les pays bénéficiaires.

Ce rôle accélérateur de l'environnement international aura trouvé un terrain fertile dans un contexte socio-économique critique, en bute à une germination de la contestation des pouvoirs en place.

b - Dégradation du contexte socio-économique africain et montée en puissance de la contestation populaire

La décennie 1980 est considérée, à tort ou à raison, comme perdue pour l'Afrique.Dans tous les cas, c'est au cours de cet espace - temps qu'apparaît au grand jour la crise qui frappe de plein fouet les économies africaines. Dans un contexte où la "politique du ventre", la gestion néo-patrimoniale, et, bien entendu, le clientélisme semblaient avoir élu droit de cité, la crise économique, qui s'analyse en un déclin des capacités redistributives de l'Etat, affecte au premier chef les couches moyennes menacées par la fermeture d'entreprises publiques et les compressions du personnel dans la fonction publique,mais aussi la paysannerie dont les cours des produits de rente sont en chute libre. Le réajustement de l'Etat, qui trente ans environ, a fait miroiter des possibilités extraordinaires aux populations est porteur d'une ligne de fracture entre son appareil et la masse. De plus, l'accumulation d'une forte dette extérieure aura largement contribué à l'amplification des déséquilibres. A ce tableau sombre, sont venues se greffer l'inflation et la dépréciation monétaire, ainsi que l'apparition des distorsions dans le marché de l'emploi.

Dans l'impossibilité de juguler eux-mêmes les difficultés ainsi engendrées, les pays d'Afrique subsaharienne vont recourir à l'expertise des bailleurs de fonds multilatéraux (BIRD; FMI) et/ou bilatéraux (Caisse Française de Développement) dans le cadre des plans d'ajustement structurel. Or tel que préconisé par le FMI et la Banque Mondiale, "grands prêtres" du rite libéral, l'ajustement apparaît comme une gestion de l'enlisement aux effets sociaux néfastes. Ainsi, en exacerbant le chômage, les diminutions drastiques des revenus, bref les contradictions sociales, les PAS engendrèrent une tension qui a été portée sur la scène politique. On assiste à la montée en puissance de la revendication démocratique et à la délégitimation du parti unique.

Dans la mesure où les différents modes de délégitimation des systèmes monolithiques d'Afrique noire font l'objet d'une abondante littérature, il ne sera plus question pour nous de les examiner en profondeur. Le caractère cumulatif de la recherche scientifique commande d'en tenir compte.

Au Cameroun, après l'échec des mesures d'ajustement autonome prises par le gouvernement, l'économie est sous ajustement structurel à partir de 1989. L'effet des mesures tendant à juguler la crise, tout comme la contamination démocratique suscitent une contestation populaire sans précédent. Les grèves deviennent récurrentes dans les entreprises para-publiques, à l’université ainsi que chez les conducteurs de taxi et les vendeurs à la sauvette.

Au plan strictement politique, la poussée subversive de la "société civile" commence avec l’affaire Yondo Black - ancien Bâtonnier de l'ordre des avocats -à l'occasion de laquelle les avocats camerounais opposent une réaction inédite. Suite à l'arrestation de Me Yondo et de ses neuf acolytes pour "tenue des réunions clandestines", "confection et diffusion de tracts hostiles au régime, outrageants à l'endroit du Président de la République et incitant à la révolte", le Bâtonnier Me Muna convoque, le 27 mars 1990, une session extraordinaire de l'ordre à Douala, au cours de laquelle une véritable plaidoirie en faveur de la démocratie et des droits de l'homme au Cameroun fut développée. En protestation du procès politique contre Yondo Black, les avocats suivent un mot d'ordre de grève des plaidoiries pendant plusieurs jours. A tel point que lorsque s'ouvre le procès le 30 mars 1990 au tribunal militaire de Yaoundé, le divorce semble consommé entre le Barreau et le pouvoir. Le 26 mai 1990, une manifestation politique du Social Democratic Front (SDF) est réprimée par les forces de l'ordre à Bamenda.

Face à cette poussée, le pouvoir légalisera le multipartisme non sans abroger les lois d'exception à la faveur de la session parlementaire - dite des libertés - en novembre -Décembre 1990. Cet aménagement de l'espace juridico-politique permet à une opposition légale de se constituer. D'entrée de jeu, elle va revendiquer la convocation d'une Conférence Nationale Souveraine. Comme il fallait s'y attendre, le pouvoir usera des moyens normatifs, répressifs et politiques pour faire face à cette contestation. Toujours est-il que c'est dans cette effervescence socio-politique que s'est dessiné et s'est précisé le déploiement américain et français.

2) L'offensive américaine et française dans le processus de démocratisation camerounais

- La dynamique d'implication des Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation Camerounais pourrait être appréhendée par l'entremise de deux canaux distincts mais complémentaires. Afin d'encourager la restauration d'un Etat de droit démocratique au Cameroun, les deux partenaires, soit utilisent le canal de la coopération au développement avec ce pays, soit encore s'impliquent directement dans l'univers socio-politique national à travers des actes concrets.

a - Les réalités de la pression exercée sur le pouvoir par le truchement de la coopération au développement

- Pour les Américains, "Ce sont les démocraties, non les dictatures, qui offrent les meilleurs moyens de défendre les droits de l'homme et de placer les nations africaines sur la voie du progrès". Ainsi, suite aux résultats controversés des élections présidentielles du 11 octobre 1992 et à la décision du gouvernement camerounais d'instaurer l'état d'urgence dans la province du Nord-Ouest,le congrès américain votera une mesure portant suspension de l'aide bilatérale au Cameroun. En la matière, la décision la plus importante demeure l'annonce, le 19 Novembre 1993, par son Directeur M. Brian Atwood, de la fermeture de la Représentaion de l'Agence Américaine pour le Développement International (USAID) au Cameroun à compter de l'année fiscale 1995. Principal organisme gouvernemental de gestion et de coordination de l'APD américaine, la fermeture de l'USAID apparaît comme un "coup dur" pour le Cameroun. De nombreuses raisons (budgétaires, politiques, d'efficacité, de rentabilité...) ont été avancées pour justifier cette mesure qui a aussi frappé d'autres pays africains (Burkina Faso, Botswana, Cap vert, Tchad, Côte d'ivoire , Lesotho, Zaïre et Togo), asiatiques (Afghanistan, Pakistan, Pacifique Sud, Thaïlande), Latino-américains (Argentine, Urugway, Brésil, Chili, Costa Rica, Caraïbe) et du Proche orient (Oman et Tunisie). Pourtant, il semble clair, pour les responsables américains, que la suspension des projets d’assistance américaine au Cameroun constitue une réaction à la "position antidémocratique prise par les responsables camerounais". Dans un entretien sur le réseau Worldnet le 26 Janvier 1995, M. John Shattuck, Sous-Secrétaire d'Etat américain chargé des droits de l'homme et des affaires humanitaires, déclarait : "J'aimerais répondre en ce qui concerne les missions de l'USAID et le fait que l'USAID se soit retiré du Cameroun. Cette décision a été prise en raison de problèmes extrêmement importants en matière de respect des droits de l'homme. D'autre part, le réformes économiques et politiques nécessaires n'avaient pas été effectuées; ce sont là des conditions que les Etats-Unis prennent en considération au niveau de l'octroi d'une aide directe".

Lorsqu'on sait que depuis octobre 1987, l'assistance fournie par l'USAID au Cameroun l'a été sous forme de subventions et non de prêts, conformément à une décision du Congrès qui étendait la mesure aux pays africains au Sud du Sahara, on imagine le manque à gagner pour le pays bénéficiaire. Le Cameroun est ainsi passé du 12ème rang en 1991 (sur 46 pays), au 33ème rang en 1996 (sur 45 pays) en passant par le 35e rang en 1995 (sur 48 pays) des bénéficiaires africains de l'aide bilatérale américaine.

- L'action française quant à elle reste marquée par une certaine dose de flou. En effet, l'histoire de la formulation officielle de la conditionnalité démocratique de l'aide française est intimement liée au discours de la Baule : "Je conclurai, Mesdames et Messieurs, en disant que la France liera son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté". Mais, ces ardeurs des principes savamment formulés par François Mitterrand seront quelque peu tempérées par l'absence de fermeté de la part de la France. Nombreux sont les observateurs avertis qui estiment que le discours de Chaillot en 1991 se situe nettement aux antipodes du processus d'accélération de la démocratisation en Afrique.

Par ailleurs, le 18 Juillet 1990 à Tunis, Jacques Chirac, alors Maire de Paris, s'insurgeait contre la conditionnalité démocratique de l'aide : "L'évolution de la vie politique intérieure de ces pays doit se faire à leur rythme et non dans la précipitation. Il ne faut pas qu'aux plans d'ajustement structurel imposés par les grands organismes internationaux viennent s'ajouter je ne sais quels plans d'ajustement démocratique que viendrait plaquer artificiellement des puissances étrangères". Cette vision de la réalité a, dans une certaine mesure, influencé les orientations africaines de la majorité de droite à partir de mars 1993. La conduite extérieure de la France devenant de plus en plus complexe. La droite ne semblait pas très enthousiaste à l'idée de la conditionnalité démocratique de l'aide bilatérale à l'Afrique : "... l'évolution de la situation en Afrique, fait que même si l'on reste très attaché à cette idée de démocratie, elle ne peut pas être une condition exclusive de la coopération [...]. Il n'y aura donc pas de conditionnalité de l'aide. L'aide se négocie. Il ne suffit pas d'exiger pour obtenir". Ainsi s'expliquait Michel Roussin, alors Ministre de la coopération, qui entreprit de redynamiser ses modalités d'aide à l'Afrique, - en soutenant la dévaluation du Franc CFA et en conditionnant l'aide française à un accord avec le FMI-, tout en s'abstenant de s'ériger en donneuse de leçon de démocratie. Cette stratégie semble n'avoir pas beaucoup évolué depuis l'avènement de Jacques Chirac à l'Elysée en Mai 1995 encore moins depuis l'accession de la gauche au gouvernement. En tout état de cause, depuis 1990, la France semble ne fournir aucune preuve convaincante de la conditionnalité démocratique de son aide à l'Afrique, en général, au Cameroun en particulier. Premier donateur d'APD au Cameroun la diminution constatée de l'aide française s'inscrirait beaucoup plus dans la tendance générale de l'APD (tous donateurs confondus) à ce pays qui est à la baisse que dans le registre des droits de l'homme. Mais l'APD n'en constitue pas moins un instrument de chantage auquel cette puissance peut recourir à tout moment.

Pourtant en dehors du levier de l'APD., les Etats-Unis et la France ont pu se déployer directement dans le processus de démocratisation camerounais.

b - L'implication directe des deux puissances porteuse d'approches différentes

Autant les faits en notre possession attestent d'une congruence entre l'action de l'Etat et celle des acteurs privés pour le cas américain, autant l'action française en faveur du changement démocratique au Cameroun semble marquée d'une certaine ambiguïté.

b.1 - L'engagement américain en faveur du changement démocratique au Cameroun : la congruence entre l'action officielle et l'activisme des acteurs privés

Trois faits majeurs sont révélateurs du caractère non équivoque de l'engagement du gouvernement américain en faveur du changement démocratique au Cameroun :

D'abord, les Communiqués de Presse et/ou les Déclarations du Département d'Etat sur le processus de démocratisation camerounais qui, de toute évidence, font partie des leviers par excellence de la pression américaine sur le pouvoir, en même temps qu'ils constituent un soutien psychologique indéniable aux organisations partisanes oppositionnelles et / ou à la "société civile". Ainsi, faisant suite à la proclamation des résultats des élections présidentielles du 11 octobre 1992 et à la décision du pouvoir de décréter l'état d'urgence dans la Province du Nord-Ouest, la Déclaration du 13 Novembre 1992 du porte- parole du Département d'Etat, M. Richard Boucher, critique, non sans véhémence, le recours à l'intimidation de la part du gouvernement camerounais après les "élections présidentielles du 11 octobre entachées de sérieuses irrégularités". Quant au Communiqué de Presse du 22 Novembre 1994 dont la quintessence et la réaction camerounaise ont judicieusement été examinées dans une étude non lointaine, il intimait l'ordre au pouvoir d'initier un processus transparent et de mettre fin au harcèlement et à la détention des journalistes. Par ailleurs, le communiqué du 31 Août 1995, du porte parole du Département d'Etat, M. Nicolas Burns, reprend en quelque sorte, l'argumentaire du précédent sur l'urgence de la libéralisation de la presse tout en exhortant le pouvoir à promouvoir la démocratie : "le gouvernement des Etats-Unis exhorte le gouvernement du Cameroun à abandonner les pratiques qui limitent la liberté d’expression, et d'adopter des mécanismes administratifs qui édifieront la confiance générale dans l'attachement du Gouvernement camerounais à la démocratie".

Ensuite, les Rapports annuels du Département d'Etat sur les Droits de l'homme au Cameroun : Ils sont la résultante d'une décision du congrès en 1974 qui demanda au Département d'Etat de produire un rapport annuel en la matière sur chaque pays dans le monde. Longtemps resté sans échos et sacrifié à l'autel de la "real politik", le contenu de ces rapports a désormais un impact sur la politique étrangère des Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide. Des quatre rapports (1993, 1994, 1995, 1996) que nous avons pu examiner apparaît clairement une perception négative du processus de démocratisation camerounais. En guise d'introduction à tous ces rapports, se profile une phrase identique : "République multipartite seulement de nom, le Cameroun continue à être gouverné en réalité par le Président Biya et son cercle de conseillers, issus principalement de son groupe ethnique et son parti, le Rassemblement Démocratique du peuple camerounais (RDPC)".

Enfin, parallèlement à ces actions visant à infléchir la position du pouvoir, existe un Fonds pour la Démocratie et les droits de l'homme destiné à soutenir la "société civile" et les institutions démocratiques. Le montant des subventions allouées par ce fonds peut atteindre la somme de 25.000 dollars US. Placé directement sous l'autorité de l'Ambassadeur, ce fonds, qui a déjà financé plusieurs projets, dénote de l'importance accordée par cette puissance, à l'émancipation de la "société civile", passage obligé de l'enracinement de l'Etat de droit démocratique.

Cet enthousiasme des milieux officiels en faveur de la démocratie est partagé par les acteurs privés. Principal bastion du "Monde libre", la société américaine a sécrété des acteurs sociaux - collectifs et individuels - qui, avec ou sans l'aval du pouvoir, se donnent pour mission de promouvoir l'enracinement de valeurs libérales dans le monde. Ainsi qu'il ressort de l'analyse des différentes livraisons de la Revue Afrique -Etats-Unis depuis 1989, des personnalités du monde des affaires, de l'intelligentsia... ont constamment pris position en faveur de la démocratie au Cameroun. Parmi les organisations les plus actives en la matière sur le sol africain, mentionnons d'abord le Centre Carter (crée par Jimmy Carter en 1982) qui a encadré plusieurs processus électoraux et organisé des Séminaires de formation au profit des ONG locales en Afrique.Ensuite, l'African American Institute (AAI), qui a envoyé des observateurs électoraux au Cameroun, en République Centrafricaine, au Ghana, en Guinée, en Namibie, au Niger, au Rwanda et au Togo. Enfin le National Democratic Institute for International Affairs (NDI), créé en 1983 et ayant pour mission de promouvoir, maintenir et renforcer les institutions démocratiques dans les nouvelles démocraties et celles naissantes.

Lors de l'élection présidentielle du 11 Octobre 1992, une délégation du NDI, composée de 19 membres, a effectué une mission d'observation au Cameroun. A l'issue de la proclamation, par la Cour Suprême le 23 Octobre de la même année, de la victoire du Président Biya, le NDI publia un rapport qui critiquait assez sévèrement, à l'instar des prises de position de l'Ambassadeur américain de l'époque, les conditions d'organisation et le déroulement effectif de la consultation. Dans ce rapport, il apparaît que "Le NDI a obtenu des preuves irréfutables et tangibles qu'avant le scrutin, les hauts responsables de l’administration ont été informés que leurs compétences devraient être appréciées en fonction du nombre des voix obtenues par le candidat président Biya dans les territoires relevant de leur compétence juridictionnelle respective. Consigne leur avait été donnée de tâcher d'obtenir un score de 60% par tous les moyens possibles". On peut, tout de même, se poser la question de savoir, si telles étaient les instructions du pouvoir, pourquoi le candidat-Président n'a t-il finalement obtenu qu'un score aussi modeste (40% environ des suffrages exprimées), largement en déca du pourcentage donné par le NDI?

Par ailleurs, ce rapport insistait, non sans remettre en cause la validité du résultat, sur la gravité des irrégularités et le caractère massif des fraudes orchestrées au profit du candidat Paul Biya. Il a ainsi fait l'écho des médias étrangers (VOA, BBC, RFI, DW,...) bien qu'il fût largement contesté par le pouvoir. Pourtant, il aura influencé considérablement la perception que la société américaine et la communauté internationale auront par la suite du pouvoir camerounais. Les orientations du Département d'Etat à l'endroit du Cameroun en furent marquées.

Autant la pression américaine apparaît avec plus de netteté, autant il semble difficile de spécifier l'action française.

b.2 - L'ambiguïté de l'action française en faveur de la démocratisation du système politique camerounais

Plus d'un observateur averti reste convaincu que "l'illustration française de la démocratie est à géométrie variable ou à éclipse" dans les pays d'Afrique subsaharienne. En application des préceptes de la Baule, des sanctions financières furent prises (par la France) contre le Togo et la Mauritanie. Tout comme le Togo et le Zaïre ont vu leur coopération militaire avec la France suspendue (pour un temps), pour qu'on ne dise pas "qu'on aide les dictateurs contre leurs peuples". Au même moment, la France n'a pas pris de mesures analogues à l'endroit du Cameroun, de la Côte d'Ivoire et du Gabon, pays considérés par Achille Mbembe comme faisant partie du cercle restreint de "l'Afrique utile" et bénéficiant d'un traitement de faveur de la part de la France.

L'ambiguïté de la France procède, non seulement du double langage des autorités et personnalités mais aussi d'une absence de consensus de fait - contrairement à la stratégie américaine - entre les acteurs sociaux et politiques de ce pays sur la position à adopter face aux processus politiques camerounais.

Ainsi, au sommet de la Baule, le Président français, François Mitterrand avait manifesté son soutien aux processus de démocratisation naissants de façons assez claire. Mais, un an après, à l'occasion du Sommet de Chaillot, l'on notait un revirement de la pensée de ce dernier. En demandant à chaque pays de choisir en toute indépendance son rythme et ses modalités du processus démocratique, Chaillot tentait de remettre aux dirigeants africains ce qu'on avait voulu leur retirer à la Baule.A en croire le Professeur Maurice Kamto, le sommet de Chaillot a gravement compromis la dynamique enclenchée par le Sommet de la Baule à l'occasion duquel la France colonialiste et paternaliste semble l'avoir emportée sur la France des libertés et des droits de l'homme. Par conséquent, nonobstant l'impulsion donnée à la Baule, le principe du soutien au régime en place reste fort. Ainsi, au lendemain de la présidentielle du 11 octobre 1992, la France est le seul pays occidental à reconnaître officiellement la victoire du Président Biya.

Par ailleurs, au paroxysme du bouillonnement populaire au Cameroun, la presse française en général, et Radio France Internationale, en particulier, ne montraient guère de bonnes dispositions à l'endroit du régime Biya et semblaient manifester de la sympathie pour l'opposition camerounaise.

A l'inverse, les milieux diplomatiques français se voulaient généralement rassurants pour le pouvoir de Yaoundé, allant jusqu'à expliquer que les positions de la Presse ne dictaient pas la politique française à l'endroit du Cameroun. L'équivoque ne semblait, pour autant, pas levé dans la mesure où on a noté, dans les milieux de décision français, une contradiction entre ceux favorables au Président Biya, et ceux qui affichaient leur sympathie envers les militants et partisans de la Conférence Nationale. Dans le premier camp, les observateurs rangeaient le conseiller de François Mitterrand pour les affaires africaines, Jean Christophe Mitterrand ainsi que l'Ambassadeur de France à Yaoundé, de l'époque, Yvon Omnès. Dans le second camp, se trouvaient des africanistes du Quai d’Orsay mais surtout, Michel Rocard qui, semble - t- il , animait une cellule des Conférences Nationales.

Michel Aurillac, Charles Pasqua, Valéry Giscard D'Estaing et Guy Penne soutenaient, chacun à sa manière, la logique électorale défendue par le pouvoir. Pis encore, certains ne cachaient pas leur entière satisfaction par rapport au processus de démocratisation camerounais : "Nous sommes très satisfaits de ce qui se passe aujourd'hui au Cameroun", devait déclarer M. Jeanny Leroux, chef d'une délégation de Parlementaires français en visite au Cameroun. Tout récemment encore, l'Ambassadeur de France au Cameroun S.E. Philippe Selz déclarait que "la France est évidemment désireuse d'accompagner le Cameroun sur cette voie prometteuse, qui est la seule porteuse de progrès économique et social".

Cette attitude ambivalente du partenaire français semble justifiée par le fait que ce pays mènerait sur le terrain camerounais un combat pour la défense d'une "certaine civilisation" face aux appétits des Américains, Britanniques et Allemands. Le réalisme qui en résulte s'identifie parfois au conservatisme. Tant et si bien qu'en dehors, voire au delà de la promotion de la démocratie libérale, l'intérêt national semble avoir servi de fondement à l'implication de ces puissances du Nord dans le processus de démocratisation camerounais.

B - L'intérêt national, fondement de l'implication américaine et française dans le processus de démocratisation camerounais

L'obsession des Etats-Unis et de la France à vouloir influencer le cours de la dynamique politique camerounaise amène l'observateur à se demander si un tel engagement ne s'inscrit pas dans le registre du calcul égoïste dont la finalité serait la promotion et/ou la préservation de l'intérêt national de ces puissances. A en croire Marcel Merle, la recherche des intérêts constitue l'un des principaux ressorts de l'activité des hommes pris individuellement, des classes sociales, des groupements professionnels ainsi que des Etats ou groupes d'Etats. Maurice Duverger quant à lui est d'avis que "L'idéalisme occidental n'est souvent qu'un moyen de dissimuler la défense des intérêts matériels très précis". Hans Morgenthau va plus loin en affirmant que seul l'intérêt national, défini en terme de puissance, constitue le levain de la politique internationale.Par conséquent, il n'est pas exclu que l'implication des puissances occidentales dans les processus de démocratisation africains tende prioritairement à sauvegarder un intérêt national. L'intérêt national serait ainsi l'ensemble des avantages matériels et/ou immatériels qui importent à un Etat dans le déploiement de son action au sein ou en dehors de ses frontières. L'intérêt scientifique des développements qui suivent réside en la mise en exergue de l'existence d'un fondement rationaliste de l'action américaine et française au Cameroun. Le déphasage manifeste des desseins des deux puissances est consubstantiel au contraste des intérêts des deux puissances au Cameroun.

1) Le contraste saisissant des intérêts américains et français au Cameroun

L'analyse des faits laisse transparaître à la fois une marginalité des intérêts américains et une importance notoire de ceux de la France.

a - Le caractère marginal des intérêts américains au Cameroun

Un distinguo est à faire entre les intérêts politico-stratégiques et ceux économiques et culturels.

Les intérêts politico-stratégiques sont considérés comme vitaux dans la mesure où leur négligence compromettrait la sécurité de la nation, voire son existence en tant qu'entité souveraine. En Afrique, les intérêts stratégiques américains comportent deux aspects principaux : la stratégie mondiale et les activités militaires. Pour le moment, il est honnête de reconnaître que le rôle du Cameroun dans la stratégie mondiale des Etats-Unis est très infime, lorsqu'il n'avoisine pas le néant.

En revanche, dans le domaine des activités militaires, au sens large, l'on peut signaler l'existence d'une assistance militaire américaine dans le cadre de l'International Military Education and Training (IMET) pour lequel des dotations de 0,275 million de dollars et de 0,100 million de dollars furent allouées au Cameroun respectivement en 1991 et 1996. IL y a lieu de mentionner la formation des personnels cadres de l'armée et l'équipement des forces armées camerounaises pour lesquels aucun chiffre n'est donné. De plus aucun accord formel ne lie le Cameroun et les Etats-Unis dans le domaine de la coopération militaire. En clair, sur le plan strictement stratégique, le Cameroun est un enjeu mineur pour les Etats-Unis.

Par contre, les positions économiques et culturelles de cette puissance sont appelées à s'étoffer. En effet, ce pays a été le sixième client du Cameroun en 1990/91, puis le cinquième en 1991/92 et 1992/93, pour se stabiliser au sixième rang en 1993/94 et 1994/95. Le café robusta, le Beurre de cacao, le Caoutchouc naturel et, bien entendu, le Pétrole brut sont les principaux produits exportés par le Cameroun vers les Etats-Unis. Du troisième rang en 1990/91 et 1991/92, les Etats-Unis sont passés au quatrième rang des fournisseurs du Cameroun en 1992/93 avant de se retrouver au deuxième rang en 1993/94 et 1994/95. Cette relative prospérité des échanges commerciaux semble liée à la priorité accordée au commerce au détriment de l'aide à l'Afrique par l’administration Clinton.

En ce qui concerne les investissements directs, en dehors des 32 projets inventoriés dans le cadre de l'aide publique au développement (APD) et dont la quasi-totalité est parvenue à son terme et n'a pu être renouvelée du fait de la fermeture de la Représentation de l'Agence Américaine pour le Développement International (USAID), l'on peut signaler, sans prétention d'exhaustivité, la participation du secteur privé américain au capital de la Société Nationale de Raffinage (SO.NA.RA) et de PECTEN Cameroon Company à concurrence respectivement de 16% et de 80%. Pourtant, en dehors des activités de la société MOBIL OIL, c'est le déploiement de la société EXXON à la tête du consortium (EXXON (34,6%)- SHELL (34,6%) - ELF (17,3%)), - avec une faible participation du Cameroun (8,5%) et du Tchad (5%)-, chargé de la construction du Pipeline Tchad-Cameoun pour un montant de 3 (trois) milliards de dollars US qui retient particulièrement l'attention. Dans la mesure où la plus grande partie de cet investissement important sera localisée sur le territoire camerounais (environ 800 kilomètres de ce pipeline de 1050 Kilomètres destiné à évacuer le pétrole brut du Sud Tchadien jusqu'à Kribi traversent le Cameroun), ce pays apparaîtra désormais comme un partenaire économique non négligeable pour les Américains dans la Zone UDEAC/CEMAC.

Enfin, de par son caractère biculturel, le Cameroun constitue un enjeu culturel non négligeable à la fois pour les anglophones et les francophones. En effet, certaines sources avaient confié que L’administration Bush souhaitait "ardemment une scission du pays en zone francophone et anglophone,[...] d'où le soutien massif apporté à l'homme de Bamenda".Certes, il est difficile d'attester de la fiabilité d'une telle allégation. Pourtant, l'on doit reconnaître que le processus de construction de l'"empire démocratique universel" donne lieu à un affrontement culturel susceptible d'engendrer des conflits internationaux.

En clair, par rapport à leur poids politique, économique et culturel dans le monde, les intérêts américains au Cameroun sont d'une marginalité avérée. Tel ne semble pas être le cas de la France.

b - L'importance notoire des intérêts français au Cameroun

L'analyse porte sur la trilogie politico-stratégique, économique et culturelle.

- Le Cameroun est d'un intérêt politique et stratégique indéniable pour la France. Situé sur les plans géographique et culturel à la charnière respectivement de l'Afrique Centrale et occidentale, de l'Afrique francophone et anglophone, "pièce centrale" de la zone UDEAC/CEMAC, ce pays s'identifie en un maillon important de la zone d'influence française en Afrique noire. L'implantation militaire de la France autour de ce pays en constitue un indice. En effet, l'on ne saurait passer sous silence la proximité du Cameroun par rapport aux quatre bases militaires françaises d'Afrique centrale (Ndjamena, Bouar, Bangui et Libreville). L'accès terrestre à trois d'entre elles étant conditionné par l'utilisation du territoire camerounais, il n'est pas excessif de dire que ce pays occupe l'une des positions centrales dans la stratégie française en Afrique.

Par ailleurs, cette importance stratégique pourrait s'appréhender à l'aune des deux accords existant entre les deux partenaires :

Ainsi, l'accord d'Assistance militaire et technique de Février 1974- conclu pour la première fois le 13 Novembre 1960-, Permet à la France d'assurer l'essentiel de la formation et de la fourniture du matériel militaire au Cameroun, de même que le soutien technique aux forces de défense camerounaises. Ce "transfert" d'une technologie et la diffusion d'une culture militaires permettent à cette puissance d'exercer, dans une certaine mesure, une influence sur l'organisation de la politique de défense au Cameroun.

L'accord (secret) de défense de Février 1974, quant à lui, autorise le Cameroun à faire appel, sous certaines conditions, à l'intervention des forces françaises pour assurer sa défense ou pour maintenir l'ordre public interne. C'est en application de ce pacte de "protection maximale" que la France fit savoir au Nigeria, lors de la guerre larvée qui l'a apposée au Cameroun en 1981 "qu'elle respecterait ses accords de défense avec ce pays" . Le même instrument juridique a servi de base à l'appel lancé à ce pays par le Cameroun dans le différend frontalier qui l'oppose au Nigeria depuis Décembre 1993. Une aide exceptionnelle de 2,6 millions de Francs français pour le dossier de la presqu'île de Bakassi fut ainsi allouée au Cameroun en 1994.

Ces privilèges stratégiques font de la France une sorte de "parapluie protecteur" pour ses multiples intérêts économiques et culturels au Cameroun.

- Au plan économique, la présence française est manifeste dans trois domaines - clés : les liens monétaires, les échanges commerciaux ainsi que les investissements directs.

Les liens monétaires entre la France et le Cameroun évoluent dans le sillage de la coopération monétaire franco-africaine dont le cadre de prédilection est la zone franc. Le maintien de liens monétaires étroits avec la France fait du Cameroun et de tous les autres membres de la zone Franc en Afrique, une sorte de prolongement économique de cette dernière. En réalité, par le jeu de la libre convertibilité des monnaies et de la liberté des transferts, les entreprises françaises ont investi dans la sous-région sans que leur pays ait à utiliser ses réserves en devises. De plus, l'importance de l'implantation des capitaux français semble placer ces États dans une situation de dépendance et offre à la France la possibilité de les surveiller grâce à ses institutions financières, à ses banques et à ses sociétés commerciales établies de longue date, et même de contrôler la majeure partie du commerce s'y déroulant au gré de ses intérêts du moment.

Sur le plan commercial, la France apparaît comme le principal partenaire du Cameroun. Pendant la période qui nous intéresse, ce pays est demeuré le premier client et le premier fournisseur du Cameroun. Ce pays est aussi le premier investisseur privé et public au Cameroun. Aujourd'hui, en effet, la présence française dans l'appareil productif Camerounais représente 20% des capitaux investis; elle est estimée à plus d'un milliard de Francs français et occupe plus de la moitié des investissements étrangers.

- Enfin sur le plan culturel, la France a cru nécessaire de maintenir son assise à travers une diversité de canaux dans un pays majoritairement francophone certes, mais où la francophonie affronte dans une certaine mesure l'anglophonie au quotidien.

En somme, par rapport aux intérêts américains, les intérêts français sont d'une importance indéniable au Cameroun. Cet état de fait semble expliquer le déphasage qui caractérise l'action des deux puissances dans le processus de démocratisation Camerounais.

2 - Le déphasage manifeste des desseins des deux puissances dans le processus de démocratisation Camerounais

 

Au moment où l'Amérique s'emploie à dénicher de nouveaux partenaires sociaux afin de consolider ses positions au Cameroun, la France semble plus soucieuse de la préservation d'un maillon important de son "pré-carré" africain.

a - La stratégie américaine de recherche de nouveaux partenaires sociaux au Cameroun

La stratégie de recherche de nouveaux partenaires sociaux est, dans une large mesure, consubstantielle au double visage hégémonique et pragmatique de la politique étrangère des États - Unis depuis la fin de la guerre froide. En effet, dans un texte de Janvier 1995 qui définit la "stratégie de sécurité américaine, d'engagement et d'élargissement", le Président Clinton est formel : "La ligne de partage entre les politiques intérieure et extérieure est en train de disparaître. Nous devons revitaliser notre économie, si nous voulons préserver nos capacités militaires et notre influence à l'étranger. Il nous faut nous engager activement sur la scène internationale, si nous voulons voir s'ouvrir des marchés et se créer des emplois pour les travailleurs américains".

Ainsi, en s'engageant en faveur de l'instauration d'une "démocratie de marché" en Afrique en général , au Cameroun en particulier, la diplomatie américaine joue à fond le jeu de la préservation de l'intérêt national. Car pourquoi ne pas reconnaître que la libre entreprise, consubstantielle à la démocratie, favorise la promotion des investissements d'un pays dont les entreprises sont en mesure de rivaliser avec n'importe quelle autre entreprise exerçant en Afrique. Au Cameroun, l'on a pu relever à la fois une certaine sympathie américaine à l'endroit de l'"opposition radicale" et une tendance à traiter directement avec les acteurs sociaux non officiels.

Ces sympathies à l'endroit de l'opposition dite radicale apparaissent, d'une part, à travers l'activisme de l'Ambassadeur américain d'alors, Mme Frances Cook en faveur du SDF et la condamnation, sans réserve, de l'instauration de l'état d'urgence dans la province du Nord-Ouest (suivie de l'assignation à résidence surveillée de Ni John Fru Ndi) par la Déclaration du Département d'Etat du 13 Novembre 1992 susmentionnée. D'autre part, il y a lieu de signaler les multiples tournées de M. Fru Ndi aux États - Unis et surtout son invitation à assister aux cérémonies de la première investiture du Président Clinton le 20 Janvier 1993. Par ailleurs, le cerveau de CAP - Liberté, Dominique Djeukam Tchameni fut accueilli aux États - Unis comme exilé politique après avoir été condamné à 20 (vingt) mois d'emprisonnement pour ses relations suspectes avec des ex-officiers rebelles de l'Armée Camerounaise installés au Burkina - Faso.

Cette maintenue en direction des acteurs non officiels participe de la multiplication des occasions de contact ou d'échange avec le "pays réel" en dehors du carcan officiel par trop formaliste. Les activités de l'Agence Américaine d'Information et des Relations Culturelles (USIA) participent, à n'en pas douter, de l'opération de charme en direction de toutes les composantes de la société Camerounaise. En effet, cet important organisme gouvernemental s'emploie à apporter aux ressortissants étrangers, une meilleure connaissance des Etats-Unis et des valeurs propres à la société américaine. Ainsi en est-il des différents programmes des visiteurs étrangers aux Etats-Unis, destinés, non seulement, à permettre une meilleure connaissance des aspects formels et informels du système politique américain, mais aussi à favoriser le maximum de relations avec la diversité d'acteurs officiels et privés rencontrés au cours d'un périple qui s'étale généralement sur différents États de la fédération.

Enfin, par l'entremise du Fonds Spécial de l'Ambassadeur pour les projets "SELF-HELP", les Etats-Unis subventionnent des petits projets communautaires au Cameroun à concurrence de 3(trois) millions de francs CFA. Il est indéniable qu'à travers de telles actions, les Américains confortent l'image de leur pays auprès des populations concernées tout en établissant des passerelles suffisamment solides dans l'univers socio-politique Camerounais.

Face à un concurrent sérieux, déterminé à diversifier ses points d'ancrage au Cameroun, la stratégie française semble consister en la préservation d'un maillon important de son "pré-carré".

b - L'action française soucieuse de la préservation d'un maillon important du "pré-carré" africain

La stratégie gaullienne de puissance et de grandeur de la France fit de l'enjeu africain une priorité de premier ordre. Cette stratégie aura survécu aux différents changements intervenus au sommet de l'Etat français. Le "Socialiste" François Mitterrand est apparu comme l'un des meilleurs continuateurs de cette politique dans la mesure où la défense d'une zone d'influence francophone s'est avérée être une priorité de sa politique africaine : "Il est des domaines non négligeables, un précarré dont je revendique, lorsqu'il est empiété, qu'il soit reconquis et rendu à la France. Dans ce pré carré, je distingue en premier notre langue, notre industrie et notre sécurité, qui sont autant de fronts où garder nos défenses sans les quitter des yeux. Que l'une cède et la citadelle tombera".

Aujourd'hui, nonobstant un "soutien" relatif à la démocratisation des systèmes politiques africains, la France reste déterminée à préserver son "pré-carré" du continent noir. Cette volonté transparaît à travers les relations privilégiées que ses milieux politiques entretiennent avec la classe politique camerounaise, d'une part, les largesses de ce pays à l'endroit du Cameroun, d'autre part.

Les liens et fréquentations existant entre la classe politique camerounaise et les milieux politiques français s'inscrivent dans la tradition clientéliste qui a longtemps caractérisé et qui structure encore les échanges entre les anciennes métropoles et leurs ex-colonies. Or, le propre du clientélisme en général, d'Etat en particulier, est de valoriser la médiation personnelle, d'impliquer directement les dirigeants des Etats-Clients en tant que personnes, avec d'autant plus de facilité que de la nature néo-patrimoniale des systèmes politiques clientélistes s'y prête non sans aisance.

Avant la libéralisation des systèmes politiques africains, l'articulation clientéliste concernait beaucoup plus les dirigeants des partis uniques au pouvoir ainsi que les apparatchiks du parti et de l'administration. Actuellement, l'articulation clientéliste avec la France concerne à la fois les dirigeants au pouvoir et ceux des partis d'opposition. En visite à Yaoundé en mars 1996, Jacques Godfrain, Ministre Délégué Chargé de la Coopération, a reçu les chefs de l'opposition camerounaise. Face à l'irritation du pouvoir, le Ministre Godfrain a dû s'expliquer : "Je ne vois pourquoi je ne pourrais pas, lorsque je suis en visite dans un pays, recevoir les chefs de l'opposition.... Je les reçois tout comme hier, quand nous étions dans l'opposition en France, les Chefs d'Etat africains de passage à Paris nous recevaient eux aussi". C'est la logique implacable de ce maternage existant entre Paris et Yaoundé qui semble avoir guidé le Directoire de la "coordination des partis d'opposition et des associations" à entreprendre une "mission d’explication" à l’étranger en août - septembre 1991 dans le cadre de laquelle Paris occupait une place de choix.

Quant aux largesses de ce pays à l'endroit du Cameroun, mentionnons de façon indicative l'aide à l'ajustement structurel qui s'échelonne respectivement à 600 millions de francs français en 1991, 1200 millions en 1992, 1050 millions en 1993, et à 600 millions de francs français en 1994. Ces dotations financières représentent au moins la moitié du chiffre global de l'APD française au Cameroun pour la période considérée. Quand on sait que ces dotations sont orientées vers l'apurement des arriérés intérieurs, l'appui institutionnel, les programmes sociaux... on mesure leur importance pour la stabilité du pouvoir en place au moment où le changement démocratique était au goût du jour. Le raisonnement était sans ambiguïté : "Supprimer toute aide au Cameroun, comme à la Côte d'Ivoire, pour des raisons démocratiques, impliquait l'asphyxie de ceux qui restent les principaux partenaires économiques de la France en zone franc"

En dernière analyse, les actions française et américaine poursuivent un objectif quasi-identique, bien qu'utilisant des stratégies différentes. Quoiqu'il en soit, une question fondamentale reste posée, à savoir, celle de l'attitude du système politique camerounais face à un tel branle-bas. La tentative de réponse à cette interrogation constitue la trame des développements consacrés à la deuxième partie.

II - Le système politique camerounais face à l'implication américaine et française dans le processus de démocratisation national

L'implication des puissances occidentales dans le processus de démocratisation camerounais s'analyse en une interférence de l'environnement extérieur dans la dynamique intrasociétale d'un système politique soumis à un mode de régulation relativement adéquat. Cette interférence de l'environnement extérieur se fait sous forme "d'inputs" de soutien et d'exigence. Dans la mesure où tout système politique dispose d'un minimum d'organisation lui permettant de faire face aux incitations en provenance de l'environnement, il a semblé pertinent d'examiner en profondeur l'attitude du système politique camerounais face au déploiement tous azimuts des Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation national. En clair, la compréhension de cette dynamique d'implication serait quelque peu dévoyée si nous n'abordions pas, un temps soit peu, la question fondamentale de l'accueil qui est réservé par le système politique local. Ainsi, après avoir étudié la quintessence des flux en direction de chacune des deux puissances (A), nous tenterons de disséquer la stratégie globale du pouvoir en place qui, a n'en pas douter, constitue une forme de réaction aux pressions internes et externes (B).

A - L'attitude du système politique camerounais face aux actions DES ETATS-UNIS eT DE LA FRANCE

Les convulsions démocratiques en Afrique noire contemporaine ont cours dans un contexte de mondialisation de l'hégémonie occidentale orchestrée par une pluralité d'acteurs et de mécanismes officiels et non officiels. L'implication des Etats-Unis et de la France dans le processus de démocratisation camerounais en constitue une manifestation d'envergure non négligeable. Mais, dans la mesure où le système politique camerounais apparaît comme une organisation active liant de façon complexe et ambivalente complémentarité et antagonisme, l'implication de ces deux puissances est diversement accueillie par les acteurs du jeu politique national. Conscient de ce déphasage manifeste dans la perception des acteurs politiques internes au sujet de l'action des deux puissances, nous allons développer un argumentaire à deux volets faisant ressortir l'attitude des acteurs non officiels, d'une part, puis celle du pouvoir central en charge du pilotage officiel de la dynamique politique interne, d'autre part.

1 - Les acteurs non officiels du système politique camerounais face aux actions des Etats-Unis et de la France

Par acteurs non officiels, nous entendons les organisations, les groupes, voire les individus non investis du pouvoir d'Etat, mais jouant un rôle dans le commerce politique interne et/ou externe. A côté des acteurs officiels, les différentes composantes de la "société civile" ainsi que les formations politiques de l'opposition apparaissent comme les principaux acteurs non officiels du jeu politique camerounais. En effet, l'attitude de ces derniers se caractérise par une bonne dose de sympathie vis-à-vis de l'action américaine et une perception ambivalente du déploiement français.

a - La caution de l'action américaine par une partie non négligeable d'acteurs non officiels

La caution de l'action américaine par l'opposition dite radicale et une partie de la presse privée est un fait indéniable de la dynamique démocratique camerounaise. Pour ces acteurs, les Etats-Unis apparaissent, à la fois, comme un contrepoids de l'hégémonie française au Cameroun et comme l'ultime recours face à un pouvoir en possession de moyens importants.

- L'"opposition radicale" et son chef de file, le SDF de Ni John Fru Ndi sont apparus, à plus d'un titre, comme des soutiens de l'action américaine au Cameroun. Cette réalité semble s'expliquer par le fait que l'action de cette puissance dans ce pays est, dans une certaine mesure, en faveur d'un changement démocratique. A ce titre, cette stratégie profite au SDF dont la détermination à accéder au pouvoir est sans équivoque. De plus, cette caution pourrait s'analyser en une reconnaissance des efforts déployés par certains représentants officiels de ce pays pour accroître l'influence politique du "chairman" Fru Ndi pour qui la remise en question des intérêts français au Cameroun est tout un programme. L'ambassadeur américain Mme Frances Cook avait mené "à visage découvert, la campagne présidentielle de John Fru Ndi (l'opposant principal à Paul Biya) épaulé par des conseillers également américains". Cet exemple constitue un indice de collusion entre ce parti et les Etats-Unis. Cette collusion transparaît aussi à travers les multiples voyages du leader du SDF au pays de "l'oncle Sam". En effet, à l'occasion des cérémonies d'investiture du Président Clinton, le 20 Janvier 1993, Fru Ndi fut invité aux Etats-Unis par le Parti Démocrate américain et en profita, non seulement, pour nouer des contacts avec des responsables politiques ou économiques de ce pays, mais aussi pour orchestrer la propagande selon laquelle il aurait été personnellement invité à la Maison Blanche par le Président Bill Clinton.Quoiqu'il en soit, ces attentions de la part des Américains ne peuvent que susciter de la sympathie de la part du SDF.

- D'autres indices de caution de l'action américaine au Cameroun sont perceptibles dans les milieux de la presse privée. En effet, une bonne partie de celle-ci semble s'être muée en relais, voire en laudateur de l'action de ce pays dans le processus de démocratisation camerounais. Ainsi, Le Messager, très critique dans l'analyse des faits en général, n'hésite pas, par moment, à servir de vitrine de diffusion des positions américaines. Dans son Numéro 256 du mois d'Avril 1992, Le Messager présente en de termes dithyrambiques, le point de vue du NDI sur les droits de l'homme au Cameroun.Le même organe d'information, dans sa livraison du 14 Mars 1996 se fait l'écho du Rapport annuel du Département d'Etat sur les droits de l'homme au Cameroun en 1995 qui "accable le régime Biya". Ce rapport a aussi été à "la une" du journal Le Quotidien du 18 Avril 1996 dans lequel on lit : "violation des droits de l'homme au Cameroun : les Etats-Unis tirent la sonnette d'alarme". Par ailleurs, dans sa livraison du 22 Octobre 1996, La Nouvelle Expression consacre deux pages à l'analyse de l'affrontement qui opposerait Français et Américains pour le contrôle de l'Afrique noire. Très critique au sujet de la France, ce journal se montre compréhensif en ce qui concerne les Etats-Unis. Des exemples sont légions, dans la presse privée camerounaise, qui dénotent des bonnes dispositions à l'endroit de l'action américaine.

Cette caution assez marquée de l'action américaine par une partie d'acteurs non officiels du champ politique camerounais tranche avec leur perception du rôle de la France.

b- Une perception ambivalente du rôle de la France

Le caractère ambivalent de la perception de l'action française par les acteurs non gouvernementaux camerounais viendrait de ce que cette puissance est considérée à la fois comme un promoteur de la démocratie et comme un obstacle à l'instauration d'un Etat de droit démocratique au Cameroun.

Depuis que François Mitterrand a prononcé le fameux discours de la Baule, la France est considérée par une frange de l'opinion africaine comme un soutien à la restauration de la démocratie libérale dans ce continent. Au Cameroun, "l'opinion que la France détermine le destin du pays est très répandue". C'est la raison pour laquelle, tout en dénonçant le soutien que cette puissance accorde au pouvoir en place, l'opposition camerounaise n'a cessé de solliciter l'appui de Paris dans sa quête d'un nouvel ordre politique national. Aussi, lorsque le Directoire de la "coordination des partis d'opposition et des Associations" entreprit-il de se déployer sur l'échiquier diplomatique international à partir du 22 août 1991, Paris constituait l'étape charnière d'une tournée qui devait conduire ce conglomérat de formations politiques de l'opposition à Londres, Bonn, Ottawa et Washington. Il s'agissait, pour cette organisation d'obtenir non seulement que la France fasse pression sur le pouvoir afin qu'il organise une conférence Nationale Souveraine, mais aussi décide de la suspension de l'aide économique au Cameroun.

Cette image d'une France promotrice de la démocratie transparaît aussi dans la presse privée, composante indéniable de la "société civile". En réalité, la perception du rôle messianique de l'action française est savamment entretenue depuis l'accession de Jacques Chirac au pouvoir. Des titres tels : "J. Chirac ignore l'élève-président à Paris", " Paris prépare le départ de Biya", "la France inquiète Etoudi", ou encore "La France force la main à Biya"... sont révélateurs des espoirs et de l'état d'esprit qui animent certains milieux de la presse privée au Cameroun. Visiblement satisfaite que Jacques Godfrain ait rencontré MM Fru Ndi et Bello Bouba Maigari respectivement du SDF et de l'UNDP lors de sa visite au Cameroun en Mars 1996, la rédaction de Dikalo écrit: "Pour nous, cette dynamique constitue une aubaine car elle sort des buissons les vrais détenteurs de la légitimité populaire qu'on s'est efforcé ici et ailleurs (en métropole surtout) de diaboliser à souhait".

- Pourtant, la perception suivant laquelle cette puissance constitue un support au régime du Président Biya et, par conséquent un obstacle à l'instauration réelle d'un régime démocratique est largement répandue et partagée à quelques nuances près par divers acteurs non officiels du système politique camerounais. En l'absence d'une étude systématique, notre attention se focalise sur quelques partis politiques de "l'opposition radicale" camerounaise, quelques personnalités de la "société civile" d'envergure ainsi que sur des organes de presse non gouvernementaux.

La frange de l'opposition dite radicale, par ailleurs présentée par le pouvoir comme "aventurière", menée par un groupe de "têtes brûlées et de casseurs" a défrayé la chronique au plus fort de la contestation politique en 1991 en lançant un mot d'ordre de boycott des produits français. Cette action constituait, en quelque sorte, une manifestation de désapprobation du soutien de cette puissance au pouvoir en place.

Des personnalités de l'intelligentsia à l'instar du Professeur Achille Mbembé sont d'avis que la France continue d'investir dans une formule étatique épuisée, et partant à soutenir les despotes africains, en tournant le dos aux nouvelles forces sociales qui émergent en Afrique. Le Professeur Maurice Kamto quant à lui s'interroge sur la volonté réelle de la France de faire triompher la démocratie en Afrique post-coloniale, notamment lorsque le processus démocratique s'apparente à une menace pour ses positions et ses intérêts coloniaux. Pour lui, en effet, "le silence complice du gouvernement français face à l'assassinat de la démocratie au Togo par l'armée et au Cameroun par la capture de l'élection confirme bien ce recul de la France par rapport à sa position initiale". Enfin, le célèbre écrivain Mongo Beti n'hésite pas à assimiler l'action française au Cameroun à une stratégie de "vassalisation" opiniâtre de ce dernier.En effet, l'écrivain s'interroge sur "l'osmose satanique !" qui existerait entre la France et le Cameroun. Plus que qui conque, le célèbre écrivain est convaincu du rôle calculateur et néfaste de la France au Cameroun.

La presse privée critique l'action française en Afrique en général, au Cameroun, en particulier. De "la leçon de Chirac à ses élèves" à "la France prend 14 pays africains en otage" en passant par "Foccart au secours de Fochivé" et "Ahidjo fils dit non à l'Ambassadeur de France", , l'on découvre le ras-le-bol d'une presse déterminée à "s'élever contre cette ingérence manifeste , dans nos affaires intérieures,..." d'une puissance dont on s'interroge sur "les contours d'une recolonisation à grande vitesse".

Telle est la perception des acteurs non officiels. A présent, il nous revient de disséquer l'attitude du pouvoir central qui, assurément est en charge du "pilotage" officiel de la dynamique politique interne.

2 - L'attitude du pouvoir central et son impact sur la coopération du Cameroun avec les Etats-Unis et la France

Le pouvoir central semble avoir modulé sa réaction en fonction de la stratégie des deux puissances. Ces échanges ont inéluctablement eu des retombées sur la coopération bilatérale avec les deux puissances.

a - Le caractère contrasté des rapports avec les deux puissances

L'économie de la réaction officielle se résume en de rapports tendus avec les Etats-Unis contrairement à la relative sérénité qui a caractérisé ceux avec la France.

a-1 Des Rapports assez tendus avec les Etats-Unis

Le "nouvel ordre africain de Washington" incarné, entre autres, par la conditionnalité démocratique de l'aide publique et le soutien actif aux mouvements oppositionnels n'a pas manqué de susciter des réactions de la part des pouvoirs en place. Ainsi, lors d'un point de presse organisé le 30 Octobre 1992, en réaction aux thèses américaines, le Ministre de la Communication de l'époque, M. Augustin Kontchou, affirme sans ambages que le Rapport du NDI sur l'élection Présidentielle "est un véritable scandale intellectuel". Pour lui, en effet, "lorsqu'on lit ce rapport, on se pose des questions on se demande si on a à faire à un conte de fées, un conte d'Ali Baba ou à un conte des Mille et une nuit". En clair pour le gouvernement camerounais, ce rapport constitue un "tissu de mensonges".

En outre, par communiqué de Presse en date du 03 Décembre 1994, le Gouvernement camerounais réagissait vigoureusement contre celui diffusé par le service d'information de l'ambassade des Etats-Unis à Yaoundé le 22 Novembre 1994. Pour le gouvernement camerounais, "Le communiqué de presse diffusé par l'ambassade américaine à Yaoundé le 22 Novembre 1994 sur les droits de l'homme et le processus de démocratisation au Cameroun, n'est acceptable ni pour le ton, ni pour le contenu". Aussi, face à une action qui " présente toutes les allures d'une leçons d'instruction civique à des gamins du jardin d'enfants sous la menace de la chicote...", le gouvernement a tenu à "rappeler à ceux qui feignent de ne pas le reconnaître qu'aucune étape de son processus démocratique n'a été la conséquence d'une pression extérieure, mais est toujours restée l'oeuvre pleine et entière d'un peuple fier et jaloux de sa souveraineté".

Enfin, la réponse du Gouvernement au Rapport du 16 mars 1995 du Département d'Etat sur les droits de l'homme au Cameroun s'insurge contre "...un chef d'oeuvre de désinformation, et de manipulation des esprits". Pour le pouvoir, en effet, "cette calomnie systématiquement orchestrée procède [...] d'une volonté manifeste de nuire et de placer notre Gouvernement en discrédit auprès de l'opinion nationale et internationale...".

Ces réactions du gouvernement s'inscrivent dans la stratégie de résistance aux assauts déstabilisateurs en provenance de l'environnement international. Cette résistance semble avoir trouvé un soutien précieux dans l'attitude du partenaire français avec lequel les rapports sont restés relativement sereins.

a- 2 - Une compréhension notable au sujet de l'action française

Contrairement aux échanges durs et discourtois qui ont émaillé les relations américano-camerounaises depuis la "mise en chantier" intensive de la dynamique démocratique au Cameroun, les relations entre Yaoundé et Paris sont restées relativement sereines. La fréquence des voyages de la plus haute autorité de l'Etat camerounais en France en constitue un indice. Ces voyages servent à l'entretien des relations informelles et au renforcement des appuis officiels. En retour, l'on a relevé un nombre très élevé des voyages de personnalités françaises de rang ministériel, parlementaire, d'anciens ministres et de l'ancien chef d'Etat Giscard d'Estaing au Cameroun.

Par ailleurs, l'action de l'ambassadeur français Yvon Omnes aura constitué un autre indice de la sérénité des rapports entre Yaoundé et Paris. Perçu par plus d'un observateur comme "l'un des supporters inconditionnels de Biya", l'Ambassadeur Omnès n'a pas hésité à se démarquer de l'activisme de son homologue américain Frances Cook tendant à remettre en cause la crédibilité et la validité de l'élection présidentielle du 11 octobre 1992. De plus, il semblerait que le Président Biya a dû se maintenir au pouvoir grâce à l'action de l'Ambassadeur Omnès, "l'un des rares diplomates à avoir été consulté régulièrement à Yaoundé pendant la délicate période des manoeuvres entre la conférence Nationale et les élections". Quoiqu'il en fût, c'est sous son impulsion que "Paris a pris position, en cautionnant l'élection très controversée de M. Biya...". L'action des successeurs de M. Omnes ne s'est pas beaucoup démarquée de la stratégie consistant à privilégier les rapports avec le pouvoir. Tout ceci a eu un impact sur la coopération du Cameroun avec ces deux puissances du Nord.

b - L'impact de l'attitude du pouvoir central camerounais sur la coopération avec les deux puissances

Cet impact est manifestement contrasté. Alors qu'il se dégage un ralentissement de la coopération avec les Etats-Unis, l'on note un renforcement relatif du poids économique de la France au Cameroun.

En plus de la chute constante et vertigineuse de l'aide bilatérale américaine au Cameroun, les Etats-Unis ont suspendu leur appui au projet des zones franches industrielles. A la fin des années quatre vingt, en effet, le gouvernement américain avait collaboré à la mise en place d'une zone franche de transformation pour l'exportation dans la région portuaire de Douala. Ce projet a pris une envergure considérable à partir du mois de Janvier 1990 avec la promulgation de l'ordonnance N° 90/001 du 29 Janvier 1990, élaborée avec l'aide de l'overseas Private Investment Corporation (OPIC) et de l'Agency for International Development des Etats-Unis,et la signature le 31 Août de la même année, d'un accord de soutien au développement des zones franches industrielles au Cameroun pour un montant de 6,16 millions de dollars. Sur la base des études de marché entreprises, 40 (quarante) sociétés s'étaient déclarées très intéressées par le projet camerounais. Mais, en raison des incompréhensions nées de la démocratisation du système politique camerounais, ce projet ambitieux et très bénéfique pour les deux parties n'a pas été réalisé à temps comme prévu.

En revanche, l'absence de tension manifeste entre le pouvoir central camerounais et la France, pendant l'espace - temps qui fait l'objet de nos investigations, de même que les multiples incompréhensions survenues avec les puissances telles que les Etats-Unis et l'Allemagne apparaissent comme un facteur de renforcement du positionnement français au Cameroun. Ce positionnement multidimensionnel s'est relativement renforcé avec la vague de libéralisation et de privatisation des entreprises publiques du fait de la récession économique qui frappe le pays. Aujourd'hui, les transports, la distribution de l'eau et de l'énergie, l'exploitation minière et forestière, l'agro-alimentaire et le secteur financier commencent à devenir des monopoles français. Des sociétés d'Etat importantes comme la SNEC, la RNCF, la SODECOTON, la CAMAIR,... sont convoitées.

De plus, le désengagement croissant des pays anglo-saxons dans le domaine de l'aide au développement a "encouragé la coopération française depuis le début des années 90 à une meilleure prise en compte des deux provinces anglophones du Cameroun". Depuis 1992, la Caisse Française de Développement (CFD) a investi 140 millions de francs français dans la modernisation de la plus grosse entreprise agro-industrielle du Cameroun,- la Cameroon Development Corporation (CDC) - , deuxième employeur après l'Etat, avec 12.000 salariés. En 1995, deux nouveaux projets, financés par la CFD visaient à améliorer la desserte en eau potable et à développer les moyens de télécommunications dans la province du sud-ouest... En tout état de cause, le poids économique de la France au Cameroun fait de celle-ci un acteur du jeu politique national.

Pourtant, en dehors des réactions spécifiques générées par l'action de chacune des deux puissances, l'autre pan du comportement du système politique camerounais pourrait s'apprécier au regard de la stratégie globale du pouvoir, régulateur officiel des tensions et pressions internes et externes.

B - La stratégie globale du pouvoir, une réponse aux pressions internes et externes

Face à une conjoncture politique devenue incertaine, la stratégie du pouvoir semble consister en une tentative d'adaptation conservatrice. Pour les autorités, "il s'agit de "récupérer" la contestation en lui imposant des modes de formulation et de réalisation propres à lui imprimer une orientation favorable au régime". En tout état de cause, le processus de démocratisation camerounais pourrait s'analyser en une "offensive de la formation dirigeante" aussi bien face à la volonté subversive de la "société civile" que face aux pressions en provenance de l'environnement international. Sur le plan interne, cette offensive est marquée du sceau de la "déviance créatrice" alors que sur le plan international, le pouvoir n'a ménagé aucun effort pour légitimer sa stratégie.

1 - La prégnance de la "déviance créatrice" dans la conduite de la dynamique politique interne

La stratégie du pouvoir, fortement marquée par une volonté de pilotage exclusif de la dynamique politique interne, et partant, la maîtrise de l'agenda politique, participe de la "déviance créatrice". Intimement lié au mécanisme d'importation des modèles politiques, le phénomène de la "déviance créatrice" correspond à la "volonté des princes des sociétés extra-occidentales de se maintenir au pouvoir".En effet, pour réaliser leur projet, les acteurs détenteurs du pouvoir dans les sociétés du Sud manipulent des valeurs et des normes issues du centre.Tel semble être "le sort des idées de démocratie, de développement ou de construction d'Etat". En tout état de cause, relativement au processus de démocratisation camerounais, la "déviance créatrice" s'identifie à ce "scénario démagogique" déployé par le pouvoir tendant à se dérober des pressions externes et internes en faveur de l'instauration d'un Etat de droit démocratique et à conduire la dynamique politique à son rythme et à son avantage. Par ailleurs, il s'agit, non seulement, de fabriquer l'image d'un régime qui n'a pas été contraint de libéraliser la vie politique par la force des pressions intérieures et extérieures, mais aussi d'insister sur la spécificité des réalités Camerounaises : "le Cameroun c'est le Cameroun !" lançait Paul Biya le 27 Juin 1991 devant l'assemblée Nationale. Par cette formule, le chef de l'Etat entendait disqualifier les arguments de tous ceux qui, - au Cameroun comme ailleurs -, pensaient (ou pensent encore) que ce pays aurait dû se mettre au diapason d'une mode symbolisée par la Conférence Nationale Souveraine.

En réalité, le discours officiel n'a eu de cesse de s'appesantir sur la nécessité d'une adaptation de l'idéal démocratique aux contingences nationales. Déjà à Bamenda en Mars 1985, le Président Biya déclarait en substance que : "Pour ce qui est des règles et des principes de cette démocratie, celle qui nous est chère, nous entendons également affirmer que nous ne pourrions trouver de meilleure inspiration que dans les réalités nationales et dans les seules aspirations du peuple camerounais, sujet de son histoire, artisan et maître souverain de son destin.".En clair, pour le Président Biya, la construction d'un Etat de droit démocratique doit tenir "compte des contingences propres à notre pays".

Ces arguments traduisent clairement la nécessité d'une prise en compte des facteurs caractéristiques de l'identité nationale dans la mise en oeuvre du projet démocratique. Mais étant donné que le pouvoir fait aussi face à une vigilance sans précédent de la communauté internationale, il semble important d'analyser les lignes de force qui auront déterminé la légitimation de sa stratégie sur le plan extérieur.

2 - La légitimation de la stratégie du pouvoir auprès de la Communauté internationale

Au lendemain de la proclamation des résultats de l'élection présidentielle du 11 octobre 1992, la position du gouvernement sur l'échiquier international est délicate. Les messages de félicitations des chefs d'États étrangers, notamment occidentaux se font rares. Dès cet instant, le pouvoir comprend que la légitimité internationale est à conquérir. Pour ce faire, il s'emploie, non seulement à donner l'image d'un gouvernement issu de la volonté générale ou tacitement approuvé par la grande majorité des citoyens et respectueux des droits de l'homme et de la libre entreprise, mais aussi, à attirer l'attention des partenaires internationaux sur les spécificités du Cameroun. La publication d'un Livre Blanc sur les droits de l'homme au Cameroun au cours de l'année 1994 participe de cette stratégie. Concrètement, l'action de légitimation de la stratégie gouvernementale fut déployée aussi bien auprès des États qu'auprès des organisations internationales.

a - L'action de légitimation en direction des États

Ainsi, qu'il a été démontré à la première partie de ce travail, de nombreux partenaires bilatéraux du Cameroun n'ont pas manqué de suivre avec une attention soutenue, l'évolution du processus de démocratisation en cours dans ce pays. Ainsi, face à la contestation internationale de la réélection du Président Paul Biya en 1992, le gouvernement s'est vu obligé d'envoyer des missions d'explication de haut niveau en France, en Belgique, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Espagne, aux Etats-Unis, au Canada, en Chine. L'option pour une diplomatie ad hoc et itinérante en dit long sur le degré de délabrement international de l'image du pouvoir en place. De même, le choix des pays concernés par la mission d'explication paraît rationnel, à plus d'un titre. En plus de l'attention particulière accordée au processus de démocratisation camerounais, la plupart de ces pays figurent au peloton de tête des principaux donateurs de l'Aide Publique au Développement du Cameroun. Bien plus, ces pays sont les principaux partenaires commerciaux du Cameroun. En clair, la rupture des liens avec ces puissances serait suicidaire pour ce dernier.

En plus de ces actions ponctuelles, le gouvernement semble avoir perçu la nécessité d'une action permanente auprès de tous les partenaires bilatéraux du Cameroun. En effet, des instructions auraient été données aux Missions permanentes du Cameroun à l'étranger pour mener une sensibilisation continue auprès des différents pays d'accueil sur les bonnes dispositions du gouvernement à promouvoir la démocratie et les droits de l'homme au Cameroun.

Ces actions semblent avoir empêché la rupture pure et simple du dialogue avec des partenaires exigeants tels que les Etats-Unis et la République Fédérale d'Allemagne. Parallèlement, le pouvoir n'a pas hésité à engager une "opération de charme" en direction des organisations internationales.

b - Le déploiement du Cameroun auprès des organisations internationales

Deux faits majeurs ont retenu notre attention à ce niveau de l'analyse : l'adhésion au Commonwealth ainsi que l'organisation du 32ème Sommet de l'OUA et le soutien d'une candidature africaine à l'élection du Secrétaire général de l'ONU.

b-1. L'adhésion du Cameroun au Commonwealth

L'admission du Cameroun au Commonwealth n'aura pas été facile. De l'acte de candidature, au Sommet de Kuala Lumpur (Malaisie), en 1989, à l'adhésion effective en 1995, la 'route aura été longue, laborieuse". Le 16 octobre 1995, le Cameroun devenait le 52ème Etat membre du Commonwealth. Perçue comme une "consécration historique",dans la mesure où elle rétablissait l'égalité parfaite entre les deux communautés linguistiques, -richesse héritée de l'histoire et qui a souvent alimenté certaines frustrations auprès des anglophones-, cette admission s'analyse aussi en une légitimation internationale du pouvoir en place. L'acharnement de ce dernier à démontrer que le Cameroun satisfait les exigences du Commonweath en matière de démocratisation en dit long.

Le 29 Septembre 1989, en effet, le gouvernement camerounais saisit le Secrétaire général du Commonwealth pour lui signifier son intention de bénéficier du statut d'observateur. Cette demande est déboutée au motif qu'il n'existe pas de statut d'observateur au Commonwealth. Au Sommet de Harare en 1991, Les instances du Commonwealth exhortent le Cameroun d'adhérer à la Déclaration qui porte le nom de la capitale qui abrite les travaux, afin de pouvoir compléter son dossier de candidature. A titre de rappel, la Déclaration de Harare en ses points 4 et 9, réaffirme l'attachement du Commonwealth à la démocratie, à la protection et à la promotion des droits de l'homme. Le Cameroun y a adhéré le 1er Avril 1992.

Pourtant, il fallait encore convaincre les instances de la prestigieuse association des bonnes dispositions du régime en place à promouvoir la démocratie et les droits de l'homme. Cette phase étant d'autant plus délicate et importante dans la mesure où certains camerounais signaient, distribuaient et soutenaient des "pétitions hostiles à leur patrie". C'est la raison pour laquelle le Secrétaire général du Commonwealth - Chief Emeka Anyaoku- effectua du 19 au 23 Juin 1993, une visite officielle au Cameroun à l'occasion de laquelle il rencontra les plus hautes autorités de l'Etat. En dehors de la descente qu'il effectua dans les provinces du Nord-ouest et du Sud-Ouest, le Secrétaire Général avait rencontré les autorités locales et les leaders des partis politiques.

En Juillet 1995, Une délégation du Commonwealth conduite par Dr Kamal Hossain-ancien Ministre des affaires Etrangères du Bangladesh - devait collecter sur le terrain des informations destinées à la finalisation du dossier d'admission du Cameroun en tenant compte de l'évolution du processus de démocratisation. Cette délégation rencontra le Président de la Commission nationale des droits de l'homme, Dr. Salomon Nfor Ngwei, le "Chairman" John Fru Ndi (SDF) ainsi que les Ambassadeurs des pays membres du Commonwealth accrédités à Yaoundé, les personnalités de la "société civile", les leaders d'autres partis politiques, les groupes de pression, etc. C'est au terme de cette mission que le Cameroun est officiellement déclaré apte à siéger dans cette organisation.

b-2 L'accession de M. Paul Biya à la Présidence en exercice de l'OUA et le soutien d'une candidature africaine au Secrétariat général de l'ONU

Du 8 au 10 Juillet 1996, s'est tenue à Yaoundé, la 32ème session ordinaire de l'assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement de l'organisation de l'unité Africaine (OUA). C'est pour la première fois que Yaoundé s'érigeait en capital de l'Afrique. Au précédent Sommet à Addis-Abeba, le Cameroun avait dû jouer serré pour arracher le désistement du Zimbabwe, candidat de dernière minute à l'organisation de ce sommet. Outre la trentaine de chefs d'Etat et de gouvernement africains, ce Sommet enregistra la présence de personnalités de premier plan à l'instar de Boutros Boutros Ghali, Secrétaire Général de l'ONU, Yasser Arafat, Président de l'Autorité Palestinienne, George Moose, sous -secrétaire d'Etat Américain chargé des Affaires Africaines, Michel Camdessus, Jacques Diouf, Hiroshi Nakajima , Carol Bellamy, tous Directeurs généraux respectivement du FMI, de la FAO, de l'OMS et de l'UNICEF.

Toujours est-il que conformément à la pratique de l'organisation panafricaine, le Président Paul Biya est porté à la Présidence en exercice le 8 Juillet 1996. Le discours inaugural qu'il prononce à cette occasion est un plaidoyer pour une démocratisation adaptée aux réalités africaines : "Au plan politique, nos États doivent poursuivre le processus démocratique dans lequel ils sont engagés, chacun s'attachant naturellement à le conduire à son rythme et à l'accorder à ses réalités.

"L'Afrique doit préserver et consolider l'image d'un continent qui sait où il va, qui sait ce qu'il veut".

Univers de communication, la scène politique nationale et/ou internationale est aussi un univers de combat où, comme dans tous les combats complexes, chacun agit suivant un plan préconçu plus ou moins élaboré. Aussi, l'accession du Président Biya à la tête de l'OUA lui a-t-elle donné la possibilité de s'assurer un soutien auprès de la communauté internationale en donnant l'image d'un régime fréquentable puisque convaincu de la nécessité de l'idéal démocratique, mais aussi et certainement, de justifier subtilement ses options politiques.

Lors du sommet de Yaoundé, mandat fut confié au nouveau Président en exerce de l'OUA d'engager des contacts en vue d'assurer sinon la réélection de M. Boutros Boutros Ghali, du moins l'élection d'un Africain. A cet effet, il effectua une mission à New York du 22 au 28 octobre 1996. Outre les importantes allocutions qu'il prononça devant l'Assemblée générale de l'ONU le 24 octobre 1996 et le groupe africain le même jour, le Président Biya s'entretint avec Mme Madeleine Albright, alors représentant permanent des Etats-Unis à l'ONU., opposée à la réélection de M. Boutros Boutros Ghali. Il fut, par ailleurs, au centre de multiples tractations avec d'importantes personnalités à New York et s'entretint à Paris avec les Présidents Jacques Chirac et Omar Bongo au sujet de la réélection de M. Boutros Boutros Ghali.

Au terme de toutes ces tractations et à l'issue du vote à l'Assemblée générale, le Ghanéen Kofi Atta Annan est élu Secrétaire général de l'ONU a été également pour nous un enjeu majeur. Nous avons ardemment oeuvré pour qu'un second mandat soit accordé à l'Afrique. Notre objectif a été atteint et nous nous réjouissons de ce que la communauté internationale nous ait renouvelé sa confiance".

En tout état de cause , le déploiement du Cameroun auprès des organisations internationales et des partenaires bilatéraux participe d'une mise en scène qui poursuit un objectif plus ou moins avoué : permettre au pouvoir d'améliorer son image - par ailleurs ternie depuis l'élection présidentielle du 11 octobre 1992 - sur la scène internationale. Ce faisant, il participe des péripéties de légitimation internationale de la stratégie gouvernementale.

L'étude de l'implication des puissances occidentales dans les processus de démocratisation en Afrique, en général, des actions américaine et française au Cameroun, en particulier, apparaît comme en effort de dépassement de la dichotomie très souvent entretenue entre l'analyse des facteurs endogènes et celle des contraintes exogènes. En effet, si certains admettent volontiers que la démocratie ne saurait être imposée de l'extérieur en ce que l'établissement de régimes démocratiques - dans les pays en voie de développement - doit résulter avant tout d'initiatives internes, l'on doit accepter avec le Professeur Samuel P. Huntington que "la démocratisation d'un pays peut être influencée, parfois de façon décisive, par les actions de gouvernements ou d'institutions extérieures aux pays". De même, les acteurs étrangers peuvent renverser ou entraver le processus de démocratisation dans des pays où il serait normalement intervenu. En clair, l'enchevêtrement des facteurs internes et externes aura été au centre de notre investigation. Le recours à une modélisation hybride, intégrant harmonieusement des éléments d'analyse réaliste et transnationaliste nous a permis, nous l'espérons, de tenir ce pari.

En dernière analyse, si l'Afrique est d'un intérêt stratégique mineur pour le moment, la volonté de s'assurer des gains économiques et commerciaux n'est pas exclue dans la nouvelle offensive américaine en direction de ce continent. L'enracinement séculaire de la France dans cette partie du monde et la consistance de ses intérêts expliqueraient les rivalités plus ou moins latentes entre ces deux partenaires du Nord. En effet, la fin de la guerre froide semble avoir favorisé l'émergence d'une "paix froide" à l'occasion de laquelle les puissances occidentales compétissent désormais pour la consolidation de leurs parts de marché dans toutes les régions du monde. Tant et si bien que les exigences de "Realpolitik" l'emporteraient sur les mobiles humanitaires dans la conduite de la politique extérieure, aussi longtemps que le monde sera organisé en États. La France et les Etats-Unis semblent l'avoir bien compris. Les africains devraient pouvoir le comprendre au risque de naviguer à contre courant de la logique implacable des réalités internationales.