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JURISTES-SAVANTS, DROIT DE L'ETAT
ET ETAT DE DROIT AU CAMEROUN : L'ENONCIATION PROFESSORALE ET DOCTORALE DU DROIT DE LA SOUVERAINETE ET DROITS DE L'HOMME AU CRIBLE D'UNE SOCIOLOGIE POLITIQUE DU CHAMP JURIDIQUE*
par Mathias Eric OWONA NGUINI GRAPS / Université de Yaoundé II
* Cet article a été influencé par mes discussions avec MM. NJIKAM MOULIOM et Luc SINDJOUN Les formes d'"économie de pouvoir" prévalant au Cameroun, constituent des cadres de construction ou de formation de modèles de légitimation et de régulation juridiques dans lesquels "loi et souveraineté [font] corps l'une avec l'autre". Le travail d'explicitation de la production et de la reproduction du droit comme activité normative s'appuiera sur des orientations sociologiques et politologiques pouvant permettre de saisir les logiques de politisation du droit mais aussi les processus de juridicisation de la politique. Il s'agit d'abord de saisir comment "les normes juridiques sont un produit politique et la traduction des rapports de force entre acteurs politiques" et en quoi "la logique politique est présente dans le champ politique lui-même à travers la politisation des enjeux juridiques et la contribution que le droit apporte à l'exercice de la domination politique". L'activité juridique de régulation et de légitimation normatives des rapports politiques au Cameroun s'inscrit dans la matrice d'une "sociologie du droit et des processus de construction des institutions". L'objectivation critique et paradigmatique du droit-saisi à travers sa création et son application - dirige l'étude des pratiques et de l'activité universitaires de production doctrinale et doctorales d'orientations ou de normes juridiques comme domaine central de questionnement, se doit aussi de comprendre et de rendre compte de l'évolution (symbolique ou stratégique) du "pouvoir des docteurs" dans les constructions juridiques et de l'influence possédée par les "juristes-professeurs, chargés d'enseigner le système". La théorie sociopolitique de l'énonciation juridique qui est envisagée au Cameroun, est orientée vers une explicitation des catégories de l'entendement des juristes universitaires en tant que "juristes aux prises avec la construction de leur propre légitimité". Il est possible, dans les termes d'une orientation normativiste et positiviste, de définir le droit comme "système de normes qui règle la conduite d'êtres humains" en tant qu'"ordre de contrainte". D'après une optique institutionnaliste et organiciste, "le droit consiste avant tout dans l'installation et l'organisation d'une entité sociale" et dans l'existence de "garanties institutionnelles" relatives à un "ordre concret" lui-même lié à des "institutions [qui] sont le centre ou la source de la chose juridique". Dans une logique décisionniste et volontariste, le droit se fonde sur une "décision [qui] est réellement souveraine parce qu'elle est l'acte d'une volonté qui peut tout" et "fonde à la fois la norme et l'ordre juridiques", décision qui "jaillit d'un néant normatif". Selon une orientation constructiviste et idéaliste, le droit peut aussi être défini comme "discours réglé, ponctuellement récité, rigoureux dans sa grammaire et préservant l'échelle des sens". Une perspective réaliste et objectiviste envisage le droit comme activité - ensemble de pratiques et de conduites - dont "le présupposé social persiste", activité correspondant relationnellement et institutionnellement à un "ordre interne des rapports sociaux". Ces différentes acceptions et conceptions du droit mettent en évidence la variété des "types de pensée juridique", tout en soulignant les capacités normatives de régulation et de coordination des conduites liées à la construction et à la formation de l'activité juridique. Une telle optique wéberienne s'appuyant sur une sociologie positive de la profession et des concepts juridiques peut aider à réévaluer et à revisiter l'orientation spéculative et schmittienne d'une "sociologie des concepts juridiques, dégageant une "structure conceptuelle" à comparer avec "l'élaboration conceptuelle de la structure sociale" au moyen d'une "conceptualité radicale" comme "logique poussée jusqu'au métaphysique et au théologique". La tension entre la sociologie (schmittienne) des concepts juridiques et la sociologie (wéberienne) de la profession juridique peut être réduite par une objectivation socio-politologique des homologies de ces deux types de pensée du droit soulignant les affinités entre concepts politico-juridiques et concepts théologiques. Le souci de complémentarité entre explicitation compréhensive et explication positive permet de construire une perspective (inséparablement) réaliste et critique d'analyse juridique où le droit s'appuie sur "une règle de reconnaissance - qui est en dernière instance, une règle sociale", règle de reconnaissance aidant à saisir comment "il faut saisir ainsi autre chose que le droit lui-même pour pouvoir justifier non seulement l'efficacité mais aussi la validité du droit". La théorie sociopolitique du droit fondée sur une analyse conceptuelle et factuelle des types universitaires de pensée juridique - peut ainsi être épurée de visées impérialistes et exclusivistes : "La sociologie du droit n'est qu'une manière supplémentaire pour connaître le droit et l'activité des juristes. Elle n'est pas la révélatrice d'un secret ni même l'instance qui pourrait se substituer aux autres disciplines scientifiques". En vue de l'objectivation sociopolitique du droit au Cameroun, il convient de développer un "point de vue de l'observateur externe qui se réfère au point de vue interne des juristes". Ce point de vue externe modéré permet de montrer à propos du "point de vue externe" et du "point de vue interne" comment "l'un devient l'autre, redevient l'un sans qu'on puisse jamais les opposer". Une sociologie de la connaissance juridique universitaire au Cameroun, incluant "l'analyse juridique du régime politique camerounais" et permettant de montrer que "le rapport du juriste aux institutions publiques est généralement médiatisé par les préconstructions idéales de type libéral", est nécessaire pour saisir les continuités et les discontinuités de la pensée juridique doctorale et professorale entre autoritarisme et démocratie. Expliciter le travail juridique comme activité normative dotée de différentes formes d'inscription sociale et politique, c'est saisir de quelle façon doit s'orienter une théorie du droit : "Une théorie politique complète du droit comprend alors au moins deux parties principales, elle s'adresse à la fois aux fondements du droit - aux circonstances dans lesquelles accepter comme bonnes ou vraies des thèses juridiques - et à la force du droit - au pouvoir relatif qu'a une théorie juridique vraie de justifier la coercition dans des circonstances exceptionnelles de diverses sortes". Cette compréhension théorico-philosophique du droit est pertinente à condition d'être affectée d'une réévaluation socio-politologique de l'examen des thèses juridiques. La mobilisation conceptuelle et opérationnelle de la catégorie philosophico-théorique et juridico-politique d'"Etat de droit" dans la pensée juridique universitaire camerounaise pose des problèmes en raison des difficultés sémantiques d'élaboration, des dynamiques pragmatiques concurrentes de ses usages et de la pluralité des référents liés aux variations et mutations des régimes juridico-politiques dénonciation de cette référence doctrinale et doctorale. Des interférences sémantiques peuvent d'abord résulter des convergences de définition entre la notion d'"Etat de droit" et d'autres catégories juridiques de pensée comme celles du "constitutionnalisme" chez Carl FRIEDRICH, de la "domination légale" énoncée par Max WEBER ou du "légalisme" formulée par Michael OAKESHOTT. Les contenus sémantiques de l'Etat de Droit sont également sensibles à la variété des tournures et des postures pragmatiques 'linguistiques) nuançant la convergence de signification avec le "Recht Staat" allemand et le "Stato di Diritto". Les expressions anglaises du "Rule of Law" ou américaine du "Due Process of Law", tout en insistant sur l'abstraction et l'universalité de la règle de droit, ne consacrent pas pour autant le règne de la loi étatique dans le système juridique. La cohérence du binôme Etat- Droit se trouve relativisée en raison de la dissociation conceptuelle entre "l'Etat de Droit" et "le Droit de l'Etat", dissociation permettant de mettre en valeur les constructions juridiques en termes de droits de l'homme dans une orientation défendant un système juridique autorégulé fondant et organisant un "droit sans l'Etat". L'examen de la pensée juridique universitaire au Cameroun - essentiellement construit ici sur la base des travaux publicistes - est tenu d'élucider les problèmes posés par les relations entre les catégories du Droit de l'Etat et de l'Etat de Droit en essayant de réévaluer le point de vue (positiviste) selon lequel "tout Etat est un Etat de droit". En étudiant les permanences et les changements de la pensée juridique académique sur les relations du droit et de l'Etat envisagées dans les contextes de l'autoritarisme et de la démocratisation, la théorie sociopolitique du droit au Cameroun doit alors noter que "sur un plan technique et instrumental, on doit constater que si tout Etat de droit n'est pas nécessairement une démocratie, toute démocratie doit être un Etat de droit". L'analyse des références doctrinales et doctorales à l'Etat de droit conduit alors à nuancer les approches envisageant l'Etat comme étant exclusivement un "mode autocratique de création des normes" et identifiant le droit comme étant toujours un "mode démocratique" de formation des règles. La théorie sociopolitique de l'énonciation universitaire du droit et des droits au Cameroun sera attentive à l'interdépendance évolutive du droit de la souveraineté et des droits de l'homme afin de reconstruire pertinemment les multiples genèses et usages des références à l'Etat de droit comme "construction idéologique qui s'appuie sur un système de représentations". Cette entreprise commande d'étudier le droit et les droits examinés par les juristes-savants en rapport avec les dispositions, les positions et les prises de position de ces derniers dans un champ professionnel et disciplinaire marqué par des luttes et des concurrences pour l'accès aux chances de la prééminence doctrinale. L'hypothèse originaire - qui organise l'investigation selon des repères et des critères sociopolitiques- pose que les types universitaires de pensée juridique qui occupent une place décisive dans la (re) construction et la (trans) formation du droit au Cameroun, sont de ce fait un cadre approprié d'observation et de compréhension de l'interdépendance dialectique et stratégique du champ juridique et du champ politique à travers les relations de l'Etat, du Droit, de l'Etat de Droit et du Droit de l'Etat. Dans cette orientation envisagée entre autoritarisme et démocratie, il s'agit de répondre à la question fondamentale qui suit : "Comment s'opère la construction de l'Etat camerounais de droit ?"
I - LE DROIT DES PROFESSEURS COMME ACTIVITE DE TYPIFICATION ET DE SIGNIFICATION DU PARADIGME AUTORITAIRE DU DROIT L'activité de production doctrinale des juristes (publicistes) camerounais s'inscrit dans un contexte politico-juridique au sein duquel "les moyens techniques du droit officiel" permettent à une administration patrimonialo-bureaucratique et à son chef présidentiel de favoriser nettement une "forme d'ingérence de l'impérium dans l'administration de la justice et la formation du droit". Les formes et les types de pensée juridique inventés, découverts ou mobilisés par les juristes de la chaire sont partiellement modelés à travers les configurations politico-juridiques de domination caractérisant le "présidentialisme autoritaire camerounais". Il s'agira d'abord de voir comment l'imagination juridique universitaire fortement structurée par des dispositions libérales sera soumise à une censure discursive liée à un cadre initialement autoritaire où l'on étudie "la pensée juridique des docteurs de la loi face à la rationalisation patrimoniale du droit et à la monopolisation régalienne de la volonté politique" (A). La configuration organiciste et institutionnaliste de l'ordre juridico-politique canalise les modèles du droit et l'espace doctrinal des possibles, favorisant de ce fait la formation d'une "science académique de l'énonciation nominaliste des droits et de l'enrégimentation institutionnaliste des libertés" (B). A . LA PENSEE JURIDIQUE DES DOCTEURS DE LA LOI FACE A LA RATIONALISATION PATRIMONIALE DU DROIT ET A LA MONOPOLISATION REGALIENNE DE LA VOLONTE POLITIQUE La construction et la formation des habitus doctrinaux des juristes de la chaire au Cameroun sont caractérisées par une recherche d'autorité et de légitimité de ces professionnels soucieux d'affirmer et de consolider leurs positions statutaire et identitaire dans les milieux du droit en se posant comme "docteurs de la loi" face aux représentants de la bureaucratie étatique centrale qui revendiquent le monopole du discours juridique sur les institutions politiques. Les stratégies universitaires d'énonciation du droit officiel qui s'élaborent dans un contexte dominé par un "constitutionnalisme rédhibitoire" entravant la construction cohérente et conséquente des normes (politiques) libérales d'un "Etat de droit bourgeois" sont tenus de combiner distance et prudence face à la prégnance d'une configuration patrimoniale et autoritaire de l'édiction souveraine du droit. Il convient d'étudier d'abord "la division autoritaire des pouvoirs" (1) puis "la captation bureaucratico-patrimoniale de l'édiction souveraine du droit" (2) et enfin, "la sublimation du droit - commandement ou du droit - règlement" (3). 1 - Une division autoritaire de pouvoirs dominée par l'Etat présidentiel et gouvernemental L'hégémonie politique du droit de l'Etat au Cameroun qui est liée à un système de domination initialement autoritaire tend à réduire l'activité juridique à une "technique gouvernementale" et subjugue l'analyse universitaire de l'organisation des pouvoirs, analyse pourtant marquée par des prédispositions libérales. Lanalyse savante du droit public au Cameroun connaîtra une réorientation décisive et significative avec le moment Joseph OWONA, moment caractérisé par lempreinte intellectuelle de ce juriste - universitaire camerounais emblématique institué en figure pionnière de laffirmation dune doctrine camerounaise du droit politique par rapport à lemprise jusque là exercée sur ce terrain par les auteurs publicistes français comme Pierre François GONIDEC, Henri JACQUOT, Jean-Marie BRETON et Alain MESCHERIAKOFF. Dès lors, même les auteurs (privatistes) de la réflexion universitaire sure le droit vont souligner ces traits institutionnels - déjà évoqués par les théoriciens du droit public camerounais - à l'instar d'un éminent juriste de l'académie montrant au sujet du Code pénal de 1967 "moderne dans sa structure, moderne dans son inspiration", comment l'absence d'adoption corrélative d'un Code de procédure pénale a compromis une rationalisation formelle consistante du droit qui aurait permis de consacrer "la fin de l'autoritarisme et la libéralisation du monde judiciaire". La construction juridique (et juridiste) de la réalité socio-politique au Cameroun est en dépit de ses dispositions libérales, modelée dans sa conceptualisation fondamentale et instrumentale du système institutionnel, par les rapports d'homologie entre l'ordre concret monopoliste et le schéma abstrait du présidentialisme autoritaire s'appuyant sur une bureaucratie étatique patrimonialisée. Les instruments universitaires du droit vont souligner comment les formes juridiques d'aménagement de la domination politique font qu'"au Cameroun, le renforcement des pouvoirs de l'Etat et de son chef est allé grandissant, et a atteint sa plénitude avec la Constitution du 2 juin 1972". Les postures et les procédures adoptées par les publicistes camerounais à propos de l'énonciation d'un "constitutionnalisme présidentialiste" va leur permettre d'affirmer leurs compétences et leurs connaissances face aux auteurs de la doctrine civiliste et pénaliste et de légitimer leur savoir à l'égard des légistes présidentiels et gouvernementaux par le recours à une analyse juridique spécialisée de la domination institutionnelle de la Présidence. L'imagination politico-constitutionnelle des théoriciens publicistes et universitaires du droit officiel au Cameroun sera alors encline par sa référence substantialiste au présidentialisme, à produire un discours doctrinal sur l'Etat proche de celui ayant trait à "l'Etat gouvernemental" [qui] "atteint son expression parfaite sous le gouvernement d'un chef d'Etat, unissant au commandement suprême une volonté personnelle". L'état de choses politico-institutionnel consacré par la reconfiguration juridique de la Constitution camerounaise en mai et juin 1972, met en place les logiques d'édification d'un "Etat présidentiel" comme expression aboutie de (la fiction doctrinale) de "l'Etat gouvernemental". Les juristes-publicistes camerounais vont alors mobiliser la lettre de la loi fondamentale pour énoncer la centralité de la Présidence dans l'exercice de la souveraineté et de la représentation de l'Etat - comme montages juridico-doctrinaux -, dans une optique où "l'Etat gouvernemental possède, dans la personne de son ou de ses chefs, toutes les vertus de la représentation". A cet effet, la doctrine juridique (publiciste) au Cameroun usera des catégories de l'exégèse et de l'herméneutique dans une orientation rationalisatrice sappuyant sur le texte de la Constitution unitaire de 1972 qui énonce que "le Président de la République représente l'Etat dans tous les actes de la vie publique". La substantialisation du personnage présidentiel comme figure juridique correspond à "une personnalisation organique du pouvoir" et relève bien d'une "sacralisation du pouvoir [qui] apparaît comme une conséquence extrême de la personnalisation du pouvoir qui est-elle même liée au présidentialisme". La formation et l'évolution de la Présidence au Cameroun comme "centre de force d'un jeu régalien" peut faire l'objet d'un examen politologique relationnel (et fonctionnel) en apportant des amendements intéressants à la conceptualisation constitutionnaliste et administrativiste de cette institution. L'énonciation socio-politologique pourrait permettre de mieux cerner l'expression d'un impensé libéral dans les catégorisations publicistes de la doctrine juridique de l'Etat camerounais marquées par une stigmatisation de la Présidence autoritaire comme "un organe de confusion des pouvoirs" et, procédant à cette occasion à une affirmation discrète de leurs positions professionnelles et de leurs intérêts communicationnels. La reconstruction intellectuelle (logique) et opérationnelle (technique) des bases juridiques et de lhégémonie politique de la Présidence dans le système institutionnel peut permettre à une analyse socio-politologique d'expliquer comment "le Président de la République au Cameroun, bien que jouissant d'une importante marge de manoeuvre, est pris dans un réseau d'interdépendance". L'objectivation sociopolitique des entreprises universitaires de théorisation du droit au Cameroun peut s'appuyer sur le travail doctrinal publiciste de mise en évidence du droit constitutionnel et administratif pour expliciter ou interpréter les possibilités pontificales liées aux prérogatives du Président lorsque ce dernier "veille au respect de la Constitution, assure lunité de l'Etat et la conduite de la Nation". La disposition constitutionnelle selon laquelle "le Président peut déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du Gouvernement et à certains hauts fonctionnaires de l'administration de l'Etat dans le cadre de leurs attributions respectives" exprime aussi les chances pontificales de domination offertes au chef présidentiel de l'Etat unitaire du Cameroun consacré en 1972. Les prérogatives présidentielles de nomination aux emplois civils et militaires montrent comment la position du Chef de l'Etat et du Gouvernement dans la République unitaire du Cameroun "semble fonder la légitimité d'autres acteurs par l'onction qu'il leur accorde (nomination du Premier Ministre, nominations majeures - ministres, hauts fonctionnaires, membres de différents corps, - accréditation d'ambassadeurs, etc.". La doctrine camerounaise du droit public rationnel s'est efforcée de comprendre du point de vue du droit savant, la formation et l'évolution du statut présidentiel de "pontife constitutionnel" ainsi que le processus par lequel "le pontificat présidentiel marque la tournure présidentialiste du régime politique Cameroun". La puissance pontificale du Président de la République se perçoit aussi à travers les attributions extraordinaires qui lui sont constitutionnellement reconnues dans les périodes de crise et que les auteurs de la théorie politico-juridique de l'Etat au Cameroun ont mis en lumière. En effet, le Président de la République unitaire du Cameroun placé "dans des circonstances de crise voit ses attributions s'accroître et se renforcer considérablement puisqu'il peut, soit proclamer l'état d'exception qui lui confère des pouvoirs illimités, faisant de lui un véritable dictateurs de salut public". Le "décisionnisme" présidentiel au Cameroun s'exprime clairement à propos des pouvoirs de crise du Chef de l'Etat et du Gouvernement qui est - selon l'expression schmiltienne - "celui qui décide de l'exception". Ces pouvoirs extraordinaires conférés au chef de l'Etat rendent compte de la codification d'une "solution présidentialiste d'institutionnalisation des pouvoirs de crise" s'inscrivant dans "le mouvement d'institutionnalisation de la légalité d'exception au profit du pouvoir exécutif [qui] embrasse tout le droit public camerounais". La codification juridico-politique -opérée au moyen de la procédure de révision constitutionnelle de mai 1972 - organise les structures et les procédures présidentialistes d'énonciation d'un "Etat absolu" qui "s'appuie sur les armes et les fonctionnaires" et constitue essentiellement un "Etat de l'Exécutif et du Gouvernement". En tant que chef institutionnel des corps de l'administration, le Président de la République unitaire du Cameroun dispose d'un pouvoir réglementaire de principe pouvant faire l'objet de délégations qui apparaissent aux théoriciens publicistes comme modalités assurant "la déconcentration hiérarchisée du présidentialisme camerounais" au profit du Premier Ministre (poste créé en mai 1975), des ministres et du secrétariat général de la Présidence. Le pontificat constitutionnel du Président plébiscitaire et autoritaire de la Constitution camerounaise de 1972 reproduit certains des traits du "pontificalisme "royal" du "pontificalisme des monarques absolus" et confère à ce magistrat prééminent de l'Etat, un "caractère quasi-sacerdotal". La prépondérance présidentielle et les "chances de puissance" pontificales qu'elle permet de mobiliser, ont incité certains des auteurs de la théorie juridique camerounaise, de l'Etat à évoquer explicitement l'idée d'un "absolutisme présidentialiste" fondé en droit par les techniques utilisées dans le processus (politique) de codification constitutionnelle de 1972 qui a abouti à une "constitution unitaire et présidentielle". Les membres de la doctrine publiciste camerounaise évoqueront même l'existence d'une "véritable souveraineté présidentielle" - canalisant la formation et le développement d'une expression parlementaire achevée de la souveraineté comme "ratio legis" et remettant en question un rôle de "législateur omnipotent" - en étudiant le travail présidentiel d'incorporation privilégiée de la souveraineté (en tant que fiction rationnelle admise par les juristes). 2. La captation bureaucratico-patrimoniale de l'édiction politique du droit neutralisant l'Etat parlementaire Le constitutionnalisme positif de l'Etat unitaire du Cameroun consacré en 1972, va montrer comment l'édiction souveraine du droit qui institue "la législation politique" est caractérisée par le rôle central de la "législation gouvernementale". L'un des pionniers de la réflexion constitutionnaliste camerounaise entend ainsi exprimer dans une posture énergétique, l'état de choses institutionnel consacrant " une Assemblée Nationale aux attributions législatives limitées dans leur étendue" en mettant en lumière, l'existence d'un "domaine de la loi très réductible" dans la Constitution unitaire et présidentialiste de 1972. Le commentaire savant entend ainsi montrer comment "l'élection du Président de la République au suffrage universel direct" donne à "l'institution présidentielle", une place prépondérante par rapport à l'Assemblée Nationale, "l'autre délégué de la souveraineté nationale issu lui aussi de la Nation mais composée de 120 personnalités" dans le processus politique de production législative du droit. Les auteurs publicistes du droit savant formés par les professeurs occidentaux défenseurs du constitutionnalisme libéral caractérisent par un juridisme concevant la loi comme expression de "la volonté générale" et font montre d'un habitus doctrinal érigeant en constat décisif et définitif, "l'insignifiance de l'Assemblée Nationale" au Cameroun dans l'élaboration législative du droit. La critique universitaire (publiciste) de la direction présidentielle et gouvernementale des institutions législatives au Cameroun exprime la prétention des juristes-savants à revaloriser une définition parlementaire de "l'Etat législateur", de façon à légitimer leur compétences juridiques par rapport aux légistes-fonctionnaires des cabinets présidentiels et gouvernementaux qui ont techniquement bâti les fondements et les équipements constitutionnels de la puissance du chef de l'Etat dans l'édiction législative du droit. Un des représentants universitaires éminents de la doctrine politico-juridique de l'Etat au Cameroun va noter que les prérogatives parlementaires laissaient au Président de la République, "le loisir d'intervenir dans le domaine du pouvoir législatif" au point de considérer qu'"il est tout à fait conforme au contexte constitutionnel camerounais de dire que le Président de la République apparaît, en droit et en fait, comme le véritable législateur. Un juriste camerounais formé dans la tradition anglo-américaine du constitutionnalisme libéral manifeste sa réserve doctrinale vis-à-vis du fait qu'"au Cameroun, l'exécutif possède de façon inhérente le pouvoir d'élaborer des lois". Le fait que la souveraineté nationale -comme fiction juridique recouvrant les formes sacrées et sacralisatrices du pouvoir - puisse en dehors de la procédure référendaire, être exercée par le Président de la République au même titre que l'Assemblée Nationale dans l'élaboration des lois, est critiqué par cet auteur comme "une tentative de concilier la monarchie avec la souveraineté populaire". Les prérogatives présidentielles en ce qui concerne l'édiction souveraine du droit par le Parlement empêchent la consécration au Cameroun d'un "système de la légalité de l'Etat législateur parlementaire" où la figure (symbolique) du "législateur" "doit conserver entre ses mains le monopole de la légalité". Un théoricien universitaire de la doctrine publiciste de l'Etat au Cameroun s'inscrivant dans une orientation générale du droit savant, entend montrer les rapport de la législation politiquement souveraine avec les moyens extraconstitutionnels ou para-constitutionnels confortant la prépondérance du Président dans l'élaboration des lois en soulignant "le poids de la dépendance de fait des parlementaires vis-à-vis du Président de la République, dans le cadre d'un régime politique de parti unique". La pratique politico-institutionnelle schématisée par les auteurs de la théorie publiciste de l'Etat au Cameroun permet de comprendre comment le Président de la République peut bénéficier de la "prime politique destinée au détenteur légal de la puissance publique" pour "imposer aux minorités l'obligation de renoncer au droit d'opposition" en préservant le parti au pouvoir d'une mise en oeuvre du principe constitutionnel du pluralisme politique des partis. La monopolisation de la législation souveraine liée à la prime super-légale de la détention de la puissance publique par le parti au pouvoir alors unique fait l'objet d'une énonciation juridique examinant comment "la loi devient un moyen comme un autre de contrôle de l'échiquier politique en solitaire, par la neutralisation de toute concurrence". Le discours publiciste sur le système (établi) de la légalité au Cameroun en soulignant la prévalence de la législation gouvernementale et présidentielle dans l'édiction souveraine des lois, montre l'importance du droit - commandement dans les configurations politico-juridiques caractéristiques de l'Etat. 3. La sublimation du droit-commandement et la canalisation conséquente de l'Etat juridictionnel La position de la Présidence et du Gouvernement - consubstantiellement lié à la première institution - dans le travail politique de la législation au Cameroun ne conforte les entreprises de "fixation univoque du droit" par des "codifications systématiques" que lorsque ces tentatives s'inscrivent dans le sens des "pouvoirs dominants" liés à la bureaucratie centrale de l'Etat. Un publiciste administrativiste notera que la préoccupation primordiale de "l'ordre public" dans la construction ou la formation du droit au Cameroun "pèse plus lourd sur la balance de Thémis que la défense des droits des particuliers". Cet état de choses lié à l'orientation étatiste de l'énonciation juridique au Cameroun peut s'apercevoir dans la conformation du droit positif dont l'édiction politique est contrôlée par un Gouvernement conduit par le Président apparaissant bien comme le législateur de droit commun" alors que "le parlement est le législateur dattribution". Les techniques constituantes sollicitées dans la révision de la loi fondamentale en 1972 au Cameroun ont permis une canalisation gouvernementale et administrative des pouvoirs juridictionnels à tel point qu'on peut légitimement soutenir que "le régime présidentialiste camerounais s'inscrit en faux contre le principe classique de la séparation des pouvoirs tendant à la garantie de l'autonomie du pouvoir judiciaire". La limitation et la division constitutionnelles des pouvoirs dans l'institution étatique camerounaise font que le Président de la République exerce "une telle emprise sur l'organisation et le fonctionnement de la justice que celle-ci n'a qu'une indépendance problématique vis-à-vis de l'exécutif". Un autre propos doctrinal recourant à l'exégèse de la Constitution camerounaise de 1972 souligne l'importance des attributions présidentielles vis-à-vis de l'organe suprême de la justice : "Le Président, chef du Gouvernement, dispose suivant la Constitution du pouvoir de saisir la Cour Suprême, instance judiciaire suprême en matière constitutionnelle (articles 10 et 27)... Il a de même le pouvoir de modifier la composition de celle-ci lorsqu'elle se prononce sur l'incapacité physique permanente ou le décès du Président (article), sur la nature législative ou réglementaire d'un texte soumis à l'Assemblée Nationale (article 10 et 27). Les normes objectives et positives de la Constitution unitaire de 1972 adoptée au Cameroun, conférent aux détenteurs de l'impérium étatique, les moyens de canaliser la mise en oeuvre contentieuse de prétentions juridiques bénéficiant aux sujets de droits distincts de l'Etat comme personne juridique morale. Les pouvoirs de commandement pouvant mobiliser les règlements comme instruments juridiques sont privilégiés dans le droit positif camerounais - particulièrement dans les sphères de droit public - ce qui relativise l'affirmation des pouvoirs juridictionnels vis-à-vis des structures de l'Exécutif et du Législatif. Dans ce contexte, un auteur du droit savant s'efforce de promouvoir un "impératif de sauvegarde des droits" qui constitue "en matière de contentieux administratif, une logique de contrepoids aux privilèges exorbitants de l'intérêt général incarné par l'Etat". Dans la (re)construction publiciste du droit, certaines des prises de position doctrinales soulignent "que dans le système juridique camerounais, l'absence des possibilités juridiques de garantie du respect de la constitutionnalité des lois reste patente". La prédominance des structures de l'Etat présidentiel et gouvernemental relativiserait donc de façon considérable, la consistance des possibilités institutionnelles d'un "Etat juridictionnel" organisé au moyen d'une justice constitutionnelle indépendante et de pouvoirs juridictionnels judiciaires et administratifs comme expressions d'une justice se posant en "gardien effectif de la Constitution". Dans cette logique de construction doctrinale, un auteur publiciste exprime l'entreprise universitaire de rationalisation du droit en se référant à une figure mythologique hellène incarnant la justice [Thémis] lorsqu'il affirme ce qui suit : "la Cour Suprême du Cameroun évoque Thémis très précisément en tant qu'elle est la juridiction suprême dans l'ordre juridictionnel national, gardien du droit et symbole de la justice par delà toutes les juridictions inférieures". Une orientation de limitation de l'Etat par le droit prétorien est sensible à la place du procès dans l'ordre juridique et entend montrer que la "justiciabilité" ne vaut pas simplement dans le droit privé et ne s'arrête pas aux portes de l'administration publique camerounaise. Les auteurs de la doctrine publiciste camerounaise soulignent les entraves réglementaires ou légales à une administration rationnelle et professionnelle de la justice en étudiant la formation d'un "véritable droit administratif national d'exception" et en notant avec étonnement, la faible consistance des règle prétoriennes en matière de "légalité d'exception" ainsi que la possible réticence du juge à innover ou l'abdication du justiciable" dans ce contexte d'institutionnalisation de la légalité de crise au Cameroun. Même des représentants autorisés de la doctrine civiliste et pénaliste - comme les publicistes - expriment la distance des privatistes vis-à-vis de la légalité d'exception présente dans des essais de réforme législative de la procédure pénale dont les innovations marquent selon ces juristes un "retour vers une période apparemment révolue du droit camerounais où l'accent était mis davantage sur la défense de l'ordre public par une conception hédonique de la sanction pénale". L'intérêt des membres de la doctrine publiciste camerounaise pour le contrôle de constitutionnalité des lois permet à l'un de ces juristes-savants d'instituer la figure du juge en "gardien naturel de la légalité entre les particuliers, protecteur de cette dernière à l'encontre des entreprises de l'Etat". L'analyste des formes du contrôle de constitutionnalité des lois au Cameroun souligne l'absence de possibilités pour les gouvernés de contester juridictionnellement "l'activité législative des représentants", en notant que "le contrôle de la constitutionnalité des lois est interdit aux citoyens au Cameroun". Les mécanismes du contrôle de constitutionnalité montrent comment l'intervention du Président de la République dans les sphères de l'autorité judiciaire neutralise strictement le développement des institutions et des instruments d'un Etat juridictionnel. En effet, selon un analyste du contrôle de constitutionnalité des lois au Cameroun, "l'ordre juridique suprême dans l'Etat n'est plus la Constitution, mais le Président de la République, qui est alors le seul gardien de la Constitution ; situation qui, de toute évidence contribue à déformer la hiérarchie des normes, et partant la notion même de suprématie de la Constitution". Les membres de la doctrine publiciste camerounaise entendent démonter la "faiblesse des mécanismes de garantie de la juridicité et de la légalité républicaine" en analysant un contexte politico-juridique peu favorable à la mise en oeuvre d'une orientation libérale de protection de l'Etat de droit et des libertés fondamentales. B. LA SCIENCE ACADEMIQUE DE L'ENONCIATION NOMINALISTE DES DROITS FONDAMENTAUX ET DE L'ENREGIMENTATION INSTITUTIONNALISTE DES LIBERTES Les producteurs (universitaires) du droit au Cameroun vont instrumentaliser et mobiliser le thème des droits fondamentaux dans leur entreprise de rationalisation doctrinale du droit positif incluant une réflexion sur la consistance et la cohérence des mécanismes de codification du système des "libertés de base" au Cameroun. L'entreprise doctrinale de conceptualisation normativiste des droits fondamentaux fera l'objet d'un examen interne et externe qui inclura les formes de "juridicité de crise" en rapport avec une réglementation drastique des droits et des libertés en envisageant la possibilité pour le "législateur national", d'essayer "d'institutionnaliser de façon permanente un système de garanties sûres et adaptées plus protectrices des citoyens". On examinera d'abord la critique universitaire d'une "définition optative et cognitive des droits fondamentaux" (1) avant d'étudier le discours descriptif ou prescriptif sur "la neutralisation des droits fondamentaux et de la force juridictionnelle du droit"(2), pour enfin analyser "la dénonciation d'une rétention des garanties juridiques et morales des droits fondamentaux" (3). 1. Les limites institutionnelles de l'autonomie civique et civile liées à une définition optative et cognitive des droits fondamentaux La thématique des droits fondamentaux permet aux acteurs de la doctrine publiciste au Cameroun, d'intervenir dans les luttes et concurrences sur la juridicisation des rapports sociaux et de revendiquer à leur profit, "la reconnaissance d'un droit à parler du droit". Dans l'entendement normativiste qui modèle le champ doctrinal (publiciste) à propos des droits fondamentaux ou de "l'énonciation des droits" et de leur qualité de normes juridiques, "s'ils le sont sans conteste lorsqu'ils sont insérés dans le dispositif de la Constitution, rien n'est moins sûr lorsqu'ils figurent seulement dans le Préambule". En dépit de la concurrence doctrinale sur les logiques ou les techniques de consécration des droits et des libertés, les juristes universitaires convergent pour considérer la mobilisation de cette thématique comme un moyen de consolidation de leur stratégie d'affirmation professionnelle et morale dans le champ juridique au Cameroun. Le code constitutionnel de juin 1972, privilégie comme techniques de garantie des droits et libertés énoncés, "la constitutionnalisation du Préambule" et "la reconnaissance de la primauté du droit international. Un des principaux théoriciens constitutionnalistes au Cameroun rend compte de l'intérêt de la doctrine du droit public pour la question de la constitutionnalité du Préambule en se basant sur un principe selon lequel "il est généralement reconnu un caractère de règle constitutionnelle solennelle et intangible aux droits énumérés au Préambule ou aux déclarations dont il est fait référence". A ce raisonnement déontique astreignant l'Etat à garantir les droits et les libertés constitutionnellement consacrés, un autre éminent auteur de la doctrine oppose plutôt un raisonnement aléthique pour maintenir les énoncés sur les droits fondamentaux au rang des normes constitutionnelles en soutenant qu'"on peut poser le principe que les préambules ont une valeur constitutionnelle, mais seulement de lege ferenda, ou par simple déduction logique". Les membres de la doctrine juridique (publiciste) camerounaise en s'appuyant sur les ressources universitaires de rationalisation du droit, entendent se poser en gardiens purs du "droit constitutionnel substantiel" censé correspondre au "droit constitutionnel des libertés" par la défense de la juridicité fondamentale des dispositions du Préambule de la Constitution unitaire du 2 juin 1972 relatives à la reconnaissance des droits et des libertés. La loi fondamentale camerounaise de 1972 qui n'insère pas explicitement le Préambule dans le corpus constitutionnel, n'en dispose pas moins que "l'Etat garantit à tous les citoyens de l'un ou de l'autre sexe les droits et libertés énumérés au préambule de la Constitution". La clarification doctrinale de la justiciabilité et de la justifiabilité constitutionnelles des dispositions relatives aux droits fondamentaux permet aux auteurs savants du droit public camerounais, de s'inscrire dans une optique qui consiste "à prendre les droits au sérieux". Les acteurs universitaires du champ doctrinal du droit public camerounais vont consolider la légitimité de leur discours en examinant comment la Constitution unitaire de 1972 insère les instruments internationaux de protection des droits fondamentaux dans son dispositif alors que la "version originelle" de ce texte juridique suprême "ne contenait aucune disposition relative aux rapports entre les ordres juridiques interne et international". En dépit de la référence au Préambule de la Constitution de 1972 - dans sa version originelle - aux principes et règles de la charte des Nation-Unies, la position des traités dans le bloc de la légalité constitutionnelle est demeurée équivoque au point" où un éminent publiciste qui a formé bien des auteurs de la doctrine juridique camerounaise note "l'absence de référence à la supériorité du traité sur la loi". En clair, "l'instauration de l'Etat unitaire par la Constitution du 2 juin 1972 ne change pas la situation d'incertitude sur la place des traités en droit camerounais". Un membre de la doctrine juridique disposant à la fois d'un savoir de praticien (magistrat) et de théoricien (enseignant d'université) affirme que "les Traités, Accords et Conventions dûment ratifiés produisent effet aussi bien à l'égard d'un pouvoir législatif qu'à l'égard du pouvoir exécutif et de l'Autorité judiciaire". Ce producteur interne de ratification d'un acte international et la position hiérarchique dans le droit national de l'acte soumis à ratification : "une fois ratifiée par l'Assemblée Nationale à la diligence du pouvoir exécutif, la norme internationale est introduite en droit interne et diffusée à tous les organes administratifs et judiciaires en vue de son exécution". Dans cette construction doctrinale de la supra-légalité des actes internationaux, les obligations résultant de ces normes sont conformes au principe juridique "pacta sunt servanda" et la protection des droits fondamentaux est assurée grâce à des mécanismes - tels que la commission des droits de l'Homme des Nations-Unies - mécanismes qui "s'imposent aux Etats sans que ceux-ci aient à y adhérer". La Constitution camerounaise au 2 juin 1972 n'établit pas de façon explicite la primauté du droit international sur le droit interne. La loi suprême camerounaise juridiquement consacrée en juin 1972 est marquée par une prédilection pour les techniques de codification positive du "droit constitutionnel institutionnel" par rapport au "droit constitutionnel des libertés". Les juristes-publicistes camerounais essaieront de se poser en défenseurs savants du droit en mobilisant les possibilités rationalisatrices d'une "construction prétorienne du droit" pouvant contribuer à consolider le régime juridico - normatif des droits fondamentaux constitutionnalisés par le préambule de la loi fondamentale de 1972. Les producteurs universitaires de la doctrine juridique (publiciste) vont donc s'intéresser aux considérations jurisprudentielles sur la constitutionnalité du Préambule qui incorpore des droits fondamentaux, considérations relevant d'une optique où "la jurisprudence... apparaît alors comme la ressource essentielle qui fonde et justifie une autonomie professionnelle, c'est-à-dire la distinction qui s'opère simultanément avec l'univers des profanes (y compris le législateur) et avec celui des concurrents dans le champ juridique". Dans l'arrêt n?45/L du 22 février 1973, il s'agissait d'une espèce relative à l'exclusion des filles dans une succession par une coutume jugée contraire au principe de l'égalité des sexes inscrit dans le préambule espèce dans laquelle la Cour Suprême a disposé que cette "coutume va à l'encontre du principe constitutionnel de l'égalité des sexes" et qu'elle n'est pas conforme aux "droits de la personne résultant du mariage, de la parenté, de la filiation dont la Constitution proclame, dans son préambule, le caractère inaliénable et sacré". En se référant de cette façon à la Cour Suprême pour asseoir la valeur constitutionnelle du préambule de la loi fondamentale de 1972, les auteurs savants du droit public camerounais se livrent à une "opération de transsubstantiation de la singularité des espèces juridictionnelles en généralité du droit". L'entreprise doctrinale des professionnels universitaires du droit public leur permet d'expliciter et d'expliquer la neutralisation des droits fondamentaux et le relâchement de leur lien avec le droit jurisprudentiel au Cameroun, dans un contexte politico-institutionnel dominé par une construction essentiellement régalienne de la souveraineté. 2. La théorie prescriptive et descriptive de la neutralisation des droits fondamentaux et de la force juridictionnelle du droit. Les compétences doctorales et professorales des théoriciens du droit public sont mises en oeuvre pour analyser l'enrégimentation (autoritaire) des libertés de base sinscrivant dans un schéma régalien de réception constitutionnelle et administrative du droit concrétisé par le développement politique et juridique d'une "légalité de la peur". Que les membres de la doctrine opèrent dans une perspective descriptive et analytique ou qu'ils mettent en oeuvre une optique prescriptive et herméneutique, le "champ de la production des biens doctrinaux" est marqué par une certaine distanciation vis-à-vis de l'orientation régalienne prépondérante du "modèle de production de droit". Un des auteurs reconnus du droit savant montre comment l'énonciation des droits fondamentaux est essentiellement optative et cognitive (plutôt que normative et positive) dans "la Constitution camerounaise, norme fondamentale de l'Etat" qui est aussi présentée comme étant "la charte administrative suprême du pays". Les catégories sollicitées dans le travail doctrinal des théoriciens publicistes essaieront alors de mettre en évidence et de mettre en question les situations de "perméabilité des libertés publiques" aux techniques de consécration et de consolidation de la "juridicité d'exception au Cameroun". Les instruments universitaires d'évaluation de la garantie constitutionnelle et administrative des libertés de base et des droits fondamentaux seront ainsi mobilisés - particulièrement dans le cadre du contentieux administratif - pour affirmer "la souveraineté jurisprudentielle du juge camerounais". Les producteurs de la doctrine publiciste camerounaise vont produire un discours juridique mettant en évidence les "véritables brèches ouvertes dans le principe de la soumission de l'administration au droit". Cette manière de critique (souvent euphémisée) du droit officiel et établi sopérera dans un registre établissant les "vicissitudes de l'Etat de droit" au Cameroun à propos des libertés fondamentales, selon la formule énoncée plus tard par un auteur émergent de la doctrine. Les acteurs de la doctrine publiciste camerounaise vont s'intéresser - à travers un espace concurrentiel de prises de position - aux problèmes soulevés dans le droit jurisprudentiel (judiciaire ou administratif). Ces producteurs doctrinaux vont montrer - tout en soulignant comment la Cour Suprême en tant que juge judiciaire a admis la constitutionnalité du préambule dans la loi fondamentale de 1972 - en quoi l'arrêt n?45/L du 22 février 1973 sera obscurci par un arrêt de la Cour d'Appel de Garoua qui dispose que "les préambules n'énoncent que les principes généraux du droit, et à titre indicatif alors que la loi énonce les dispositions constitutionnelles proprement dites, et de ce fait l'emporte sur le préambule d'une Constitution". Un auteur de la doctrine revenant sur cet arrêt, soutient la thèse suivante : "Le juge de Garoua n'a apporté de fausse note que sur le terrain de la valeur constitutionnelle de cet instrument [le préambule], une fausse note sans conséquence théorique déterminante compte tenu de la position du juge suprême" car à l'initiative de ce dernier, "le juge judiciaire camerounais n'a jamais dénié toute valeur juridique au préambule". Le droit administratif jurisprudentiel relatif à la protection des libertés de base et des droits fondamentaux au Cameroun fait l'objet de maintes évaluations doctorales et professorales comme celles d'un membre de la doctrine en ascension qui note qu'"il n'existe pratiquement aucune espèce dont les énoncés soient clairs et nets, soit dans le sens de l'acceptation de la valeur constitutionnelle du préambule, soit dans le sens inverse". L'opinion doctrinale selon laquelle "le changement de Constitution intervenu en 1972 ne saurait avoir d'influence sur la solution ainsi dégagée" et qu'alors la portée de ces droits demeure identique en dépit du transfert de leur lieu dénonciation dans le préambule de la Constitution doit être relativisée même s'il demeure encore légitime d'affirmer que les arrêts MOUELLE KOULLA et NANA TCHANA relatifs à la liberté d'association établissent la valeur positive de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme dans l'ordre juridique camerounais. Déjà en 1970 dans l'affaire société des Grands Travaux de l'Est, le juge administratif qu'était l'Assemblée Plénière de la Cour Fédérale de Justice rejeta le recours qui l'appelait à se prononcer par voie d'exception en matière de contrôle de constitutionnalité des lois au motif de la violation du principe fondamental de la non-rétroactivité des lois inscrite dans le préambule de la Constitution de 1961 par une loi du 30 juin 1966 encourant de ce fait une annulation. Un auteur universitaire du droit public étudiant ce thème déjà abordé dans la doctrine par un magistrat, considéra à propos de la décision de la Cour Fédérale de Justice dans cette espèce qu'"aucun contrôle de la constitutionnalité de lois par voie d'exception n'est prévu par le droit camerounais". Le poids de la "protection normative de l'unité nationale" dans l'édification du droit administratif jurisprudentiel au Cameroun, relativise de façon considérable les possibilités et les virtualités d'une autolimitation de l'Etat par le droit et d'une garantie substantielle des libertés de base et des droits fondamentaux. En posant le "droit public" camerounais comme étant de façon privilégiée "un instrument de construction de l'unité nationale", un auteur de la doctrine signale et atteste cette orientation étatiste et institutionnaliste présente dans le droit positif. L'univers politico-juridique auquel se réfèrent les producteurs du droit savant camerounais, privilégie la théorie des "actes de gouvernement" en tant que conceptualisation de la puissance publique préservant un certain nombre des actes étatiques de la soumission à un contrôle juridictionnel garantissant les droits fondamentaux des citoyens face à la puissance de l'Etat. Un auteur de la doctrine publiciste camerounaise soulignera d'ailleurs la réception de "la théorie classique des actes de gouvernement" par le "juge administratif camerounais" dans des affaires relatives à la désignation de chefs traditionnels et soumises à la sanction prétorienne. L'autolimitation de l'Etat par le droit en matière administrative a été fortement relativisée par une extension législative de la théorie des actes de gouvernement - adoptée à propos des actes de désignation des chefs traditionnels (Loi n?80-31 du 27 novembre 1980) après avoir été appliquée aux activités terroristes (Loi n?64-LF-16 du 26 juin 1961 -, extension instaurant "une véritable protection contentieuse de la puissance publique". L'affaire ESSOUGOU jugée en 1980 et 1981 par la Cour Suprême, permettra selon la formule d'un auteur de la doctrine camerounaise étudiant l'évolution jurisprudentielle de la notion d'actes de gouvernement, "le retour du mobile politique" dans un sens susceptible de renforcer "les menaces aux libertés". En dépit des luttes pour l'autorité doctrinale, les théoriciens universitaires du droit public camerounais adoptant des stratégies descriptives ou prescriptives d'examen du régime des droits fondamentaux, vont mettre en oeuvre une revendication intéressée de la puissance imputée au droit. Un producteur consacré de la doctrine publiciste en appelle alors à "l'amour des liberté" pour réaffirmer la légitimité d'une "multiplication des garanties pour les citoyens" afin de défendre le principe de "l'Etat de droit" menacé par la prépondérance de la légalité d'exception dans le droit de l'Etat. La mise en lumière doctrinale de la rétention des garanties constitutionnelles et administratives des libertés de base et des droits fondamentaux permet aux professionnels universitaires du droit public au Cameroun de conforter par la voie du rationalisme ou du positivisme, leur droit de parler du droit. 3. La dénonciation positiviste ou rationaliste d'une rétention des garanties juridiques et morales des droits fondamentaux Les analyses universitaires sur la capacité du contrôle de constitutionnalité des lois à être un moyen de garantie des droits fondamentaux "pourtant prévu par les Constitutions camerounaises" énoncent et dénoncent le fait que ce contrôle " ne soit resté qu'une fiction", en appelant même dans une visée de politique juridique "à un modèle de contrôle plus protecteur de la Constitution et par conséquent de l'Etat de droit et des libertés fondamentales du citoyens". On voit à travers cet exemple, comment "l'émergence d'un discours sur la protection constitutionnelle des libertés... tend à modifier les modes de légitimation de la parole des constitutionnalistes". Les savoirs vocationnels et professionnels des auteurs universitaires de la doctrine publiciste camerounaise sont mobilisés pour mettre en question "la grande latitude laissée par le juge à l'administration". En raison de la fermeture des possibilités normatives d'une garantie des libertés et des droits fondamentaux par la voie de la justice constitutionnelle, les producteurs publicistes du droit savant en appelleront au contrôle contentieux de la légalité en droit administratif pour contrecarrer les effets d'un légicentrisme patrimonialo-bureaucratique lié à la prégnance de la législation gouvernementale. Les membres de la théorie camerounaise de droit public recourront au contrôle prétorien de la légalité dans le droit administratif, souhaitant une orientation libérale de "l'effort d'édification d'un droit jurisprudentiel national". Un auteur administrativiste appartenant au champ doctrinal publiciste commente une décision de jurisprudence relative à une révocation de fonctionnaires de façon à réaffirmer "la soumission de l'administration à la loi" et à soutenir que "le principe de légalité et le contrôle juridictionnel qu'il implique, restent la meilleure garantie pour la défense des droits des citoyens face à la puissance publique". Les professionnels universitaires du droit public camerounais entendent alors inscrire les règles de celui-ci dans un modèle de production excluant ou prévenant une situation où "l'existence d'une législation permanente d'exception atténue considérablement la portée du principe de la légalité et par-là même réduit son efficacité". La mise en valeur d'une "définition contentialiste" du droit public permet aux différents producteurs de la doctrine de construire des schémas juridiques de rationalisation des normes ouverts à la défense prétorienne des libertés de base et des droits fondamentaux. Les théoriciens publicistes du droit savant camerounais apparaissent donc comme des "gens foncièrement normatifs" à l'instar des autres professionnels universitaires du droit, qu'ils se contentent de décrire le système positif des normes ou qu'ils essaient de prescrire de nouvelles règles en ce qui concerne la protection constitutionnelle et administrative des droits fondamentaux. L'entreprise savante de légitimation du droit et des sources du droit constituant l'horizon publiciste correspond chez les auteurs de la doctrine à des essais de rationalisation de leur position présentée comme celle de défenseurs de l'ordre juridique se mobilisant pour le "triomphe de la légalité" au Cameroun. Un défenseur universitaire de l'Etat de droit se fait fort d'intervenir en tant que membre de "la doctrine politique et juridique" dans le "champ important de contribution à la création des normes et des institutions nécessaires à l'affirmation concrète d'un tel Etat de droit". Dans son plaidoyer en faveur de "l'institution d'un mécanisme effectif et efficace" pour résoudre juridiquement le "problème fondamental du contrôle de la constitutionnalité des lois", un producteur du droit savant dénonce "la totale dépendance du juge constitutionnel par rapport au pouvoir exécutif pourtant en charge, en fait ou en droit, de l'essentiel du pouvoir législatif" comme l'un "des grands défauts du système camerounais actuel du contrôle de la constitutionnalité des lois". Une telle démarche se réfère explicitement au registre juridico-analytique du positivisme normativiste kelsénien mettant en valeur "la garantie juridictionnelle de la Constitution". Le théoricien camerounais qui conçoit la réforme du contrôle de constitutionnalité comme garantie d'une "justice constitutionnelle indépendante, largement ouverte aux justiciables et de ce fait réellement protectrice de la Constitution" s'inscrit bien dans une optique inspirée de KELSEN. Cette perspective d'inspiration kelsénienne permet alors de discuter une vision schmittienne où ce serait le Président de la République - et non une Cour à même d'assurer une garantie juridictionnelle de la Constitution - qui disposerait de l'indépendance nécessaire pour veiller à la suprématie de cette norme fondamentale, car pour SCHMITT, "l'indépendance est une nécessité première pour un gardien de la Constitution". Et c'est déjà d'après les catégories normatives du positivisme qu'un auteur universitaire du droit public explora en pionnier le "problème du contrôle de la constitutionnalité des lois au Cameroun" jusque-là réservé à la doctrine des magistrats pour mettre en question le statut présidentiel de "gardien de la Constitution" et considérer la question d'origine kelsénienne de la "hiérarchie des normes" comme l'une des interrogations juridiques décisives soulevées par le contrôle de la Constitution dans le cadre de la loi fondamentale de juin 1972. L'orientation discursive qui met en évidence des modèles prétoriens de juridicité administrative ou constitutionnaliste, aide les théoriciens publicistes du droit camerounais à attester leurs capacités doctrinales de consolidation des "droits en formation" constitués par les arts de la jurisprudence, pour contourner les écueils institutionnalistes et décisionnistes caractérisant les pensées juridiques à l'oeuvre dans le "droit légiféré". Dans une telle perspective, la "jurisprudence" est reconnue par un professionnel du droit public (administratif) comme étant au même titre que la "législation", une des "sources secondaires de la légalité". Cette conception des sources du droit présente des similitudes avec l'approche hartienne des "normes secondaires" comme éléments décisifs et fondamentaux dans la formation des règles de droit. Les membres publicistes de la doctrine juridique camerounaise vont développer une critique savante d'une production normative du droit dominée par les intérêts discursifs et rétributifs des légistes bureaucratico-gouvernementaux pour conforter leur statut d'interprètes autorisés du droit en profitant de la "consultation légitimante de la demande" pour intervenir professionnellement dans la juridicisation contentieuse des problèmes. Certains professionnels universitaires du droit public en intervenant dans le contentieux (administratif) comme représentants de l'Etat pourront en tirer parti pour affirmer leur légitimité professionnelle face à la concurrence des juristes et légistes associés aux officines présidentielles ou ministérielles. Alors que le Pr. Joseph OWONA a représenté l'Etat (en fait l'Université de Yaoundé) dans l'affaire Jean-Philippe GUIFFO MOPO, le Dr. Joseph BINYOUM sera le mandataire de M. CHE Michael NDE pour une requête effectuée le 15 décembre 1988. Ces exemples montrent comment des juristes universitaires reconnus au fait du droit (public) administratif mobilisent leurs compétences professionnelles pour tirer profit des "termes de l'échange entre productions doctrinales, pratiques professionnelles et intérêts sociaux". Les professionnels du droit savant qui mettent en question l'enrégimentation draconienne des libertés de base imputent cet état de choses au fait que "l'ordonnancement politique prime l'ordonnancement juridique" et "qu'en toute logique, la suprématie constitutionnelle est battue en brèche". Un auteur de la doctrine qui note qu'"au Cameroun, l'ordonnancement juridique demeure fondé sur la Constitution", remarque aussi au sujet du contrôle de constitutionnalité des lois que la possibilité d'en user pour défendre les droits fondamentaux se trouve réduite par la logique décisionniste de "l'ordonnancement politique, dont le Président de la République est le chef". Les références multiples des auteurs de la doctrine publiciste camerounaise à des modèles de juridicité s'inscrivent dans des catégories relevant du "système théorique du libéralisme" essentiellement intéressé par "la lutte contre la puissance de l'Etat sur le terrain de la politique intérieure", puissance d'Etat appelée à être contrôlée "au profit de la liberté individuelle et de la propriété privée". Les producteurs universitaires de la doctrine juridique publiciste interviendront dans "la transcription juridique de la libéralisation politique" et s'inscriront dans un contexte où "le processus de changement politique du Cameroun, à travers la concurrence entre les auteurs et la contradiction des intérêts en présence relève de l'interaction entre le champ juridique et le champ politique". Les auteurs du droit public savant au Cameroun vont progressivement libérer leur discours de la censure expressive dans un champ juridique dominé par l'ordre bureaucratico-patrimonial et ses légistes soucieux de monopoliser la parole légitime sur les institutions, en se mobilisant doctrinalement autour des thèmes de l'Etat et des Droits de l'Homme. II - LA PRODUCTION JURIDIQUE DES PROPHETES DE LA CHAIRE DANS LE CHAMP DE LA CODIFICATION DES MODELES DEMOCRATIQUES DU DROIT La doctrine juridique camerounaise sera marquée par un redéploiement des positions et prises de positions avec les mutations politiqo-juridiques liées à la conjoncture de libéralisation qu'un des auteurs universitaires de la pensée du droit avait entrevu lorsqu'il essayait de contribuer à consolider "l'option officielle en faveur de l'idéal démocratique" présentée comme un "renouveau démocratique", en participant à la réforme du contrôle de constitutionnalité dans le sens d'"un modèle national plus crédible". Les juristes de droit public vont promouvoir le "resserrement des contraintes juridiques" et sublimer la montée en puissance de la demande (socialement construite) de l'Etat de droit. Au Cameroun, les configurations socio-historiques dans lesquelles "la codification du droit est orientée" mettent en évidence la genèse institutionnelle "d'un droit de la transition démocratique". On s'interrogera d'abord sur la contribution des investissements (universitaires) de juridicité au "corpus politico-juridique de refonte du gouvernement des conduites" (A). Il faudra également examiner les réponses des productions doctrinales de la théorie savante du droit public camerounais face aux problèmes d'"une reconstruction démocratique de l'empire du droit" (B). A - LA CONSTRUCTION D'UN CORPUS POLITICO-JURIDIQUE DE REFONTE DU GOUVERNEMENT DES CONDUITES Les auteurs publicistes du droit savant au Cameroun visent à contribuer à la consolidation - au moyen des instruments juridiques - des "technologies de gouvernement des conduites" dans une optique permettant "de renforcer l'Etat lui-même". La référence à de telles "techniques de gouvernement" est mise en oeuvre par des opérateurs juridiques valorisant la garantie de la Constitution d'après des formes libérales de juridicité tout en relativisant les institutions "d'un régime dominé par les structures de souveraineté". Un auteur reconnu de la doctrine analysant la Constitution camerounaise de 1972 et le modèle de souveraineté y incorporé - au regard de la pratique politique -use de son savoir universitaire pour revendiquer la restauration de l'"autohistoricité" du peuple camerounais comme groupe social dont il se constitue en porte-parole. Le discours juridique universitaire opère d'abord "la disqualification du constitutionnalisme rédhibitoire et du légicentrisme bureaucratique" (1) avant d'étudier "la promotion d'une séparation des pouvoirs" (2) et la "sublimation d'une refondation de la justice" (3). 1 - La disqualification universitaire du constitutionnalisme rédhibitoire et du légicentrisme bureaucratique comme bases de l'Etat gouvernemental Les auteurs de la doctrine juridique (publiciste ou privatiste) camerounaise entendent s'impliquer activement dans les processus institués et instituants de réorientation normative du système politico-juridique opérée avec la conjoncture de changement libéral qui a émergé en 1990, processus de (re)construction du droit de la démocratisation qu'un théoricien juridique étudiant cette transition démocratique rationalisera en tant qu'expressions d'une "révolution normative". Les stratégies individuelles ou collectives de consolidation des intérêt et de l'intéressement des auteurs académiques du droit public dans le retour du droit, prolongent les prises de position doctorales et professorales lors du débat politico-juridique sur la succession présidentielle camerounaise de 1982-1983. Le dispositif constitutionnel - réglementant les "empêchements du Présidents de la République" et incluant des normes relatives à la succession présidentielle dans l'Etat unitaire camerounais - qui a été révisé en juin 1979, institue la technique du "dauphin constitutionnel", ce qu'une optique doctrinale de libéralisme contrarié considère comme un "mode de transmission héréditaire du pouvoir" et une "technique de gouvernement" autoritaire et patrimoniale. Les publicistes camerounais, en mettant en question le régime politico-juridique des empêchements du Président de la République dans un "Etat présidentialiste", ont souligné dans un propos d'allure monarchomaque ou oligarchomaque, les limites de la rationalisation du droit de l'intérim et de la succession présidentielle. Cette interprétation doctrinale critique des règles de la succession présidentielle au Cameroun venait - en partie - contester le propos d'un autre auteur de la dogmatique juridique qui, tout en notant que la loi n?79/02 du 29 juin 1979 faisait du Premier Ministre "un héritier présomptif du Chef de l'Etat voyait dans cette réforme, une "déconcentration de rationalisation de l'action étatique technique actuelle". Et le discours juridique des théoriciens publicistes camerounais à ce propos exprime un libéralisme normatif décalé par rapport à la pratique de "l'alternance autoritaire de novembre 1982". Certains des auteurs de la doctrine publiciste vont profiter de la succession présidentielle de novembre 1982 - en tant que changement politique ayant précédé la conjoncture de démocratisation de 1990 - pour mettre en scène leur pouvoir doctrinal en s'instituant comme interprètes privilégiés du "bicéphalisme de fait" entre le Président sortant (M. AHIDJO) et le Président entrant (M. BIYA). Les catégories du constitutionnalisme seront ainsi mobilisées par un auteur consacré de la doctrine pour légitimer sur le terrain du droit la position pontificale suprême du Président - successeur (M. BIYA) face au Président-fondateur (M. AHIDJO), cette démarche consistant à rationaliser la stratégie de revendication du rôle présidentiel de gardien de la Constitution appliquée par M. BIYA et présentée comme étant "la parole à la Constitution ou le triomphe de la légalité républicaine". Ces investissements doctrinaux (politiques et professionnels) en faveur de la centralité de la Présidence et basée sur l'argument de "l'arsenal de prérogatives" lié à ce poste, ont permis à un producteur du droit savant d'opérer une stratégie d'autorisation et de légitimation en direction des milieux officiels du pouvoir. Et les références universitaires à la juridicité seront mobilisées dans les discussions publiques sur le conflit d'institution entre les Président AHIDJO et BIYA, pour trancher la "querelle de l'Etat et du Parti" dans un sens correspondant à la primauté constitutionnelle de l'Etat favorable aux intérêts politiques du nouveau chef de l'Etat. Dans le cadre institutionnaliste lié au caractère essentiellement présidentiel et gouvernemental de l'Etat camerounais, un auteur publiciste du droit qui fait référence "au primat de l'institution" - notion conçue dans le sillage doctrinal de Maurice HAURIOU pour penser la succession présidentielle camerounaise voit son analyse confinée par le constat de la "signification testamentaire de la dimension présidentielle". Les tentatives doctorales et professorales de construction juridique de l'institution présidentielle lors du conflit institutionnel camerounais de 1982 - formellement similaires avec la théorie des "deux corps du roi" des juristes élisabéthains -n'ont pas abouti à une expression achevée des prédispositions libérales doctrinales en raison de l'institutionnalisme autoritaire (public) positif qui a compromis les essais d'édification d'une théorie des "deux corps du Président" au Cameroun. Ces théoriciens normativistes du droit public camerounais vont essayer de construire leur crédibilité en mobilisant la doctrine politico-juridique énoncée dans un livre - programme du Président BIYA entre 1982 et 1987 où celui-ci anticipe sur la demande sociale en matière d'Etat de Droit en annonçant ce qui suit à propos de la justice : "Gardienne des libertés et de la sécurité des citoyens, la justice camerounaise doit devenir un véritable pouvoir judiciaire face à l'Exécutif et au Législatif". Et un auteur de la doctrine juridique camerounaise de l'Etat se fondera sur ces promesses présidentielles pour sortir d'une logique institutionnelle selon laquelle "le principe de juridicité qui donne à la Constitution d'un Etat de droit, toute la suprématie indispensable à sa prévalence sur les autres normes juridiques et constitue de ce fait, le socle indispensable à la démocratie, ne semble pas encore avoir trouvé une consécration efficace dans le régime politique camerounais". Une telle orientation ne se cantonne plus à l'activité des théoriciens du droit public savant, visant également à des postures de praticiens de l'expertise juridique utilitaire. La dynamique de libéralisation et de démocratisation de 1990-1991 va réactiver les luttes politiques et professionnelles dans les sphères universitaires du droit, luttes fondées sur la concurrence entre les tendances juridiques normativistes ou institutionnalistes déjà perceptibles dans les divergences d'interprétation du changement politique de 1982 - antérieur à celui de 1990 - et de son rapport aux thèmes du libéralisme et de la démocratie. Entre 1990 et 1991, ces divergences vont se prolonger dans des optiques différentes de la codification du droit et dans l'accès différentiel des juristes de la chaire aux instances officielles de "codification du droit de la transition démocratique" au sein desquelles la "construction gouvernementale de l'expertise juridique" consacre socialement le savoir professionnel des juristes-docteurs et professeurs qui y sont cooptés. Des juristes et des politistes de l'Université sont impliqués dans les différents processus de précodification et de codification tels que les Prs. Joseph BIPOUN WOUM, Michael ALETUM TABUWE KISSOB FORMUDEY, Augustin KONTCHOU KOUOMGNI, Stanislas MELONE, Adolphe MINKOA SHE, Ephraim NGWAFOR, Roger-Gabriel NLEP, Paul-Gérard POUGOUE, Peter NANA NTAMARK et Joseph OWONA ou encore des Drs. Nicolas-Claire NDOKO, Etienne LEKENE DONFACK, Carlson ANYANGWE, François Xavier MBOME et Pierre MOUKOKO MBONJO. Ceci montre que la réforme (constitutionnelle, légale et réglementaire) des cadres institués et instituants de la vie politique camerounaise montre des "transactions collusives entre le champ politique et le champ universitaire" et souligne comment "juristes et politistes agréés par le Président de la République sous le statut "d'experts" ou "personnalités compétentes" ont été des acteurs de l'entreprise de codification". Entre 1990 (avec la Commission des libertés) et 1995 (avec le Comité consultatif constitutionnel), l'attestation présidentielle et gouvernementale de l'expertise juridique légitime va susciter une ligne de démarcation des universitaires promus au rang de "légistes du pouvoir" par rapport aux juristes de la chaire qui n'ont pas bénéficié de cette reconnaissance symbolique. Les entreprises médiatiques des auteurs universitaires du droit public camerounais lors des débats officiels sur la liberté et la démocratie organisés en novembre 1990 au moment de la discussion parlementaire de ces réformes et de la "semaine des libertés" vont donner lieu à des visions doctrinales concurrentes. Le Pr. KONTCHOU présenta l'action du Président BIYA comme une orientation liée à une démarche de démocratisation menée avec la révision libérale des libertés publiques affirmant que "la démocratie est un acquis au Cameroun". Dans une optique voisine soulignant la continuité libérale des réformes juridiques et politiques opérées par le Président, le Pr. Joseph OWONA tint à souligner le caractère endogène et indigène de cette entreprise considérant que "le Président Paul BIYA a fait un choix... le Renouveau est l'aîné de la Perestroïka, le Renouveau était là avant ce qui se passe en Europe de l'Est". Par contre, un autre auteur de la doctrine publiciste camerounaise exclu des sphères des légistes du pouvoir, le Pr. Maurice KAMTO, se montra réservé à propos de la traduction juridique et politique effective du réformisme présidentiel: "Je pense qu'il y a un projet de société, de démocratie avancée" pour utiliser l'expression même du Chef de l'Etat, il y a un projet de liberté, mais cette société-là n'est pas encore là ; nous devons tous nous activer pour la bâtir". Les luttes politiques et professionnelles sur l'énonciation des institutions dans lesquelles les auteurs publicistes de la théorie du droit camerounaise vont intervenir entre 1990 et 1991, seront prolongées par de nouvelles joutes doctrinales entre 1992 et 1996. Dans un contexte de concurrence doctrinale sur les enjeux normatifs d'une réforme de la Constitution et de sa place au sujet de la construction d'un Etat de droit au Cameroun, le Pr. Maurice KAMTO a soumis au débat public, une initiative d'écriture (libérale) de la Constitution en présentant un projet caractérisé comme suit: "La Constitution proposée contient de nombreuses innovations au regard de celle du 2 juin 1972. L'idée qui la gouverne est qu'il faut un Gouvernement qui gouverne, une Assemblée qui légifère et contrôle, une justice qui redonne confiance aux citoyens dans le droit et une instance juridictionnelle spéciale chargée de garantir la Constitution et de préserver sa suprématie en toute circonstance". Et c'est vraisemblablement en faisant allusion à ce projet que le Pr. Joseph OWONA le qualifiera de façon critique comme la marque de "l'exhibitionnisme constitutionnel". La médiatisation des débats constitutionnels et légaux liés à la conjoncture de libéralisation et de démocratisation a activé dans les milieux universitaires publicistes inscrits au sein du champ du droit au Cameroun, les "affrontements sur le terrain doctrinal" où "les dominants peuvent ainsi renforcer leurs positions en les institutionnalisant" au point de pouvoir "disqualifier leurs adversaires et de se réserver le monopole du discours". La construction doctorale et professorale d'une revendication d'un Etat de droit libéral associé à une démocratie constitutionnelle permet aux auteurs de la doctrine publiciste camerounaise, de mettre en question le "constitutionnalisme d'inspiration gouvernementale" et le légicentrisme bureaucratique patrimonial. Dans cette optique, un membre de la doctrine du droit public au Cameroun essaie d'user des ressources symboliques liées au "charisme du professeur-prophète" pour mettre en question la construction constitutionnelle du Parlement: "Au plan parlementaire, le parlement camerounais peut encore, de par les pouvoirs qu'il détient aujourd'hui, mettre à néant les libertés publiques...". 2 - La promotion doctrinale d'une séparation des pouvoirs restauratrice del'Etat parlementaire La concurrence entre les juristes-publicistes dans le contexte de la démocratisation camerounaise allait s'exprimer à propos du choix entre une réforme libérale du droit menée par l'Assemblée Nationale ou une révision normative de l'ordre juridique conduite dans le cadre d'une Conférence nationale souveraine. Un auteur de la doctrine qui critique "les autorités gouvernantes" qui "en s'opposant à l'organisation d'une Conférence nationale... confirment leur volonté de se démarquer du mouvement général en cours en Afrique francophone" en 1990-1991, n'en constate pas moins que "le Parlement camerounais a joué de ce point de vue, un rôle historique dans la mutation normative enclenchée en décembre 1990" au-delà même de la persistance de "son caractère monolithique" à ce moment de la transition libérale. D'autres juristes de la chaire reconnus comme les Prs Joseph-Marie BIPOUN WOUM et François-Xavier MBOME vont quant à eux, s'efforcer de démontrer le manque de base juridique de la Conférence nationale. Certaines tendances de la doctrine vont mettre en question la place institutionnelle du Parlement dans la division des pouvoirs au moment même où la revendication d'une Conférence nationale monte en puissance, cela en dépit de la révision de la loi fondamentale de 1972 opérée en avril 1991: "La révision constitutionnelle du 23 avril 1991 peut se présenter comme un trompe-oeil... Elle nous apparaît en tout cas comme un saupoudrage d'éléments du parlementarisme dans un édifice présidentialiste archaïque". Un membre de la doctrine pourtant sollicité à maintes reprises par les instances officielles d'information et de communication pour disqualifier la perspective (révolutionnaire et radicale) d'une Conférence nationale n'en montre pas moins comment "la révision constitutionnelle d'avril 1991 a permis à la démocratie camerounaise de se donner un roi". La configuration institutionnelle de domination présidentielle du Parlement qui prolonge l'emprise gouvernementale du Chef de l'Etat camerounais est donc différente d'un schéma parlementariste de neutralisation libérale avec une "séparation des pouvoirs entre un Chef d'Etat passif et un Chef de Gouvernement actif" Les courants de la doctrine constitutionnelle et administrative de l'Etat au Cameroun réservés vis-à-vis des options officielles de construction politico-juridique des cadres de la libéralisation et de la démocratisation, vont montrer qu'en dépit de la consécration de "la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement" par la révision constitutionnelle d'avril 1991, "toute cette réglementation place toujours l'Assemblée dans une position inférieure". Les membres de la doctrine publiciste camerounaise vont produire un discours critique sur le contrôle gouvernemental des formes parlementaires d'expression de la souveraineté afin de légitimer une construction juridique savante plutôt placée dans une optique libérale sublimant le rôle du Parlement comme "puissance légiférante" qui au Cameroun "semble prendre progressivement conscience depuis 1990 de son importance dans le jeu démocratique". La critique doctrinale libérale de la mobilisation instrumentale du Parlement même après la réforme d'avril 1991, s'exprime aussi à travers l'interrogation sur l'absence d'un élargissement de la garantie juridictionnelle de la Constitution étendant le droit de saisine à l'ensemble des parlementaires pour le contrôle de conformité des lois à la norme fondamentale. Dans cette perspective, un auteur émergent de la doctrine formule l'interrogation suivante : "Si l'on a cru devoir soumettre davantage l'Assemblée Nationale à l'Exécutif, pourquoi n'avoir pas élargi aux parlementaires le droit d'initiative en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois?". Un autre professionnel universitaire du droit public s'intéressant au processus politico-juridique de la démocratisation au Cameroun - étudié en l'occurrence entre 1990 et 1992 - considère qu'"une réformulation des rapports entre l'Exécutif et une Assemblée nationale, désormais à composition pluraliste paraît nécessaire". Les producteurs universitaires du droit public camerounais qui ont mis en évidence les limites de la juridicisation libérale et démocratique de l'institution parlementaire au Cameroun après la révision constitutionnelle d'avril 1991, vont également stigmatiser l'instrumentalisation de l'Assemblée Nationale dans l'adoption de l'acte constituant du 18 janvier 1996. Les auteurs du droit savant ont critiqué le fait que le pouvoir présidentiel ait assigné "l'Assemblée nationale, pouvoir constituant dérivé à un rôle non prévu de pouvoir constituant originaire" lors de l'opération constituante de janvier 1996. Un autre membre (émergent) de la doctrine notera toujours à ce sujet que "le recours à l'article 36 de la Constitution de 1972 ne légitime pas lélévation au rang de souverain constituant du Parlement au même titre que le peuple, comme semble l'affirmer le Président de la République". On voit donc comment à travers sa critique de la légitimation présidentielle d'une définition parlementaire de la souveraineté dans l'opération constituante de 1996, "l'analyse juridique positiviste" apparaît comme une activité doctrinale qui se trouve "en concurrence avec les acteurs politiques au sujet de l'interprétation du droit constitutionnel et veut poser la pratique comme une simple exécution de celle-là". La démarche de l'analyse juridique positiviste dans sa critique de la dépossession présidentielle de la souveraineté populaire comme pouvoir constituant originaire au Cameroun exprime bien "l'idée que la règle de droit serait un principe d'explication pertinent du comportement des acteurs". L'analyse doctrinale qui juge avec autorité de la "valeur des productions normatives" dans le droit public officiellement édicté s'intéresse au-delà d'une énonciation souvent critique du travail de codification préparé par des légistes du pouvoir parfois issus de la science juridique universitaire ; à une réforme des normes gouvernant le Parlement et le pouvoir judiciaire - qui institue les producteurs du droit savant non seulement comme des "censeurs" mais aussi comme des "oracles". 3 - La sublimation de la justice comme opération de refondation légitime de l'Etat juridictionnel Les auteurs universitaires de la doctrine publiciste camerounaise envisagent de défendre le "développement de la justice constitutionnelle" qui fait l'objet dans la production théorique camerounaise d'une sublimation révélatrice de dispositions juridiques d'esprit exprimant une défiance ouverte vis-à-vis d'un "légicentrisme inhibitif". La logique juridique développée dans cette perspective met l'accent sur l'idée de la constitution comme "charte jurisprudentielle des droits et des libertés". Les glossateurs et les commentateurs que sont les producteurs universitaires du droit public essaient de développer les pouvoirs juridictionnels par un discours contentialiste comme le suggère un auteur disant que "le contentieux est aux yeux des juristes, une des garanties de l'effectivité de tout système de droit". Ce travail savant de promotion d'une "revendication de juridiction" permet aux juristes-publicistes camerounais d'aligner les modèles de juridicité du droit constitutionnel sur ceux du droit administratif. Les stratégies juridico-doctrinales de revendication seront orientées vers la promotion légitimatrice et justificatrice d'"une justice constitutionnelle autonomisée et crédible" s'inscrivant dans une évolution des règles et des institutions du droit au sein de laquelle "une refonte de l'organisation" est censée être recherchée. Les auteurs publicistes du droit savant camerounais sont tenus dans l'espace des débats juridiques à se situer par rapport aux membres de la doctrine privatiste qui sont également concernés par la mobilisation de la Constitution dans l'entreprise de légitimation de leur "définition jurisprudentielle du droit" et des stratégies correspondantes de sublimation de la justice mises en oeuvre dans un esprit de concurrence. La sollicitation de la Constitution par les auteurs privatistes du droit est bien illustrée par la manoeuvre doctrinale pénaliste qui souligne la position centrale de la figure légitimée du juge répressif défini comme "gardien des libertés et droits" qui dans cette construction juridique est appelé à "veiller selon des techniques propres à sa discipline, à la constitutionnalité des principes proclamés dans la Constitution et ayant une incidence pénale". Ceci montre comment la référence des producteurs universitaires du droit public camerounais à un modèle prétorien de juridicité est concurrencée par celle des spécialistes étudiant les autres branches du droit et tout aussi intéressés par l'énonciation doctrinale de la "Constitution du droit" dans un système institutionnel soumis à une dynamique de démocratisation. Les auteurs spécialisés dans les branches privatistes du droit au Cameroun se mobiliseront pour revendiquer la Constitution comme base fondamentale du droit positif relatif à leurs disciplines savantes après l'opération constituante de janvier 1996. Un membre de la doctrine du droit du travail s'inscrit dans cette logique qui affirme que "le juge du travail ne s'appuie jusqu'ici que sur le code du travail" alors qu'il "aurait pu tout aussi bien se fonder sur la Constitution et les idéaux de liberté, d'égalité, de non-discrimination qui y sont contenus". Les privatistes sont tout comme les publicistes intéressés par les chances d'autorité et de légitimité doctrinale liées à la révélation charismatique du droit concernant les évolutions de la justice constitutionnelle au Cameroun. Après avoir noté que la "juridicisation de la Constitution implique en effet, que les juridictions considèrent les règles constitutionnelles comme des normes utilisables par elles", et souligné "l'interdiction du contrôle de constitutionnalité par le juge" en tant que règle antinomique avec le principe évoqué en premier, un éminent privatiste considère "le contrôle de caducité" et le "contrôle de conventionnalité" comme "techniques de substitution" utilisables pour "contourner" l'antinomie constatée. Les auteurs de la doctrine juridique (publiciste ou privatiste) en revendiquant "un système crédible de contrôle de la constitutionnalité des lois (et des engagements internationaux de l'Etat" et en défendant "la consolidation du statut du juge" dans le sens de l'indépendance, visent à renforcer ce statut de contrôleur comme "instrument de protection des droits constitutionnels...". Cette logique du discours juridique met alors en valeur l'indépendance du pouvoir judiciaire et permet à ses producteurs de plaider en faveur de la justice constitutionnelle dans une perspective positiviste de "la norme fondamentale" comme "forme de la légalité" qui récuse une conception décisionniste du "gardien de la Constitution" excluant le contrôle de constitutionnalité. Dans une telle optique conciliant normativisme et prophétisme, un auteur émergent du droit public camerounais s'exprime en ces termes : "Le renforcement de la suprématie constitutionnelle l'avènement du constitutionnalisme et de l'Etat de droit ira certainement avec l'érection du juge constitutionnel au rang d'arbitre suprême de l'activité politique au Cameroun. Il devrait de ce fait succéder au Président de la République dans le rôle de gardien de la Constitution, et donc de l'ordre politique". Ce point de vue doctrinal exprimé en faveur de la consécration normative et positive de la figure du juge constitutionnel est lié à un habitus juridique caractérisé par la mise en valeur du "gouvernement constitutionnel" comme gouvernement exercé "d'après la procédure légale régulière". L'entreprise de revalorisation savante du droit se perçoit également dans la tentative de rationalisation légitimante d'un pouvoir judiciaire fort par un producteur émergent de la doctrine en quête d'affirmation qui invoque "la dynamique des juges" comme un des moyens de "rééquilibrage des pouvoirs" permettant de réévaluer "la réception camerounaise du principe classique de la séparation des pouvoirs". La conjoncture de libéralisation et de démocratisation dans lequel s'inscrit le mouvement de réactivation de l'Etat de droit a incité les auteurs de la doctrine juridique camerounaise à rechercher des profits d'autorité ou de légitimité lorsqu'ils évoquent le "retour du droit" et posent "la construction de l'Etat de droit" comme "l'une des finalités de la transition démocratique". Les postures des auteurs universitaires du droit au Cameroun ressortissent des configurations professionnelles et conceptuelles d'une doctrine "qui croit en la toute-puissance du droit" et qui a "intégré l'Etat au monde du droit et partant, considère que l'Etat est lié par le droit". C'est dans cette optique qu'un analyste envisage la place de la réforme constitutionnelle dans la construction de l'Etat de droit au Cameroun, comme la position d'une réorganisation qui "vise donc à la fois la séparation des pouvoirs et la garantie des droits, sans lesquels il n'est point de Constitution réelle". En inscrivant la dynamique de réforme politico-juridique liée à la démocratisation des années 1990 au Cameroun dans le cadre de "la construction constitutionnelle de l'Etat de droit en Afrique Centrale", un auteur politiste examine comment "la promotion de la justice constitutionnelle constitue un facteur de renforcement de l'Etat de droit". Cet analyste politique va alors faire référence à une pensée juridique conceptualisant le "juge constitutionnel" - selon les critères de la théorie analytique du droit distinguée de la dogmatique - comme un "représentant" qui, "grâce à un pouvoir d'interpréter la Constitution" est capable de "librement donner ou refuser son consentement à l'édiction de la loi". La mise en valeur d'un modèle prétorien de construction du droit à propos de la justice constitutionnelle au Cameroun sera néanmoins confrontée à la montée d'un discours politologique comme mode d'énonciation concurrençant les formes juridiques d'expression. Dans cette optique, un politiste analysant la Constitution camerounaise de janvier 1996 peut alors envisager la "Cour constitutionnelle" qui "exerce le contrôle de constitutionnalité" comme l'un des instruments techniques d'un "idéal du libéralisme politique" en tant que "support idéologique" justifiant le "fonctionnement du pouvoir" dans une situation où "le régime repose sur la séparation des pouvoirs". En dépit de la pertinence de ses vues, cette forme du discours politologique n'échappe pas à un instrumentalisme comparable à celui de certaines positions de la théorie analytique du droit examinant la séparation des pouvoirs comme idéologie.L'énonciation politiste peut aider à relativiser le discours juridique (et juridiste) sur la justice en montrant comment la référence à une justice indépendante au Cameroun est tempérée par le maintien substantiel d'une "justice de cabinet" comme le montre un auteur à propos de "l'arrêt" de la Cour Suprême portant proclamation des résultats de l'élection présidentielle d'octobre 1992 dans lequel cette instance procède là un "investissement dans le rôle de Salomon" décidant dans une optique identique aux "jugements de Salomon" et à la "justice du cadi" si chers à a sociologie wéberienne du droit . Le règne du droit qu'appellent de leurs voeux, les auteurs du droit savant camerounais, rencontre de multiples contraintes dans sa réalisation et son développement. B - LA DOGMATIQUE ET L'ANALYTIQUE JURIDIQUES FACE AUX CONTRAINTES D'UNE RECONSTRUCTION DEMOCRATIQUE DE L'EMPIRE DU DROIT Les professionnels universitaires du droit entendent prendre position par rapport "à la production du droit de la transition démocratique" au Cameroun et veulent montrer qu'ils ont partie liée avec la mobilisation autour des montages de l'Etat de droit et cela en dépit de leurs luttes doctrinales. Dans ce contexte, les membres de la doctrine juridique camerounaise vont ainsi mettre en valeur les droits fondamentaux dans une optique de consolidation de "l'empire du droit". Les analyses des catégories conceptuelles du droit (public) savant concerneront d'abord "la récurrence des stratégies optatives et cognitives de reconnaissance des droits fondamentaux" (1) puis le "légicentrisme libéral - conservateur comme obstacle à la formation pluraliste de la volonté politique" (2) avant d'examiner les "barrières à l'entrecroisement libéral des droits fondamentaux et de la souveraineté" (3). 1 - Les stratégies optatives et cognitives récurrentes de reconnaissance des droits fondamentaux L'analyse (politique ou juridique) des institutions et du droit au Cameroun - ou dans le reste de l'Afrique Centrale - va mettre en évidence l'existence d'importantes contraintes relativisant "le durcissement de la reconnaissance des droits fondamentaux", durcissement "amorcé" avec la conjoncture de libéralisation et de démocratisation. Dans ces conditions, la stabilisation des bases de l'Etat de droit envisagée tant dans le "droit des juristes" que dans le "droit des philosophes" est soumise à un certain nombre de contraintes susceptibles de canaliser le renforcement des sphères de la juridicité et des garanties concernant les libertés et les droits fondamentaux. En effet, la construction de l'Etat de droit et la consécration consolidée des droits fondamentaux reste inscrite dans une logique au vu de laquelle le droit positif au Cameroun est l'un des instruments privilégiés de l'imposition de l'hégémonie politique, de la construction de l'Etat". Dans le débat sur la constitutionnalité des droits fondamentaux, la position doctrinale soutenant "l'intangibilité globale" des droits de lHomme consacrés par la loi fondamentale camerounaise essaie de disqualifier les figures d'énonciation des droits constitutionnels relevant des modèles en termes de "générations des Droits de l'Homme". Les constructions logico-juridiques relatives aux droits fondamentaux et à leur codification au Cameroun rendent compte d'un travail de "mise en scène de la garantie des Droits de l'Homme" qui va se structurer à travers certaines des entreprises doctrinales d'énonciation des "bases constitutionnelles du droit international et des relations internationales". C'est selon les termes de ce registre d'intelligibilité juridique qu'il convient de comprendre le point de vue soulignant "la particularité du bloc de référence du contrôle de la constitutionnalité des engagements internationaux du Cameroun" et remarquant qu'"en droit camerounais, le traité ratifié portant sur les Droits de l'Homme n'est plus une norme conventionnelle, mais une norme constitutionnelle". Et les auteurs de la doctrine publiciste camerounaise essaient de conforter les capacités normatives du droit international des libertés fondamentales en essayant d'obtenir - comme en Suisse ou au Luxembourg - la "primauté du droit international" par la "voie juridictionnelle" et en se demandant si le "juge camerounais" ne pourrait pas traiter le "silence du texte constitutionnel comme une sorte d'habilitation implicite à lui donnée à l'effet de sanctionner la primauté des traités". Les élaborations doctrinales des juristes - universitaires vont inscrire la norme fondamentale camerounaise dans "la perspective d'un bloc de constitutionnalité intégrant le droit international des Droits de l'Homme, les droits proclamés à la suite du préambule, certaines règles contenues dans le dispositif constitutionnel et le droit constitutionnel dérivé". La stratégie de renforcement des droits fondamentaux suscitera néanmoins des controverses sur la codification normative de certains droits constitutionnels comme ceux des minorités et des autochtones vis-à-vis desquels de nombreux praticiens de l'analyse juridique positiviste se sont montrés distants, se posant en censeurs et en défenseurs du "respect de l'universel" investis en tant que juristes de rôles de "gardiens hypocrites de l'hypocrisie collective". Ce respect formel et formaliste de l'universel apparaît quand un spécialiste du droit public réfléchissant sur les "droits de collectivités" dans la Constitution révisée de janvier 1996 soutient qu'on aurait pu "invalider la distinction populations autochtones - populations allogènes qui, s'intercalant entre les citoyens et le peuple camerounais, constituerait un élément de division de la République...". Cette perspective d'analyse doctrinale du droit interne des groupes conteste l'affirmation d'un "droit constitutionnel de la différenciation de l'identité nationale" et représente une expression exemplaire de "l'analyse juridique positiviste" procédant d'une logique caractéristique " d'une interprétation dominée du droit". L'universalisme (formel) du discours juridique se trouve là confronté à la légitimation constitutionnelle par la "contrainte juridique étatique", d'une "multitude de "communautés de droit" renvoyant à la configuration (corporative et consociative) de certains "droits personnels" en dépit de la formation nationale progressive d'un "seul corps de lois" incarnant "le droit officiel". Le rationalisme universaliste de l'analyse juridique positiviste prend le contre-pied des configurations historicistes du "droit constitutionnel identitaire" consacré par l'acte (re)constituant du 18 janvier 1996 et les "usages politiques" auxquels ce dernier peut donner lieu. Pourtant, d'autres formes d'analyse doctrinales des droits fondamentaux paraissent - par certains aspects - se rapprocher d'une théorie du droit inséparablement rationaliste et historiciste en essayant d'identifier les intentions du législateur constituant (figure édictrice du droit) qui est à l'origine de "la prise en compte du fait autochtone et son inscription expresse dans la loi fondamentale des libertés [qui] constituent des éléments d'originalité dans le droit constitutionnel camerounais". Cette approche est d'autant plus réaliste qu'elle admet le principe de la protection des minorités et des droits des autochtones tout en reconnaissant qu'il s'agit d'une "innovation particulière controversée" se rapprochant ainsi des visions normativistes qui ont noté "l'absence de définition constitutionnelle" de ces groupes. Une autre approche liée à une théorie réaliste du droit (proprement juridique) souligne implicitement que "la protection des minorités" et "la préservation des droits des populations autochtones" font partie des droits fondamentaux dont "la définition précise et le respect" seront seulement "rendus possibles par l'existence d'un contrôle de constitutionnalité" et grâce au recours à une théorie (jurisprudentielle) de l'interprétation. La prise en compte politologique de la place des identités dans la configuration du droit des groupes permet de noter que "les usages politiques des identités locales" s'étendent à "la réclamation d'un aménagement constitutionnel du pluralisme national par la protection des minorités et des autochtones". L'énonciation des droits dans la Constitution camerounaise de 1972 telle qu'elle a été révisée en janvier 1996 s'inscrit encore dans une perspective optative et cognitive - qui est largement proclamatoire et incantatoire -, ce qui relativise la garantie des libertés individuelles et des libertés collectives dans cette loi fondamentale. L'aménagement légal des libertés cardinales et des droits fondamentaux montre également les limites posées à l'expression pluraliste dans l'aménagement de ces droits. 2 - Le légicentrisme libéral - conservateur comme obstacle à la formation pluraliste de la volonté politique L'entreprise politico-juridique de codification libérale des droits fondamentaux et des libertés cardinales menée au Cameroun entre juillet et décembre 1990 va privilégier la voie de la réforme législative par rapport à celle d'une refonte constitutionnelle, ce qui traduit le souci gouvernant d'user des instruments de contrôle du Parlement pour conserver des dispositions légales de police à même "d'encadrer l'exercice des libertés publiques". Un éminent théoricien camerounais du droit public constate de façon critique que "dans certains cas le libéralisme doctrinal de ces différentes lois sur les libertés publiques est fortement tempéré par les dispositions relatives à la protection de l'ordre public, c'est-à-dire à la défense de l'ordre social" en évoquant la législation réformatrice adoptée entre novembre et décembre 1990. Ce maintien de dispositions relevant d'une juridicité exorbitante en dépit de la révision libérale des lois sur les libertés s'inscrivait dans une optique déjà défendue par l'un des auteurs consacrés du droit public camerounais - recruté au rang des légistes du pouvoir - s'exprimant de la façon suivante à propos de la légalité d'exception en novembre 1990 : "Nous avons eu besoin de la légalité d'exception pour que l'Etat survive... Mais il faut l'adapter aujourd'hui". L'instrumentalisation présidentielle et gouvernementale de la législation sur les libertés publiques adoptée au Cameroun - qui s'est orientée dans le sens de la modulation conservatrice de la libéralisation et de la démocratisation - a trouvé son outillage initial dans le rapport de la Commission (administrative) des libertés "déposé au mois d'octobre 1990" et "exploité par le Gouvernement" pour "l'élaboration de plusieurs lois touchant différents domaines des libertés publiques". La relégitimation libérale du légicentrisme bureaucratique dans le domaine des libertés publiques en décembre 1990 - à travers son onction parlementaire - ne remettra pas en question "la marge de manoeuvre autoritaire de l'Etat [qui] demeure à travers les lois relatives au maintien de l'ordre et à l'état d'urgence, les dispositions contenues dans les différentes lois permettant la protection de l'ordre public (l'interdiction des manifestations, la suspension des activités d'un parti politique, la censure partielle ou totale des journaux". Le légicentrisme libéral en tant qu'orientation codificatrice se trouve tempéré par la persistance (toute conservatrice) d'une législation d'ordre produite par l'exploitation gouvernementale du processus politique d'édiction de la loi dans le sens d'une démocratie passive. Les auteurs universitaires du droit public camerounais qui n'ont pas été cooptés dans les cercles gouvernants et dirigeants ni associés au processus de codification des libertés en 1990, vont exprimer leurs réserves doctrinales vis-à-vis des stratégies officielles de préservation subtile d'une législation d'ordre revisitée en recourant à la figure du juge pour garantir les libertés et les droits fondamentaux. Un membre influent de la doctrine exprime bien cette façon de voir et de dire à propos du contrôle judiciaire des pouvoirs de police : "Ces pouvoirs de police administratifs, qu'ils soient normaux ou exorbitants du droit commun sont soumis au contrôle juridictionnel... Cette consécration du principe du contrôle de l'administration par le juge est une des pierres de touche de l'Etat de droit". La mise en valeur du rôle du juge dans la protection des libertés est également opérée dans une affaire relative à la compétence du juge judiciaire en matière de voie de fait administrative suite à des arrestations et détentions opérées sous le couvert de l'état d'urgence à Bamenda en 1992, dans un discours doctrinal fort critique de l'état du droit: "Ainsi sont donc sérieusement bafoués le droit à la justice et la liberté individuelle qui sont des libertés fondamentales garanties par l'Etat aux citoyens selon les termes mêmes de la Constitution camerounaise. Aussi est-ce à bon droit que le Tribunal de Grande Instance de Bamenda, juge judiciaire en l'espèce et gardien de la liberté individuelle affirme sa compétence en la matière". Ce mode de raisonnement met en évidence un modèle de normes juridiques où "si le juge ne peut apparaître comme un producteur du droit à la manière du législateur, la réussite de l'affirmation progressive de la jurisprudence comme source légitime du droit (et pas seulement du droit administratif) montre combien il est important pour les juristes d'établir un contrôle de l'interprétation et de l'application du droit". La construction doctrinale de la légitimité du juge judiciaire à utiliser la notion de voie de fait administrative avait déjà été opérée par une figure consacrée du droit public que le juge de Bamenda évoque expressément, ce qui est perçu dans le commentaire d'un juriste émergent comme une recherche de "la caution intellectuelle et morale de M. le Pr. OWONA" qui permet "au pragmatisme des juges anglo-saxons" de "tirer profit des textes et des pratiques jurisprudentielles pour reculer à l'extrême les bornes de leur autorité conformément aux principes du "rule of law". Un juriste camerounais formé dans la tradition anglo-saxonne et s'exprimant à propos de la sanction judiciaire des litiges relatifs à la liberté d'expression comme droit fondamental considère que "la loi sur la liberté de communication sociale et le Code Pénal peuvent, si ces textes sont interprétés de façon libérale par les juges, aider le processus de démocratisation au Cameroun. Les auteurs du droit savant useront de leurs compétences de systématisation conceptuelle et rationnelle des règles et principes juridiques de la démocratisation camerounaise comme le fait un membre de la doctrine critiquant la réintroduction du mobile politique dans la qualification des actes de gouvernement - comme actes exclus de tout contrôle juridictionnel - avec la constitutionnalisation de la notion "d'intérêt supérieur de l'Etat" : "La Constitution du 02 juin 1972 récemment modifiée par la loi n?96/06 du 18 janvier 1996 proclame en son préambule que "la liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d'autrui et de l'intérêt supérieur de l'Etat". Ce faisant, ce théoricien du droit s'efforce de remettre en question l'énonciation constitutionnelle d'une "ratio status" comme "ratio" d'une construction politique dogmatique et dogmaticienne où "il s'agit essentiellement d'un Etat de l'exécutif et du Gouvernement". Cet auteur sollicitant l'argumentaire du juridisme libéral critique la Constitution camerounaise qui selon lui "consacre une notion qui pourrait s'avérer éminemment liberticide" en formulant la notion d'un intérêt supérieur de l'Etat qui relève de la raison d'Etat alors que cette Constitution "doit être le cadre de protection des libertés". Dans ces conditions, les producteurs universitaires du droit vont procéder à des manoeuvres de construction prophétique d'un droit libéral au Cameroun en s'appuyant sur l'autorité professorale et doctorale pour évoquer "la juridicisation de la Constitution" ou en appeler à "une plus grande harmonisation des positions dans la lecture de la Constitution par tous les juges camerounais quel que soit l'ordre de leur juridiction". Le système juridique camerounais reste, en dépit des réformes institutionnelles de libéralisation et de démocratisation engagées en 1990, marqué par la présence d'une législation d'ordre relativisant la systématisation de normes et de mesures juridiques à même de "clarifier la cohérence interne entre les droits de lHomme et la souveraineté populaire". 3 - Les barrières à l'entrecroisement libéral des droits fondamentaux et de la souveraineté populaire Le travail de consolidation de la constitutionnalité des règles juridiques et l'entreprise d'intégration normative d'un bloc de constitutionnalité restent soumis à des contraintes institutionnelles liées à l'orientation de la transition politique camerounaise vers une démocratie passive. La garantie normative des droits fondamentaux est assurée avec difficulté comme le montre "l'affaire MUKONG" qui "fait clairement ressortir que des textes internes peuvent être appliqués... quoique manifestement contraires aux traités internationaux liant l'Etat". Dans cette affaire, M. Albert MUKONG (un écrivain et journaliste de nationalité camerounaise, fortement engagé en faveur des droits civiques, va porter plainte contre l'Etat du Cameroun pour violation de ses obligations internationales compte tenu de sa ratification du pacte international des droits civils et politiques en 1984. Le Comité des Droits de l'Homme des Nations-Unies stigmatisera l'Etat du Cameroun lors de l'affaire MUKONG en estimant que "l'objectif légitime de sauvegarder, même de renforcer l'unité nationale dans des circonstances politiques difficiles ne peut être atteint en tentant de museler un plaidoyer en faveur de la démocratie multipartite, des valeurs démocratiques et des Droits de l'Homme". Le Comité des Droits de l'Homme use de son pouvoir juridico-symbolique de constater et de dénoncer la violation des droits inscrits dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques par l'Etat camerounais jugé irrespectueux des Droits de l'Homme. L'Etat du Cameroun se trouve placé sous l'"effet de délégitimation éthique" opéré par le Comité des Droits de l'Homme des Nations-Unies qui lui adresse une injonction rappelant à cet Etat "de veiller à ce que des violations semblables (des articles 19, 9 et 7 du Pacte consistant en la violation de la liberté d'expression, en la détention arbitraire et aux traitements cruels et dégradants) ne se produisent plus à l'avenir". Un auteur prometteur de la doctrine publiciste étudiant l'affaire MUKONG critiquera l'argumentation des représentants de l'Etat du Cameroun devant le Comité des Droits de l'Homme pour justifier le maintien de l'ordonnance de 1962 portant répression de la subversion après l'entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que de son protocole facultatif en septembre 1984. Cet auteur est amené "à s'interroger sur l'idée exacte que le Cameroun se fait de ses engagements en vertu du Pacte, leur nature et leur étendue" se demandant s'"il n'est pas exclu qu'il y ait un réel malentendu, une méprise, sur la signification de l'acte de ratification, sur le caractère réellement contraignant de l'engagement pris". Et ce publiciste en appelle alors là une réforme des modèles de juridicité pour "veiller à une meilleure garantie de l'application des traités en droit camerounais" et "élargir le champ de l'exception d'illégalité". En dépit d'une constitutionnalisation renforcée des droits fondamentaux, certaines dispositions des lois sur les libertés de décembre 1990 consacrent des pouvoirs de police faisant de "l'autorité administrative, le gardien des libertés" au mécontentement de la doctrine juridique. Au-delà de leurs visions doctrinales concurrentes sur la normativité de la garantie constitutionnelle des droits fondamentaux, les auteurs du droit public savant consacrent la figure du juge comme gardien de ces droits et essaient d'instituer la doctrine comme "co-auteur de la jurisprudence" qui est "capable de disqualifier le droit positif et contribue à faire advenir de nouvelles règles". Cette posture juridique confortant un modèle prétorien conforme à l'archétype du juge Hercule dans la théorie du droit de DWORKIN permet d'opérer selon les principes de cette orientation où l'on "prend les droits fondamentaux au sérieux" et où l'on admet que les individus ont des "droits moraux contre l'Etat". Le travail doctrinal de transsubstantiation de la position constitutionnelle de la justice dans la division du pouvoir au Cameroun s'inscrit dans le même sillage : "Plus que le juge constitutionnel, c'est le juge ordinaire judiciaire ou administratif, qui est le principal garant des droits énoncés dans la Constitution. Son statut est donc en soi, un élément déterminant pour le mode de protection des droits individuels. En consacrant l'existence d'un pouvoir judiciaire, indépendant des pouvoirs législatifs et exécutifs, la Constitution révisée consolide le statut de la justice et des juges". Le droit positif camerounais relativise la construction libérale d'un couplage adéquat entre droits fondamentaux et prérogatives de souveraineté en raison de la prédominance d'un "Gouvernement du Président de la République" qui prédétermine le "respect du droit légitimement édicté" et neutralise bureaucratiquement le développement efficace d'une "autolégislation morale et politique". C'est dans ce contexte qu'un producteur de la doctrine publiciste essaie de développer les "implications juridiques de la citoyenneté camerounaise" afin de conforter les possibilités morales et politiques d'autolégislation qui y sont liées, explicitant "les fondements juridiques du débat constitutionnel entre les citoyens" et en relativisant l'emprise gouvernementale exprimée dans "la détermination réglementaire du débat constitutionnel entre l'Etat et les citoyens". Cet analyste juridique - partagé entre des options positivistes et rationalistes - élabore une construction doctrinale justifiant l'intervention de la figure du citoyen dans le débat sur la révision de la Constitution comme une "participation à l'exercice de la souveraineté" et "l'exercice d'une liberté publique". Dans ce registre d'intelligibilité juridique, la démarche gouvernante de contrôle de l'opération constituante menée entre novembre 1991 et janvier 1996 est stigmatisée par le recours aux catégories juridistes et positivistes de "fraude à la Constitution" ou de "fraude à la procédure". Un juriste confronté à l'emprise institutionnelle de l'ordre dirigeant du discours sur la réforme de la Constitution - qui aboutira en janvier 1996 - entend opposer à cette orientation, un paradigme du droit fondé sur la "reconnaissance de compétences constituantes du citoyen" dans "l'édifice normatif camerounais" et qui met en oeuvre un modèle rationaliste homologue de la sublimation habermasienne de "la pratique d'autodétermination des citoyens". Le système camerounais des droits est devenue avec les réformes institutionnelles de la libéralisation et de la démocratisation, un véritable "chantier juridique" selon l'expression intéressée (mais aussi intéressante) d'un analyste du droit, chantier où l'effort de consolidation de l'Etat de droit reste soumis à de multiples contraintes. Des tensions entre universalisme et particularisme demeurent dans l'approche des droits fondamentaux constitutionnalisés avec une certaine netteté en janvier 1996, tensions qui relativisent l'aménagement normatif efficace et légitime d'une pluralité sociale et politique des "sphères de justice". Le problème de la régulation étatique de la diversité des institutions susceptibles de constituer des "ordres juridiques" se perçoit bien à propos du traitement doctrinal du statut juridique des chefferies traditionnelles au Cameroun. Il s'agit de souligner comment universalisme et particularisme saffrontent dans cette orientation d'esprit juridique influencée par l'institutionnalisme ou le corporatisme et qui critique "l'assimilation manquée de la chefferie traditionnelle" et la "dépersonnification" de cette entité comme des signes révélateurs d'une "juridicisation imparfaite". La légitimité de l'intervention du juriste-savant dans l'élaboration d'un "nouveau modèle de rationalisation" de la chefferie traditionnelle comme "entité sui generis" est posée. Et un auteur neuf de la doctrine publiciste prompt à dénoncer "lambiguïté identitaire de la consécration constitutionnelle des Droits de l'Homme au Cameroun" reconnaît que la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 assure la représentation des chefferies traditionnelles" en prévoyant les modalités de l'insertion des autorités relevant du commandement traditionnel dans les conseils régionaux. Cet auteur enclin à un discours juridique fondé sur un universalisme normativiste se montre réservé vis-à-vis de ces modalités quasi-corporatives d'encadrement et d'aménagement constitutionnel des chefferies traditionnelles doutant de leur capacité à éviter "une politisation à l'extrême" et exprimant une méfiance systématique à l'égard de toutes les formes de consécration constitutionnelle du droit des groupes. Un auteur de la doctrine en quête d'affirmation exprime bien la défiance du substantialisme universaliste au droit des groupes considérant qu'au Cameroun, "il y a à craindre que le constituant n'ait attisé les conflits sociaux et ouvert la voie à des situations incontrôlées alors même que son intention était peut-être plutôt de mettre fin aux oppositions entre majorités et minorités autochtones et allogènes ou de prévenir leurs exacerbations". Les problèmes pratiques et doctrinaux suscités par le droit des groupes introduit dans la Constitution du 18 janvier 1996 sont des préoccupations importantes en raison de l'intérêt des juristes-savants pour l'autonomisation du rôle du juge dans les configurations évolutives de la "chaîne du droit". Considérer ainssi qu'il y a une chaîne de production du droit à travers l'activité juridictionnelle d'interprétation, c'est cerner comment les constructions doctrinales (publicistes ou même privatistes) permettent de légitimer la réforme de la justice constitutionnelle opérée au Cameroun en janvier 1996 dans une optique où les requérants de celle-ci apparaissent comme des "co-auteurs des interprétations de la Constitution" par la Cour constitutionnelle. Cela permet alors sans se référer directement à des "question prétendument plus vastes d'histoire et de sociétés" de comprendre les processus doctrinaux d'élaboration d'une "structure de l'argument de droit" pour construire une "théorie sociale du droit" qui est tenue de "faire jurisprudence" pour disposer d'explications pertinentes et efficientes du travail juridique. CONCLUSION La théorie sociale du droit en cernant comment "l'approche systématique de l'oeuvre juridique dans toute sa technicité propre est inséparable de celle de son inscription sociale et politique" permet dexaminer le droit comme "système de savoir" et comme "système d'action". On peut alors procéder à l'objectivation des intérêts technico-professionnels et socio-politiques des auteurs publicistes (ou privatistes) de la doctrine juridique dans un contexte de montée en puissance de la thématique de l'Etat de droit confortant leurs aspirations favorables à "un gouvernement des docteurs de la loi" légitimé par la référence à une "mission civilisatrice". Cette exigence de recadrage socio-politique du savoir juridique par rapport aux évolutions des configurations institutionnelles de l'autoritarisme et de la démocratie s'inscrit dans l'optique d'un examen du "double mouvement de politisation du droit et de juridicisation de la politique". Le travail doctrinal de déconstruction des cadres du "constitutionnalisme rédhibitoire" et de promotion des Droits de l'Homme comme expression de l'"héritage de la légalité bourgeoise" est donc justiciable d'une analyse sociopolitique des enjeux pragmatiques et pratiques de la réflexion des auteurs de la doctrine camerounaise du droit sur l'évolution des rapports entre Etat de droit et droit de l'Etat. Il s'agit dès lors de se garder "d'isoler la doctrine de l'espace social et professionnel dans lequel elle puise ses ressources et qui constitue son marché" afin d'éviter de "reproduire et authentifier la représentation idéologique que la doctrine cherche à donner d'elle même, celle d'une recherche savante qui a pour seul souci l'amélioration du droit et poursuivie à l'écart des contraintes ou des pressions du monde social". Ce faisant, on peut reconstruire dans une perspective simultanément positive et compréhensive les logiques (internes et externes) des institutions par lesquelles "les joutes savantes s'inscrivent dans la durée et dans le temps du droit" et "la topographie de l'espace institutionnel dans lequel se déroulent ces "affrontements savants". L'objectivation socio-politologique de la doctrine camerounaise du droit permet d'élucider et d'expliciter "la métaphore du caractère quasi-sacerdotal des docteurs en droit" en reconstruisant les significations disciplinaires et professionnelles de cette production doctrinale. La controverse entre un juriste consacré (le Pr. Maurice KAMTO) et un politiste prometteur (le Dr. Luc SINDJOUN) montre au-delà des oppositions personnelles, l'existence d'un conflit de méthodes et de facultés révélant des divergences d'intérêt professionnelles et disciplinaires sur l'analyse des institutions de la transition politique camerounaise. Dans ce débat sur la "démocratisation par le haut" opposée à "un changement politique lié à la dynamique par le bas", le juriste confirmé critique le politiste émergent accusé de soutenir "la thèse de la démocratisation par le haut, exclusivement en ignorant délibérément tous les faits et événements politiques" alors que le politiste en ascension objecte au juriste établi que celui-ci "semble allergique au concept de démocratisation par le haut" ; ce qui serait une méprise scientifique tragique". Ces luttes doctrinales entre politistes et juristes couplent des positionnements professionnels et des engagements politiques. Alors qu'un théoricien du droit resté dans les sphères universitaires du savoir juridique et éloigné des milieux officiels stigmatise "la transition vers la démocratie pluraliste au Cameroun" comme "une démocratisation autoritaire", un analyste politique du droit lié aux légistes du pouvoir et impliqué dans les cénacles gouvernants conçoit "la technologie politique utilisée au Cameroun pour le passage à la modernité étatique" comme "un mode évolutionnaire plutôt que révolutionnaire de transition". La mise en oeuvre de raisonnements et d'instruments de sociologie de la connaissance peut aider à comprendre comment derrière la "querelle intellectuelle sur l'origine ou la paternité pour ainsi dire, du changement politique en cours au Cameroun", on peut apercevoir les "querelles de préséance" se formant " à l'occasion des luttes doctrinales entre les différents groupes de producteurs qui sont en concurrence". Des divergences entre analystes politiques et analystes juridiques sur la compréhension des institutions s'expriment également dans la critique par un politiste du "pragmatisme juridique" caractérisant un guide pratique du droit administratif inscrit dans une veine positiviste discutable aux yeux des tenants d'une théorie sociopolitique du droit prompts par intérêt cognitif et corporatif à mettre en question cette expression juridique comme "un effort pervers du positivisme". La lutte pour l'autorité doctrinale ne se limite pas aux divergences de méthode entre juristes et politistes, s'opérant aussi entre les professionnels du droit comme le montrent les désaccords entre les Prs. Joseph OWONA et Maurice KAMTO sur les stratégies de constitutionnalisation de la démocratie en 1990-1991, désaccords qui révèlent comment "la logique de la compétition académique et la recherche d'un débouché plus large contribuent à la production d'arguments juridiques contradictoires qui peuvent et paraissent délibérément justifier des positions proprement politiques". Dans cette controverse, le Pr OWONA se réfère tacitement à l'avant-projet de constitution du Pr. KAMTO en critiquant "ceux qui rédigent même de longues Constitutions qu'on voit dans les journaux", et le Pr. KAMTO pense implicitement à la critique de son collègue en y voyant "une attaque plutôt personnelle d'un spécialiste". La critique de la démarche du Pr KAMTO par le Pr OWONA sentend en effet comme lexpression dun point de vue réaliste considérant (avec pertinence) lopération constituante comme une production normative collective sappuyant sur une entreprise politiquement conditionnée, ce qui récuse la vision idéaliste et solipsiste de la codification constitutionnelle défendue par son collègue. Les lieux socio-institutionnels de la doctrine juridique (publiciste) camerounaise sont en effet dans le contexte de la libéralisation politique et économique marqués par la tension entre l'activité théoricienne des professeurs et des docteurs et leur implication croissante dans le travail de praticiens de la consultation juridique. Les juristes universitaires sont effectivement intéressés par les profits d'une "stratégie de diversification" leur permettant d'offrir une "gamme étendue de services" en s'appuyant sur la référence à l'Etat de droit pour mener une activité simultanément théoricienne et praticienne. En s'adaptant à la consolidation au Cameroun d'une orientation contractuelle et commerciale du droit favorisée par le déploiement de grands cabinets de droit et d'économie des affaires par rapport aux officines classiques d'avocats ou d'experts-comptables à la faveur de la libéralisation économique et politique, les producteurs universitaires du droit (public) occasionnellement intéressés par l'activité de consultants entendent conforter leur position parmi les "marchands de droit" en investissant dans des cabinets de conseil juridique. Afin de consolider ces stratégies de commercialisation et de rentabilisation du savoir juridique universitaire, les auteurs du droit savant camerounais mettent en valeur leur maîtrise professionnelle d'une "science appliquée du droit" en recyclant dans une logique marchande les ressources tirées d'une légitimation officielle de leur expertise grâce aux consultations opérées de juristes reconnus (BIPOUN WOUN, OWONA, KAMTO, YANA NTAMARK) par les pouvoirs publics à propos du contentieux frontalier Cameroun - Nigeria concernant la péninsule de Bakassi. Cette évolution renforce les intérêts utilitaires consubstantiels aux investissements de juridicité par lesquels certains publicistes entreprennent "d'aider les justiciables... à trouver l'itinéraire idoine devant les juridictions administratives" en publiant par exemple des guides de droit processuel permettant aux justiciables de mieux défendre leurs droits fondamentaux. La stratégie universitaire de promotion collective de l'empire du droit ne renvoie pas seulement à une sublimation doctrinale de l'Etat de droit mais correspond aussi chez les auteurs (publicistes) du droit savant camerounais à des investissements de juridicité qui saccommodent des "machines à produire du droit". |