L'EXPLICATION DU VOTE DANS LES SYSTEMES POLITIQUES EN
"TRANSITION" D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE.
ELEMENTS CRITIQUES DES THEORIES SYMBOLIQUES
ET PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT

 

par Maurice ENGUELEGUELE

CURAPP-CNRS/IRIC

 

Le débat théorique sur l’explication du vote dans les systèmes politiques en ‘’transition’’[1] des pays d’Afrique subsaharienne prend une place de plus en plus importante dans la science politique africaniste depuis quelques années[2]. Deux facteurs au moins expliquent l’intérêt scientifique nouveau[3] pour cette composante nécessaire mais non suffisante de la démocratie représentative libérale. D’une part, la réévaluation des schèmes explicatifs dominants dans les annales africaines au début de la décennie 90 (communautarisme, rite, affection, théâtralisation, ...). D’autre part, l’observation concomitante de modifications - plus ou moins affirmées selon les contextes et configurations politiques nationales - dans les comportements électoraux manifestée notamment à la faveur de la seconde série de scrutins organisés dans ceux de ces systèmes au sein desquels le processus d’institutionnalisation progressive de la démocratie électorale - c’est-à-dire de ce type de configurations politiques dans lesquelles les gouvernants sont soumis à contrainte d’élection ou de reélection sur des marchés électoraux plus libres et plus concurrentiels qu’il y a une vingtaine d’année - s’est poursuivi en dépit du ralentissement du mouvement général depuis 1993, suivi lui-même d’une vague de restaurations autoritaires dès 1996. Si les élections qui se déroulent dans ces systèmes politiques entre 1990 et 1993 peuvent être vues comme fondatrices d’une ‘’première génération’’ caractérisée par l’existence d’une concurrence pluripartisane semi-ouverte[4], celles qui se tiennent à partir de 1996 en constituent une ‘’seconde’'[5] permettant de mesurer les variations dans les déterminants des préférences des électeurs sous la pression congruente de facteurs divers. L’objectif de ces lignes est de revenir brièvement sur un certain nombre de critiques opposées aux approches dominantes, puis de suggérer l’exploration d’une piste complémentaire.

LES CLASSES DE CRITIQUES

Au départ donc, dans les travaux précités, un objectif doublé d’une posture scientifique : l’explication du vote conçu comme cadre variable de l’action - soit l’analyse des transformations et tensions qui affectent l’espace des luttes électorales - dans les pays d’Afrique subsaharienne depuis le début de la décennie 90 plutôt que ‘’l’herméneutique politique’’[6] - soit l’art plus ou moins savant d’interpréter les suffrages obtenus par chaque camp ; le souci par ailleurs de revenir sur la conclusion commune de la particularité structurelle de ces scrutins par rapport à ceux qui se déroulent dans les démocraties occidentales, sans pour autant postuler l’homologie des deux situations. Sur ces bases, trois grandes classes de critiques sont opposées aux schèmes explicatifs de la construction des préférences politiques déduits des ‘’théories symboliques’’[7].

Les limites du ‘’vote de solidarité’’

La première catégories de critiques porte sur la thèse du ‘’vote de solidarité’’. Le choix politique des électeurs lors des scrutins organisés depuis 1990 dans les systèmes politiques en ‘’transition’’ d’Afrique subsaharienne a été largement présenté comme influencé par des sentiments de solidarité, de loyauté, d’allégeance au groupe d’appartenance et non par la volonté d’obtenir des avantages personnels ; il serait fonction de l’affiliation sociale et non des calculs d’utilité de l’électeur. Les décisions collectives seraient ici systématiquement forgées non par des intérêts individuels mais par ceux de groupements reflétant et exacerbant des clivages communautaires, ethno-linguistiques, religieux, territoriaux. Dès lors, la mobilisation électorale s’opèrerait exclusivement sur la base de revendications d’appartenance et de conflits d’identité. Les différents travaux qui posent cet axiome[8] partent du postulat que dans les sociétés africaines les solidarités sociales préexistent aux choix politiques, expriment la structure sociale et renvoient par conséquent à ces identités plurielles : les individus ne seraient pas représentés politiquement en tant que tels, sur une base égalitaire et partisane, mais en tant que membres de l’une ou l’autre de ces entités voire de plusieurs simultanément ; l’unité de base en politique ne serait pas l’individu, mais le ‘’groupe’’ défini comme une somme d’individus liés par une origine tribale, une langue, des croyances ésotériques ou une cause commune ou unis par des intérêts similaires dans une unité articulée. La préférence exprimée lors du vote serait ici un supplément symbolique qui vient renforcer les liens de solidarité préexistants.

Cette grille explicative est loin d’être spécifique à l’explication du vote en Afrique subsaharienne : on la retrouve notamment dans un travail ancien mais resté célèbre de T. PARSONS[9] dont le raisonnement, pour un autre contexte, était le suivant : parce que l’électeur ne peut qu’ignorer quelles sont les politiques susceptibles d’accroître le bien-être dans le pays, il est impossible de concevoir le choix électoral comme un choix rationnel déterminé par un calcul d’utilité. L’électeur est placé devant une décision présentée comme grave et sérieuse, mais dont il ne peut contrôler les tenants et les aboutissants. Ce choix devra donc être fondé sur un acte de foi. Pour récupérer la sécurité que cette situation d’incertitude avait entamée, l’électeur choisit de renforcer les liens de solidarité qui l’unissent à un groupe social.

Sans rejeter l’opérationnalité de cette thèse, les tenants de la réévaluation soulignent néanmoins ses limites. Le modèle du ‘’vote de solidarité’’ fournit en effet une explication relativement conforme au caractère plural ou segmentaire des sociétés africaines - propriété accentuée encore dans la conjoncture d’incertitude structurelle que toutes traversent au moment du retour au pluralisme (1990)[10] ;  il éclaire sur l’existence d’une espèce d’identification partisane et offre un cadre de compréhension de la relative stabilité des choix électoraux dans ces systèmes politiques. Il y a cependant des phénomènes dont il ne permet pas de rendre compte.

Ainsi, pour expliquer des changements exprimés dans les préférences électorales lors des scrutins de la seconde génération ( Bénin, Madagascar, Sénégal, Ghana,...), le ‘’modèle de la solidarité’’ ne peut que renvoyer à des transformations  dans la structure des groupes sociaux ou à la distribution de leurs choix. Or, il faut bien reconnaître que de telles transformations sont plus lentes, moins erratiques que les brusques changements électoraux, les déplacements de vote d’un parti à un autre et la récupération subite de voix - perdues ou non - par l’un au détriment de l’autre. La théorie est par là-même courte pour les systèmes politiques d’Afrique subsaharienne ayant connu une alternance électorale. La littérature existante en la matière renvoie par ailleurs, souvent, à un cadre d'interprétation endogène dans lequel domine une explication mono causale.

Le ‘’vote de solidarité’’ ne parvient pas non plus totalement, en dépit des apparences, à expliquer pourquoi les individus qui forment un groupe choisiront un parti plutôt qu’un autre, un candidat plutôt qu’un autre. Il rend compte des choix du groupe, mais non de ceux des individus en son sein, dont il suppose qu’ils sont a priori homogènes et ont un même déterminant. Rien ne dit cependant que les choix de ces individus n’ont pas d’autres fondements, le calcul d’utilité par exemple. De fait, la ‘’solidarité’’ sur laquelle s’appuie le modèle est autant une construction de la réalité qu’elle est le produit de situations sociales et culturelles. La politique ne ferait qu’en prendre acte. Pourquoi dans ces conditions les acteurs politiques des pays d’Afrique subsaharienne tentent-ils de convaincre leurs concitoyens de la justesse de leurs conceptions, pourquoi rivalisent-ils dans l’offre de produits symboliques alternatifs - y compris en recourant souvent à des pratiques de ‘’marchandisation’’[11], à la menace ou à l’usage de la coercition ? Ne serait-ce pas d’abord ce discours politique, et l’activité tactique - militante et d’organisation - qui ne peut en être dissociée, qui fondent - ou au moins influent sur - les identités auxquelles la théorie se réfère ensuite ?

Le modèle de la ‘’solidarité’’ fait enfin abstraction de l’influence que le choix de d’orientations politiques déterminées et leurs effets peut avoir sur les liens de défiance ou de confiance entre candidats et électeurs mais aussi de l’existence d’un discours politique contribuant à la formation d’identité collectives qui ne sont pas données une fois pour toutes par la structure sociale.

L’inopérabilité de l’approche du vote comme ‘’rite’’

La seconde critique porte sur l’appréhension de la pratique électorale dans les systèmes politiques en ‘’transition’’ d’Afrique subsaharienne comme expression d’un ‘’rite’’.  Ici, le geste électoral n’est pas seulement envisagé comme le moyen de faire valoir une opinion : il détermine aussi la nature du jugement qui y transite[12].  Dans cette perspective, les scrutins organisés entre 1990 et 1993 ont d’abord été vu comme des ressorts de l’intégration nationale dans chacun de ces pays[13], des moments exceptionnels et particuliers d’accomplissement de l’identité citoyenne dans la mesure où ils octroient aux membres de la collectivité le droit de désigner les titulaires des rôles politiques et de choisir leurs représentants. L’élection a ensuite, parallèlement, été conçue comme permettant d’exprimer une loyauté à travers la possibilité de choix repété qu’elle offre dans l’alternative sortie du jeu (exit)  [ abstention] et soumission à la règle du jeu (loyalty) [participation] tout en construisant une distinction identitaire[14]. Dans les deux cas, la justification  tient au fait que le ‘’rite’’ est un moyen de renforcer la solidarité car il la fait exister dans le temps : il est indissociable de la répétition, signe de la persistance de l’accord d’une collectivité durable, marque déposée de l’identité du groupe. Les ‘’rites’’ se caractérisent également par l’usage d’un répertoire lexical particulier (‘’l’opération pieds morts’’ au Cameroun par exemple). La répétition des mêmes formules, des mêmes mots, les dote de significations proprement politiques, distinctes de leurs occurrences habituelles ; ils peuvent ainsi acquérir des significations qui ne sont compréhensibles que par une collectivité (ethnique, linguistique, religieuse, ...) et par là renforcent son identité. Avec la considération de la pratique électorale comme exprimant un ‘’rite social’’, on dépasse la simple affirmation de l’influence des sentiments de solidarité sur la formation des préférences politiques pour adopter une approche globalisante. L’acte de vote est ici pensé comme étant surchargé de sens pour un électeur qui a une claire conscience de sa portée '' symbolique''[15].

Sur ces deux plans, les travaux critiques précités soulignent les limites de l’approche. Observant à juste titre que dans les systèmes politiques en ‘’transition’’ des pays d’Afrique subsaharienne, les identités citoyennes et sociales sont incertaines voire complexes, P. QUANTIN note que, pour de nombreux électeurs, le vote peut être ‘’un acte séparé du cours normal de la vie quotidienne, ni sacré, ni banal, mais seulement insolite et dénué de sens. Et là où l’élection compétitive n’est pas du tout intégrée par le jeu des prédispositions, il est risqué de l’analyser comme une correspondance de lointaines pratiques sociales              institutionnalisées’’[16]. Prolongeant la même démarche critique, C. CONAGHAN met en garde contre ‘’l’inversion de problématique’’[17]  résultant du recours à l’approche du vote comme expression d’un rite dans certains contextes, son principal inconvénient étant de substituer à l’analyse de l’élection réelle et des rapports de force qu’elle engage ‘’l’étude des représentations symboliques qu’elle met en mouvement’’[18]. La généralisation est donc ici peu pertinente.

La faible valeur heuristique du modèle ‘’théâtral’’

La réévaluation porte aussi sur le modèle ‘’théâtral’’. Situé à l’extrémité d’un continuum qui va de la thèse du ‘’vote de solidarité’’ et passe par celle du geste électoral comme expression d’un ‘’rite’’, ce modèle pose le problème de la structuration du jeu politique dans les systèmes en ‘’transition’’ d’Afrique subsaharienne depuis 1990. De la compétition politique comme spectacle, qui n’a pas l’expérience dans les systèmes politiques de ces pays ? Les expressions ‘’comédie électorale’’ ou ‘’farce électorale’’ qui y sont largement popularisées visent à traduire cet état de fait. Une proportion importante de leurs populations, lorsqu’elle suit le déroulement des joutes électorales en lisant les journaux, en écoutant la radio ou en regardant la télévision - quand elle a accès à ce support médiatique, ne se comporte pas différemment que lorsqu’elle lit, écoute ou suit la retransmission d’un match de football : on s’informe,  y assiste sans pouvoir y participer, et on sait qu’on ne peut intervenir pour inverser le cours des choses sinon autour de soi - et encore...- en applaudissant ou réprouvant bruyamment. Le vote correspondrait dans cette perspective à une technique de ratification : l’accent est porté sur une formule d’approbation dans laquelle on magnifie une sentence connue d’avance - ou dont on se doute - et qui devient le motif d’autorité. Nulle place n’est laissée à la liberté du sujet, à la voix personnelle du citoyen-électeur d’où est censée émerger une raison éclairée[19].

C’est en réalité la question de la fonction sociale du vote que posent les travaux qui adoptent cette thèse : ce dernier viserait exclusivement à renforcer l’autorité d’un dictateur, lui assurer une respectabilité internationale et, plus rarement, réactiver une allégeance fondatrice. Le caractère semi-ouvert de la compétition électorale, par l’acceptation d’une pluralité des candidatures et d’entreprises partisannes en concurrence mais aux chances largement inégales,  serait même une précondition du succès de cette stragégie.

Ce modèle, et là est son mérite, met l’accent sur l’incompétence, l’exclusion et l’impuissance des citoyens-électeurs, digérée par une savante immobilité des systèmes politiques en ‘’transition’’ des pays d’Afrique subsaharienne. Il a cependant pour principale limite de surestimer la césure entre ‘’metteur en scène’’ (i.e. le pouvoir) et spectateurs (i.e. les citoyens) présumés passifs, dépossedés de toute possibilité d’initiative dans la joute électorale et voués à la discipline. De fait, nombre de recherches africanistes ont montré que, même dans les configurations de jeu politique tendu - telles les phases autoritaires qui ont caractérisé les sytèmes politiques d’Afrique subsaharienne dans les années 70-80, les citoyens parviennent, par des manières de faire occasionnelles, des tactiques, des opérations fugitives et informelles, à contester voire mettre en cause l’ordre électoral établi et à prendre part ainsi au jeu[20].

Ces critiques non-exhaustives et rapidement présentées des schémas explicatifs du vote dominants dans les travaux africanistes depuis 1990 portent somme toute, on le voit, sur trois problèmes non résolus : la détermination des conditions de la rationalité du choix individuel dans les systèmes politiques retenus ; la nature des rôles politiques (des citoyens et des hommes politiques) et de leur relation ; le fondement des distinctions entre identités politiques. Afin de combler cette lacune, une analyse systématique du geste électoral dans les systèmes politiques en ‘’Transition’’ d'Afrique subsaharienne est suggérée, à partir notamment d’observations empiriques effectuées dans la durée et tenant compte de l’histoire des expériences électorales sur ce terrain[21]. L’exploration des théories néo-utilitaristes qu’on propose s’inscrit dans cette perspective.

PEUT-ON RECOURIR AUX THEORIES NEO-UTILITARISTES ?

L’une des voies de reprise du problème posé par l’explication du vote dans les systèmes politiques en ‘’transition’’ d’Afrique subsaharienne pourrait consister à repartir d’une interrogation simple : pourquoi votent-ils ? Question faussement naïve qui permet d’aborder le geste électoral par ses prémisses chronologiques (et sociologiques) - soit avant même le débat sur les conditions (compétition ‘’juste, honnête et transparente’’) et la distribution des voix en ‘’camps’’ qui focalisent tant l’attention ordinaire, le délicat problème du rapport au vote des citoyens dans ces systèmes politiques si particuliers, lequel ne va sans doute pas de soi. Les théories néo-utilitaristes ont, les premières, adopté, dans le contexte des démocraties occidentales, cette démarche à partir de leur question centrale : Why do Voters vote ?

Le recours à ces théories ici peut s’appuyer sur des données observables lors des scrutins de la ‘’seconde génération’’ : un recul de l’identification partisanne couplé à une certaine volatilité électorale ; l’observation d’un ‘’vote utile’’, d’un ‘’vote d’avertissement’’, d’un ‘’vote sanction’’ - dont l’anticipation par les titulaires des positions de pouvoir politique justifierait aussi (mais pas seulement) le report de certaines consultations électorales. Ces faits témoigneraient de nouveaux comportements électoraux ; ils suggéreraient l’émergence - ou le retour si on se réfère à la concurrence électorale dans un contexte de compétition politique ouverte de la phase de l’immédiat post colonial dans la plupart de ces pays - d’un électeur relativement autonome et imprévisible par rapport à sa situation socio-économique. A côté d’électorats relativement distincts et homogènes  [soit par exemple dans la donne camerounaise, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC, parti au pouvoir) - Centre, Sud et Est ; Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) - Nord ; Social Democratic Front (SDF) - Ouest, Nord-Ouest, Union des Populations du Cameroun (UPC) - Littoral, ...] existeraient des électeurs réticents aux identités partisanes préfabriquées, moins ‘’captifs’’ que lors des scrutins de la ‘’première génération’’, ayant des attitudes idéologiques relativement cohérentes, se prononçant de façon plus affirmée sur des enjeux et questions politiques que sur des noms de candidats ou   partis, plus ‘’rationnels’’ et calculateurs, décidant leur vote à partir d’un faisceau complexe de facteurs parmi lesquels les calculs d’utilité personnelle ainsi que l’évaluation de la valeur des partis en présence par rapport aux questions politiques jugées pertinentes ( salient issues effect ) et l’état de l’offre électorale occupent une place importante. Cette transformation irait par ailleurs l’amble avec les mutations morphologiques du corps électoral dans ces Etats, marquées notamment par l’arrivée en masse de nouvelles générations d’électeurs, nés après les indépendances (1960 au Cameroun), souvent fortement scolarisés, principalement urbains, peu ou pas du tout intégrés au marché de l’emploi et développant un regard fortement critique sur le débat public et la dynamique du jeu politique depuis l’engagement des ‘’transitions’’ des années 90[22]. Ce changement serait encore alimenté par l’explosion de la pauvreté et de la précarité dans les pays d’Afrique subsaharienne depuis le début de la décennie 90, doublées de la montée en force d’un individualisme grandissant. A partir de là, il devient tentant - la mode de ‘’l’individualisme’’ [23]    y poussant- de dessiner le profil de ce nouveau type d’électeur, l’électeur individualiste, et de poser l’hypothèse que l’individualisme deviendrait, autant que les identifications (communautaires, ethniques, ...) et les déterminations (affectives), l’un des moteurs principaux du choix de l’électeur dans les pays d’Afrique noire et notamment au Cameroun.

Ce modèle individualiste du comportement politique a été largement analysé dans les travaux de politistes américains s’inscrivant dans la théorie des choix rationnels ou théorie néo-utilitariste[24] ; lesquelles ont fait une entrée tardive et timide dans la science politique Française[25]. Elles sont à l’inverse quasiment ignorées par la science politique africaniste ; signe supplémentaire de sa ‘’marginalité’’ par rapport à ‘’la science politique centrale’’[26]. Tout au plus peut on noter l’incursion indirecte et implicite qu’elles font dans les travaux de R. BANEGAS - quand il avance que c’est probablement dans la “ marchandisation ”[27] du vote que se jouent les véritables processus de formation et de consolidation de la démocratie au sud du Sahara - ainsi que dans ceux de M. BRATTON et N. VAN de WALLE - lorsqu’ils réfutent la vulgate d’un électeur africain désorienté parce que brutalement confronté à des marchés électoraux saturés par des offres exagérément concurrentielles[28]. On peut également observer que l’ouvrage fondateur de DOWNS (1957) est évoqué par N. VAN de WALLE et K. SMIDDY dans leur récente étude des partis politiques et systèmes de partis en Afrique noire[29].

Les tentatives d’explication d’un évitement

Sans revenir sur les apories culturalistes (relatives notamment au prétendu unanimisme existant au sein des sociétés africaines ou à l’irrationalité naturelle des individus qui les composent) et en rejetant par avance le schéma évolutionniste (lequel laisse sous entendre que les formes de l’élection ne sont que les étapes d’un processus assurant le développement de la modernité politique)[30], quelques explications de cet évitement peuvent être avancées.

La première résiderait dans la prudence des politistes africanistes face aux risques résidant dans “ (...) l’importation non contrôlée d’un paradigme venu d’une région bien particulière de la science économique (...) ”[31]. Salutaire et louable souci de ‘’vigilance épistémologique’’, pourrait-on dire en reprenant les mots du DURKHEIM des Règles s’il ne dissimulait pas surtout, ce que P. QUANTIN qualifie de stratégie de valorisation d’approches et d’objets les plus cachés à l’observateur extérieur, enfouis dans des imaginaires difficiles à percer et énoncés dans des langues vernaculaires ; stratégie participant elle-même de “ l’effet d’écran produit par la revendication de compétences spécifiques utilisées comme ‘’droit d’entrée’’ dans des sous-corporations scientifiques fonction(nant) grâce à la connivence qui évite la vérification réciproque des savoirs des uns et des autres puisque ces connaissances distinctives relèvent de disciplines lointaines ”[32]. Il faut en effet admettre que l’un des principaux risques auquel expose ici le recourt à l’analyse économique du vote est celui de la vérification universelle de la thèse de l’importance de la zweck-rational wébérienne (soit l’action rationnelle par rapport à un but qui plus est, étroitement économique) par rapport aux trois autres orientations de l’action distinguées par l’auteur d’Economie et Société (soit l’action rationnelle par référence à une valeur, l’action traditionnelle, l’action affective ou émotionnelle)[33]; donc une espèce de ‘’dévoilement’’ de la science politique africaniste par rapport à la ‘’science politique centrale’’.

La seconde explication possible de ce manque résiderait dans la prépondérance de la thèse de la faible individuation des préférences politiques chez les ‘’électeurs africains’’, sous-jacente à la plupart des nombreuses recherches sur l’acte de vote en Afrique subsaharienne depuis le début de la décennie 90. L’une des trois grandes hypothèses sur lesquelles reposent les théories économiques du vote ne pouvant ainsi être appliquée - celle portée par l’individualisme méthodologique (l’unité agissante est l’individu)[34], il serait alors impossible de tenter de les expérimenter sur le terrain africain. Ici aussi l’argument ne tient pas. Comme le montre J. D. LAFAY, rien ne proscrit l’évocation de l’individualisme méthodologique et le raisonnement sur des groupes ou des agrégats ; “ cela implique seulement, pour pouvoir justifier les choix faits : d’avoir un minimum d’informations sur les interactions individuelles (ou de faire des hypothèses sur celles-ci) à l’intérieur et à l’extérieur du groupe considéré ; de faire un certain nombre d’hypothèses rendant possible ou facilitant l’agrégation en un ensemble représentatif des individus concernés ”[35]. Du reste, plusieurs travaux africanistes récents ont montré que le vote communautaire n’est pas antinomique du vote d’opinion, qu’il peut être un élément structurant du jeu démocratique et, par conséquent, qu’il est loin de constituer un obstacle à l’établissement de la démocratie électorale[36].

Une troisième raison de l’ignorance de l’analyse économique du vote dans la science politique africaniste peut être trouvée dans deux ‘’biais’’ distincts mais complémentaires : la relative absence de recul historique et l’irrégularité des cycles électoraux dans les pays d’Afrique noire. Il faut de fait reconnaître que la plupart des travaux anglo-saxons et Français consacrés à l’incidence des variables macroéconomiques sur les choix électoraux se situent dans le cadre de l’historicité du politique. C’est ainsi par exemple, pour n’en citer qu’un  seul, que le travail pionnier mené par G. H. KRAMER et publié dans l’American Political Science Review en 1971 porte sur une période qui va de 1896 à 1964[37]. Il n’est par ailleurs pas innocent que les premières tentatives de validation empirique du modèle des cycles politico-économiques (political business cycles)[38] aient été menées aux Etats-Unis ; pays qui, pour des raisons institutionnelles, présente un calendrier électoral d’une “ périodicité d’horloger ”[39]. Trois éléments viennent cependant relativiser l’importance de ces arguments. D’une part, et sans nier l’importance du recul historique, l’anachronisme des séries longues - soit, par delà la constance du nominal des variables listées, l’impossibilité presque totale de comparer sérieusement des ratios comme les taux de chômage ou d’inflation ou encore le revenu à quarante ans de distance[40] : “ comme on ne parle pas, en dépit des apparences, exactement des mêmes choses, la conclusion que l’on peut en tirer a une portée limitée ”[41]. D’autre part, le fait que le modèle des cycles politico-économiques ait pu être testé dans le cadre de séries courtes, pour des régimes démocratiques à échéancier électoral moins rigide (possibilité de dissolution anticipée), afin de démontrer que les sortants pouvaient tenter de profiter d’embellies économiques conjoncturelles ou - au contraire- pour prévenir une dégradation anticipée des indicateurs économiques[42]. Enfin, sans insister sur le fait que l’idée de légitimité populaire n’est pas étrangère à certains systèmes politiques anciens en Afrique[43], après la vague des élections ‘’sans choix’’ ou semi-concurrentielles des années 70-80, suivie elle-même d’une quasi disparition du principe électif du paysage politique continental, ce dernier a resurgi avec une vigueur inégalée depuis le début de la décennie 90. En se gardant de toute satisfaction quantrophénique et en ayant à l’esprit la vigilance critique nécessaire à l’appréciation des conditions de déroulement de ces scrutins, on peut noter avec N. VAN de WALLE et K. SMIDDY[44] que 42 des 48 Etats d’Afrique subsaharienne ont organisé environ soixante-dix élections législatives impliquant au moins deux partis entre 1990 et 1998 ; que durant la même période, plus de soixante élections présidentielles se sont déroulées avec plus d’un candidat. Seuls sept pays ( Erythtrée, Rwanda, Soudan, Somalie, Swaziland, Ouganda, Zaïre) n’ont pas organisé d’élections multipartites pendant cette période. A titre de comparaison, entre 1985 et 1989, neuf pays africains seulement avaient organisé des scrutins multipartites jugés compétitifs. Au Cameroun même, les électeurs ont voté à cinq reprises dans le cadre de scrutins concurrentiels  entre 1992 et 1997[45]   ;  l’organisation de secondes élections législatives et présidentielles dans les délais constitutionnels, mais également l’officialisation de la décision de report des municipales[46] initialement prévues pour janvier 2001, pouvant être vues comme participant d’un processus de routinisation des élections régulières.

Plus fondamentalement, trois voies supplémentaires d’explication de l’absence de fréquentation des théories économiques du vote dans les recherches africanistes peuvent être envisagées.

C’est d’abord la question de la nature même des démocraties mises en place depuis le début de la ‘’transition’’ des années 90 dans les pays d’Afrique subsaharienne. Loin de toute tentation normativiste, on peut se demander s’il ne s’agit pas de “ démocratie(s) non libérale(s) ”[47] ou de “ démocratie(s)  virtuelle(s) ”[48] ? Question fondamentale car renvoyant aux pièges de l’analogie[49] et qui alimente encore la curiosité pour l’interrogation de départ : pourquoi votent-ils ? Sur le terrain camerounais, les chiffres relativement importants de participation aux différentes consultations organisées depuis 1992 aiguisent encore l’intérêt pour cette interrogation.

La seconde renvoie à l’intérêt tardif des économistes des pays du continent pour les problèmes politiques. La différence de trajectoire avec le rapport que leurs collègues des pays occidentaux ont toujours entretenu avec le politique doit ici être soulignée. Accaparés par les questions de développement, les économistes des pays africains ont longtemps refusé de s’intéresser au politique[50]. Leur crainte, renforcée par la nature autoritaire des régimes qui se succédaient ainsi que par le ‘’sort’’ réservé aux ‘’déviants’’ - tels Ossendé Afana et Tchuindjang Pouemi au Cameroun[51], était d’y perdre une ‘’neutralité’’ scientifique souvent difficilement acquise - en raison notamment pour leur adhésion relativement importante aux théories de la dépendance, avec l’idée implicite qu’étudier la politique revenait toujours plus ou moins à faire de ‘’la politique’’. Cette réticence a eu d’importantes conséquences en matière de politique économique et d’analyse du secteur public. En rupture avec la tradition classique de l’économie politique, ces économistes ont pris l’habitude d’opérer une césure nette entre les aspects sociaux et politiques, considérés comme des données extérieures, apparaissant uniquement dans la ‘’fonction de bien-être social’’, et les questions proprement économiques. Les travaux relevant de l’économie publique se sont alors réduits à la seule analyse “ normative ”[52], c’est-à-dire à la recherche des politiques optimales permettant d’atteindre au mieux les objectifs de développement initialement fixées par les pouvoirs politiques centraux. Deux éléments au moins vont faire évoluer cette situation. D’une part, le lien établi par la recherche africaniste - à une époque où on ne parlait pas encore de conditionnalité et où le dogme de la toute puissance du parti-Etat était inentamé - entre démocratie et développement, et l’hypothèse que l’une serait peut-être la condition de l’autre plutôt que son but ultime. On verra alors se multiplier, dans le sillage du numéro 11 (septembre 1983) de Politique Africaine, des travaux de science politique associant étroitement des économistes. D’autre part, et paradoxalement, la ‘’crise’’ subie par la plupart des économies d’Afrique subsaharienne à partir du tournant des années 80 et ses conséquences quant aux capacités ‘’redistributives’’[53] et en matière de lutte contre le sous-développement d’Etats évidés, n’ayant aucune prise réelle sur leurs politiques économiques largement dictées par les institutions financières multilatérales de Bretton Woods - en particulier le Fonds Monétaire International dans le cadre de programmes d’ajustements macro-économiques, dépendant pour beaucoup des investissements étrangers ainsi que des cours des matières premières et dont les dirigeants subissaient simultanément des “ mobilisations multisectorielles ”[54]   visant à renverser les régimes monolithiques qu’ils avaient mis en place. De cette période remontent les balbutiements d’une réflexion menée en commun par des économistes et des politistes africanistes sur le lien entre évolution de certaines variables économique et formulation des préférences électorales ; analyse principalement conduite au Cameroun par une jeune génération de chercheurs soucieux également de se démarquer de leurs ‘’aînés’’[55]. D’abord très confidentiels, leurs travaux connaîtront à partir de 1995 une audience remarquable au point que le congrès annuel de l’Association Africaine de Science Politique de Harare (Zimbabwe) fasse de cette thématique un ‘’axe de recherche privilégié’’[56].  Ainsi, l’émergence d’une analyse économique de la politique serait en cours en Afrique.

La troisième résiderait dans le constat de l’irréalisme des hypothèses de base de ces modèles, confirmé par les nombreuses tentatives de validation faites ‘’ailleurs’’ ; dans les démocraties représentatives Occidentales notamment.  En somme, pourquoi se ‘’casser la tête’’ avec quelque chose ‘’d’étranger’’ et de ‘’compliqué’’ alors que cela ne ‘’marche pas’’ ailleurs ? Face à cette interrogation, on ne peut que reprendre le pari proposé par M. FRIEDMAN dès 1957, c’est-à-dire admettre de manière courageuse que l’irréalisme des axiomes n’invalide pas nécessairement la démarche[57].

Les axes de recherche possibles

L’opérationnalisation des théories néo-utilitaristes peut être menée à partir de l’examen du réalisme de leurs prémisses sur le terrain africain : il s’agira ici de savoir si, dans ces contextes et configurations sociales et politiques spécifiques, ces théories peuvent effectivement rendre compte des phénomènes qu’elles éclairent ou prétendent mettre en lumière ailleurs ; il faudra aussi savoir si les explications qu’elles offrent sont plus pertinentes, au regard de la réalité, que celles fournies par les autres modèles d’analyse. Dans cette perspective, devraient être interrogés successivement le ‘’paradoxe de l’électeur’’ africain - soit l’étude des arbitrages problématiques de ce dernier en faveur ou en défaveur d’une participation aux scrutins organisés d’autant qu’il gagnerait à vaquer à d’autres occupations plus gratifiantes dans le contexte d’incertitude économique et sociale que connaissent les pays du continent, et la part des considérations utilitaristes déduites de la conjoncture économique qu’engage cet électeur dans la formation de ses préférences politiques. Ici, comme ailleurs, le phénomène à expliquer sera bien le pourcentage de la part des voix pour un candidat ou un parti ; la variable indépendante étant indicative du chômage, de l’inflation ou de la croissance. L’hypothèse d’intégrer à ces variables la ‘’pauvreté’’[58], mesurée par l’indicateur de développement humain (IDH), reste problématique : il s’agit d’une notion beaucoup trop vague, dont la mesure exacte est difficile car elle relève tant de la perception que du vécu quotidien ; plus encore, combien de citoyens-électeurs ont connaissance de l’indicateur de développement humain de leur pays avant d’aller voter ?

Restera encore à poser le problème de la cohérence logique de ces théories par rapport au même champ d’analyse, en examinant quelles conséquences emporte le fait d’accepter que les individus dans les systèmes politiques en ‘’transition’’ d’Afrique subsaharienne agissent pour satisfaire leurs intérêts. Ce dernier pourrait être abordé en réfléchissant aux tentatives que pourraient opérer les gouvernants de ces pays, dans des contextes de stabilisation de la recéssion ou de croissance retrouvée, pour manipuler ces considérations.

A première vue fortement éloignées, ces pistes entretiennent - en plus de leur référent initial - certains liens logiques. Comme le montrent notamment P. LEHINGUE, R. BOUDON et P. MERLE[59] pour les démocraties occidentales, la théorie économique du vote s’est, dans une version première, attachée à la question de la participation électorale, l’application mécanique du schème de l’optimisation débouchant sur le fameux ‘’paradoxe du vote’’. Ce n’est que par défaut, c’est-à-dire faute de pouvoir élucider avec le même outillage conceptuel ce paradoxe, que la réflexion s’est rabattue sur la question des interactions entre variables économiques et orientations électorales. L’analyse devra cependant s’inscrire dans le cadre de la sociologie de l’expérience[60], c’est-à-dire garder à la fois le souci du contexte étudié qui éclaire sur le sens des institutions et de leurs pratiques pour les électeurs de ces pays afin de résister à la double tentation des caractérisations incontrôlées, qualifications globales et généralisations douteuses.

 

[1] On utilisera le concept de “ transition ” avec des guillemets tout au long de ce travail par référence à la distinction établie - certes pour un autre contexte mais très largement applicable à la donne camerounaise - au sein de ce processus entre “ libéralisation ” et “ démocratisation ” par O’DONNELL (G), SCHMITTER (PC), WHITEHEAD (L), Transitions from Authitarian Rule. Tentative conclusions about uncertain democracies, Baltimore, London, The Johns Hopkins University Press, 1986, pp 7-17 ; DOBRY (M), ‘’Les voies incertaines de la transitologie. Choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path Dependence’’, Revue Française de Science Politique, Vol. 50, 2000, n° 4-5. Pour une application spécifique de ces problématiques aux pays africains, voir notamment BRATTON (M) et VAN DE WALLE (N), “ Neopatrimonial regimes and political transitions in Africa ”, World Politics, July 1994, pp 453-489.

[2] Voir notamment, BRATTON (M) et Van de WALLE (N), Democratic Experiments in Africa. Regime Transition in Comparative Perspective, New York, Cambridge University Press, 1997, chap. 6 ; OTAYEK (R), ‘’Les élections en Afrique sont-elles un objet scientifique pertinent ?’’, Politique Africaine, n° 69, Mars 1998, pp 3-11 ; QUANTIN (P), ‘’Pour une analyse comparative des élections africaines’’, Ibid, pp 12-28 ; QUANTIN (P), ‘’Afrique’’ dans PERRINEAU (P) et REYNIE (D), Dictionnaire du  vote, Paris, Puf, 2001, pp 22-26 ; YOUNG (T), ‘’Elections and Electoral Politics in Africa’’, Africa, n° 63, 3, 1993, pp 299-312.

[3] Sur ce point voir notamment, BUIJTENHUIJS (R) et THIRIOT (C), Démocratisation en Afrique au sud du sahara, 1992-1995. Un bilan de la littérature, CEAN-IEP-Université de Bordeaux-Montesquieu, Bordeaux-Leyde, 1995.

[4] Sur cette propriété du système politsiue camerounais dans l’immédiat post-’’transition’’, voir ENGUELEGUELE (M), ‘’Cameroun : l’opinion publique, une notion à géométrie variable’’, dans L’Afrique Politique 2000, Karthala CEAN, 2000, pp 85-87.

[5] On n’adoptera donc pas ici le découpage de WISEMAN (J. A ) qui distingue les élections de la première vague i.e., celles qui se déroulent pendant la période post-coloniale, celle de la seconde - i. e. les élections sans choix dans décennies 70-80, et celles de la troisième vague - i. e. de la ‘’early post-redemocratization period’’, dans ‘’Early Post-redemocratization Elections in Africa’’, Electoral Studies, vol. 11, n° 4, dec. 1992, pp 279-291. On est cependant conscient que pour comprendre ce qu’on qualifie ici ‘’d’élections de la seconde génération’’, il faut avoir à l’esprit ce qui se joue dans celles de la ‘’première’’. On est aussi conscient que notre perspective débouche sur une oscification de la césure ‘’avant/après 1990’’, dont la relativité a été soulignée à juste titre par de nombreux travux. On retiendra cependant cette démarche pour les commodités de la démonstration.

[6] IHL (O), Le vote, Clefs Montchrestien, 1996, p 132.

[7] Ces théories ne correspondent pas à un corpus cohérent qui se serait développé de manière cumulative, voir PIZZORNO (A), ‘’Sur la rationalité du choix démocratique’’, dans BIRNBAUM (P) et LECA (J), dir., Sur l’individualisme, PFNSP, Références, 2è ed., 1991, pp 343-354. La distinction entre théories symboliques et théories néo-utilisatiristes diffère de celle posée par HARSANYI (JC), ‘’Rational-Choice Models vs Functionalistic and Conformistic Models of Political Behavior’’, World Politics, 21, 1969, pp 513-538.

[8] Voir notamment dans le cas du Cameroun, SINDJOUN (L), ‘’Le paradigme de la compétition électorale dans la vie politique : entre tradition de monopole politique, Etat parlementaire et Etat seigneurial’’, dans SINDJOUN (L), dir., La révolution passive au Cameroun : Etat, société et changement, Karthala-Codesria, 2000, pp 269-329 ; MENTHONG (HL), ‘’Vote et communautarisme au Cameroun’’, Politique Africaine, n° 69, op.cit.supra., pp 40-41. ; MONGA (C), ‘’La recomposition du marché politique au Cameroun (1991-1992)’’, Bulletin du GERDES-Cameroun, n°1, Décembre 1992.

[9] PARSONS (T), ‘’Voting and the Equilibrium of the American Political System’’, dans Sociological Theory and Modern Society, New York, The Free Press, 1967, pp 223-263.

[10] Voir, pour le Cameroun, SINDJOUN (L), ‘’ La démocratie est-elle soluble dans le pluralisme culturel ? : éléments pour une discussion politiste de la démocratie dans les sociétés plurales’’, dans L’Afrique Politique 2000, Karthala CEAN, pp 19-40.

[11] BANEGAS (R), ‘’Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin’’, Politique Africaine, n° 69, op. cit. supra., pp 75-87.

[12] La filiation avec les thèses de BON (F), dans ‘’Le vote. Fragment d’un discours électoral’’, Les discours de la politique, présentation Y. SCHEMEIL, Paris, Economica, 1991, p 184 - thèses dont LIPSET (SM) établit le constat dans, L’homme et la politique, Paris, Le Seuil, 1963, p 223 - est évidente.

[13] Voir dans le cas du Cameroun notamment, MENTHONG (HL), ‘’Vote et communautarisme au Cameroun’’, Politique Africaine, n° 69, op. cit.supra., pp 40-41.

[14] Voir sur ces notions, HIRSHMAN (AO), Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995.

[15] Au double sens donné par EDELMAN (M), The Symbolic Uses of Politics, Urbana, University of Illinois Press, 1964, Chap. II.

[16] QUANTIN (P), ‘’Pour une analyse comparative...’’, op. cit. supra., p 15.

[17] CONAGHAN (C), Comparative Perspectives : New Approaches to Methods and Analysis, Peter Smith ed., 1995, pp 57-69.

[18] Ibid, p 58.

[19] Sur l’application de cette thèse aux scrutins camerounais depuis 1992, voir notamment, MBEMBE (A), ‘’Crise de légitimité, restauration autoritaire et déliquescence de l’Etat’’, dans Itinéraires d’accumulation au Cameroun, Paris, Karthala, 1993, pp 334-374.

[20] Voir notamment, ENGUELEGUELE (M), ‘’La rumeur de la disparition des sexes au Cameroun : contribution à l’étude des modes d’expression politique alternatifs dans les conjonctures fluides’’, dans DARRAS (E), dir., La Politique ailleurs, Puf-CURAPP, 1998, pp 355-370.

CEAN-CERI, Aux urnes l’Afrique ! Elections et pouvoirs en Afrique noire, Paris, IEP de Bordeaux-CEAN-Pedone, 1978 ; HAYWARD (FM), ed., Elections in Independent Africa, Boulder & London, Westview Press, 1987.

[21] Voir, QUANTIN (P), ‘’Afrique noire’’, op. cit. supra., p 26.

[22] On se permet de renvoyer sur ce point à nos travaux sur ‘’l’opinion publique’’ au Cameroun publiés dans L’Afrique Politique 2000 et  dans l’International Social Science Journal, n° 169/2001.

[23] Voir sur ce point notamment, ESTER (P), HALMAN (L), MORR (R), The Individualizing Society. Value Changing in Europe and North America, 1993, Tilburg University Press ; LAVAU (G), ‘’L’électeur devient-il individualiste ?’’, dans BIRNBAUM (P) et LECA (J), Sur l’individualisme, ouvrage précité, pp 301-329 ; MATTEI (D), ‘’Le déclin du vote de classe et du vote religieux en Europe Occidentale’’, RISS, n° 146, 1995, pp 613 et s.

[24] Voir notamment, DOWNS (A), An Economic Theory of Democracy, New York, Harper and Row, 1957 ; MUELLER (DC), Public Choice, Londres, Cambridge University Press, 1979 ; DALTON (R) et WATTENBERG (M), ‘’The not simple act of voting’’, dans FINIFTER (AW), ed., Political Science. The state of the Discipline, vol. 2, Washington, American Political Science Association, 1993, pp 193-218 ; GREEN (DP) et SHAPIRO (I), Pathologies of Rationnal Choice Theory : A Critique of Applications in Political Science, New Haven, Yale University Press, 1994 ; pour des synthèses critiques stimulantes, GREEN (DP) et SHAPIRO (I), ‘’Choix rationnels et politique : pourquoi en savons-nous toujours aussi peu ?’’, RFSP, vol. 45, n° 1/1995, pp 96-130 ; MAYER (N), ‘’L’économie du politique’’, Revue Française de Sociologie, Avril-Juin 1997, XXXVIII, p 213 ; LAFAY (JD), ‘’L’analyse économique de la politique : raisons d’être, vrais problèmes et fausses critiques’’, Revue Française de Sociologie, Avril-Juin 1997, XXXVIII, 1997, pp 229-243 ; BOUDON (R), ‘’ Le paradoxe du vote et la théorie de la rationalité’’, Revue Française de Sociologie, Avril-Juin 1997, XXXVIII-2, pp 217-227 ; LEHINGUE (P), ‘’L’analyse économique des choix électoraux ou comment choisir d’économiser l’analyse. II. Truismes et paradoxes’’, Politix, n° 41/1998, pp 82-122 ;

[25] Voir sur ce constat, LAFAY (JD), art. précité, p 229  ; LEHINGUE (P), art. précité, pp 82-83 ; MERLE (P), ‘’L’homo politicus est-il un homo oeconomicus ?’’, RFSP, Vol. 40, n° 1, Fév. 1990, p 64.

[26] Voir sur ce point, QUANTIN (P), ‘’Pour une analyse...’’, op. cit. supra., pp 12-13.

[27] BANEGAS (R), ‘’Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin’’, Politique Africaine, n° 69, op. cit. supra, pp 75-87.

[28] BRATTON (M) et VAN de WALLE (N), ouvr. précité, p 11.

[29] VAN de WALLE (N) et SMIDDY (K), ‘’ Partis politiques et systèmes de partis dans les démocraties non libérales africaines’’, dans L’Afrique Politique 2000, op. cit. supra., p 42.

[30] Comme l’affirme IHL (O) en effet, ce serait là ‘’(...) entretenir une double cécéité. D’abord, faire oublier qu’entre des institutions qualifiées toutes de ‘’démocratiques’’, il peut y avoir de profondes dissemblances, en particulier si l’expérience sociale, à l’origine de l’ordre électoral, s’avère très différente. Ensuite, perdre de vue, de manière inverse, qu’en dépit d’oppositions aveuglantes, certaines expériences électorales peuvent entretenir des similitudes quoique espacées par plusieurs siècles’’, dans Le vote, op. cit. supra., p 30.

[31] LEHINGUE (P), op. cit. supra., p 83.

[32] QUANTIN (P), op. cit. supra., pp 12 et 13, note 1.

[33] WEBER (M), Economie et Société, Paris, Plon, 1971, Chap. 1.

[34] Les deux autres hypothèses étant l’existence de préférences stables (représentées en général par une fonction d’utilité ) et un comportement de la fonction de maximisation d’utilité précédente sous la contrainte de l’environnement tel que l’individu le connaît ou l’anticipe ; voir LAFAY (JD), op. cit. supra., pp 238-241.

[35] Ibid, pp 238-239.

[36] Voir notamment les articles d’OTAYEK et QUANTIN précités.

[37] KRAMER (GH), ‘’Short term Fluctuations in US Voting Behaviour : 1896-1964’’, APSR, 77, 1971, pp 131-143.

[38] Mac RAE (D), ‘’A political Model of the Business Cycle’’, Journal of Political Economy, 85, 1977, pp 239-263.

[39] LEHINGUE (P), op. cit. supra., p 106.

[40] Si en plus on dispose de statistiques...- fiables...- dans le cas des pays d’Afrique noire, indépendant pour la plupart depuis 1960 ; mais cela est un autre problème.

[41] THELOT (C), ‘’Les traits majeurs du chômage depuis vingt ans’’, Economie et Statistique, n° 183, 1985, p 38. Pour une vue plus générale, consulter le débat ouvert dans Genèses, n° 9/1992 et notamment l’article de DESROSIERES (A), ‘’Séries longues et conventions d’équivalence’’.

[42] Au Japon et au Royaume-Uni notamment.

[43] Voir sur ce point notamment, QUANTIN (P), ‘’Afrique noire’’, op. cit. supra., pp 22-24.

[44] Van de WALLE (N) et SMIDDY (K), op. cit. supra., p 43.

[45] 1er Mars 1992, élections législatives anticipées ; 11 Octobre 1992, élection présidentielle anticipée ; 21 Janvier 1996, élections municipales ; 17 Mai 1997, élections législatives ; 12 Octobre 1997, élection présidentielle.

[46] Décret présidentiel du 8 Décembre 2000, reproduit dans Cameroon Tribune, 9 Décembre 2000, p 1.

[47] QUANTIN (P), “ L’institutionnalisation du politique : les leçons de la démocratisation et celles de la guerre ”, L’Afrique Politique, 2000, op. cit. supra, p 17.

[48] VAN de WALLE (N) et SMIDDY (K), op. cit. supra., p 43 ; JOSEPH (R), “ Africa, 1990-1997 : From Abertura to Closure ”, Journal of Democracy, 9(2), 1998, pp 3-17.

[49] Voir impérativement, LEHINGUE (P) et PUDAL (B), Jeu des analogies et analogies du jeu, AFSP, Rapport au IV è congrès, Paris, Sept 1992,, inédit, 19 p.

[50] Comme l’ont confirmé la plupart des interventions présentées lors du colloque dédié à la mémoire du Pr Georges NGANGO, premier agrégé des universités Françaises en science économique du Cameroun, les 26, 27 et 28 Février 2001 à Yaoundé.

[51] OSSENDE AFANA, assassiné en mars 1966, auteur de L’économie de l’Ouest-africain, perspectives de développement, publié à titre posthume aux éditions François Maspéro en 1996 ; TCHUINDJANG POUEMI (J), mort dans des conditions suspectes en 1983, auteur de Monnaie, servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique, publié aux éditions Jeune Afrique en 1979.

[52] Au sens de LAFAY (JD), c’est-à-dire “ (...) analyse des normes - de leur bien-fondé et de leur cohérence - qu’analyse de leurs conséquences pratiques compte tenu des contraintes positives de l’environnement ”, Ibid, p 231.

[53] HIRSCH (M), ‘’L’Etat et la société. L’Etat redistributeur’’, dans ‘’Les frontières de l’Etat. Economie et Société’’, Cahiers Français, n° 271, Mai-juin 1995, pp 27-34.

[54] DOBRY (M), Sociologie des crises politiques, PFNSP, 1992, 1ère ed.1986, p 13, 40, 140 et s.

[55] Par exemple, S. FOUDA, G. KOBOU, JP. KOMON, NTUDA EBODE tous de l’Université de Yaoundé II, ...Il est important de noter que si tous ces chercheurs ont soutenu leurs thèses dans des universités françaises, ils ont poursuivi leur parcours scientifique par des études post-doctorales plus ou moins longues (en moyenne deux ans) dans des universités américaines.

[56] ‘’Les nouvelles de HARARE’’, Compte-rendu du congrès de l’Association Africaine de Science Politique, Harare-AAPSA, Décembre 1995, p5.

[57] FRIEDMAN (M), A Theory of the Consumption Function, Princeton, Princeton University Press, 1957, cité par LEHINGUE (P), op. cit. supra., p 83.

[58] Hypothèse avancée notamment par G. KOBOU lors du pré-congrès de l’Association Africaine de Science Politique devant l’atelier consacré au thème ‘’Rethinking African Politics’’, Yaoundé, le 3 Mai 2000.

[59] LEHINGUE (P), op. cit. supra., p 84 ; BOUDON  (R), op. cit. supra., pp 217- 222 ; MERLE (P), op. cit. supra., pp 64-66.

[60] DUBET (F), La sociologie de l’expérience, Paris, Le Seuil, 1994.