LE SYSTEME DES PREFERENCES GENERALISEES :
ESQUISSE D'UN BILAN

 

par Jérôme BASSONG

Représentation Europe de l'Association
Banarière Camerounaise, Paris

 

L'idée du Groupe des 77 pays en voie de développement (PVD) qui, en 1964, demandent – sur l'initiative de l'Algérie et de la Chine Populaire – au travers de la proposition de Genève, la convocation d'une conférence internationale destinée à préparer un "nouvel ordre économique et monétaire mondial" était double : il s'agit de réduire le fossé des inégalités entre les pays riches et pauvres ainsi que d'impulser une dynamique de  développement économique général profitable à l'ensemble des pays de la planète. La CNUCED est née de cette initiative. Dès le début, la connotation idéologique de cette initiative est claire : le Groupe des 77 s'inscrit en rupture de la logique de confrontation des blocs est et ouest qui déchire la planète. Toutefois, la tonalité d'ensemble de la plate-forme commune est nettement progressiste. Cette initiative définit, au nom du droit au développement des PVD, des devoirs pour les pays riches et de larges dérogations aux règles de la circulation des marchandises et des capitaux profitables aux pays pauvres.

L'accueil que les pays occidentaux réservent à ce dispositif   est mitigé. Par la suite, les fortes pressions qu'ils exerceront sur de nombreux conduiront ces derniers à mesurer voire retirer leur soutien aux propositions du Groupe des 77. Les pays occidentaux ont redouté que la définition d'un cadre nouveau des échanges Nord-Sud n'aboutisse à la dilution de leur influence sur les organes et organisations du système des Nations Unies à caractère économique (desquels il convient d'exclure le FMI et la Banque mondiale où les droits de vote sont proportionnels à la part de capital détenu). Ces difficultés sont pour une large part à l'origine des blocages que le SPG a connus dans sa mise en œuvre.

LES ETAPES DE LA MISE EN PLACE DU SPG

1/. UNE INITIATIVE DE LA CNUCED ACCEPTEE PAR LE GATT

Après l'échec de la Proposition de Genève (1964), la Conférence de Delhi (1968) permettra malgré tout de recueillir l'unanimité de tous les membres de la CNUCED (le Groupe des 77) pour le développement d'un système de préférences généralisées sans réciprocité, ainsi que pour l'instauration de préférences mutuelles entre les PVD qui ne soient pas élargies aux pays développés.

La dérogation consentie par le GATT

a – La nature de cette dérogation

En 1971, le GATT (organisation au sein de laquelle l'égalité souveraine des états est la règle) consent une dérogation à la Clause de la Nation la plus favorisée (CNPF) pour une période de 10 ans[1], chaque fois renouvelée depuis lors. Nonobstant cela, l'établissement du SPG sera difficile du fait de cas fréquents de coexistence entre des préférences spéciales (dont certains PVD bénéficieront sur le marché de certains pays développés) et des préférences inverses (accordées par des PVD à certains pays développés).

b – La justification de cette dérogation

La justification des difficultés initiales que les pays occidentaux créeront naîtra de l'adoption d'un principe : chaque Etat membre se voit imposer l'obligation de marquer son accord préalable pour que les mesures arrêtées par la CNUCED puissent lui être appliquées. Last but not least, cela permettra de restreindre la portée de la règle de la majorité simple des votants pour l'adoption de textes au sein de la CNUCED.

D'où la relative neutralité dont le bloc occidental fera par la suite montre à l'égard de la CNUCED, d'autant que certains (la France et l'Italie notamment) estimeront que l'institutionnalisation et la pérennisation de la règle de la majorité simple des votants fournirait une tribune de laquelle les PVD pourraient exprimer leurs préoccupations sans risque majeur pour les intérêts des grandes puissances.

L'on considère généralement que le SPG a directement inspiré la philosophie de la première Convention de Lomé qui elle-même a considérablement élargi la portée des Accords de Yaoundé de 1961 en y introduisant de façon nette le principe des préférences tarifaires au profit des pays ACP. De ce point de vue, l'action de la CNUCED a été d'une certaine efficacité. De type bilatéral, les accords préférentiels ont certes ouvert la voie à des limitations du principe de la réciprocité des règles organisant les échanges économiques entre les états, mais cela visait un but louable : la réduction du déséquilibre dans les relations commerciales Nord-Sud.

La définition d'une stratégie propre à influer sur le fonctionnement des marchés mais un échec annoncé

La décision du GATT de 1971 traduit également la volonté de la CNUCED de peser non seulement sur le volet tarifaire des échanges entre les PVD et les pays riches, mais également celle de créer les outils d'une intervention directe sur les marchés de produits de base. Deux programmes seront créés à cet effet :

- Le Programme Global Intégré (PGI), macroéconomique et distinct des accords ponctuels doit permettre la définition d'une politique commune aux Etats membres de la CNUCED en vue de mener une initiative internationale appropriée, destinée à la conclusion ou au renouvellement des accords internationaux par produit. De prime abord, cette initiative sur les produits primaire devait se différencier des accords ponctuels par la définition de stratégies (principes, ligne directrice et objectifs) et un mode d'action sur des groupes de produits communs aux Etats membres de la CNUCED.  Cela, notamment par le recours à des moyens tels que la constitution de stocks régulateurs et la diffusion de techniques de production et de commercialisation propres à chaque produit. Malgré tout, ce programme n'aura pas eu l'impact prévu mais permettra la constitution d'organes de concertation internationaux spécialisés par produit de base (sucre, café, cacao, caoutchouc…) dont l'influence chacun son marché respectif sera très variable. Elément nouveau, certaines de ces organisations ont pris des initiatives qui ont réellement influé sur les cours internationaux du produit qu'elles administraient (cf. la politique d'amélioration de la qualité que l'Organisation Internationale du Café et du Cacao a menée dans les années 1995-1998).

- Le Programme Intégré Pour les Produits de Base institué en 1980 a permis la création d'un fonds commun pour la stabilisation du prix des matières premières doté d'un capital initial de 7 milliards de dollars destiné à financer la constitution de stocks régulateurs (Premier Guichet). Le Second Guichet de ce Fonds est dévolu aux études sur la commercialisation et la recherche-développement sur ces produits. Par l'accord de 1979 dont la ratification fut acquise en 1980, la CNUCED a proposé que le cas de 18 produits - dont la banane – représentant 75% des exportations des PVD hors pétrole soit envisagé au cours des négociations du Programme Global Intégré. Au final, la stratégie adoptée a permis la définition des 4 volets d'intervention suivants :

* La régulation du marché qui serait assurée au moyen de l'application d'une politique commune dans les domaines de la gestion des stocks et de la diversification des investissements
* La constitution d'un fonds commun destiné au financement de cette politique ;
* L'institution d'un financement compensatoire consacré à la stabilisation des recettes d'exportation en valeur réelle ;

. Le renforcement des pouvoirs des pays producteurs sur les marchés qui prendrait notamment la forme de prises de participation au capital des firmes multinationales.

2/. L'ECHEC DU SPG A LA FIN DES ANNEES 80

Des gains introuvables

Dès la signature des accords de mars 1979 sous l'égide de la CNUCED, leur mise en œuvre a paru difficile. Par la suite, le dispositif institué constituera un net recul par rapport aux propositions initiales certes amendées à la Conférence de Nairobi de 1976.

Ainsi, le capital initial du Programme Intégré pour les Produits de Base qui devait être de 1 ou 2 milliards de dollars sera ramené à 750 millions de dollars (dont 400 seront affectés au financement du mécanisme des stocks régulateurs).

Outre la faiblesse de la contribution financière des Etats, ce programme enregistrera également un grand retard dans sa mise en œuvre. Décidé en 1979 (période de bonne tenue des cours des matières premières, ce qui aurait du permettre la constitution de réserves financières abondantes), il ne sera pourtant rendu opérationnel qu'en 1989, soit après le basculement des marchés dans une crise sans précédent.

Les accords sur les produits n'entreront en application qu'en 1989 et ne vaudront du reste que pour la stabilisation des cours que du seul caoutchouc. Les accords sur le café et le cacao ont été suspendus avant leur entrée en application. Ils prévoyaient pourtant la constitution de réserves internationales, le contingentement des importations et des exportations, ainsi que des engagements sur l'achat des quantités précises dans une fourchette de prix préétablis.

Les accords sur les autres produits, notamment ceux sur les bois tropicaux (1983), le blé, l'huile d'olive et l'huile de table (1986), le jute et les articles en jute (1989) comporteront le tronc commun des clauses commerciales sur la promotion, l'organisation commerciale ainsi que la recherche-développement sur ces produits, sans toutefois prévoir de mécanisme de stabilisation de leur cours. De surcroît, le Fonds commun entré en fonctionnement en 1989 n'a jamais financé que des programmes de recherche. De façon générale, la mise en œuvre des accords sur les produits primaires a dès l'origine posé des difficultés considérables liées à l'instabilité des marchés mondiaux ainsi qu'à l'extrême dépendance des PVD à l'égard de leurs recettes d'exportation. Il convient de relever que la gestion de chacun de ces accords est assurée par un Conseil et un Secrétariat permanents généralement basés à Londres.

Le SPG, symbole de la faillite du projet de Nouvel Ordre Economique International

a – Les obstacles conceptuels

Dès sa naissance, la CNUCED s'est voulu le symbole et le maître d'œuvre d'une nouvelle architecture des échanges marchands internationaux destinée à tourner la page du néocolonialisme, cela par l'instillation d'une dose de volontarisme dans les rapports Nord-Sud. Toute l'action de la CNUCED sera tournée vers cet objectif. Nonobstant ce but noble, la très grande hétérogénéité des pays du Sud due au contraste de niveau de développement qui existent entre eux, les conflits internes sur le montant de la contribution financière de chaque état, et les controverses idéologiques ont considérablement fragilisé son projet de NOEI, contribuant à paralyser d'avance son principal levier d'action, le SPG.

Il convient pourtant de mentionner que le SPG a présenté des faiblesses congénitales qui fortement entravé son efficacité (ex. L'insuffisance des fonds de régulation des marchés, la faible emprise des Etats membres sur le fonctionnement des filières nationales de produits de base notamment). Ainsi, il n'a pu empêcher les pays occidentaux de déterminer la liste des produits auxquels un traitement préférentiel sera appliqué à l'entrée sur leur marché et de décider  de la durée d'applicabilité des avantages qui leur ont été conférés, tandis que la liberté de spéculer qui a continué de prévaloir n'a permis au SPG de n'intervenir avec une certaine efficacité que dans un  nombre limité de cas. En outre, la complexité des accords et leur caractère partiel ont empêché toute vue globale sur le fonctionnement du dispositif, d'autant que ses avantages perceptibles sont se sont noyés dans l'écheveau complexe des relations étroites qui lient les pays exportateurs aux firmes multinationales.

Enfin, le fonctionnement du système lui-même n'a guère incité les pays du Sud à réaliser les efforts nécessaires à la densification de leur tissu économique et partant de là n'a pas favorisé la diversification de leurs exportations. Il n'a qu'accentué l'extrême dépendance de l'économie de ces pays à l'égard de produits traditionnels dont les fondements ont fortement été ébranlés lors de la crise des marchés des années 1984-1994. Ce choc a donné le signal du déclin de la doctrine économique suscitée par la CNUCED.

b – La perte d'influence de la CNUCED

Jusqu'au début des années 90 et en développant l'idée de la nécessaire solidarité entre les ¨PVD, la CNUCED a souvent suscité la réticence des pays industrialisés qui n'ont pas voulu participer aux négociations. Bien qu'elle fût une institution à caractère économique, la principale force de la CNUCED était morale. Cela parce qu'elle a posé le problème essentiel du Nouvel Ordre Economique International, jusqu'alors sans cesse escamoté au sein des organisations internationales classiques. Elle a inscrit son action en rupture du libéralisme économique, toujours présenté comme constituant la panacée du développement économique. Le SPG institué pendant le Tokyo Round était d'ailleurs en contradiction avec la philosophie du GATT qui défendait implicitement la théorie du développement linéaire et de l'ordre libéral.

Lors de la Conférence de Carthagène (1982) destinée à jeter les bases d'un nouveau partenariat pour le développement, cela en vue de préparer l'avènement de la nouvelle organisation chargée de réguler les échanges internationaux qui s'annonçait en arrière plan du fait de l'enlisement des négociations de l'Uruguay Round, la CNUCED procède à un examen critique du dispositif qu'elle a instauré en vue de son adaptation à l'évolution du contexte international. Outre la nécessité d'inscrire même de façon formelle, le dialogue intergouvernemental  sur le développement dans un cadre multilatéral et celle de tenir compte des avancées en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme dans la définition des règles des échanges internationaux, la CNUCED a consacré la place fondamentale des lois du marché.

La CNUCED a de la sorte tourné la page du modèle alternatif qu'elle a longtemps promu via son projet de Nouvel Ordre International, renonçant de ce fait à toute idée de fusion avec le GATT comme cela avait été envisagé. Il convient de souligner que les pays du Tiers-Monde et les Etats anciennement socialistes avaient auparavant longtemps réclamé la fusion de la CNUCED et du GATT en une organisation unique, au sein de laquelle la règle de l'égalité souveraine des Etats (Un Etat, une voix) aurait été appliquée. Toutefois, la coexistence de ces deux organisations a progressivement conduit à la prééminence du GATT pourtant en crise, à la faveur de l'effondrement du bloc socialiste.

La mutation annoncée du contexte géopolitique international devait nécessairement passer par la mise en place d'un nouvel organisme multilatéral destiné à uniformiser les règles des échanges internationaux, donc à se substituer aux deux précédents. Cette évolution déjà bien entamée n'est pas sans conséquences sur d'autres systèmes d'avantages préférentiels dont les PVD bénéficient, parmi lesquels il conviendra d'analyser l'évolution de l'un des plus importants d'entre eux : le SPG de la coopération UE/ACP.

L'OMC ET LE SPG

1/. LE SPG, VICTIME DESIGNEE DU NOUVEAU DROIT DES ECHANGES INTERNATIONAUX

Le principe énoncé dans les Accords de Marrakech

a – Des dispositions explicites sur ce point

Avant la signature des Accords de Marrakech sur le commerce international et la création de l'OMC, l'on pouvait s'interroger sur la pérennité des préférences commerciales qui semblaient menacées de désuétude. En effet, l'OMC se proposait, pensait-on, d'imposer assez rapidement la règle de l'égalité de traitement dans les échanges internationaux, dûment renforcée par le caractère contraignant des décisions qu'elle aurait été amenée à prendre.

En fait, les Accords de Marrakech (signés le 15 avril 1994 et entrés en application le 1er février 1995) viendront lever toute équivoque. Par la "Décision concernant les Pays les Moins Avancés" annexée au corps des textes, les membres de l'OMC reconnaissent les besoins spécifiques des Pays les Moins Avancés dans le domaine de l'accès au marché, où le maintien d'un accès préférentiel demeure un moyen essentiel d'améliorer leurs possibilités commerciales. De plus, le texte prévoit que les PMA ne seront tenus de contracter des engagements et de faire des concessions que dans une mesure qui soit compatible avec les besoins du développement, les finances et les capacités commerciales de chacun d'entre eux ou avec leurs capacités administratives ou institutionnelles. Plus encore, les concessions liées à l'application de la Clause de la Nation la Plus Favorisée concernant les mesures tarifaires et non tarifaires convenues dans le cadre de l'Uruguay Round "pourront être mises en œuvre de manière autonome, à l'avance et sans échelonnement". Pourtant, la question du SPG est escamotée car la décision prévoit que l'on [étudie] d'améliorer encore le SPG et les autres schémas pour les produits dont l'exportation présente un intérêt particulier pour les ¨PMA". Cela revient à écarter, par des termes choisis, toute possibilité de dynamiser le SPG, de le rénover. Dans ce sens, le dernier alinéa de la décision est sans ambiguïté puisque les membres de l'OMC "s'engagent à conduire l'OMC à instaurer une plus grande cohérence dans l'élaboration des politiques économiques au niveau mondial".

Reconnaître n'étant pas agréer, l'on peut estimer que les signataires des accords sur la création de l'OMC se sont contentés de prendre acte de l'existence d'un système (le SPG) sans toutefois prendre l'engagement de contribuer à sa réhabilitation. De ce fait, la décision des membres de la future OMC concernant les échanges des PMA a assez nettement limité les contours de l'action de cet organisme. Dès lors, une seule option sera envisagée dans ce domaine : l'intégration, sans avantage particulier et au nom du libéralisme commercial désormais de mise, des PMA dans les grands courants commerciaux internationaux.

b – La justification de cette survivance : le soutien à apporter aux PMA

A l'évidence, les PMA constituent plus de la moitié des pays du Tiers-Monde. Guidés par l'idée de la différenciation censée être le moyen de permettre à ces pays d'accéder aux marchés occidentaux, la plupart des pays industrialisés semblent favorables au maintien d'un statut préférentiel ces PVD très vulnérables, qui pourrait notamment se concrétiser par la conclusion avec eux, de peu coûteux accords commerciaux non-réciproques, même si à long terme, ces arrangements étaient éliminés du fait du caractère temporaire des dérogations qui sont accordées par l'OMC pour tout dispositif préférentiel (10 ans).

La montée en puissance du phénomène régional (la régionalisation) a favorisé la création de blocs sous-continentaux plus ou moins homogènes qui ont permis aux PMA d'inscrire leurs projets de développement sur une échelle plus large. De ce fait, le soutien apporté aux PMA par l'intermédiaire des préférences commerciales est voué à disparaître au profit de schémas d'échanges élargis à des blocs régionaux. En somme, le libre-échange entre blocs régionaux est appelé à se substituer aux dispositifs de préférences bilatéraux et multilatéraux. Un libre-échange qui n'empêche pourtant pas l'octroi d'avantages tarifaires et non-tarifaires à un ou des blocs régionaux donnés. C'est ainsi que l'on peut aujourd'hui observer le glissement progressif  de la dévolution des préférences du cadre bilatéral vers les cadres sous-régional et régional.

L'apparition de points de blocage : la différenciation des ACP selon leur niveau de développement

De grandes divergences de vue opposent les tenants de la pérennisation de l'esprit du dispositif des préférences commerciales à ceux mus par l'idéal que constituent par certains le libre-échange régulé entre blocs régionaux.

a – Sur la classification des PVD

La classification des PVD correspond à la nécessité de déterminer le niveau des avantages préférentiels dont leurs produits bénéficient à l'entrée sur les marchés d'exportation en fonction de leur niveau de développement économique. Cette disposition vise principalement les pays de l'Asie du Sud-Est (Indonésie, Philippines, Malaisie) et quelques pays d'Afrique à l'avantage concurrentiel établi concernant certaines productions (Tunisie et Maroc pour le textile). En effet, pour certaines grandes puissances (France, Italie, Canada), il semble opportun que les écarts de compétitivité entre les pays même situés dans une sphère régionale identique puissent être compensés au profit du moins avancé d'entre eux. D'aucuns (la France et les pays scandinaves) ont même voulu aller plus loin introduisant un concept nouveau : celui de production stratégique pour un PMA (cas de la vanille pour les Comores, du sisal pour la Tanzanie, etc.), en prenant pour base le fait que le produit visé représente plus de 30% des exportations annuelles du pays concerné.

La controverse sur ces points est née de ce que pour la plupart des pays industrialisés, le partenariat pour le développement doit reposer sur des fondements présumés objectifs et basés sur les avancées effectives ou possibles des PVD dans un certain nombre de domaines (compétitivité de la production à l'export, qualité des produits, niveau de technicité de la production, contribution des filières de production au développement des PVD, etc.).

Pourtant, une observation des pratiques des pays industrialisés dans leurs rapports commerciaux avec les PVD permet de relever la part croissante que prennent les considérations d'ordre politique. Aux conditionnalités politiques à caractère traditionnel (respect des droits de l'homme et promotion de l'état de droit), s'agrègent désormais des critères nouveaux (volonté de réforme, lutte anti-corruption, promotion du développement écologiquement soutenable). Il est ainsi établi que les pays industrialisés souhaitent moduler leur contribution au développement en fonction des avancées réalisées, non par chacun des Etats mais par chaque bloc sous-régional, dans les domaines précités, ce qui contribue de leur part, combiné au jeu des affinités politiques, à  graduer leur participation aux programmes d'échange à base préférentielle, en proportion de leur intérêt à voir les ensembles économiques qu'ils auront choisis se concrétiser. Il convient de relever que ce phénomène est contemporain de l'intégration croissante de l'économie mondiale, liée à l'emprise toujours plus forte que les grandes entreprises multinationales exercent sur l'ensemble des circuits économiques de la planète et plus particulièrement des PVD.

Face au déclin marqué de l'investissement public des pays industrialisés dans les PVD, la survivance du SPG en l'état ou l'instauration d'autres modes de stimulation multilatéraux de la production dans les PVD ne peut se faire que pour le plus grand bénéfice des états du sud les mieux dotés, car les plus aptes – en théorie – à remplir les nouveaux critères des échanges économiques. Pour cette raison, la différenciation est en soi porteuse de graves risques de marginalisation pour les PMA.

A contrario, la prise en compte du niveau de développement économique des PVD pour l'octroi d'avantages préférentiels a permis d'exclure ceux dont la configuration du tissu économique s'apparente à la situation des pays occidentaux (cas de Hongkong, de la Corée du Sud, de Singapour, voire de la Malaisie). Cette discrimination positive a même été perçue par les décideurs occidentaux comme constituant un frein efficace aux délocalisations, car certains opérateurs économiques auraient sans doute  essayé de saisir l'opportunité de délocaliser leur production dans ces pays dont la compétitivité économique et technologique est solidement établie. Ainsi, leur ouvrir l'accès au SPG serait revenu à accroître indûment le potentiel de leurs économies, sans toutefois que des contreparties notamment en termes d'avancées sociales dans la production leur soient imposées.

b – L'obstacle rédhibitoire de la clause sociale

L'idée d'insérer une clause sociale dans le corpus des accords multilatéraux sur le commerce est apparue au cours des négociations de l'Uruguay Round et a ressurgi en 1995. En somme, il s'est agi d'imposer aux Etats parties à ces accords et plus particulièrement aux PVD en forte croissance, le respect des conventions internationales sur l'interdiction du travail des enfants, sur la limitation du recours à la main-d'œuvre carcérale et sur la protection de la santé du personnel salarié. Initiée par un groupe de travail ad hoc érigé au sein de l'OCDE, la clause sociale a eu pour inspirateurs les Etats-Unis et le Canada relayés par certains membres de l'Union Européenne (l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, l'Autriche et la Finlande). Ses promoteurs entendaient faire en sorte que le libre-échange promu par l'OMC ne serve pas d'alibi pour couvrir certaines pratiques de dumping basées sur les différences de conditions sociales dans la production.

Cette initiative a soulevé et continue de susciter de vives controverses, surtout entre les Etats membres de l'Union Européenne. Ainsi, le nouveau Système Généralisé des Préférences, adopté le 22 décembre 1994 par le Conseil de l'Union Européenne et élargi aux produits manufacturés, fait du respect de normes sociales minimales du travail l'une des conditions de validité de base de tout accord préférentiel. En réalité, l'Union Européenne veut éviter qu'aux avantages tarifaires préférentiels (tarifs douaniers préférentiels) consentis aux PVD avancés, pays à revenus intermédiaires ou pays moins avancés, se combine la possibilité pour eux d'exporter vers le Vieux Continent et sans restriction, leur production manufacturée grevée de faibles coûts salariaux, ce qui constituerait une concurrence déloyale dévastatrice pour les produits industriels européens.

La réaction des PVD à cette initiative est très vive. Certains d'entre eux (Bangladesh, Egypte, Inde, Indonésie, Vietnam, Iran, Malaisie, Pakistan, Singapour et Thaïlande) sont si actifs que l'examen de la clause sociale est sans cesse reporté depuis l'ajournement de la première tentative qui devait avoir lieu au Sommet des Etats membres de l'OMC qui a eu lieu à Bangkok en mars 1996. Leur argumentation est fondée sur le fait que l'industrialisation des pays développés au cours du XIXème  a largement reposé sur l'exploitation du travail des enfants et des femmes, sans aucune protection sociale.

Pourtant de timides avancées vers un compromis acceptable pour tous sont en cours, ce qui signifie que l'application des dispositions initiales est inenvisageable. Ainsi en 1996, le Pakistan, l'Inde, et les Philippines ont ratifié la Convention Internationale sur le Travail Forcé, tandis que la Mauritanie l'a fait en 1997 pour la Convention Internationale sur l'Abolition du Trafic des Etres Humains. Dans le même sens, de très nombreux PVD modifient leur législation nationale afin de la mettre en conformité avec les textes internationaux précités, mouvement qui pourrait également s'expliquer par les pressions que les organisations spécialisées du système onusien (BIT, OMS, PNUD) et les bailleurs de fonds multilatéraux (FMI, Banque Mondiale) leur imposent dans ce sens. Pourtant, le statu quo sur le reste des exigences de la clause sociale a toutes les chances de se prolonger car l'OMC refuse explicitement d'ouvrir ce débat, au nom – étrange paradoxe – de la nécessité de garantir les échanges internationaux. Comme exemple de ce refus, il convient de mentionner la Déclaration du Conseil des Marchandises de l'OMC de 1997 (votée à la majorité absolue des Etats y siégeant), par laquelle l'OMC a réaffirmé son rejet de l'utilisation des normes sociales à des fins protectionnistes et a soutenu qu'aucun des avantages comparatifs des pays concernés ne doit être remis en cause. La volonté de la majorité des Etats membres de l'OMC de contrer la clause sociale est si forte que le fondement juridique de cette décision peut être considéré comme minimal : elle repose en effet sur l'article XX du GATT 1947 qui n'est qu'une pétition de principes d'ordre social et au caractère non contraignant.

L'évolution du cadre contractuel des échanges UE/ACP constitue une illustration pertinent du cheminement du SPG dans le contexte international contemporain, motif pour lequel il convient de se pencher ici sur les conditions de sa réforme. La Convention de Lomé IV est arrivée à expiration le 29 février 2000 et a été remplacée par un nouveau texte qui marque le passage d'un système relations économiques multilatérales préférentielles basées sur la coopération entre deux ensembles économiques liés par l'histoire, à un mécanisme de partenariat destiné à adapter cet espace économique aux exigences contemporaines du droit du commerce international et aux défis du siècle qui s'ouvre. Il convient de revenir sur les différentes positions que les Etats parties à ces négociations ont adoptées, afin de bien appréhender les motifs du durcissement des intransigeances du partenaire européen sur les nouvelles règles à adopter en matière de préférences commerciales.

2/. LE RAIDISSEMENT DES POSITIONS : LE NOUVEAU PARTENARIAT UE/ACP

 Le constat de l'accentuation des divergences de vue sur les défunts Accords de Lomé

 a – Des désaccords sur la nature des Accords de Lomé

La Convention de Lomé a instauré un type de préférences commerciales de nature singulière quoiqu'elle ait constitué le premier mécanisme préférentiel à avoir été opérationnel (voir ci-dessus le point IA1b). En effet, elle se distinguait du SPG de la CNUCED outre par son antériorité (la 1ère Convention UE/ACP dite de Yaoundé date de 1961 tandis que le SPG de la CNUCED fut décidé en 1968), par une série d'éléments spécifiques qui lui conféraient une nature atypique. Ces éléments étaient les suivants :

- La Convention de Lomé était un engagement d'ordre économique, un lien contractuel soumis de façon croissante à des exigences d'ordre politique. Contrairement aux Accords de la CNUCED, elle a défini le dialogue global (politique, économique, commercial, social et technique) entre les partenaires et instauré des obligations mutuelles aux parties signataires dans les domaines précités. En fait, le respect des règles énoncées par la Convention en matière de respect des Droits de l'Homme, des principes de l'Etat de Droit et de bonne inséré à son article 5 lors du sommet de Maurice en 1989 a dès lors constitué une condition impérative de sa mise en œuvre.

- Allant au-delà des textes de la CNUCED, la Convention de Lomé a visé la préservation des liens traditionnels ayant toujours existé entre les Etats ACP et leurs partenaires commerciaux européens, cela dans la quête de la croissance économique des pays du Sud. Il s'agit de ce fait d'un accord paritaire de développement qui trouve sa justification dans la volonté des signataires de préserver les liens historiques les unissant. La tonalité de ces accords est d'inspiration libérale contrairement au progressisme auquel se rattache la plate-forme de la CNUCED, en ce sens que leur mise en œuvre ne vise pas le contournement des règles du marché, mais l'atténuation de leurs effets négatifs par la mise en place de mesures de soutien via le Stabex et le Sysmin au profit des pays ACP exportateurs de certaines matières premières et produits de base (Minerais et produits agricoles essentiellement) afin de leur garantir un seuil de revenus suffisant, qui soit indépendant des fluctuations du marché (dimension défensive). A titre complémentaire, ces accords comportent également un volet offensif, qui consiste en l'octroi de financements structurels par l'Union Européenne destinés à améliorer la compétitivité des filières de production ACP.

- Tertio, la Convention de Lomé va au-delà de la simple logique de promotion des exportations des produits de base originaires des PMA. Certes, elle prévoit des dispositifs de compensation des pertes de recette dédiés aux pays ACP, mais ceux-ci ne sont que l'un des volets de son action. Le développement des infrastructures économiques au sens large (routes, ponts, ports, etc.) est l'un des autres objectifs éminents qu'elle vise.

- Quater, la Convention de Lomé est circonscrite dans un espace géographique précis : les zones Afrique subsaharienne, Caraïbes et Pacifique. Elle apparaît de facto comme un accord de coopération interrégional et n'a pas la vocation universelle des Accords de la CNUCED. Mieux, parce qu'elle est porteuse d'une logique d'intégration sous-jacente, elle est de nature à s'inscrire en concurrente des dispositifs préférentiels à vocation universelle.

- Concernant leur "efficacité" respective pour le développement du Sud, les préférences commerciales de la Convention de Lomé ont, au-delà des polémiques sur ce point, été déterminantes pour l'économie des ACP. Cela parce que les avantages tirés de sa mise en œuvre ont constitué un effet d'aubaine qui a motivé les investisseurs à s'implanter ou renforcer leurs activités dans certains ACP souvent ultra périphériques, dans la perspective dans la perspective de disposer d'un accès facilité au marché européen. L'autre SPG de l'Union Européenne, celui que le Conseil a institué en 1994 et qui est destiné aux pays liés à l'Europe communautaire par un accord de libre-échange n'a en soi eu qu'un effet très modeste sur les décisions d'investissement[2]. Cela s'explique par son caractère non-contraignant et par conséquent, par la possibilité pour l'Union Européenne de supprimer unilatéralement les privilèges d'accès à leur marché[3].

b – L'attachement des pays ACP au SPG de Lomé[4]

Pour les pays ACP, l'Union Européenne demeure un marché stratégique. Il est indéniable que cette situation se justifie très largement par les positions commerciales que ces pays détiennent et ont toujours bénéficié dans l'approvisionnement du marché communautaire en produits de base, atout auquel se combinent les préférences  commerciales et les arrangements qui leur ont été jusqu'à peu consentis au travers du Stabex et du Sysmin. En contrepartie, leurs importations sur leur territoire national, en provenance de l'Union Européenne ne bénéficiaient d'aucune priorité, ce qui était propre à éviter toute concurrence ruineuse pour leur propre production.[5]

Au rang de leurs inconvénients pour les ACP, il convient de relever que les préférences commerciales sont loin de favoriser la promotion de techniques de production propres à générer des gains de productivité optimaux. Cela, parce que les activités créées sont logées dans des niches de marché qui constituent autant de situations de rente pour les producteurs européens établis dans les pays ACP. Loin partager l'optimisme affiché par certains opérateurs économiques de la zone Pacifique[6], nous pensons qu'à l'exception du cas de certains pays[7], le dispositif de Lomé a peu pesé sur la situation globale des principaux produits de base ACP (produits agricoles et miniers) et est demeuré sans réel effet sur la situation d'ensemble des pays producteurs, car il n'a pas apporté de solution réellement satisfaisante aux problèmes lancinants que sont la forte détérioration des termes de l'échange et l'extrême dépendance des économies ACP à l'égard d'une palette relativement limitée de produits d'exportation.

Face à de telles réserves, il est légitime de s'interroger sur le bien-fondé de l'attachement des pays ACP au système Lomé.  A cet égard, il convient de souligner qu'en dépit de ses inconvénients, ce système présente tout de même l'avantage d'avoir amélioré leurs avantages concurrentiels, ce qui a pesé sur la décision de bien des investisseurs d'y demeurer actifs voire de s'y implanter. En effet, les reversements du Stabex et du Sysmin même s'ils étaient insuffisants en volume, présentent l'avantage d'avoir compensé la faiblesse des investissements publics et privés dans les ACP et ont longtemps complété l'action des caisses de stabilisation nationales principalement au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Togo de façon idéale, y tenant lieu de la sorte, de principaux financiers du monde rural. D'un point de vue différent, l'autre atout de la Convention de Lomé est tiré de ce qu'elle fonctionne suivant la règle de la programmation de ses instruments financiers, de la prévisibilité des ressources financières qui sont affectées à son fonctionnement, en somme. Les crédits d'intervention font l'objet de prévisions pluriannuelles et sont prévisibles sur un moyen long terme. Sauf aléas d'ordre politique à ne pas exclure, ils garantissent de ce fait un niveau de revenu quai mécanique à des états qui se voient ainsi en partie déchargés du financement de leur développement, même si, risque pernicieux, cela contribue créer le risque non négligeable d'une excentration des pôles de décision de leur vie nationale. Pourtant, au-delà de l'existence d'incertitudes liées au recours à un mode de calcul des droits à transfert complexe et à une procédure de correction de ces droits qui laissent trop de place à la négociation et aux rapports de force (Pourrait-il en être autrement ?), certains états tirent un avantage précieux de ce système. Ce sont ceux qui ont su s'adapter à la nouvelle donne de la diplomatie économique qui implique le recours à des canaux de représentation de leurs intérêts économiques que l'on pourrait qualifier de modernes[8] (experts techniques mandatés, conseils en lobbying et marketing économique, etc.), dont il convient de souligner la contribution croissante dans l'élaboration et la mise en œuvre de ce qui constitue le socle de l'action de l'UE à destination des pays ACP : l'élaboration des Programmes Indicatifs Nationaux (PIN).

L'on est en droit d'affirmer que l'adhésion du Groupe ACP s'est manifestée dans la cohésion relative dont ses membres ont fait preuve[9] dans la phase ultime de l'élaboration du mandat de mandat de négociation adopté le 30 septembre 1998, situation d'autant plus singulière que des lignes de fracture béantes divisait les Etats membres, notamment au sujet du dossier de la banane ACP[10]. Toutefois, l'on peut déplorer que les ACP ne soient pas parvenus à infléchir de façon suffisante le cours des négociations. Leur propre mandat a sans doute manqué d'audace car trop influencé par le Livre Vert de l'Union Européenne. De la sorte, les négociations n'ont en soi réellement porté que sur les aménagements à apporter aux propositions communautaires.

c – De l'hétérogénéité des positions des Etats membres de l'UE à la difficile élaboration d'un compromis en son sein

Sous, la Convention de Lomé IV, les dispositions relatives à l'accès au marché européen ne prévoyaient pas d'obligation de réciprocité : les pays ACP n'étaient pas dans l'obligation de libérer l'accès à leur marché national en faveur des produits originaires de l'Union européenne. Le nouvel Accord de partenariat impose la règle de la réciprocité. En cela il est conforme à la réglementation de l'OMC qui n'avait accordée de waiver (dérogation) applicable à la Convention de Lomé, que jusqu'au mois de février 2000. En effet, l'OMC considère que les accords préférentiels non réciproque sont contraires à ses règles et constituent une entrave au véritable libre-échange.

            Il va de soit que la remise en cause du principe de non-réciprocité dans le cadre juridique des échanges UE/ACP ôte sa portée originelle à la coopération entre ces deux zones, la vide en quelque sorte de son sens premier. Cette évolution résulte également de la volonté des partenaires européens, lesquels sont laborieusement parvenus à un consensus sur ce point, et qui ont souhaité au final souhaité voir disparaître ce qu'ils ont jugé être la survivance d'un passé désormais révolu.

            La phase des négociations la plus ardue a été l'élaboration du mandat de chacun des groupes. Avant la négociation de l'accord de partenariat  que des comités ad hoc ont menée pour le compte respectif des deux groupes sur la base de mandats exprès, la controverse sur le sort à réserver à la coopération UE/ACP a été si nourrie surtout au sein de l'UE qu'il semble éminemment opportun de faire le point sur les positions que les différents Etats  européens ont alors adopté lors des différentes réunions préparatoires du Conseil Européen :

- Le Royaume-Uni, leader du Commonwealth et à ce titre très sensible aux intérêts de ses anciennes colonies, se montrait très attaché au maintien des protocoles sur les produits agricole (sucre, banane, rhum). Cet Etat a invoqué les obligations historiques auxquelles l'Union Européenne était tenue à l'égard des ACP par le biais de ces protocoles tout en affirmant la nécessité de se conformer aux règles définies par l'OMC et auxquelles le nouveau partenariat devait être soumis. Toutefois, Londres prévoyait que cette mise en conformité prévoit nécessairement une période transitoire en vue de cette adaptation courre jusqu'en 2005 afin que les économies des ACP aient le temps de s'adapter à la nouvelle donne.  Pour le Royaume-Uni, la nouvelle convention devait impérativement comporter des arrangements nouveaux destinés à se substituer aux protocoles, qui devaient coïncider avec les obligations imposées par l'OMC, tout en contenant des clauses d'accès au marché aussi généreuses que possible.

- Les Pays-Bas décrivaient l'avenir de ces protocoles comme "intenable", tout en étant favorables à des arrangements transitoires devant faciliter leur élimination. De plus, le nouvel accord de partenariat devait autant que possible "éviter les dérogations".

- L'Allemagne doutait que des dérogations soient accordées, dans la mesure où elles auraient impliqué des pratiques discriminatoires contre d'autres PVD.

- Pour l'Autriche, le maintien des accords préférentiels n'était pas souhaitable car ils étaient de nature à favoriser la prolongation des anciennes relations coloniales.

- La France et le Portugal étaient nettement plus optimistes quant à l'obtention de telles dérogations. Pour le Portugal, l'OMC ne pouvait pas refuser de faveur spéciale à 71 pays, compte tenu des coûts politiques que cela n'aurait pas manqué d'impliquer.

- La Belgique estimait qu'il convenait de solliciter des dérogations même si les chances de leur obtention étaient incertaines, cela parce qu'elle était favorable au maintien, à un certain degré, du système de préférences commerciales..

- L'Italie proposait de soumettre une requête à l'OMC, non sous la forme d'une demande de faveur commerciale, mais sous celle d'une "proposition négociée au sein de l'UE destinée à présenter les besoins spécifiques des Etats ACP les moins développés en matière de commerce et de finances dans le cadre du système multilatéral". Rome estimait que "les pays ACP avaient besoin de toute une gamme de programmes de renforcement de leurs capacités, destinés à favoriser leur intégration dans l'économie mondiale".

- Enfin, la Finlande ne faisait pas grand cas du sort qui aurait été réservé à une demande de dérogation à l'OMC. Elle souhaitait l'instauration d'un traitement spécial pour tous les pays les moins développés et pas seulement ceux du Groupe ACP.

 Au final et après le lent rapprochement des points de vue, lors de la Réunion du Conseil Européen de Luxembourg du 24 novembre 1997, les membres de l'Union Européenne conviendront de l'instauration d'une différenciation claire entre les ACP selon leur niveau de développement sur les bases suivantes, car elle était jugée nécessaire, quoique certains désaccords aient persisté entre eux :

- Les pays ACP les plus développés[11] parties au futur accord de partenariat devaient dans un premier temps (dans les 5 années suivant la ratification et avant la fin de l'année 2007) conclure des unions douanières et économiques dans leur sous-région. Par la suite et après un période de consolidation de 12 ans (années 2008-2019), ces unions économiques sous-régionales concluraient des accords de libre-échange avec l'Union Européenne, sous le régime du SPG de 1994, éventuellement aménagé. Pourtant, la France, le Portugal et l'Italie  refuseront cette initiative, mais avec des nuances. Lors de cette réunion, l'Italie faisait valoir que les pays ACP les plus développés devaient directement s'orienter vers la conformité avec les règles de l'OMC, tandis que la France misait sur l'instauration à moyen terme (5 à 10 ans) de zones de libre échange avec ces pays, dispositif qui se serait combiné avec une suppression progressive des préférences commerciales.

- La plupart des Etats membres de l'UE se montreront favorables à l'établissement d'une sorte de statut de partenaire préférentiel au profit des pays ACP les moins avancés, cela en raison de leur vulnérabilité. Dans cette optique, les accords commerciaux non réciproques avec les PMA seraient conservés, ce qui doterait ces pays d'outils efficaces pour la diversification de leurs économies. A long terme (soit de 2010-2015), ces préférences seraient démantelées. A titre d'observation, nous devons souligner que la mise en œuvre d'un tel système n'aurait pas manqué de poser le problème de l'octroi de dérogations par l'OMC.

Les choix que le Conseil fera finalement proviendront du difficile travail de synthèse que la Commission Européenne s'est efforcée de réaliser au travers de son Livre Vert du 20 novembre 1996, dont l'argumentaire s'est largement imposé comme base de l'élaboration du mandat de négociation qui lui a été assigné par le Conseil le 29 juin 1998 à Luxembourg sous la présidence britannique. Il a défini les points suivants :

- Premièrement, une distinction très nette a été établie dans ce mandat de négociation entre les 48 Etats ACP les plus avancés et aptes à participer aux zones de libre-échange avec l'aide de l'UE d'une part, et les autres Etats (les PMA) qui en sont incapables. Selon le mandat de négociation, le premier groupe se verra accorder la possibilité d'exporter vers l'UE et ce jusqu'en 2008, la quasi-totalité de ses productions industrielle, agricole et minière au taux zéro. Au-delà, ces échanges devront être régulés par des accords de libre-échange que l'UE conclura avec les ensembles régionaux auxquels ces pays appartiendraient. Quant aux PMA, ils conserveront les mêmes avantages que sous Lomé IV.

- Deusio, le contenu des protocoles de Lomé (sur le sucre, la banane, la viande ovine et le rhum) ne susciteront pas les dissensions que l'on redoutait au sein du Conseil Européen, cela grâce à l'introduction d'une clause de visant leur révision de façon à satisfaire les exigences de l'OMC. Mais le mandat de négociation a prévu que les protocoles seraient supprimés et remplacés par des déclarations applicables jusqu'au 31 Décembre 2007, sans modification fondamentale des règles d'accès au marché issues des protocoles. Puis, en 2008, les déclarations et la convention  seront réexaminés. C'est uniquement à l'occasion de ce réexamen que les arrangements seront supprimées et remplacées par des dispositions définitives. Si nécessaire, l'UE  envisage d'accorder un financement spécial pour la période de transition.

- Enfin, l'exigence d'une amélioration de la programmation des instruments financiers de la future convention est nette. Celle-ci devait de surcroît prévoir des procédures plus simples et transparentes en matière de gestion des financements  tout en excluant la reconduction des mécanismes de stabilisation des recettes que constituaient le Stabex et le Sysmin.

L'analyse des controverses auxquelles l'élaboration de l'Accord de Partenariat UE/ACP dont la signature est survenue le 18 juin 2000 lors du sommet de Cotonou a donné lieu, permet de mesurer l'attachement du partenaire européen à la notion de différenciation. Mais les péripéties qui ont entouré l'élaboration d'un consensus sur son contenu réel mérite d'être étudiées. Aussi semble t'il opportun de fournir une grille explicative du nouveau texte.

Quel contenu pour le nouvel accord de partenariat ?

La simplification des instruments financiers[12] de la Convention que le mandat de négociation assigné par le Conseil à la Commission prévoyait était annonciatrice de la perte de substance des mécanismes de stabilisation des prix et d'amélioration de la compétitivité des filières de production ACP. Cette évolution était liée à la diminution annoncée des ressources que l'UE affectait au financement des fonds de compensation Stabex et Sysmin, qui ont fait l'objet de vives critiques au sein de l'UE.

Pour les produits soumis à protocole, il était clair qu'une telle évolution n'aboutirait pas dans l'immédiat à la remise en cause des avantages préférentiels dont ils bénéficiaient jusqu'alors à l'entrée des marchés européens. Des arrangements transitoires se sont finalement substitués aux protocoles afin de permettre l'octroi des dérogations requises par l'OMC. De fait, l'ensemble de la politique commerciale a fait l'objet de réaménagements opérés dans la quête d'une intégration régionale accrue, même si l'on peut toujours s'interroger sur la viabilité de ce schéma dans des ensembles régionaux où la complémentarité des économies nationales demeure l'exception.

a – Sur le volet commercial en général : la régionalisation comme étape obligée vers la réciprocité des préférences

L'un des grands reproches que l'on formule à l'égard de la coopération EU/ACP est qu'elle n'a que très partiellement contribué à l'accroissement de l'activité commerciale des pays ACP. C'est la raison pour laquelle l'Accord de Cotonou se doit de remédier à cet état de fait, par la voie de la promotion de l'intégration économique. Durant les négociations, les positions se sont longtemps focalisées sur deux alternatives : supprimer le volet commercial de la Convention de Lomé ou adopter des politiques spécifiques et spécifiées selon le niveau de développement économique des pays ACP. La première voie présentait l'avantage de la compatibilité immédiate avec les règles de l'OMC quoique par son biais, le régime appliqué aux pays ACP aurait été aligné sur le droit commun européen des préférences accordées aux pays pauvres extra ACP. La seconde méthode impliquait la réciprocité des règles des échanges entre les pays ACP et ceux de l'UE tout en établissant une différenciation entre les membres du Groupe ACP.

Les négociateurs de l'Accord de Cotonou ont finalement opté pour la seconde approche. Le schéma approuvé prévoit une évolution en deux étapes :

- Le texte de Cotonou affirme en substance qu'il revient aux pays ACP et dans un délai de 8 ans suivant l'entrée en vigueur de la Convention, de décider d'engager des accords d'intégration économiques sous-régionaux, sur la base d'objectifs politiques (promotion de l'état de droit, du respect des droits de l'homme, et des règles de la bonne gouvernance), économiques (promotion du développement économique, de la diversification de la production, de l'initiative privée et de la compétitivité) et sociaux (lutte contre la pauvreté, respect des normes internationales du travail, amélioration de la couverture sanitaire des populations) qui leur seront communs. Ces accords régionaux prévoiront des organes d'intégration supranationaux (Cour de justice, Parlement, Commission Exécutive, Cour des Comptes, etc.) qui seront chargés de mettre sur pieds les outils du libre-échange intra-régional (suppression des barrières tarifaires et non-tarifaires, application de la libre circulation des personnes et des biens, etc.).

- Après 2007, ces ensembles sous-régionaux pourraient négocier des APER (Accords de Partenariat Economique Régionaux), pour les  4 zones de l'Afrique subsaharienne, et un  ALE (Accord de Libre Echange du type du SPG de 1994 de l'UE), pour les Caraïbes, avec l'Union Européenne. Dans la classification de l'Union européenne, les APER ont pour spécificité d'impliquer l'instauration préalable d'accords de libre échange au niveau sous-régional comme première étape idéale vers une libéralisation multilatérale des échanges. Pour ce qui concerne l'Accord de Cotonou,  le choix des APER est destiné à permettre aux pays africains les plus pauvres de continuer à bénéficier d'une partie de leurs préférences commerciales non réciproques.

On est en droit de s'interroger sur la viabilité de ce schéma. En effet, le délai de 12 ans dévolu à la négociation et à l'application des accords d'intégration économique régionaux paraît insuffisant, cela si l'on considère qu'il a fallu plus de 30 ans à la construction Européenne pour parvenir à ce stade et que les économies des Etats ACP sont très peu complémentaires. Par ailleurs, il convient de souligner que la difficulté de cette tâche se trouvera accrue par la faiblesse des moyens d'appui institutionnel dont les gouvernements des pays ACP disposent en vue de ces négociations. Raison pour laquelle l'Union Européenne devra effectivement concrétiser les engagements qu'elle a pris à Cotonou d'apporter son soutien matériel et humain à ses partenaires. En effet, de par son histoire et son savoir-faire en matière d'intégration régionale, l'Union européenne dispose d'un avantage évident pour la concrétisation de l'idée d'intégration régionale.

b – Les aménagements apportés pour atténuer les effets de la sortie du système des protocoles-produits

Dans sa "Communication au Conseil et au Parlement Européen" du 29 octobre 1997 (ayant défini les orientations en vue de la renégociation de la Convention de Lomé), la Commission a précisé que les préférences accordées dans le cadre des protocoles (sur la banane, le sucre, la viande bovine et le rhum) ne pourraient être maintenues pour les PMA que si elles étaient couvertes par une dérogation accordée sur la base de l'article 9 de l'Accord sur l'OMC. Cela suppose une dérogation pour les pays qui auraient bénéficié du SPG. Enfin, les bénéfices procurés pourraient être préservés pleinement ou partiellement en les intégrant dans une forme appropriée de nouveaux accords, pour les pays qui se seraient engagés dans des accords de coopération économique avec l'UE.

En réalité, ces propositions n'étaient pas nouvelles. Le ministre britannique des Affaires Etrangères, s'exprimant à l'issue du Conseil Européen du 29 Juin 1998 que son pays présidait, a repris à son compte cette approche différenciée ACP avancés / PMA et précisé qu'elle constituait le socle de la négociation UE / ACP en matière de protocoles.[13]

Ainsi, les dispositions que le texte de Cotonou comporte constituent en réalité ce que l'on peut appeler "des accords sur l'accord" dans la mesure où concernant les produits précédemment soumis à protocole, les ACP ont obtenu le maintien des avantages de Lomé pour une longue période de 20 ans, subdivisée en une phase I de 8 ans (2000-2007), pour laquelle l'octroi d'une dérogation de l'OMC est impérative mais constitue une entreprise non dénuée de risques[14], et une phase II de 12 ans (2008-2019). De la sorte, les négociateurs ont choisi d'opérer une mutation certes radicale des règles d'accès des produits ACP au marché communautaire, mais en l'étalant sur une période relativement longue. Les autres grandes dispositions du volet commercial sur les produits listés sont les suivantes :

- Le Protocole sur le Rhum a été supprimé suite la décision unilatérale de l'UE de supprimer les droits de douane frappant ce produit. Toutefois, les exemptions ne porteront que sur la période 2000-2007. Au-delà, la levée de cet avantage préférentiel devra s'échelonner sur une période transitoire d'une durée de 12 ans (2008-2019) pendant laquelle une taxation adaptée, assortie d'aides à l'amélioration de la compétitivité, sera appliquée. Le Groupe ACP en tête duquel les Etats des Caraïbes ont été très actifs, s'est peu mobilisé sur ce dossier, en raison de la prévalence d'une forme de donnant-donnant  tacite avec l'UE concernant la question de la banane ACP.

- Le Protocole sur la Viande Bovine ne posait pas de problème particulier quant à sa mise en conformité avec les règles de l'OMC. L'arrangement qui lui est substitué dans l'attente de la définition d'un nouveau régime commercial qui sera effectuée après 2007 est aligné sur le régime de l'ancien Protocole. Au-delà, des négociations portant sur le contenu à donner à la phase II du partenariat de Cotonou auront lieu. Elles  envisageront les modalités et le volume des aides à l'amélioration de la compétitivité qui seront ouvertes aux producteurs.

- Le Protocole sur le Sucre constituait un accord de type particulier : c'était un accord consommateur / fournisseur portant sur des quantités fixes (tandis que les autres protocoles définissent simplement les règles préférentielles applicables aux importations des pays ACP producteurs de banane, de rhum et de viande bovine). Cette nature singulière est la cause des divergences d'interprétation de ses clauses qui ont longtemps opposé l'UE aux pays ACP. Ainsi, alors que l'UE préconisait son "renouvellement mais comme un accord séparé, distinct de l'accord global sur la coopération", le Groupe ACP a soutenu lui, le maintien du statu quo. De surcroît, l'UE souhaitait inclure ce texte dans le panier des demandes de dérogation à soumettre à l'OMC. Sur ce point, les ACP ont répondu que cet accord "reconnu par toutes les parties concernées", ne devait pas faire l'objet d'une révision dans le cadre de la négociation de l'accord destiné à succéder à Lomé IV. La solution élaborée n'est que transitoire. Le texte inséré dans l'Accord de Partenariat UE/ACP n'est qu'une pétition de principes à caractère général. Le règlement de ce dossier – éminemment politique – dépend fortement de l'issue qui sera trouvée à l'imbroglio que constitue le dossier banane. Pour l'instant, les producteurs de sucre ACP se sont vus octroyer des compensations financières afin qu'il soit "tenu compte des effets de la politique restrictive que l'UE [applique] en matière de prix du sucre" et le Protocole sur le Sucre a été supprimé. L'Arrangement sur le sucre originaire des Etats ACP lui est désormais substitué et s'appliquera suivant les mêmes modalités que celui sur la viande bovine (période transitoire de 8 + 12 ans, la phase II de 12 ans sera assortie d'aides à l'amélioration de la compétitivité destinées à préparer la suppression du régime préférentiel).

- La détermination de l'Arrangement sur la Banane est l'une des questions les plus ardues que les négociateurs aient eu à résoudre, tant les positions des différentes parties à la négociation ont été difficiles à concilier. L'arrangement convenu  est certes adapté aux prescriptions que l'OMC a énoncées dans sa décision du 6 avril 1999 relative au régime d'approvisionnement du marché européen de la banane. [Pour mémoire, l'OMC a demandé que  la suppression des contingents tarifaires ACP soit effective à l'issue de la période dérogatoire qui s'est achevée le 29 février 2000, ainsi que plus globalement, l'abrogation du droit d'accès préférentiel qui est accordé aux bananes ACP sur le marché européen]. Ainsi, le nouveau texte ne comporte aucune mention aux "avantages" dont les producteurs ACP jouissent sur le marché communautaire. Seul leur rôle de historique de fournisseurs du marché européen est mis en exergue, de même que le droit à l'accès au marché dont ils jouissent à ce titre. L'importance de la production bananière pour le développement économique et social des pays producteurs est rappelé, tandis que toute référence à des quantités garanties à l'importation en UE disparaît. L'Arrangement prévoit en outre le versement d'aides à la compétitivité au profit des producteurs ACP pendant une période transitoire de 8 ans (2000-2008) destinées à permettre à ces pays de réduire leurs coûts de production et à améliorer la qualité de leur produits Ultérieurement,  des négociations UE/ACP conviendront des règles qui seront applicables au–delà de 2008, qui tiendront nécessairement compte des préconisations que l'OMC aura faites pour le règlement définitif du contentieux opposant les Etats-Unis à l'Union Européenne.

c – Sur le Stabex et le Sysmin

En signant l'Accord de Cotonou le 18 juin 2000, les partenaires UE et ACP ont entériné la suppression des deux instruments financiers que sont le Stabex et le Sysmin qui ne seront pas été remplacés. Il convient de préciser que les points de vue défavorables se sont focalisés sur ces deux fonds de compensation pour un double motif :

- Pour la quasi-totalité des membres de l'UE, le Stabex et le Sysmin n'ont pas été à la hauteur de leurs promesses. Ils n'ont pas contribué à améliorer la compétitivité des filières qui y étaient éligibles, ni favorisé la diversification des exportations des ACP bénéficiaires de leurs financements. De surcroît, l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et l'Italie estiment que leur accès est resté limité à une poignée de pays, donc de producteurs parmi lesquels nombre de multinationales occidentales. L'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Autriche ont résolument milité pour la suppression immédiate de ces fonds. La Suède a proposé de le remplacer par une politique réellement à même de contribuer à la diversification des économies des pays ACP. L'Italie a porté un jugement négatif sur leur action sans pour autant plaider pour leur remplacement. La France a appelé à la préservation des deux instruments nonobstant la faiblesse de leurs résultats[15]. La Belgique s'est prononcée pour leur transformation en outils d'intervention macroéconomiques : le Sysmin serait ainsi devenu un instrument de restructuration du secteur minier dans les ACP. Le Portugal s'est montré favorable au maintien du Stabex et du Sysmin, mais sous la forme d'instruments programmables intégrés dans le pilier des relations UE/ACP que sont les Programmes Indicatifs Nationaux (PIN).

- La position que le Groupe ACP a exprimée dans son mandat de négociation est moins négative. Nonobstant leurs insuffisances, le Stabex et le Sysmin constituaient des instruments indispensables de la coopération UE/ACP. Si pour eux le Stabex a eu un effet "très positif"[16] sur les économies des pays ACP, son "fonctionnement [pouvait] être amélioré". Quant au Sysmin, il a produit des "résultats positifs dans les Etats ACP, en dépit de ses limites objectives"[17].

La durée de l'Accord de Cotonou est inhabituelle : 20 ans. Cela constitue une grande première dans les relations commerciales multilatérales car dans la vie internationale et plus précisément en matière d'aide au développement, la pratique contractuelle des Etats est de ne souscrire d'engagements qu'à court ou moyen terme (de 2 à 5 ans). Plus rarement au-delà des ces limites. Cela, car il s'agit d'assumer des responsabilités politiques susceptibles d'être modulés en fonction des changements conjoncturels. Or, l'Accord de Cotonou prévoit la prise en compte des aléas politiques. Plus encore, il assigne des objectifs précis aux parties, qui par ailleurs ont souscrit des engagements mutuels dans les domaines politique et financier ce qui est la marque d'un certain volontarisme politique. Sauf à vouloir être pessimiste, il faut analyser  le choix opéré par les négociateurs comme étant la manifestation d'un certain volontarisme destiné à ancrer dans l'avenir les relations UE/ACP dont le socle est constitué par des avantages préférentiels. Ce qu'il convient de retenir est que l'Accord de Cotonou n'aurait pas été possible sans l'échec du Sommet du Millenium en Novembre 1999 à Seattle, raté dont l'UE a pâti car elle s'est par la suite trouvée dans l'incapacité d'imposer ses très restrictifs projets initiaux en matière d'aide au développement aux pays ACP.

Toutefois, le contexte dans lequel le texte de Lomé a été négocié puis adopté, de libéralisation croissante des échanges internationaux et d'imposition progressive des strictes règles du marché au détriment des mécanismes préférentiels, nous conduit à penser que ces derniers sont appelés non pas à disparaître, car ils demeurent un outil privilégié de la politique étrangère des Etats, mais à voir leur finalité redéfinie. En effet, il semble qu'une mutation de doctrine politique se soit produite parmi les pays développés qui sont passés de la notion d'aide économique apportée aux pays en voie de développement pour les maintenir dans le bloc occidental à celle de préservation ou de conquête d'un marché par l'octroi d'avantages particuliers aux pays cibles. Dans ce sens, seule la volonté politique de capter des marchés ou   de s'agréger des fournisseurs stratégiques prime. Cela explique la raison profonde pour laquelle la CNUCED a vu son influence se réduire comme peau de chagrin aussitôt que la l'effet de la loi du marché a déséquilibré les rapports clients-fournisseurs à l'orée des années 80. Elle peut sembler n'être plus qu'un club de pays en voie de développement qui s'efforce de prendre position face au nouvel organe dominant qu'est l'OMC, mais sans parvenir à influer sur le fonctionnement des marchés. Il convient pourtant de relever qu'elle conserve une bonne partie de sa pertinence. La CNUCED est l'une des rares organisations internationales qui osent encore évoquer les thèmes demeurés brûlants de la détérioration des termes de l'échange et de la double nécessité d'accroître l'investissement privé dans les pays du Sud et de rééquilibrer les flux d'échange. A cet égard, il apparaît qu'elle joue un rôle précieux sur la scène internationale, même si la question de la redéfinition de ses missions dans un environnement international devenu libéral se pose avec insistance. Les SPG ont un avenir, même si certains spéculent sur leur disparition pure et simple. Cela parce que leur caractère stratégique découle de choix politiques majeurs pour les Etats. Les préférences ne sont pas seulement octroyées aux pays du Sud par les grandes nations occidentales. Elles existent également dans les rapports Nord-Nord. Que seraient d'ailleurs les grandes alliances économiques entre pays occidentaux sans les avantages tarifaires ? Rien de plus que des pactes politiques sans prise réelle sur les relations entre les Etats qui, dans la réalité contemporaine sont dominées par les questions économiques et commerciales. Or les systèmes préférentiels présentent un caractère tout aussi stratégique pour les PVD. Elles constituent un élément vital de leur rattachement aux grands courants d'échange internationaux. La seule voie qui mérite d'être creusée est celle de leur re-dynamisation. En effet, dans un monde où les écarts de richesse entre le Nord et le Sud se creusent sans cesse, elles constituent l'un des rares outils – certes imparfait – de lissage des disparités économiques à l'échelle planétaire. La réflexion sur ce thème doit être orientée vers cette voie.

NOTES

[1] Dérogation décennale et renouvelable

[2] Les avantages liés aux accords de libres échanges visent généralement à consacrer des situations établies et n'ont qu'une faible effet incitatif pour la concrétisation de nouveaux investissements. Sans être un outil parfait à cet égard, la Convention de Lomé offre quant à elle aux candidats investisseurs de meilleures opportunités que le SPG 1994 dans ce domaine.

[3] De surcroît, la politique européenne est d'imposer à ses partenaires des mesures de réciprocité dans le cas de tels accords.

[4] Sur ce point, voir la réaffirmation de la position des Etats du Groupe ACP exprimée dans le mandat de négociation  du 30 septembre 1998 octroyé au Comité ad hoc du groupe en vue de la renégociation de la Convention de Lomé.

[5] - Cet avantage était net surtout dans les zones Afrique subsaharienne et Caraïbes. La situation était très différente dans la zone Pacifique où les importations d'Europe ont toujours représenté moins de 5% du commerce extérieur.

[6] - Sur ce point, voir la revue bimestrielle Courrier ACP-UE, N°166, Nov.-Déc. 1997, pp. 70-71L Les patronats nationaux de la zone Pacifique y dressent le bilan de la 4ème Convention de Lomé au regard de leurs activités.

[7] - Certains analystes relèvent que la part des pays ACP dans le total des importations de l'UE a chuté, passant de 6,7% en 1976 à 3,8% en 1996. Si cette situation reflète la diminution de la part des pays ACP dans les échanges mondiaux qui a baissé de moitié durant cette période passant de 3 à 1,5%, l'on a noté une certaine amélioration de la performance commerciale de certains pays. Ainsi, 21 pays sur 71 ont diversifié leurs exportations grâce aux préférences tarifaires liées à Lomé et les ont élargies aux produits suivants : les montres (Ile Maurice), les textiles (Côte d'Ivoire, Madagascar, Mali, Zambie, Zimbabwe), l'horticulture et la floriculture (Kenya, Zimbabwe). Toutefois, avec 62,5% du total, les produits de base constituent l'essentiel des exportations des pays ACP vers l'UE. Parmi les principaux, nous citerons : le pétrole (25%), les diamants, le cacao, le café et le sucre de canne (10% chacun au plus).  Plus de 84%des exportations de l'UE vers les pays ACP sont constituées de produits manufacturés. Par ailleurs, les relations commerciales diffèrent selon les zones d'appartenance des pays ACP ; L'Afrique subsaharienne exporte essentiellement à destination de l'Europe, les Caraïbes vers les Etats-Unis et le pacifique à destination du Japon. Se rapporter sur ce point à L. BOX, J. V. BRAUN et J.J. GABAS, "L'après-Lomé IV : vers des politiques axées sur la pratique", article collectif, ECDPM, Maastricht, 1999

[8] - Par opposition aux canaux classiques ou traditionnels qui induisent que la représentation de Etats sera assurée par des plénipotentiaires issus du corps des diplomates de carrière.

[9] - Il est manifeste que la position du Groupe ACP a évolué au cours des négociations. Campant d'abord sur une ligne très défensive, celle plus ou moins de la reconduction en l'état de Lomé IV, il a par la suite opté pour la voie de la substitution des avantages commerciaux qui lui étaient ouverts dans l'Union Européenne contre la garantie du maintien par l'UE du volume de l'enveloppe financière et l'octroi de l'appui politique communautaire auprès du FMI et de la Banque Mondiale pendant la durée de la future convention.

[10] - Ce dossier – véritable serpent de mer des relations UE/ACP – a menacé de paralyser le Groupe ACP, tant l'opposition entre les Etats africains francophones producteurs de banane et ceux des Caraïbes anglophones étaient tendues en raison de profondes divergences d'intérêt pour l'élaboration et la défense d'une position commune à l'ensemble du Groupe.

[11] -  Dont la Barbade, le Belize, le Botswana, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guyane, l'Ile Maurice, la Jamaïque, la Papouasie-Nouvelle-Guinée,  et les Seychelles, soit 48 Etats ACP sur 71 au total.

[12] - Le 9ème FED porte sur une enveloppe de 13,5 milliards d'euros dont 10 sont consacrés aux financement des programmes à long terme. 1,3 milliard est affecté à l'intégration régionale et 2,2 milliards d'euros sont affectés à l'appui à l'investissement dans les pays ACP. Des crédits additionnels de 1,7 milliards d'euros sont affectés au financement du secteur privé par la Banque Européenne d'Investissement (BEI). Dans ce sens, le montant  total de la contribution européenne pour la période 2002-2007 est de 15,2 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation des crédits budgétisés de 5% par rapport au 8ème FED. A ce montant, il faut ajouter le reliquat des crédits non consommés du 8ème FED et qui sont reportés sur le 9ème (10 milliards d'euros environ). Au total, les prévisions budgétaires sont de 24 milliards d'euros pour la période 2000-2007. De surcroît, la Commission s'est   engagée à améliorer de façon significative ses procédures internes en pour une mobilisation plus rapide des financements

[13] - Déclaration figurant in extenso dans la revue Europolitique, N°2238 du 1er juillet 1998.

[14] - Les discussions sur l'octroi d'une telle dérogation par l'OMC après la ratification de l'Accord de Cotonou par les instances nationaux, soit au plus tôt à la fin 2001 pourrait donner lieu de vives controverses si l'on envisage les réticences dont certains Etats (Etats-Unis, Canada, Mexique, Colombie et Equateur  parmi les plus influents) font preuve à l'égard du SPG de Lomé.

[15] - En réalité, la position française était dictée par le réalisme. Paris redoutait une amputation du FED des financements jusqu'alors affectés aux mécanismes de compensation, ce qui aurait de facto abouti à une limitation de la portée de la coopération UE/ACP.

[16] - Sur ce point, se rapporter au mandat de négociation du Groupe ACP, op. cit.

[17] - Selon le Groupe ACP, le Sysmin était sous-capitalisé, ce qui a ôté toute efficacité réelle à ses interventions.